jeudi 24 mai 2007

Roman - Et voguent les papillons maritimes

Une balade en mer vire au cauchemar. Dérivant sur l'océan, un trio va devoir apprendre à se connaître sous la plume de Patrice Lanoy.


Les joies de la plaisance. Et de la cohabitation. Ce roman, triple parcours initiatique, va crescendo tout au long de ses 200 pages. Le calme avant la tempête. Puis le cyclone.

Loïc, ce jour-là, est affairé à remettre un peu d'ordre et repeindre son bateau, le Morpho (nom d'un papillon qui explique le titre du roman). Un petit voilier qui n'a plus pris la mer depuis pas mal de temps. Démâté, pratiquement à l'abandon, il a subi, par contrecoup, la grosse dépression de son propriétaire. Loïc a beaucoup navigué avec sa femme. Mais cette dernière n'est plus là.

Le lecteur, dans les premières pages ne le sait pas. Il se doute simplement que cet homme, taciturne et triste, fuyant le genre humain, a une plaie ouverte à l'âme. Remettre les pieds sur le Morpho est une première étape pour tenter de passer le cap. Et quand on est à quai, difficile de ne pas se faire aborder par quelques passants.

Un drôle de couple

Loïc, pour la première fois depuis bien longtemps, accepte de parler avec un drôle de couple. Klara et son cousin Sol. Klara, adolescente de 15 ou 17 ans « au timbre léger et grave. Une voix comme ça, c'est de la dentelle qui étrangle ». Et Loïc de se laisser entraîner par cette brune, « un pull vert trop épais, le jean troué où il faut, le bandeau dans les cheveux, elle se tient tout au bord, la moitié des pieds nus dans le vide ». Elle est accompagnée de Sol, son cousin, autiste. « Drôle de piquet, ce garçon. Maigre, presque aussi grand et accoutré encore que sa cousine. Le triangle de son maillot de bain lui fait de longues cuisses de criquet et les cheveux clairs et fins qui retombent sans cacher les yeux noirs m'évoquent les photos de vacances aux couleurs gommées ».

Dérive

Le trio du roman de Patrice Lanoy est en place. Loïc est le narrateur. Il raconte comment, malgré ses réticences, il accepte de prendre à son bord les deux enfants pour une petite balade, au moteur, vers le large, là où des otaries ont pour habitude de se réunir. Une rencontre magique. Ils traînent un peu, un peu trop. Quand ils veulent rentrer, le moteur rend l'âme. La nuit tombe. Les lumières de la côte s'éloignent. Le lendemain matin, le trio se retrouve seul en mer, sur un bateau sans moyen de propulsion, ni radio ni fusées de détresse.

Loïc va devoir apprendre à connaître ses deux passagers si particuliers. Heureusement il y a de la nourriture et de l'eau en quantité dans les cales du petit Morpho. Perdus dans l'immensité, ils vont se déchirer, se haïr, se suspecter des pires intentions. Klara, notamment, devient très agressive envers Loïc quelle suspecte d'être un psychopathe ayant déjà tué sa femme et qui ne les a entraînés au large que pour les assassiner. Sol, l'autiste, va profiter des aléas pour démontrer ses capacités et même revenir à la vie, à la raison. Mais la dérive ne fait que commencer.

Si on met de côté l'invraisemblance de l'enchaînement de problèmes techniques pour justifier la dérive du trio, il reste un très beau texte, entre paranoïa et réflexion philosophique, entre violence et découverte de soi et de l'autre.

« Le complot des papillons », Patrice Lanoy, Seuil, 16 €

mercredi 23 mai 2007

BD - Comédienne habitée par son rôle

Katharine Cornwell ressemble à une gravure de mode. Cette comédienne ne sourit jamais, ne pleure jamais. Elle semble comme en retrait du monde. Elle porte en elle un secret qui l'empêche de vivre normalement. A New York, dans les années 30, elle interprète Nina Leeds dans une tragédie ne remportant qu'un succès mitigé. Malheureuse en amour (son mari l'a quittée), elle a des difficultés financières. 

