vendredi 10 février 2023

BD - Entendez-vous la meute dans les bois ?

Un loup dans les bois du Limousin ? Un danger pour la population ? Ou un danger pour le loup ? La meute, remarquable roman graphique écrit par Cyril Herry et illustré par Aude Samama se garde bien de donner une réponse claire et nette. Les auteurs se contentent de raconter les faits.

150 pages en couleurs directes où différents points de vue s’expriment. Certains sont effectivement au cœur de l’intrigue. D’autres ne savent rien mais amplifient la machine à rumeurs.

Et puis il y a les innocents comme Amandine. Une petite fille malheureuse. Elle vit seule avec sa mère depuis que son papa est parti avec une autre maman. Elle aimerait avoir une nouvelle poupée, mais elle est trop chère. Elle pleure et se fait gronder par la maîtresse car sa mère est en retard. Elle voudrait partir. Loin. Et quand la fillette entend les grands parler de la mort, elle se demande si ce n’est pas la solution : « Amandine songe à mourir. Ce serait sûrement moins compliqué que de s’en aller toute seule, elle ne sait où. Elle se demande malgré tout si ça fait mal. Il faudrait essayer. Il n’y a que de cette façon qu’Amandine saurait. »

Au centre de l’intrigue, il y a la fugue de deux adolescents. Un garçon et une fille, qui ont d’excellentes raisons de quitter le foyer familial pour trouver refuge au cœur de la forêt. Dans ces bois où des loups seraient à l’affût. Des moutons sont retrouvés morts. Les deux jeunes vont-ils eux aussi périr sous les crocs. À moins qu’ils ne soient finalement plus en sécurité près de la meute animale que de celle formée par les humains.

Un livre et une histoire qui ne laissent personne indifférent. Car en plus d’Amandine et des fugueurs, les auteurs mettent en scène quantité d’hommes et de femmes tout ce qu’il y a de plus banals, de l’infirmière au tenancier de café en passant par l’agriculteur ou la retraitée acariâtre. Une galerie de personnages dans laquelle on ne peut qu’un peu se reconnaître en partie.

«La meute», Futuropolis, 22 €


BD - Les destins contrariés de « Monsieur Apothéoz » et de ses connaissances


Théo est persuadé qu’il est victime d’une malédiction. Son nom lui porte malheur. Théo Apothéoz, comme son père et son grand-père, ne parvient pas à trouver sa place dans notre société. Des destins brisés. Ce roman graphique écrit par Julien Frey et dessiné par Dawid est foisonnant et plein de surprises. Tout débute par l’enfance de Théo. Dans cette petite ville de province, son père, installé comme boulanger, parvient à survivre malgré un alcoolisme destructeur.

Théo, lui, est amoureux de Camille. Une jeune fille qui joue du violon. Mais après un coup du sort (la malédiction des Apothéoz…), Théo et son père déménagent vers la grande ville. C’est là qu’il vivote de petits boulots dans un appartement hérité d’une tante. Se morfondant après la perte de son amour de jeunesse.

La rencontre avec un auteur de livres en développement personnel va lui donner l’occasion de reprendre sa vie en main. Même si le destin, souvent est cruel et la malédiction contagieuse. Une histoire entraînante, des rebondissements en pagaille, des amitiés fortes, une amour puissant : Monsieur Apothéoz est le prototype du scénario très élaboré et cependant coulant de source.

Le dessin de Dawid est tout en délicatesse. Pinceau léger et couleurs délavées donnent un ton primesautier à cette BD pourtant assez sinistre par bien des sujets abordés.

«Monsieur Apothéoz», Vents d’Ouest, 19 €


BD - Une fin du monde coincée entre « Les murailles invisibles »

Si les scénarios pour la fin de notre monde moderne ne manquent pas, certains auteurs de BD continuent à réfléchir pour en imaginer de nouveaux. La palme pour cette année 2023 revient à Alex Chauvel, scénariste de la série Les murailles invisibles dessinée par Ludovic Rio. Pas d’invasion zombie ni de catastrophe climatique. Encore moins d’apocalypse nucléaire.

