L’entame d’un roman est toujours essentielle. Les 40 premières pages de Débarquer d’Hugo Boris sont un modèle du genre. Il parle pourtant d’un événement vu et revu depuis des décennies : le débarquement allié sur les plages de Normandie. Il parvient avec son style direct sans temps mort à plonger le lecteur au cœur de l’action, l’obligeant à lire ce passage en apnée, comme les protagonistes dont Andrew, jeune Américain tétanisé par l’enjeu. Le fracas, la mort, la peur, le désir font irruption dans les souvenirs honteux de ce vétéran que l’on retrouvera des années plus tard sur ces plages normandes, sorte de sanctuaire du courage.
De l’horreur aussi. Car une fois débarqué, rien ne se passe comme prévu pour Andrew. Il a l’impression que « chaque explosion lui est destinée, chaque tir le vise personnellement. Des morceaux de fer veulent pénétrer sa chair. Sa peur ne connaît plus de pause. […] Il rampe à reculons, se rejette lui-même à la mer, bat en retraite. »
Et finalement il « bascule sur le dos, fait le mort pour rester en vie, les narines palpitantes, les bras en croix, les oreilles immergées pour étouffer les cris. » Un très grand roman sur une autre forme de résilience.
Quand les éditions Dupuis ont décidé de décliner les aventures de Spirou et Fantasio en différentes sous-séries, Émile Bravo a eu l’idée géniale de choisir la période juste avant-guerre. Cela a donné un Journal d’un ingénu se prolongeant dans la longue saga des années de guerre, L’espoir malgré tout. Le quatrième et dernier tome vient de sortir. Un événement tant cette histoire aura marqué les lecteurs, petits et grands. Spirou, jeune idéaliste qui découvre la vie, l’amour, l’espoir, se retrouve confronté à la guerre et à l’horreur nazie.
De Bruxelles à la France occupée, avec son ami inconscient et toujours aussi farfelu Fantasio, ils vont voir les exactions de l’occupant, risquer leur vie, comprendre que les déportés sont envoyés vers des camps où aucun retour n’est possible. Après trois longs tomes (entre 80 et 110 pages), l’épisode final est plus ramassé. À peine 40 pages, mais d’une densité étonnante. Car c’est la fin de la guerre qui est racontée.
Les Alliés viennent de débarquer et les deux héros participent activement à la Résistance. Mais une fois la France puis la Belgique libérées, le retour à la vie normale est quasi impossible. Émile Bravo raconte sans fard la réalité des camps d’extermination et les exactions de l’épuration.
Dessinateur virtuose à l’imagination foisonnante, Jérémy s’est longtemps contenté d’illustré les inventions des autres. En imaginant Vesper, héroïne de cette série dérivée du monde du jeu Final Fantasy, il se donne l’occasion d’aller encore plus loin dans des trouvailles graphiques époustouflantes. Vesper est une hybride, moitié humaine, moitié chimère.
Elle a tenté de sauver Crimson, chef des chevaliers de Nyx dans le premier tome. En vain. Elle repart au combat dans le second tome, et pour avoir un peu plus de chance de vaincre Murgeis, elle va invoquer l’Archimériste, une entité supérieure qui fait chèrement payée quand on la dérange.
L’histoire est complexe, digne des meilleurs récits de Fantasy. Mais l’intérêt de l’album réside essentiellement dans la réalisation graphique de cet univers enchanté. Il y a tant de virtuosité que chaque planche, chaque dessin, chaque détail mérite que l’on s’attarde dessus.
Le film de Jan Bucquoy sera présenté en avant-première en sa présence le samedi 20 août à Canet-en-Roussillon, le dimanche 21 août à Leucate et le lundi 22 août à Sigean
Pas encore distribué en France, La dernière tentation des Belges de Jan Bucquoy est une œuvre beaucoup plus tendre et émouvante que ses précédentes réalisations. Celui qui ose tout dans l’humour trash a voulu mettre en images l’histoire tragique de sa fille Marie (Alice Dutoit).
Le film débute par une image forte. La jeune fille est au bord d’une falaise. Son père (Wim Willaert) juste à côté. Elle est sur le point de se jeter dans le vide. Il tente de l’en dissuader. Pour cela il s’engage à lui raconter des histoires. Mais ce qu’elle voudrait plutôt, c’est que son père, si souvent absent, se raconte pour une fois. Alors il commence par le début, la rencontre avec sa mère.
