lundi 2 janvier 2023

Littérature - « La poésie des marchés » et ses haïkus d’open-space chez Albin Michel

Certains métiers sont plus abscons que d’autres pour le grand public. Analyste de marché par exemple. Comment définir le travail de Lucie, l’héroïne du premier roman d’Anne-Laure Delaye, La poésie des marchés ? Une fois le roman terminé vous n’aurez pas plus de réponse, mais vous aurez souvent rigolé aux trouvailles de ces employés d’open-space pas très sérieux.

Lucie par exemple doit anticiper les variations du coût de l’électricité. Elle rédige des mémos qu’elle communique à des traders chargés de spéculer. Elle a longtemps essayé de comprendre le marché, puis s’est contentée de décider au hasard, ou en fonction de haïkus qu’elle compose à la cantine. ?

Voire en se fiant à un varan qu’elle héberge dans un local de la société, avec un artiste SDF et ses toiles réalisées à partir de graphiques.

Un roman hilarant et pourtant ancré dans le réel. Pour preuve, avec un collègue, Lucie se demande si la guerre va bien éclater en Ukraine. « Nous avons papoté quelques minutes en attendant l’ouverture des marchés. Benjamin regrettait de devoir annuler un voyage en transsibérien qu’il avait prévu depuis quelques temps. ‘Mais si la guerre éclate vraiment, on risque d’avoir un beau bonus sur le gaz. Je ferai un voyage deux fois plus long l’année d’après’.» Quand la fiction a le goût amer de la réalité.

« La poésie des marchés » d’Anne-Laure Delaye, Albin Michel, 19,90 €

dimanche 1 janvier 2023

Littérature : Sororité destructrice dans "Fille en colère sur un banc de pierre" de Véronique Ovaldé

Sur une île volcanique de Méditerranée au large de la Sicile, la famille Salvatore ne passe pas inaperçue. Le père, un taiseux taciturne, passionné d’opéra, s’est marié à une fille du cru, Sylvia, et lui a fait quatre filles. C’est le destin de ces quatre sœurs qui sert de trame au roman de Véronique Ovaldé. La Fille en colère sur un banc de pierre qui donne son titre au livre c’est Aïda. Aïda la pestiférée, celle qui a quitté l’île pour vivre à Palerme. Cela fait 15 ans qu’elle n’a plus de nouvelles de la famille.

Quand elle reçoit un appel de sa sœur Violetta, elle se doute que c’est pour une mauvaise nouvelle. Le père, le Vieux, sa seigneurie comme elles ont l’habitude de le surnommer, vient de mourir. Aïda décide d’aller aux obsèques malgré le lourd passif entre elle et ses sœurs.

Ce roman puissant de Véronique Ovaldé, donne l’occasion au lecteur de plonger au cœur d’une famille compliquée. Voire totalement éclatée. Pourtant à la base il y a tout pour être heureux. La romancière le reconnaît quand elle écrit : « Je pourrais écrire quelque chose comme : elles étaient quatre sœurs inséparables promises à la plus belle des vies. Il y avait Violetta la reine, Gilda la pragmatique, Aïda la préférée et Mimi le colibri. » Elles ont deux ans d’écart et tout s’écroule un soir de carnaval. Malgré l’interdiction du père, en pleine nuit, Aïda, 8 ans, va participer aux festivités. Mimi, qui dort dans la même chambre, va avec elle. Dans la foule, elles découvrent un monde joyeux, débridé. Se perdent de vue. Aïda rentrera à la maison. Pas Mimi.

Que s’est-il passé le soir fatidique ?

La disparition de la petite dernière, celle qui avait tant de fois bravé la mort (chute du premier étage, début de noyade, guêpe dans la gorge…) brise le père. Il estime Aïda responsable. Ne lui adresse plus la parole. Les deux grandes sœurs aussi changent d’attitude et deviennent méchantes avec elle. Ce qui explique sa fuite vers Palerme. L’amour déserte la famille Salvatore. Les filles ont peur : « Leurs parents étaient piégés dans la géométrie invariable des couples - elle craignait que son mari ne finisse violent, il craignait que son épouse ne finisse par devenir folle. » En revenant sur l’île, Aïda se demande si elle va comprendre ce qui s’est passé ce soir fatidique. Qu’est-il arrivé à Mimi ? Est-elle encore en vie comme le croit, l’espère, la mère ?