Tout débute du jour au lendemain quand des murailles invisibles fractionnent le monde en millions de petites zones géographiques autonomes. Ce moment clé, on le vit avec Lino. Un jeune homme moderne. 

Il est à l’aéroport, travaille dans les nouvelles technologies. Son téléphone se coupe d’un coup d’un seul et il voit dans la foulée un avion gros-porteur s’écraser contre une de ces murailles invisibles. On le retrouve trois mois plus tard, en train de fuir dans la ville devenue jungle urbaine, tentant de préserver son butin du jour, une boîte de pêches au sirop.

C’est là qu’il va croiser l’expédition menée par Asphanie. Elle vient d’une autre zone, sait franchir les barrières. Cela fait des années qu’elle a connu le grand bouleversement, car le temps ne s’écoule pas de la même façon dans les différentes enclaves.

Récit survivaliste humaniste, Les murailles invisibles s’offrent de plus le luxe d’une pagination ample, le premier volume s’étendant sur 90 pages. Le dessin, réaliste sans être trop versé sur l’anatomie, est d’une remarquable efficacité. Et le suspense du récit fonctionne lui aussi à merveille.
«Les murailles invisibles» (tome 1), Dargaud, 17 €


jeudi 9 février 2023

BD - Mystère en Écosse

Avec une régularité de métronome, Léo et Rodolphe proposent la suite des aventures de Kathy Austin, espionne anglaise globe trotteuse dans cette immédiate après-guerre.

Après le Kenya, la Namibie et l’Amazonie, elle se retrouve en Écosse. A priori pour se reposer et régler des affaires familiales. Notamment prendre possession d’une maison reçue en héritage, mais notre héroïne découvre que la demeure a brûlé. En fait Kathy attire les ennuis et les phénomènes mystérieux. 

Dans le second épisode de ce cycle dessiné par Marchal, elle se réveille à l’hôpital du petit bourg perdu de la lande écossaise. En pleine nuit, elle a croisé la route d’un mystérieux visiteur au visage déformé. Un double choc. Visuel mais aussi physique puisqu’elle st tombée sur la tête.

La suite de son enquête (elle a totalement abandonné l’idée de se reposer…), la met sur les traces d’amateurs de crop circles, ces étranges inscriptions directement gravées dans les champs. Elle devra également se méfier d’espions soviétiques, cachés dans les grottes de la localité, occupés à découvrir le secret d’un mystérieux objet. Sans oublier l’arrivée de plusieurs inconnus, comme venus d’une autre dimension, perdus mais bien décidés à mener leur mission à bien.

Un album rondement mené, bourré de péripéties, mais qui au final apporte plus d’interrogations que de pistes pour comprendre ce qui se trame dans ce Scotland, terre de toutes les légendes. Vivement la suite !
«Scotland» (tome 2), Dargaud, 12,50 €

BD - Mascarade US dans « New Hope » de Cee Cee Mia et Jalo chez Dupuis

Bien qu’habitant à Carcassonne depuis de longues années, Cee Cee Mia, scénariste de plus en plus productive dans le milieu de la BD, aime situer ses histoires aux USA. Il est vrai qu’elle connaît bien l’Amérique pour y a voir vécu et travaillé quelques années dans sa jeunesse.

Sans surprise donc, sa nouvelle série pour adolescents, se déroule sur un campus et aborde le cas assez incongru pour les lecteurs francophones des fraternités secrètes, heureusement popularisées par quantité de série télé destinées aux adolescents. Isabella, l’héroïne de New Hope, série dessinée par l’Espagnol Jalo, n’a pas une vie très satisfaisante. Elle vit avec sa mère et son frère. Un frère placé sur un piédestal, le meilleur, le seul qui trouve grâce aux yeux de sa maman qui se sacrifie pour son confort.

Alors qu’il doit intégrer l’université, il tombe gravement malade. Un traitement expérimental de l’hôpital de New Hope pourrait le sauver. Mais difficile d’intégrer le groupe test. Ce serait plus simple si la demande venait de la fraternité Epsilon qui règne sur le campus de la ville. Le directeur de l’hôpital est un ancien qui ne peut rien refuser aux nouveaux membres. Alors Isabella va se faire passer pour un garçon et intégrer Epsilon pour obtenir le sésame.

