mercredi 6 octobre 2010

Roman - Rêver à bord du Léviathan


Avec « Leviathan », première partie de sa nouvelle trilogie, Scott Westerfeld fait encore plus fort que ses précédentes séries, « Uglies » et « Midnighters ». Il retrouve un genre qu'il apprécie particulièrement, la science-fiction tendance uchronie. L'action se déroule en 1914 en Europe. Le continent est toujours partagé en deux grands empires, Anglais Français et Russes d'un côté, Allemands, Autrichiens et Turcs de l'autre. La grande différence ce sont les technologies. Le premier bloc est darwiniste, le second clanker. Les savants darwinistes ont fait des croisements d'animaux pour les mettre au service des humains. Les clankers ont construit des machines. Deux conceptions totalement différentes de la vie, comme deux évolutions parallèles de notre société. 

Ce roman pour la jeunesse (plutôt les adolescents) a pour héros deux fortes personnalités. Alek, héritier de l'empire austro-hongrois, en fuite après l'assassinat de ses parents par des rebelles serbes et Deryn, jeune fille se faisant passer pour un garçon pour réaliser son rêve, devenir pilote dans l'air service britannique. La fuite d'Alek se fera à bord d'un mécanopode, « l'appareil dépassait le toit des écuries, ses deux pieds métalliques plantés dans la terre meuble du paddock. Il ne s'agissait pas d'une machine d'entraînement mais d'un véritable engin de guerre. Avec un canon ventral, et les museaux épais de deux mitrailleuses Spandau de part et d'autre de son énorme tête. »

Deryn, de son côté, sera affectée sur le Leviathan, « le premier des grands souffleurs d'hydrogène » conçu à partir d'une baleine dont les gaz remplissent des poches lui permettant de voler. « La créature était colossale. De forme cylindrique, elle ressemblait à un zeppelin, mais ses flancs hérissés de cils palpitaient doucement, et une nuée de chauve-souris et d'oiseaux symbiotiques l'environnait. » Une histoire palpitante, des personnages attachants, des inventions qui font rêver : ces 440 pages se dévorent comme un roman de Jules Verne.

« Léviathan », Scott Westerfeld, Pocket Jeunesse, 19 € 

mardi 5 octobre 2010

Roman - Soldats, bouffons !

Amélie Nothomb parvient encore à nous surprendre avec son sujet de prédilection : les problèmes de compulsions alimentaires.


A chaque rentrée littéraire, Amélie Nothomb sort une nouveauté et se retrouve en tête des ventes. Même si cette année elle doit partager les premières places avec Michel Houellebecq et Virginie Despentes, l'excentrique romancière a toujours son lot de fidèles. Et les habitués ne seront pas dépaysés puisqu'elle centre une nouvelle fois son histoire sur les rapports de l'homme avec la nourriture. Elle s'essaye également à l'autofiction puisqu'elle se met directement en scène.

Amélie Nothomb met un point d'honneur à répondre à toutes les lettres qu'elle reçoit. Et ce matin-là, dans son courrier, elle est interpellée par un pli en provenance d'Irak. C'est un soldat américain, Melvin Mapple, basé à Bagdad, qui « souffre comme un chien » et a « besoin d'un peu de compréhension. » Intriguée, Amélie lui répond et une véritable correspondance va se mettre en place entre la romancière et le militaire.

La graisse contre les armes

Ce dernier lui explique qu'il s'est mis à grossir pour ne plus aller au combat. Pesant 180 kilos, il est quasi immobile, devenu inutile dans cette armée d'occupation. Dans des lettres de plus en plus longues, il explique ses motivations à la romancière qui se passionne de plus en plus pour ce cas extraordinaire. Melvin prétend que « de toutes les drogues, la bouffe est la plus nocive et la plus addictive. Il faut manger pour vivre paraît-il. Nous, nous mangeons pour mourir. C'est le seul suicide à notre disposition. Nous semblons à peine humains tant nous sommes énormes, pourtant ce sont les plus humains d'entre nous qui ont sombré dans la boulimie. » Melvin va tout raconter à Amélie. Allant jusqu'à lui envoyer une photo de lui, nu.

