vendredi 10 décembre 2021

Roman - Cali dans son miroir déformant

Etonnant roman que ce Voilà les anges signé Cali. Si ses deux premiers étaient, « 100 % moi, puis seulement 90 % », celui-ci rebat les cartes. Le héros se nomme toujours Bruno, est un peu chanteur, mais « c’est totalement romancé, avec pas mal de choses remaniées ». Bref, on se trouve face à « avatar de Cali », un peu le reflet déformé du chanteur connu. « Dans la première partie du roman, j’ai voulu rendre Bruno totalement détestable, il se déteste lui-même et veut aller au plus bas », explique le chanteur, entre deux séances d’enregistrement, à Saint-Estève. Une réussite éclatante quand il raconte comment, chanteur délaissé pour un plus jeune et surtout plus vendeur, Bruno massacre le patron de sa maison de disques. Il finira en prison, preuve que l’on se trouve dans un roman car, comme le souligne malicieux l’auteur, « je n’ai pas encore fait de prison ».  Il faut absolument recontextualiser ces passages qui, pris au premier degré, pourraient passer pour un testament artistique : « Jétais devenu ce que je redoutais le plus : aigri. Un vieux chanteur aigri. […] Fatigué, méchant, j’étais passé de l’autre côté, du côté obscur de la vie. Celui d’où l’on ne revient que rarement. » La suite du roman met des couleurs sur cette œuvre au noir. 

La maman du Petit Prince

Car Bruno, après la prison, rencontre quelques anges. Une splendide galerie de personnages, de Roberta, la propriétaire octogénaire d’un manège, veuve amoureuse d’un jeune Kevin, à Paula, la femme battue et suicidaire qui redécouvre l’amour dans les bras de Bruno, lui aussi de plus en plus suicidaire. Sans oublier Prince, un gamin qui ne va jamais à l’école. Prince, perdu dans ce Paris qui l’étouffe. Il reste en bas de son immeuble pour surveiller sa maman qui reçoit beaucoup de visites d’hommes dans la journée. Le héros va beaucoup apprécier ce gamin, lui raconter sa fugue à 16 ans, comment il appellerait ses enfants, s’il en avait, ce qu’ils feraient. Et découvrir, finalement, qui est la maman du petit Prince, petit garçon hybride entre le personnage de Saint-Exupéry et le musicien américain. 

Ce texte, envoûtant, parfois cash, souvent romantique, fait une grande place à la poésie de la vie. A l’optimisme aussi, bien que la totalité des protagonistes soient des cabossés de la société, des boiteux qui pourraient ne plus rien attendre de cette chienne d’existence. Un bonheur possible que l’on retrouve en fin de roman, comme un soulagement. Avec cet aveu du héros, totalement transformé, apaisé, comme son double et créateur : « J’écris des chansons. Je le sais maintenant, le héros ce n’est pas le chanteur, c’est la chanson. Peut-être que la postérité reconnaîtra un jour mon talent. En fait, tu sais quoi ? Je m’en balance ! J’écris des chansons pour moi, pour rien. » Il écrit des romans aussi. Pour nous. Et c’est bien.  

« Voilà les anges » de Cali, Albin Michel, 17,90 €. 

De choses et d’autres - Une nouvelle cargaison de mots-valises

Le 27 novembre dernier, à cette même place, je vous parlais du Fictionnaire de Robert Pico, petit ouvrage où il tripatouillait les mots pour les rendre complexes et amusants. François Licciardi, lecteur originaire de Ur, dans la montagne catalane, me signale, par courrier, que ce Fictionnaire n’est pas le premier à paraître. « Yves-Marie Clément et Gérard Gréverand, ont publié, aux éditions Manya, en 1993, Pianissimots, petit dictionnaire des mots-valises. Dans la préface, les deux auteurs rappellent qu’Elsa Triolet reçut, de la part d’Henri Jeanson, le surnom (pas très élégant) d’Aragonzesse après son mariage avec Louis Aragon. »

Parmi leurs trouvailles, sélectionnées par François Licciardi, « Chimpanzer : singe blindé » ou « Matelassitude : ennui conjugal ».

Cette lettre nous apprend, également, qu’un célèbre philosophe, s’est, lui aussi, amusé à détourner la langue française dans sa jeunesse. Alain Finkielkraut, sans doute plus marrant jeune qu’une fois devenu une institution de la pensée française, a publié, en 1979, au Seuil, Ralentir : mots-valises !. Preuve que « jouer au mot-valise séduit à tout âge, aussi bien le vieux Pico que le jeunot Finkielkraut » souligne François Licciardi qui a débusqué, parmi les inventions du philosophe, un très étonnant et peu ragoûtant « Gazpiller : lâcher des vents avec une prodigalité excessive. »

Et preuve que ce petit sport cérébral est contagieux, notre lecteur termine sa missive en proposant un mot de son invention, « contribution quelque peu scabreuse dans la lignée de Robert Pico » tient-il à préciser : « Préservhâtif : pour éjaculateur précoce. »