Le premier tome de cette BD, long de plus de 110 pages, plante le décor et dresse le portrait des différents protagonistes. Isabella et son double masculin, la meilleure amie de cette dernière, le chef d’Epsilon, violent et macho, la mafia qui gravite autour et les politiciens corrompus. Dans un monde assez peu reluisant, Isabella devra avoir une incroyable volonté pour ne pas perdre son humanité.

«New Hope» (tome 1), Dupuis, 14,90 €

BD - Dans « Colossale », Jade veut du muscle, pas un prince charmant

Si les amateurs de BD ne connaissent pas Jade, héroïne de Colossale, ce n’est pas le cas de milliers de lecteurs de webtoon. Nouvelle façon de publier des récits dessinés, le net revient aux bases du feuilleton hebdomadaire. Depuis 2020, Rutile (scénario) et Diane Truc (dessin et couleurs) proposent chaque dimanche un chapitre inédit de Colossale. Un succès considérable (6 millions de vues) qui a donné l’idée aux éditions Jungle de convertir les images numériques en pages de papier imprimé.

Le premier tome, copieux avec ses 200 pages, vient de sortir et permet aux amateurs classiques de BD de plonger dans ce monde entre romance, sueur et émancipation. La romance car Jade, jeune fille de très bonne famille (tout se passe chez les aristocrates) est courtisée par quelques héritiers. Et sa mère peut absolument la placer. La sueur car Jade, ce qu’elle veut avant tout, c’est du muscle. Elle veut être forte et passe de longues heures à soulever de la fonte en produisant des litres de sueur. Émancipation enfin car c’est une femme qui veut casser les codes de son milieu très réactionnaire.

Ce cocktail, saupoudré de nombreux traits d’humour, se révèle finalement très sympa. Et les grands dessins dans des pages déstructurées, s’ils sont un peu déstabilisants au début, permettent surtout de mieux apprécier le travail graphique de Diane Truc.

«Colossale» (tome 1), Jungle, 16,95 € (22,95 € l’édition collector)


mercredi 8 février 2023

Polars – Georges Simenon encore et toujours

Il n’est jamais trop tard pour redécouvrir Georges Simenon. Et même de le lire pour la première fois pour les jeunes générations. Le romancier n’est pas près de tomber dans l’oubli puisque les éditions Omnibus-Presses de la Cité viennent de rééditer dans une nouvelle présentation tous les « romans durs » du créateur de maigret.

Les huit premiers volumes sont en vente (de 1931 à 1952), les quatre derniers sortiront le 2 mars (1953 à 1972). L’occasion aussi de découvrir des entretiens inédits de cinéastes ou de romanciers. On lira avec curiosité les appréciations de Patrice Leconte ou Jean Becker. Didier Decoin intervient à double titre. En tant que romancier mais également fils d’Henri Decoin, qui a transposé au cinéma trois romans durs de Simenon.

Didier Decoin qui souligne que les romans de Simenon sont « des livres tendus où il n’y a pas de perte de temps, où il ne reste pas de miettes sur la table. Quand on dit que Simenon va à l’essentiel, on voit bien que cet essentiel, c’est le cœur de l’être humain. »

« Les romans durs », Simenon, tomes 1 à 8, Omnibus Presses de la Cité, entre 31 et 33 € chaque volume

BD - Les filles hors normes du monde de Daniel Clowes

Considéré comme un des auteurs underground américain le plus marquant de sa génération, Daniel Clowes bénéficie d’une réédition de quasiment toute sa production dans une collection qui lui est entièrement dédiée. Sous le titre générique de « La bibliothèque de Daniel Clowes », les lecteurs d’aujourd’hui pourront redécouvrir des œuvres des années parues ces dernières 30 années.

On ne peut que vous conseiller de débuter avec ce Ghost World publié initialement entre les années 1993 et 1997 aux USA. Des récits complets qui donnent une bonne idée de la mentalité d’une certaine jeunesse hors normes. 

Enid et Rebecca sont deux jeunes filles qui se posent beaucoup de questions. Elles sont toujours au lycée, envisagent vaguement de rejoindre l’université, vivent au jour le jour, entre sorties dans des librairies branchées, repas dans des restaurants atypiques et soirées passées à discuter de leurs envies de faire l’amour pour la première fois.