Une spectatrice dans un de ses spectacles d’humour (en compagnie d’Alex Vizorek, l’humoriste qui a réussi à Paris) où il tapait sur tout ce qui bouge. Malgré leurs différences, l’amour est total et Marie devient ce qu’il a de plus précieux. Même s’il quitte la mère et abandonne quasiment son enfant.
Mais Jan Bucquoy mène une vie de saltimbanque et de provocateur. Entre la bande dessinée, les performances, le musée du slip et autres films avec quelques Belges bien cintrés (Noël Godin par exemple, le célèbre entartreur), il surfe sur la dérision. Alors il raconte les femmes de sa vie, parle un peu de la Wallonie, la partie francophone de la Belgique, lui qui est Flamand, des femmes, de son infidélité, des femmes, encore et toujours…
Le film est une sorte de longue lettre d’amour à destination de sa fille. Elle ne le comprend pas, constate simplement qu’il est un peu tard pour regretter. Que de son côté, rien ne la retient sur terre. Et ce qui aurait pu n’être qu’une grosse farce se transforme en témoignage tendre et émouvant sur la perte d’un enfant. Depuis, Jan Bucquoy fait « semblant de vivre ».
Parmi les romans de la rentrée littéraire de 2022, L’homme peuplé de Franck Bouysse marquera durablement ses lecteurs et lectrices. Un face-à-face indirect entre Harry, écrivain en mal d’inspiration et Caleb, paysan taciturne. Le premier, après un premier texte couronné de succès, se retrouve bloqué devant la page blanche. Il décide d’acheter une vieille ferme en l’état (avec les meubles des anciens propriétaires) perdue dans la campagne française et tente de retrouver l’inspiration dans cet environnement nouveau.
En parallèle à sa découverte de ce lieu froid et peu engageant, on découvre comment Caleb, éleveur de moutons dans la bâtisse voisine voit l’arrivée de cet étranger. Caleb, solitaire, rejeté de tous car il a un don de guérisseur. Mais pour les villageois, c’est un sorcier dangereux. Ce texte très littéraire, écrit avec un classicisme formel, alterne les deux points de vue.
Deux hommes radicalement différents, qui s’évitent mais qui sont reliés par l’employée de l’épicerie du village, Emma, qui joue au final un rôle central dans l’intrigue. Entre thriller psychologique, conte fantastique et réflexion philosophique sur l’inspiration et l’exclusion, L’homme peuplé est un roman fort et multiple à ne pas manquer.
Parmi les 490 romans de la rentrée littéraire, GPS de la Perpignanaise Lucie Rico est souvent cité parmi les titres à suivre pour les prix de l'automne.
Son premier roman avait fait forte impression. Un beau succès critique gâché par le confinement puisque Le chant du poulet sous vide de Lucie Rico était sorti en plein confinement. Un peu plus de deux années plus tard, la jeune romancière, originaire de Perpignan, récidive avec GPS. Mais cette fois, son roman sort en pleine rentrée littéraire, il est arrivé hier dans toutes les librairies de France.
Loin d’être un handicap, cela semble être tout bénéfice pour ce roman qui raconte l’histoire d’une jeune fille en grande difficulté sociale. Elle reste cloîtrée chez elle. mais quand sa meilleure amie l’invite à ses fiançailles, elle doit obligatoirement sortir. Et pour l’aider, elle va suivre le signal GPS de son amie. Jusqu’à ce qu’elle disparaisse.
Dans l’air du temps, avec suspense et analyse de notre société, ce texte a déjà été repéré par nombre de critiques littéraires qui lui voient des chances dans les différents prix littéraires. L’Agence France Presse, dans sa présentation de la rentrée, a clairement laissé entendre que parmi « les jeunes auteurs », GPS de Lucie Rico (avec également Émilienne Malfatto ou Guillaume Lopez), « pourraient causer la surprise. »
Du sang et des larmes ! Le discours préliminaire d’Emmanuel Macron au premier conseil des ministres de rentrée la semaine dernière a donné le ton de ce qui nous attend. Terminé le bon vieux temps du « koikilenkoute », place à la fin de l’abondance et de l’insouciance. Alors que les gastronomes se rassurent, le président ne parle pas de cette spécialité de Haute-Savoie qui tire son nom de la race de vache dont est issu ce fromage. Quand il parle d’abondance, c’est plutôt de biens de consommation, comme fruits, légumes et autres produits manufacturés. De l’essence aussi. Et peut-être de l’électricité.