Chronique parue en dernière page de l’Indépendant le samedi 11 décembre 2021

jeudi 9 décembre 2021

BD - Largo Winch décolle


Habitué des belles nanas, Largo Winch a tendance à s’envoyer en l’air au fil des épisodes de sa saga désormais écrite par Giacometti et toujours dessinée par Francq. Mais cette fois c’est littéralement qu’il décolle, propulsé dans l’espace en compagnie d’un milliardaire des nouvelles technologies, sorte de copie d’Eon Musk qui, en plus, serait marié à un mannequin aussi intelligent que lui et sosie d’Angelina Jolie

Mais avant de franchir la Frontière de la Nuit, Largo va démanteler une mine d’étain qui exploite des enfants et chambouler son organigramme de direction. Si on apprécie le volet aventureux de la série, on a de plus en plus de mal avec le discours éthique du milliardaire. Autant il est envisageable qu’il aille dans l’espace, autant un magnat de la finance ne fermera jamais une mine juste pour préserver des orphelins…  

« Largo Winch » (tome 23), Dupuis, 14,95 €


Encyclopédie - Trois lettres de la nouvelle bible des acteurs et actrices

Les passionnés de cinéma se précipiteront sur ce livre coécrit par Serge Regourd et Alain Stouvenel. Les deux passionnés de cinéma ont rédigé 900 mini-biographies d’acteurs et actrices du cinéma français et de la télévision. Juste le tome 1 d’une anthologie en cours, puisqu’on ne retrouve, dans ces 250 pages, que les trois premières entrées de l’alphabet, de A à C. 

On trouve, à la première lettre, des célébrités comme Isabelle Adjani, mais le parti pris des auteurs de mettre tout le monde à égalité fait qu’une des meilleures comédiennes françaises de tous les temps n’a droit qu’à six lignes, exactement autant que Béatrice Altariba, essentiellement connue pour avoir donné la réplique à Darry Cowl dans « Le triporteur ».  

« L’A. B. C. des acteurs et actrices du cinéma français et de la télévision », Un autre Reg’Art éditions, 19,90 €


De choses et d’autres - Au menu des débats

Les Américains ne sont pas de fins gourmets, mais sont très fiers de leurs recettes. Ainsi, pour la fête de Thanksgiving, c’est une dinde rôtie qui fait l’essentiel du menu. Personne n’ose déroger à la tradition (à part quelques vegans, et encore…). Par contre, pour accompagner la volaille, c’est un peu le bazar.

Voilà pourquoi un site spécialisé sur la politique US a essayé de définir ce qui pourrait remporter la majorité des suffrages des électeurs. Dans un premier temps, un sondage très détaillé a permis de sélectionner les plats préférés, dans chaque état de l’Union. Trois recettes faisaient la course en tête : la purée de pommes de terre, les haricots verts en cocotte et la farce de dinde. Après une savante analyse des alliances possibles avec les autres plats préférés (excepté le Maine, considéré comme extrémiste, puisque votant pour la salade verte), la purée l’emporte, mais de justesse.

Chez nous aussi, le menu de Noël est propice aux disputes. Chapon ou dinde, huîtres ou homard, bûche pâtissière ou glacée : il existe des dizaines de menus et contenter tout le monde se révèle de la mission impossible. Pareil pour les liquides : champagne ou blanquette, rouge ou blanc, apéritif ou digestif ? Les deux, dans ce dernier cas, est souvent la bonne réponse.

En réalité, un repas de fête de fin d’année, en France, c’est la certitude d’éclats de voix durant les agapes, si on aborde la politique et, avant, si on ose remettre en cause le menu décidé par la puissance invitante.

Avec, en plus, cette année, un nouveau risque majeur : la possibilité que tout cela finisse dans un bain de sang, s’il y a du foie gras sur la table et un écologiste parmi les convives.

Chronique parue en dernière page de l’Indépendant le vendredi 10 décembre 2021

mercredi 8 décembre 2021

BD - Ados en alerte dans le tome 2 de "Enemy"


La science-fiction à destination des adolescents part souvent de ce principe : un groupe de jeunes se retrouve isolé loin de la civilisation et doit composer sans les adultes. On n’échappe pas à ce principe dans Enemy écrit par Ange et dessiné par l’Italienne Ornella Savarese


Pour survivre dans un bâtiment fortifié, une vingtaine de jeunes s’est scindée en plusieurs camps. Ils ne sortent jamais comme leur « religion » le préconise. Mais un jour ils découvrent la réalité. Le second tome développe ce concept. En fait ils sont les descendants de Terriens naufragés sur une planète. Deux dangers pour leur communauté : des robots et des aliens. Scission dans le groupe, révélations, combats : la suite est brillante, tant au niveau des rebondissements que du graphisme très élégant. 

« Enemy » (tome 2), Soleil, 15,50 €

Roman fantastique - Portes infinies


Rien de tel qu’un livre foisonnant de mondes pour s’évader d’une réalité peu réjouissante. Vous trouverez votre bonheur dans « Les dix mille portes de January », roman fantastique d’Alix E. Harrow paru dans la toute nouvelle collection Le Rayon Imaginaire. January est une jeune fille élevée par un riche amateur d’art. Un jour, elle découvre une porte qui donne sur un autre monde. 