Enid, brune, rebelle et un peu punk, toujours dans la provocation et l’exagération. Rebecca, blonde comme les blés, discrète, suiveuse, peu sûre d’elle. Leurs dialogues sont édifiants pour cerner les tourments dans lesquels elles se débattent au quotidien. Mais cette BD de 80 pages vaut aussi pour les rencontres qu’elles font dans les rues de leur petite ville. Un couple de supposés satanistes, un néo nazi qui tente de faire la promotion de la pédophilie, un médium extralucide ou cette amie d’enfance qui tente de devenir comédienne mais qui se contente, pour l’instant, de petits rôles dans les clips de propagande d’un candidat républicain.

Une Amérique hors normes, dans toute sa diversité et sa folie. Le monde de Daniel Clowes.

«Ghost World», Delcourt, 18,95 €.

BD - Un clandestin sur les routes de France

Pierre Maurel, originaire de Sallèles-d’Aude et longtemps Carcassonnais, est désormais une valeur sûre de la bande dessinée. Sa série « Michel » (éditions de l’Employé du mois) a régulièrement été sélectionnée parmi les albums finalistes à Angoulême. C’est à Angoulême encore qu’il a présenté sa dernière production, un roman graphique paru chez Glénat. L’arme à gauche raconte le parcours de Mario, un vieux monsieur qui vit à l’écart dans un cabanon. Il ne descend au village que pour acheter quelques vivres. Mais l’essentiel de sa nourriture il la braconne ou la chaparde dans les jardins. Une vie à l’économie.

Discrète surtout. Car Mario est un ancien militant de l’extrême gauche italienne. Quand l’engagement politique passait aussi par le maniement des armes, le racket et les enlèvements. Bedonnant et moustachu, sous une éternelle casquette d’ouvrier, Mario apprend qu’une de ses camarades de lutte vient de mourir. Il décide de se rendre à ses obsèques. Mais comme il n’a pas de voiture, il voyage à pied. Il va croiser dans son périple un jardinier accueillant, des réfugiés apeurés et des chasseurs remontés.

L’album met en parallèle cette marche dans la France actuelle et la jeunesse de Mario, quand il découvre le militantisme politique jusqu’à cette fuite de l’autre côté de la frontière après une dénonciation. Un livre d’une centaine de pages tout en nuances. L’auteur ne juge pas son personnage principal ni son engagement. Il constate simplement que parfois la jeunesse houleuse permet d’avoir une vieillesse plus apaisée.

«L’arme à gauche», Glénat, 17,50 €


mardi 7 février 2023

Fantasy - Les exploits de Tress de la mer Émeraude, roman inédit et « secret » de Brandon Sanderson

Certains écrivains, durant le confinement, ont redoublé d’activité. Comme si l’enfermement était la meilleure solution pour booster sa production. Brandon Sanderson, déjà assez prolifique en temps normal, a profité des circonstances pour se lancer dans un grand projet constitué de quatre romans secrets.

Et face à l’inconnu économique de la pandémie, il lance une opération de financement en ligne. Résultat, plus de 41 millions de dollars recueillis, record absolu. En janvier dernier, le premier titre est sorti aux États-Unis et simultanément en France, en grand format au Livre de Poche.

Tress est une jeune fille impétueuse et amoureuse. Elle voudrait se marier avec le fils du Duc de sa petite île perdue en pleine mer Émeraude. Mais Charlie est kidnappé par une sorcière. Tress, de simple laveuse de fenêtres, va devoir se transformer en héroïne capable de voguer aux quatre coins du monde et affronter mille dangers pour son bien aimé.

Ce monde merveilleux, entre fantasy, Moyen Âge et science-fiction, enchantera tous les amateurs de littérature de l’imaginaire. Tress fait partie de ces femmes fortes qui marquent les esprits. Et rendez-vous en avril pour le second roman puisque Brandon Sanderson a promis de publier les quatre ouvrages durant l’année 2023.

« Tress de la mer Émeraude », Brandon Sanderson, Le Livre de Poche, 24,90 €