Il y a un peu plus de deux ans il nous a annoncé un soir à la télé, l’air grave qu’on était en guerre. Aujourd’hui, encore moins souriant, place logiquement au rationnement. Mais il est passé où le président en vacances en train de surfer sur les vagues de la Méditerranée au guidon de son jet ski ? De retour à Paris, il a toujours le bronzage mais a perdu le sourire. Alors que franchement, ceux qui devraient tirer la tronche, ce sont les Français qui se demandent s’ils pourront se chauffer en hiver, voire s’éclairer autrement qu’à la bougie.
Pour ce qui est de l’alimentation, je sens une vague forte d’adhésion au vegan. Pas par conviction, juste à cause du prix de la viande qui va devenir une valeur de placement au même titre que l’or. Et pour ce qui est des légumes, il faudra se contenter de patates et de rutabagas (bien que ces tubercules, très populaires durant la dernière guerre, soient devenus des signes extérieurs de boboïsme).
Sans oublier les pissenlits. Évitez quand même de les déguster par la racine. Mais la rentrée n’est pas encore véritablement là. Profitez de ces trois derniers jours d’août et ne cédez pas au pessimisme ! Et comme le dirait la cigale de la fable : Ah bon ? Danse ! Maintenant.
Chronique parue en dernière page de l’Indépendant le lundi 29 août 2022
Marie Rouanet vient de publier un texte court, très poétique, sur Pierre Soulages, son art et sa vie aveyronnaise.
La romancière Marie Rouanet, installée depuis des années à Camarès dans l’Aveyron, avoue une grande admiration pour Pierre Soulages. Un autre Aveyronnais, peintre centenaire, maître du noir obscur, vivant désormais à Sète mais qui a conservé des racines dans cette terre rude du nord de l’Occitanie. Marie Rouanet a mis sa plume au service de l’artiste. Elle signe un petit livre, sorte de long poème en prose, racontant, imaginant, le parcours d’un Soulages jeune, ouvert à la vie, aux couleurs, odeurs et sons de son quotidien d’enfant ruthénois.
Il aime découvrir les échoppes des artisans, admirer leur travail, leurs outils, leurs créations : « Les mains des ouvriers, épaisses, durcies de cals, fortes comme des étaux devaient pourtant être minutieuses. » Inconsciemment, il découvrait ce qui allait conditionner sa vie, son destin : « Tout cet enchaînement de forces aboutissait à la main nue, seule, capable de ce point d’orgue : l’art. » Attachée à la culture occitane, Marie Rouanet s’est trouvé un point commun avec Pierre Soulages quand il parle de son appartenance au « Pays ». « Lorsque l’on me demande si je suis Aveyronnais, je réponds : ‘Je suis Rouergat’. Le mot désigne un espace qui n’a aucune existence administrative. Il s’agit d’une certaine superficie où je me sens chez moi. Je n’y vais pas tous les jours mais assez pour y avoir des habitudes et des amis. »
« Le silence est l’écrin de la vie intérieure »
Enfin ce petit fascicule s’achève avec un chapitre sur l’abbaye Sainte-Foy de Conques, sublimée par les vitraux de Soulages. Certainement la partie la plus poétique, belle, lumineuse. Comme si l’inspiration était évidente dans ce lieu ou « le silence est l’écrin de la vie intérieure ». Et Marie Rouanet d’expliquer qu’en ce lieu, « à la place de l’éblouissement des yeux tu trouves l’indicible, l’invisible. Conques, mon chef-d’œuvre. Mon chant du cygne. »
Cet hommage de Marie Rouanet, une grande écrivaine d’Occitanie à Pierre Soulages, un autre grand de la culture régionale, prouve combien le territoire regorge de talents mondialement reconnus permettant de faire rayonner ce petit bout du Sud de la France bien au-delà de nos frontières.