De plus son père est en train de mourir à petit feu, dans le coma depuis des mois. Un sombre tableau renforcé par le noir et blanc de Marc Malès, l'auteur complet de cet album très cérébral. Et pourtant, Katharine Cornwell a tout pour être heureuse et célèbre...

Katharine Cornwell, Humanoïdes Associés, 12,90 euros

mardi 22 mai 2007

BD - Justicier coréen


Chaque pays ou civilisation a, dans son histoire, la légende d'un justicier venu du peuple pour combattre les abus de pouvoir des puissants. En Corée, Lim Keok Jeong, le bandit généreux, est encore très présent dans l'imaginaire populaire. Lee Doo Ho, talentueux dessinateur, a décidé de retracer son histoire. Le premier tome permet de découvrir l'enfance et l'adolescence de cette force de la nature. Il y apprendra le maniement du sabre chez un vieux maître puis se trouvera deux frères de coeur. En noir et blanc, cet album accorde beaucoup plus d'importance à la psychologie des personnages qu'à l'action. La relation, exigeante et aimante, entre le maître et l'élève est parfaitement retranscrite.

Le bandit généreux, Paquet, 14,95 euros

lundi 21 mai 2007

BD - Traven, écrivain invisible


« Ma vie m'appartient, seuls mes livres appartiennent au public ». Cette phrase résume toute la démarque de B. Traven, écrivain traduit dans le monde entier mais qui est toujours resté dans l'ombre. Golo, dans ce gros volume de 140 pages, tente de retracer la vie tumultueuse de ce révolutionnaire allemand, réfugié au Mexique, vivant chichement dans une cabane au fond de la jungle, ami des Indiens. 

Il a puisé dans ses rencontres et déboires la matière première de ses romans. Il a multiplié les identités, trichant sur ses dates et lieux de naissance, faisant même croire qu'il était mort. 

Un humaniste avant l'heure. Un personnage qui, sans le vouloir, s'est forgé une légende.

B. Traven, Futuropolis, 19 euros

dimanche 20 mai 2007

BD - Magie et dragons dans Soulfire


En plus de Fathom, Michael Turner a également imaginé la série Soulfire. La première montre l'affrontement entre les terriens et des êtres aquatiques, le second plonge les héros dans un enfer de dragons. San Francisco est en Flammes. San Francisco se consume. Ce n'est pas un tremblement de terre qui est à l'origine de cette catastrophe, mais un gigantesque dragon. Les autorités sont impuissantes. 

La fin du monde semble proche. Au même moment, trois orphelins se défoulant dans une salle de jeux vidéos, se retrouvent sans le savoir au milieu de la grande bataille entre le bien et le mal. Mal, c'est justement le nom du plus jeune. Il est pourchassé par une femme ailée et sauvée par une autre ce ces créatures, Grace. Elle explique à Mal qu'il est le "catalyseur", celui qui permettra à la magie de retrouver toute sa puissance sur Terre. Scepticisme de Mal (et de ses amis), jusqu'à ce qu'il constate, de ses yeux, à Hawaï, ses incroyables pouvoirs. 

Michael Turner est considéré comme un des dessinateurs américains les plus doués et inventif. Il devait venir à Angoulême cette année. Gravement malade, il a préféré décliner l'invitation. ("Soulfire", Delcourt, 13,95 €)

samedi 12 mai 2007

BD - Mondes intérieurs de l'univers Arq d'Andreas

Le monde d'Arq, imaginé par Andreas, devient de plus en plus complexe au fil des albums. Cette histoire de science-fiction en est déjà à son dixième opus. Certes, quelques inconnues sont levées, mais il reste encore bien des interrogations. Le lecteur pourrait se lasser. Il n'en est rien. Là réside la force de ce créateur unique, cohérent dans ses recherches, utilisant la multitude des mondes parallèles pour donner toute une panoplie de style à son dessin. 