Le roman, en plus de raconter l’évolution des trois sœurs restantes, leurs parcours de vie si différents, a parfois des airs d’enquête policière. Et aussi de comédie romantique. Avec en toile de fond cette sororité destructrice. Car l’absence de la petite sœur plane telle un vautour sur les trois sœurs restées en vie.

« Fille en colère sur un banc de pierre » de Véronique Ovaldé, Flammarion, 21 €

samedi 31 décembre 2022

Série télé en DVD et Blu-ray - Le début du phénomène HPI


Morgane est femme de ménage. Mais attention, cette rousse aux yeux bleus est aussi une femme HPI comme « haut potentiel intellectuel ». Légèrement inadaptée à la vie en société, son intelligence supérieure ne lui permet que difficilement de s’en sortir avec ses trois gosses, ses deux ex et ses cinq crédits. 

Sa vie change quand la police repère ses facultés exceptionnelles. Elle troque la serpillière pour un rôle de consultante. HPI est la série phénomène de ces deux dernières années. La première saison a explosé les audiences. La seconde a encore fait mieux. Les huit épisodes ont trusté les huit records de l’année (hors foot…). Le capitaine Marleau a trouvé à qui parler. Un succès qui doit beaucoup à l’abattage phénoménal d’Audrey Fleurot. Celle qui a longtemps été abonnée aux petits seconds rôles est devenue un pilier de la fiction française. 

Pour faire plaisir à des proches ou simplement pour revoir les 16 épisodes, craquez pour ce beau coffret paru chez UGC reprenant les deux premières saisons. (Prix conseillé : 29,99 €) 

vendredi 30 décembre 2022

BD - L’énigme Roland Barthes

Mais qui a tué Roland Barthes ? Et surtout qui lui a dérobé la formule secrète de la septième fonction du langage ? Le roman de Laurent Binet se transforme en une BD savante dans cette adaptation par Xavier Bétaucourt et Olivier Perret. 

Les auteurs (qui se mettent en scène), racontent donc l’enquête du commissaire Bayard, flic à l’ancienne, aidé par Simon Herzog, jeune sémiologue spécialiste des travaux de Barthes. 

Entre érudition et humour, on croise au fil des pages Michel Foucault, Philippe Sollers, BHL, Giscard et même Mitterrand juste avant son élection. 

« La septième fonction du langage », Steinkis, 23 €

DVD et Blu-ray - "Fall", pas pour les cinéphiles qui ont le vertige

Certains thrillers jouent clairement sur nos peurs primaires. L’enfermement, le feu… Fall de Scott Mann, sorti directement en VOD et sous forme de DVD et blu-ray (Wild Side Vidéo), est le film à déconseiller si vous êtes sujet au vertige. À moins de vouloir vous faire peur. Très peur. Au point d’en être malade selon les retours de certains spectateurs. Becky (Grace Fulton) déprime. Passionnée d’escalade, elle est traumatisée depuis la mort de son mari en pleine ascension. 

Sa meilleure amie, Hunter (Virginia Gardner) fait tout pour la sortir du marasme. Et lui redonner l’envie de vivre des sensations fortes. Elle parvient finalement à la convaincre de reprendre un peu de hauteur. En fait beaucoup puisqu’elles vont grimper au sommet d’une tour de communication désaffectée. Hauteur totale : 600 mètres. Et beaucoup de rouille… 

Quand vous serez tout en haut, bloqué, plus personne ne vous entendra hurler. Effets spéciaux impeccables pour un film au suspense hautement crédible. 

jeudi 29 décembre 2022

BD - Berlin au quotidien

Roman graphique se déroulant sur deux époques et dans deux lieux différents, Hypericon de Manuele Fior semble basé en partie sur ses souvenirs berlinois. Ruben, le jeune Italien dilettante, semble inspiré de la jeunesse du créateur de cette BD de plus de 140 pages. 

Ruben rencontre, aime et vit avec Teresa, autre Italienne déracinée qui vient cordonner l’exposition Toutankhamon. L’album, en plus de la découverte de l’amour entre ces deux jeunes dans un Berlin jeune et moderne, raconte la découverte de la tombe du pharaon par Carter. 