En parallèle de l’histoire de January (qui va découvrir, petit à petit, différentes portes partout sur terre), on découvre comment une autre petite Américaine est parvenue à rejoindre le monde de Nin et y fonder une famille. Les deux histoires vont d’entremêler et se rejoindre. Loin de la Fantasy violente, ce roman, tout en douceur et persévérance, montre que l’imagination reste la meilleure arme contre les malfaisants de toute sorte.

« Les dix mille portes de January » d’Alix E. Harrow, Le rayon imaginaire, 25 €


De choses et d’autres - Embouteillage de robots

Même si je suis toujours un peu en admiration devant les robots et autres intelligences artificielles, j’avoue que quand ils se montrent moins efficaces que prévu, je ris sous cape. N’est-ce pas, en réalité, la meilleure démonstration qu’ils sont finalement un peu humains. On a beau louer la réussite, il ne faut jamais oublier cet aphorisme de Cioran : « Une seule chose importe : apprendre à perdre ».

Beaucoup estiment que les robots sont appelés à prendre la place des hommes. Pour des tâches simples et répétitives, j’admets que c’est au point. Un peu moins quand il faut faire une action complexe, pourtant à la portée de n’importe quel humain, même sans le moindre diplôme.

La livraison de colis est un vaste chantier en plein renouvellement. Des drones, notamment en Australie, peuvent vous livrer les colis Amazon. Enfin, quand ils ne se font pas attaquer, en plein ciel, par des nuées de corneilles. Hitchcock avait tout compris. Alors, d’autres start-up ont développé des petits robots sur six roues qui peuvent transporter des repas chauds, jusque devant votre porte. Une expérimentation est en cours, depuis quelques mois, à Talinn en Estonie.

Une jolie ville, qui a l’inconvénient, en hiver, d’être parfois recouverte de neige. Résultat, une portion de trottoir recouvert de 15 cm de poudreuse, s’est transformé, le week-end dernier, en patinoire pour une dizaine de ces pauvres petits robots incapables d’avancer quand ça glisse. Un ballet pitoyable, filmé par des passants qui ont partagé les vidéos sur les réseaux sociaux avec force de moqueries.

Preuve que l’empathie robotique n’est pas encore inscrite dans les gènes de l’être humain.

Chronique parue en dernière page de l’Indépendant le jeudi 9 décembre 2021

mardi 7 décembre 2021

BD - Les maux de la Sangoma


Titre énigmatique que ce Sangoma, roman graphique signé Caryl Férey et Corentin Rouge. Sous ce nom se cachent des sorciers africains qui prétendent soigner tout et n’importe quoi. En Afrique du Sud, peu de temps après l’abolition de l’apartheid, une ferme viticole est en émoi. Un bébé vient de disparaître. 


Dans la foulée un des ouvriers noirs est retrouvé mort. Un flic, blanc, va tenter de retrouver le coupable mais se retrouve vite face à un mur de silence. Certains secrets ne méritent pas d’être révélés. 
Sans doute un des meilleurs albums de BD de l’année, ce Sangoma prouve la parfaite connaissance du pays par Caryl Ferey et l’extraordinaire virtuosité de Corentin Rouge dont la précédente série réaliste, Rio, vient de sortir en intégrale, toujours chez Glénat

« Sangoma », Glénat, 25 €

Cinéma - “La pièce rapportée” : jeu de massacre chez les riches


Film profondément politique par les sujets qu’il traite, La pièce rapportée d’Antonin Peretjatko est aussi (et avant tout) une comédie désopilante. En décidant de se moquer des très riches bourgeois qui vivent entre eux, cloîtrés dans des hôtels particuliers parisiens, le réalisateur de La loi de la jungle, force le trait de la caricature. 

Il a l’aide de deux comédiens exemplaires : Josiane Balasko et Philippe Katerine. La première interprète la très guindée et paralysée (elle est en chaise roulante après un accident de chasse.. à courre) Adélaïde Château-Têtard, veuve d’un industriel qui a fait sa fortune en travaillant avec nombre de dictateurs. Le second est son fils, Paul, quadra célibataire, rivé à son smartphone, à jouer à des jeux débiles. 

Quand Paul décide d’épouser Ava (Anaïs Demoustier, la fameuse pièce rapportée), guichetière dans le métro, la reine mère déprime. Mais il faut absolument un héritier à la dynastie. Ava, jeune fille simple, découvre le luxe. Et les plaisirs qui vont avec, comme prendre un amant (William Lebghil) et s’envoyer en l’air dans des palaces parisiens

Cette comédie, très visuelle, bourrée de références, aborde, en vrac, le ruissellement de l’argent, les habitus de classe, la dure condition des femmes de ménage et même l’avenir de la profession de détective privé. Foisonnant et hilarant.

Film français d’Antonin Peretjatko avec Anaïs Demoustier, Josiane Balasko, Philippe Katerine