Cette fois c'est Tehos, un habitant de la citadelle, qui est mis en vedette. Il va tenter de trouver une solution au ralentissement de la chute de Nonac, le maître des esprits. Sans lui, le monde d'Arq ne peut exister. 

On retrouve également différents personnages de la série comme Virginia Priest et sa mère, Alanna Morrison-Black qui donne naissance à des jumeaux, une fillette prénommée Eve et un mutant et bien évidemment Pascoe Montana, véritable âme noire de ce monde. Mais l'intérêt principal reste ces planches remarquablement composées et notamment une double page finale de toute beauté. ("Arq", Delcourt, 12,90 €)

vendredi 11 mai 2007

BD - De l'effet de proximité...


« Les deux font la paire », le titre de cet album de Proximity Effect est parfaitement trouvé. Cette histoire de super héros pourchassé par une meute de méchants est originale à plus d'un titre. En premier lieu par la personnalité de l'héroïne. Lisa, une chanteuse médiocre, se transforme, en une soirée, en génie du rock. 

Ses riffs à la guitare déchaînent la salle. La blonde et bavarde jeune Américaine se doute qu'il vient de lui arriver quelque chose de peu banal. Elle est sous l'influence de Caleb. Il a la capacité de réveiller les pouvoirs de ceux qui lui sont compatibles, à condition qu'il reste dans son proche voisinage. Un duo de choc. Lisa, en plus de chanter comme une déesse, a une force herculéenne. Elle l'utilisera pour protéger Caleb, pourchassé par une agence d'Etat secrète et la milice d'un illuminé voulant utiliser Caleb pour son propre compte. 

Une course poursuite de 75 pages racontée par Scott Tucker et Aron Eli Colette, le tout mis en image par un virtuose des comics : David Nakayama. Un album qui s'achève sur une histoire courte expliquant les véritables raisons de l'assassinat de Kennedy. ("Proximity Effect", Bamboo, 11,90 €)

jeudi 10 mai 2007

BD - Triste télé réalité

Entre le plateau du Larzac et le château de Versailles, cet album, le quatrième de la série, offre un beau voyage aux lecteurs dans quelques lieux typiques de cette France immortelle. Gilles Chaillet, le scénariste, raconte l'alliance entre une chaîne de télévision privée et un gouvernement en mal de popularité. 

Pour résoudre le mal des jeunes des banlieues, ces derniers sont « déplacés » dans des villages abandonnés. Là, sous les objectifs des caméras de la téléréalité, ils se reconstruisent un avenir. Mais le beau scénario est perturbé par la disparition de plusieurs jeunes. Léa, journaliste vedette, se rend sur place pour enquêter. Elle retrouve leur trace dans un ancien camp militaire. Elle a la certitude qu'ils y ont été retenus prisonniers. Des preuves très recherchées car elle échappe, avec son équipe, à une attaque en hélicoptère. Revenue à Paris, elle sera prise en otage dans le château de Versailles. 

Le dessin très réaliste d'Olivier Mangin s'accorde parfaitement aux décors de l'intrigue, reproduits fidèlement. ("Intox", Glénat, 9,40 €) 

mercredi 9 mai 2007

BD - La fin des Vikings

Charlemagne n'est pas encore l'empereur régnant sur la moitié de l'Europe. Mais il est en train de dessiner son futur territoire. Il intrigue notamment pour étendre son pouvoir sur le Nord du continent. Son objectif, conquérir les terres des Vikings. C'est cette épopée historico-guerrière qui est contée dans le premier tome, assez violent, de cette série écrite par Sylvain Runberg et dessinée par Boris Talijancic. 