Les lettres mettant du temps pour franchir la distance entre Bagdad et Paris, Amélie Nothomb « meuble » en détaillant sa vie d'auteur de best-sellers. Relatant sa rencontre avec « une jeune romancière de talent », elle constate qu'elle « était tellement chargée en Xanax que la communication fut brouillée ». Et de revenir sur sa passion épistolaire : « Malgré la sympathie qu'elle m'inspirait, je me rendais compte que j'aurais préféré une lettre d'elle à sa présence. Est-ce une pathologie due à l'hégémonie du courrier dans ma vie ? Rares sont les êtres dont la compagnie m'est plus agréable que ne le serait une missive d'eux – à supposer, bien sûr, qu'ils possèdent un minimum de talent épistolaire. »

Ce roman, aérien malgré la lourdeur du personnage principal, va cependant changer totalement de direction dans le dernier tiers. Une pirouette comme seule Amélie Nothomb sait les fabriquer, rendant crédibles l'ultime rebondissement et la chute finale.

« Une forme de vie », Amélie Nothomb, Albin Michel, 15,90 €

lundi 4 octobre 2010

BD - Jeunes du passé entre insouciance et grandes causes


1936. Le Front Populaire bouleverse la France. Fernand, jeune paysan provençal, monte à Paris pour y suivre des études de médecine. Il sera hébergé par la famille d'un riche industriel. Il s'est lié d'amitié avec André, le fils passant ses vacances dans le Sud. Dans la capitale, Fernand va découvrir les luttes politiques, les femmes et les bonnes manières. Ce sont surtout les femmes qui vont le changer, de la chanteuse de cabaret à la voisine, bourgeoise mariée, mais si belle. 

Côté politique, il va s'engager à gauche, avec André, militant pour l'intervention en Espagne où les Républicains sont en danger. Cette première œuvre de Jean-Sébastien Bordas, décrit une jeunesse française entre insouciance et grandes causes.

« Le recul du fusil » (tome 1), Soleil Quadrants, 11,50 €

dimanche 3 octobre 2010

BD - Un coiffeur rêveur prend le train

Chronique sociale de notre époque, « Les gens honnêtes » est l'exemple type de ces BD sans prétention qui vous laissent longtemps rêveur et ragaillardi une fois terminée. Philippe, au chômage, abandonné par sa femme, se laisse vivre au gré des rencontres. Un libraire amateur de bon vin, une serveuse au bar du TGV... il va tenter de se relancer dans la vie active. Pourquoi ne pas utiliser le temps du trajet en train entre Paris et Bordeaux pour coiffer les passagers. Il ouvre son salon nomade et après des débuts difficiles, remporte un beau succès. 

Cette BD, entre Paris et Bordeaux avec des escales à Sauternes, est écrite par Gibrat. Durieux, au trait réaliste élégant et sans effet, donne encore plus de vie à ces gens honnêtes et surtout attachants.

« Les gens honnêtes » (tome 2), Dupuis, 14,50 €

samedi 2 octobre 2010

BD - Sombres souvenirs tracés sur une "Page noire"


Deux scénaristes (et pas des moindres) se sont associés pour cette histoire de vengeance et de culpabilité. Frank Giroud et Denis Lapière, sur plusieurs années, ont écrit de concert ce long thriller magnifié graphiquement par Ralph Meyer. 

Kerry, jeune journaliste américaine, tente d'obtenir l'interview de Carson McNeal, l'écrivain à succès dont on ne connait ni le visage si son lieu de résidence. La rusée blondinette va le localiser et le séduire. Elle découvrira les premiers chapitres de son nouveau roman, l'histoire d'Afia, une rescapée libanaise recherchant les assassins de sa famille. 

Un double récit (avec deux techniques de dessins radicalement différentes) qui finira par s'imbriquer et se confondre. Si vous avez décidé de n'acheter qu'un seul album pour cette rentrée, « Page noire » est celui-ci.