Un parallèle avec deux techniques de dessins.

« Hypericon », Dargaud, 23 €

Série télé - Mondes « Périphériques »

Si vous vous demandez à quoi ressemble le métaverse, jetez un œil à la nouvelle série programmée sur Prime Vidéo. Périphériques, les mondes de Flynne est une version améliorée de cette réalité virtuelle promise par les grands du net. 

Dans un futur proche, aux USA, dans une petite ville de province, Flynne (Chloë Grace Moretz) est très présente pour sa famille. Elle aide sa mère qui est en train de devenir aveugle et son frère, vétéran d’une guerre civile meurtrière. Pour s’évader, elle enfile un casque de réalité virtuelle et se transforme en guerrière invincible.

Distillée à petite dose (un épisode chaque vendredi durant huit semaines), cette série est adaptée d’un roman de William Gibson (paru en France au Diable Vauvert). 

Flynne reçoit un nouveau casque. Plus simple, beaucoup plus efficace. Dès qu’elle se branche, elle se retrouve plongée dans le Londres de 2099. Là elle va découvrir la lutte impitoyable entre police, gangsters et scientifiques. Et se retrouve être un enjeu majeur pour l’avenir de ce monde périphérique.  Pour bien profiter de l’histoire, il faut dans un premier temps séparer les deux mondes présentés. Le futur proche américain, avec militaires connectés (le frère de Flynne) et le Londres totalement différent, où les robots sont plus nombreux que les humains. Des robots qui servent de réceptacles à la conscience de Flynne quand elle se téléporte virtuellement dans ce monde périphérique, ce métavers puissance 1 000 qui semble être plus réel que son propre monde. 

Porté par les créateurs de Westworld, Périphériques est assez bluffant par sa façon de nous perdre entre les mondes réels et virtuels. Les effets spéciaux sont particulièrement réussis, notamment dans le Londres futuriste, gris et pollué, quasi désert. 

L’autre belle réussite est de proposer une ribambelle de méchants. Aux USA c’est le très violent Corbett Pickett (Louis Herthum vu dans quantité de séries dont Westworld) et dans l’Angleterre à l’agonie la lutte est rude entre Cherise (T’Nia Miller, repérée dans Sex Education ou The Haunting of Bly Manor) et le mafieux d’origine russe Lev Burtov (John Joseph Feild, Perdus dans l’espace). Les scénaristes se sont même permis une petite romanche entre l’avatar de Flynne et le mystérieux Wilf Netherton (Gary Carr, Meurtres au Paradis). Reste à savoir comment la saison 2 va évoluer. La première est indéniablement réussie, mais les questions en suspens sont légion et l’attente des très nombreux téléspectateurs extrêmement forte.

mercredi 28 décembre 2022

Roman - Elie Semoun raconte ses amours tragicomiques

Pour son premier roman, Elie Semoun s’inspire en grande partie de sa propre vie. Pas une autobiographie (il a déjà donné), mais de sa dernière passion amoureuse. Dans ce texte, sorte de long poème à la première personne, il raconte de façon chronologique et très talentueuse, les différentes étapes de cette période durant laquelle il espérait « Compter jusqu’à toi ». Tout commence au travail. Pour Elie Semoun au théâtre donc. Il donne une représentation de son dernier spectacle et immédiatement, il remarque une jeune femme dans le public. Un coup de foudre improbable.  Dans les premières pages du roman il énumère toutes les circonstances heureuses qui vont transformer la soirée en bonheur durant quelques années : « Et si mon regard ne s’était pas alors, ensuite, posé sur toi ? Et si ta beauté n’avait pas accroché mon œil comme un ballon d’enfant au bout de sa ficelle ? » Sans s’épargner, il va aussi raconter comment la passion va lentement mais sûrement s’atténuer, l’amour s’éloigner, les joies des retrouvailles (sa fiancée vit à l’étranger et ne le rejoint qu’épisodiquement à Paris) s’estomper. On est loin des vannes qui font rire. Mais les comiques ont souvent des amours tristes. 