Le clan de Harald Larsson est en fête. Le jeune homme se marie avec la belle Lina. Le fier Viking commence à imaginer son avenir, radieux, calme, serein... Mais dans la nuit, au plus fort des réjouissances, le clan est attaqué. Björn le Beau est de retour, après son bannissement. Il massacre les villageois, tue le père de Harald et réduit en esclavage les rares survivants dont le jeune couple. Björn est en service commandé pour Charlemagne. C'est au nom de la religion chrétienne de plus en plus puissante qu'il agit. 

Un félon, des humiliés, un peu de magie et de religion : tous les ingrédients sont réunis pour concocter une BD d'aventure, grande fresque épique racontant la fin du peuple Viking. ("Hammerfall", Dupuis, 13 €)

mardi 8 mai 2007

Roman - Une fenêtre jaune sur l'inconnu

Cherchant à retrouver son frère et son fiancé disparus dans le désert américain, Cassidy va découvrir une ouverture sur un monde parallèle.



L'imagination de Serge Brussolo n'a pas de limite. On a même l'impression que cet écrivain ne la maîtrise pas complètement. Certains de ses romans, débutant dans une direction, prennent parfois une toute autre orientation en cours de récit. « La fenêtre jaune », thriller inédit paru directement au Livre de Poche, en est l'exemple même.
Cela débute comme un thriller classique. Très américain. Mais au milieu de l'ouvrage, l'ambiance générale change totalement, basculant dans une science-fiction cauchemardesque toujours chère à Serge Brussolo. Cassidy débarque donc au coeur du désert californien. Cette romancière, spécialisée dans la littérature pour la jeunesse, est interpellée quand elle apprend qu'une voiture vient d'être découverte au sommet d'un piton rocheux totalement inaccessible. Une voiture accidentée. Comme si, après un choc, elle avait été projetée à des centaines de mètres d'altitude.

Légendes indiennes
Cassidy n'est pas par hasard dans cette région. Elle est la recherche de son frère et de son fiancé, disparus quelques mois auparavant. Pour tenter de retrouver leurs traces, elle loue la même maison isolée qu'eux. Elle y découvre un capharnaüm mécanique dantesque. Avant de s'évaporer, ils ont mis au point une voiture à turbine surpuissante pouvant atteindre des vitesses extrêmes. Le début de cette enquête, entre constatation policière et légendes indiennes de la région, est très classique. Serge Brussolo insiste simplement sur l'angoisse de cette jeune femme, seule au milieu du désert.
Une solitude qui ne dure pas. Elle croise la route de Ziggy Starboy, un illuminé qui lui explique dans quelles circonstances les deux hommes ont disparu. Sur la longue piste d'une base aérienne militaire abandonnée, certaines nuits, une mystérieuse fenêtre jaune mobile se matérialise. Il est persuadé qu'il s'agit de l'ouverture sur un monde parallèle. Mais pour arriver à la franchir, il faut se déplacer aussi vite qu'elle. Une fenêtre qui fonctionne dans les deux sens. Ziggy a déjà récupéré sur la piste des hommes affublés d'un scaphandre doré. Mais ils sont tous morts quelques heures après leur arrivée. Quand Cassidy découvre ces humains, littéralement momifiés dans une salle spéciale, elle commence à croire Ziggy. Et prend sa décision : elle aussi va tenter de franchir cette fenêtre jaune. Pour retrouver son fiancé, pour ramener son frère.
A la page 110, « D'une détente des cuisses, Cassidy plonge à l'horizontale en direction de la fenêtre jaune. La lumière l'avale ». A la page 111, c'est presque un nouveau roman qui débute.
De l'autre côté de la fenêtre, le monde décrit par Serge Brussolo est totalement différent. Mais mieux vaut ne pas en dire plus. Car c'est bien là, dans cette formidable capacité à nous étonner, que réside tout l'intérêt des romans de cet auteur hors normes. Précisons simplement qu'il est question d'une société fermée, terrorisée, où les cauchemars des enfants sont monnaie courante. Un monde angoissant que vous n'êtes pas prêt d'oublier...
« La fenêtre jaune », Serge Brussolo, Le Livre de Poche, 6,50 €