« Page noire », Futuropolis, 18 € 

vendredi 1 octobre 2010

BD - Feu les souvenirs dans "Phoenix" de Gaudin et Peynet


Parmi les très (trop ?) nombreuses nouveautés de la rentrée, ne manquez par cette ambitieuse série mêlant science et fantastique. « Phoenix », en plus d'une intrigue prenante et palpitante de Jean-Charles Gaudin, bénéficie du dessin exceptionnel de Frédéric Peynet. Après avoir fait l'étalage de toute son imagination dans le Feul, histoire d'Heroic-fantasy, ce dessinateur montre sa dextérité dans une histoire contemporaine criante de vérité. Tout débute sur une petite île du Pacifique. 

Cinq enfants ont bravé le couvre-feu et se retrouvent au centre d'une expérience qui va modifier leur vie. 20 ans plus tard, un de ces enfants, Jonathan Caldwell, souffre de maux de tête se transformant parfois en hallucinations. Entre les USA et Paris où il se rend pour son travail de traducteur, il va lentement mais sûrement entrer de plain-pied dans un cauchemar sans fin.

 Il y a un petit côté « Lost » dans cette série jouant à fond le feuilleton avec révélations et rebondissements aux moments clés de l'histoire.

« Phoenix » (tome 1), Soleil, 13,50 € 

jeudi 30 septembre 2010

BD - L'enfer des bureaux ouverts et partagés


A l'heure du débat sur l'âge de la retraite et de la pénibilité de certains emplois, cet album vient éclairer d'un regard nouveau le travail de bureau. Certes, il n'est pas difficile physiquement de faire des photocopies, mais la pression morale peut parfois faire encore plus de dégâts que des tonnes de parpaings à transporter. 

James dans sa série de gags « Dans mon Open Space » décrit avec une acuité redoutable ces petit désagréments du quotidien. Et tout en faisant œuvre de critique sociale, il nous fait rire en brocardant le machiavélisme de certains chefs ou directeurs. Dans cette entreprise de textile, le thème de la délocalisation est bien évidemment abordée, de même que la protection de l'environnement. Les solutions prônées sont parfois radicales : « On va lancer une nouvelle ligne de lingerie 100 % recyclable, en toile de jute. On n'en vend pas, on n'en produit pas... on sauve la planète ! ». La séquence sur la venue d'un trader en phase de désintoxication de bonus colle particulièrement à l'actualité. Une BD à faire lire dans toutes les écoles de commerce.

« Dans mon open space » (tome 3), Dargaud, 10,95 € 

mercredi 29 septembre 2010

BD - Punk et escroquerie


Londres, 1977. La capitale anglaise est sous tension. Alors que la Reine va fêter son jubilé, quelques énergumènes vont faire scandale sur la Tamise. Les Sex Pistols, groupe phare de la scène punk, prônent l'anarchie. La brigade fluviale est réquisitionnée pour empêcher tout débordement. Toute la brigade fluviale. Une bonne occasion pour des trafiquants de drogue voulant profiter de ce moment pour vendre des centaines de kilos d'héroïne en toute tranquillité sur les quais. 

Ce quatrième album de la série « Le Casse » est écrit par Fred Duval et dessiné par Christophe Quet. Autour des différents personnages, un flic malade, un jeune dealer, des truands de la vieille école et quelques flics ripoux à la solde de politiques encore plus corrompus, c'est une machiavélique machination qui est décrite avec minutie. Un plan très élaboré où les victimes seront nombreuses, dans tous les camps. Un regard décalé sur cette période de la vie londonienne, le désespoir de la jeunesse annonçant les années Thatcher. Le dessin sombre et charbonneux de Quet donne une dimension dramatique supplémentaire à cette histoire noire, très noire.

« Le casse » (tome 4), Delcourt, 13,95 € 

mardi 28 septembre 2010

Roman - Les plaies de Manhattan

Le 11 Septembre 2001 a fait des milliers de victimes. Dans ce roman, Thomas B. Reverdy s'intéresse aux familles endeuillées.