En déclarant la fin de l’abondance à brève échéance, Emmanuel Macron nous a forcés à faire un rapide tour d’horizon de nos fameuses abondances. Force est de constater que ce mot a des implications souvent très différentes en fonction de nos origines. Pour les traders, rentiers et les 1 % des Français qui ont 50 % de la richesse du pays, la fin de l’abondance ce n’est pas pour demain.
Au contraire, la situation économique se détériorant, ils vont pouvoir gonfler les effectifs de leur petit personnel pour le même budget. Et être encore plus exigeants puisque les places seront de plus en plus chères.
Les cadres moyens vont devoir, à partir du 20 de chaque mois, se contenter des marques blanches de la grande distribution et revivre pour les plus anciens la pub du Canada Dry : la ressemblance est là, pas le goût ni la qualité. Pour la grande majorité des autres, des ouvriers aux chômeurs en passant par les petits retraités, l’abondance n’était qu’un vague souvenir, lointain, très lointain. Il y a longtemps qu’ils ont pris l’habitude de tout compter, de faire attention aux prix, de ne jamais dépenser avec insouciance.
En clair, rien de nouveau sous le ciel des pauvres. Si quand même, l’impression que désormais il sera malheureusement plus facile de basculer dans la grande pauvreté. Plus de chauffage, d’électricité, de toit… Se retrouver à la rue.
Ils sont déjà nombreux à y survivre et paradoxalement ils ont un point commun avec les premiers cités : malgré les prédictions à la Nostradamus du président Macron, leur quotidien ne changera pas d’un iota. Car quoi qu’il arrive, les riches semblent toujours plus riches et les pauvres toujours plus pauvres.
Billet paru en dernière page de l’Indépendant le mardi 30 août 2022
Le trio des Vieux fourneaux n’a rien perdu de sa folie iconoclaste. Un second film avec des migrants et des ruraux.
Toujours d’attaque les Vieux fourneaux. Malgré quelques années de plus au compteur, ils reviennent sur le devant de la scène pour un second film tiré des bandes dessinées. Un trio toujours aussi iconoclaste, militant et empêcheur de tourner en rond. Imaginés par Wilfried Lupano (6 albums parus aux éditions Dargaud, dessins de Paul Cauuet), ces trois retraités ont frôlé le million d’entrées dans leur premier film.
En cet été 2022, on retrouve Pierrot (Pierre Richard), le plus déterminé, en train de mettre en place un happening contre les riches devant l’ambassade de Suisse. Ils finissent tous au poste, Pierrot avec une rotule en vrac après une évacuation musclée. Dans la vraie vie, le genou du comédien audois est réellement en vrac. Résultat Pierrot se déplace avec une béquille customisée, bourrée de gadgets, de la réserve d’alcool au taser en passant par le lance boulon, si pratique dans les manifs. Une adaptation du scénario montrant combien Pierre Richard est essentiel au projet.
Mimile et Berthe, longue histoire d’amour
Pour le militant infatigable des droits de l’Homme, le plus gros problème reste l’hébergement des réfugiés. L’hôtel particulier de Fanfan (amie de Pierrot, riche héritière mais d’extrême-gauche) va être perquisitionné. Pierrot décide de revenir dans son village gersois de Montcoeur pour cacher le groupe composé de Syriens, d’Afghans et d’Africains. Il débarque à l’improviste chez son pote Antoine (Bernard Le Coq qui reprend le rôle de Roland Giraud) et va bousculer les habitudes du petit bourg campagnard endormi.
Le film prend une tournure politique certaine, pour dénoncer les fausses peurs de cette population rurale face à des hommes et femmes fuyant dictature et mort certaine. L’histoire parle aussi de désertification, de la lente mort de ces villages de la campagne, désertés par les forces vives, devenus malgré eux les mouroirs de toute une génération. Par chance, à Montcoeur il y a quelques spécimens assez typiques. Comme Mimile (Eddy Mitchell), qui tente toujours d’inviter Berthe (Myriam Boyer), 40 ans après le premier refus de la paysanne bougonne.
Les vieux fourneaux 2 est un peu un brûlot politique, mais l’ensemble reste très marrant, avec des comédiens au top. Notamment Pierre Richard qui n’a pas perdu une miette de son dynamisme. Réponse cinglante à tous les oiseaux de mauvais augure qui distillent de fausses informations sur son état de santé. Parfois, des coups de béquilles se perdent !