Venu récemment dans la région rencontrer ses admirateurs aux clap ciné de Canet et de Leucate, Elie Semoun est revenu sur l’écriture de ce roman et ses passions littéraires. « Je préfère parler de récit que de roman, ça prend la forme d’un journal intime car c’est mon histoire que je raconte au fond. Je l’ai écrit un peu comme une série. Je ne dis pas que ce sont des chapitres mais des épisodes. J’ai voulu écrire le plus simple, reprenant des phrases que j’avais dans la tête depuis pas mal de temps.  C’est mon histoire, mais je l’ai un peu fictionnée, je n’ai pas tout mis.  Je suis un grand lecteur et pendant l’écriture de mon roman j’ai été influencé par l’écriture de Sagan, Colette, Annie Ernaux parfois, une écriture très claire, très limpide, un mélange de quotidien et de poésie. »

Dans ce texte, on sent un homme qui plus peur du désamour que de l’amour : « J’ai été traumatisé par la perte de ma mère quand j’avais 11 ans. L’abandon, la perte de quelqu’un qu’on aime guide un peu mes histoires. J’ai besoin assez souvent d’être rassuré. » De cette expérience amoureuse, il a fait un livre dans lequel beaucoup de ses lecteurs se reconnaissent. « comme quand tu attends des textos et tu es tout seul chez toi alors que ta copine va faire la fête, tu es en même temps rongé par une sorte de jalousie et une inquiétude et ça c’est quelque chose qu’on a tous vécu. » Et s’il reconnaît qu’il « ne s’est pas donné le beau rôle », Elie Semoun souligne surtout que « cette histoire est le mélange des amours que j’ai vécus. » Et comme dans la chanson, les histoires d’amours des comiques finissent mal, en général.  

« Compter jusqu’à toi » d’Elie Semoun, Robert Laffont, 19 €


Série télé - « Glitch » et ses aliens venus de Corée du Sud


La production télévisuelle de la Corée du Sud est pléthorique et très diversifiée. Si certaines séries sont hyperviolentes, d’autres très basiques, il y a aussi quelques œuvres assez inclassables. Glitch, visible sur Netflix, intègre parfaitement cette dernière catégorie. En 10 épisodes d’un peu moins d’une heure le spectateur rentre dans la paranoïa de Jihyo Hong (Jeon Yeo-bin). Cette jeune fille très effacée, est convaincue d’avoir été contactée par des extraterrestres en étant enfant. 

Quand son petit ami disparaît du jour au lendemain, elle se persuade que ce sont ces fameux aliens qui l’ont enlevé. Elle repère des signes et les voit même lors de flashes dont on ne sait si c’est la réalité ou des hallucinations. Elle va finalement aller chercher de l’aide auprès d’un club d’amateurs pour tenter de retrouver son fiancé et démontrer la réalité de la présence de ces petits hommes verts. 

On est loin des Envahisseurs de David Vincent, même si on retrouve la thématique du « seul contre tous ». Une série assez hypnotisante dans sa façon de montrer la folie de certains et l’incompréhension de la majorité.


mardi 27 décembre 2022

Polar - Nouvelle oubliée

Enquête policière et littéraire que ce roman d’Adrienne Weick, lauréat du grand prix des enquêteurs 2022. La septième diabolique est la façon de désigner une nouvelle inédite de Barbey d’Aureville, écrivain normand. Il a publié en 1874 un recueil de six nouvelles titré Les Diaboliques. Or il existerait une septième histoire, dite de la femme recluse. Mais ce texte n’a jamais été retrouvé. Légende ou réalité ? 

C’est à cette question que vont tenter de répondre les personnages de ce roman policier érudit. Le plus impliqué est un romancier français. Anatole, fin connaisseur de l’œuvre de Barbey d’Aureville, il se retrouve en convalescence à Valognes, petite ville où l’écrivain aimait se réfugier. Aidé d’un étudiant, Aurélien, il va découvrir des indices sur l’existence de ce texte et des raisons de sa disparition ? Une affaire qui deviendra familiale avec l’arrivée dans le jeu d’Anne, bourgeoise normande. 

Ce récit, enquête dans le passé, conduit le lecteur dans les méandres de la bonne société de province, actuelle et passée, sur les barricades de la Commune et les censures du XIXe siècle. Une belle découverte qui donne une furieuse envie de lire les six Diaboliques. La 7e, elle est imaginée par Adrienne Weick dans ce présent roman.

« La septième Diabolique » d’Adrienne Weick, Robert Laffont, 17 €