L'action se déroule en août 2003 à New York. Autour de Ground Zero. Un des personnages, Simon, est un écrivain français venu donner des cours d'écriture. Il est également là pour écrire un roman sur le 11 Septembre. Rencontrer des témoins. « Il avait suivi un groupe de parole. Des victimes du 11 Septembre, des familles de victimes. »

Au fil des pages, Simon va croiser les autres protagonistes du roman, eux aussi marqués par ce jour noir de l'Amérique. Candice est serveuse dans un bar. Candice qui avait de grand projets avec Gregg. Mais Gregg n'est plus là. Il était dans les Twin Towers le jour de l'attaque. Il a disparu. Réduit en poussière. Dans les décombres, les secours ont retrouvé son portefeuille. Candice tente de survivre depuis. Difficilement.

Pete aussi a vu sa vie basculer après le 11 septembre. Policier à l'époque, il a participé aux premiers secours. Il s'est retrouvé, impuissant, au pied des tours. Voyant les corps tomber, les pompiers et certains de ses collègues se faire engloutir par les milliers de tonnes de béton et d'acier s'effondrant comme un château de cartes. Pete n'est plus policier. Il est guide. C'est lui qui conduit les groupes de touristes sur le site. Un chantier, un trou, où des ouvriers s'activent, déblaient, creusent. Un lieu de pèlerinage pour les familles des victimes. « Ce qui est frappant dans le cas de Ground Zero, c'est la nature même du site. Transitoire. Ground Zero n'est pas un site. C'est ce qui reste des tours jumelles et qui n'est pas encore la tour de la Liberté. Ground Zero n'existe pas. C'est une fiction. Entre le fantôme du World Trade et le rêve de la Freedom Tower, c'est le lieu de la disparition. » Le fameux « Envers du monde » donnant son titre au roman.

La prière du musulman

A ces vies en morceau, se greffe une enquête policière. Sur le chantier, le corps d'un ouvrier arabe est découvert. Chute ou meurtre ? Le commandant O'Malley va mener une enquête où nombre de plaies vont se rouvrir. Cet ouvrier, Pete l'avait déjà remarqué. A la pose, il s'était isolé et avait fait sa prière vers la Mecque. Pour le l'ex-policier américain, c'était un sacrilège. Quand il le croise, un soir, dans le bar de Candice, il explose. « J'suis un putain de patriote ! Un vétéran, moi ! » hurle Pete en déclenchant la bagarre se transformant en lynchage : « Ils donnent de formidables coups de pied dans la forme à terre, recroquevillée, sombre, qui ne bouge plus, mais tressaute et se déforme comme un sac de grains, sauf que c'est un sac de viande et d'os qui se brisent, avec le bruit d'un poulet qu'on désosse, un sac de chairs qui explosent et viennent teindre de sang la surface de la peau, les vêtements, comme des étoiles de feu d'artifice. » Un déchaînement de violence collective, comme pour tenter d'assouvir une vengeance qui ne viendra jamais.

Le roman de Thomas B. Reverdy explore les âmes éternellement blessées et torturées de ces hommes et femmes, victimes d'ennemis invisibles. Deux ans après les faits, le souvenir était vif. Aujourd'hui il est toujours aussi délicat, et la polémique autour du récent projet de mosquée dans le quartier donne un éclairage particulier à ce roman.

« L'envers du monde » de Thomas B. Reverdy, Seuil, 18 € (également chez Points en poche) 

lundi 27 septembre 2010

BD - Arnaque, bananes et cacahuètes

Sorte de remake allumé de la Planète des singes, « Monkey Bizness » est le sombre avenir que l'on réserve aux générations futures. Mais El Diablo (scénario) et Pozla (dessinateur) préfèrent l'humour aux grandes théories inquiétantes. L'Humanité s'est donc auto-détruite et les animaux, après avoir évolué, ont pris le pouvoir. Dans la ville de Los Animales, Jack Mandrill le babouin et Hammerfist le gorille profitent de la vie : poker, alcool, filles faciles. A leurs ennemis, ils répondent par la violence... 

Ces histoires courtes sont une occasion rêvée pour critiquer les travers de notre société actuelle. Une BD animalière enrichie à la conscience politique.

« Monkey Bizness », Ankama éditions, 14,90 €