vendredi 26 septembre 2025

BD - Trondheim et Tarrin signent un Spirou classique très réussi


Superbe couverture pour ce nouveau titre de la toute nouvelle collection des “Aventures de Spirou et Fantasio, classique”. Fabrice Tarrin s’est surpassé pour mettre en un dessin toute l’ambiance de cette histoire écrite par le très drolatique Lewis Trondheim. Dans une immense grotte, le jeune héros, dans ses habits de groom rouge, porte le Marsupilami dans ses bras, tel un enfant apeuré. Leur ombre, immense, se projette sur une paroi près d’un orifice contenant les restes de momies aztèques. On se doute que le héros, période Franquin, est à la recherche de ce fameux “Trésor de San Inferno”, titre de l’album. 


Si le premier titre, “La baie des Cochons” par Elric, Lemoine et Baril laissait un peu sur sa faim, les nostalgiques et adorateurs du dessin de Franquin seront conquis, tant sur le fond que la forme. Car c’est tout à fait naturellement que Fabrice Tarrin dessine dans la plus pure tradition de la BD franco-belge. Il n’a pas à se forcer, à tenter de singer un maître. Il a cette souplesse, cette précision, cette expressivité dans le poignet. C’est aussi beau que du Franquin ou de l’Uderzo, autre maestro qui n’a plus de secret pour le dessinateur installé depuis quelques années à Narbonne, pas loin de l’atelier montpelliérain de Lewis Trondheim. Un atelier qu’il rejoint deux fois par semaine. Sans doute le lieu où “Le trésor de San Inferno” a vu le jour. 

Tout commence avec un Fantasio surexcité. Il est sur la piste d’un scoop. A San Inferno, petit village perdu dans le désert d’un état imaginaire d’Amérique du Sud, une étrange momie a fait son apparition dans un ossuaire. Ce seraient les restes… On n’en dit pas plus, mais c’est suffisamment gros pour attirer l’autre gloire du journalisme de l’époque : Seccotine. Une aventure de Spirou et Fantasio, avec Seccotine, c’est l’assurance de gags multiples et variés provoqués par la jeune femme, très moderne, experte pour ridiculiser un Fantasio trop macho ou un Spirou trop timide. Dans des décors minimalistes (désert, grotte sombres…), Tarrin prend beaucoup de plaisir à animer ces personnages légendaires. Trondheim encore plus à les plonger dans des situations cocasses, périlleuses mais toujours humoristiques.  

La Russie soviétique, Cuba, l’Amérique du Sud… Mais quelle sera la prochaine destination du héros ? Sans doute notre plus proche satellite puisque l’album suivant devrait s’intituler “Opération Lune”. On retrouve au dessin Fabrice Tarrin, aidé de Ghorbani et sur un scénario de Neidhardt.  

“Le trésor de San Inferno”, Dupuis, 48 pages, 13,50 €


mercredi 17 septembre 2025

BD - Lefranc affronte les éléments et des méchants dans “La régate”


Contre vents et marées, l'œuvre de Jacques Martin se prolonge avec rigueur et régularité. Alix (et ses multiples déclinaisons) mais aussi les aventures de Guy Lefranc. A l’époque, c’était une série réaliste, campée dans les années 50 , l’époque de leur création. Grâce à la magie de la BD, Lefranc est toujours jeune, journaliste et curieux des évolutions de la société de ces années 50. Une bascule dans la catégorie “historique”... 

Pour assurer cette fidélité aux origines, le choix de Roger Seiter au scénario est judicieux. Cet historien de formation a une solide expérience en BD. Sa première série, Fog, a marqué les lecteurs de l’époque. Il a sans doute un peu perdu de son originalité en se coulant dans le moule de Jacques Martin, mais côté véracité des faits, il est parfait. Exactement exploitation de faits réels pour en tirer une aventure palpitante à rebondissements.



Côté dessin, c’est de nouveau Régric qui officie. Il a calqué son trait sur celui de Jacques Martin. Composition des cases et des planches, c’est bluffant. On est bien au-delà de la reprise appliquée. Un régal pour les amateurs de BD vintage. 

Le 36e titre de la série se déroule en mer et sur une petite île de la toute jeune république d’Indonésie. Lefranc est envoyé par son journal français couvrir une course maritime entre Australie et Asie. Une régate réservée à quelques riches amateurs. Il embarque sur le bateau de Théa, la fille d’un armateur hollandais. Le récit se déroule sur deux plans : les préparatifs de la régate et les premiers jours en mer et, par ailleurs, le mystérieux voyage d’un cargo de l’Europe vers l’Indonésie avec à son bord des armes et des mercenaires. Les deux intrigues vont se croiser quand le voilier de Lefranc fait naufrage au large de l’île de Walang, dernière étape du périple de l’armée privée. Un peu de politique fiction, d’apologie de la démocratie et de dénonciation du capitalisme destructeur donnent à cet album un côté plus actuel qu’il n’y paraît.   

“Guy Lefranc” (tome 36), Casterman, 48 pages, 13,50 €


lundi 15 septembre 2025

BD - “Automne”, très belle fable écologique par Cécile et Lionel Marty


Il était une fois, dans un monde imaginaire, une forêt magique. Un immense arbre, en son milieu, assurait l’équilibre de tous les habitants, de la plus petite bestiole aux humains en passant par les êtres fantastiques. Un fragile bonheur surveillé par Automne, sorte de jeune sorcière rousse. Quand elle devine l’arrivée d’une ville mouvante du peuple de fer dans la forêt magique, elle décide de tout faire pour arrêter ces pilleurs de ressources. 
Si la trame du scénario de cet “Automne” à forte valeur ajoutée écologique semble un peu réductrice, c’est pour la bonne raison que le danger, dans la fiction mais aussi dans la vraie vie, est très réel.


Le peuple de fer veut atteindre la forêt, non pas pour y vivre en paix mais bien pour en massacrer toutes les ressources. Juste le temps de vivre dans l’abondance durant une génération. Ensuite ? Nouvel exil et recherche d’une nouvelle mine à exploiter.
Comment contrer l’inéluctable ? En intégrant juste un peu d’amour. Romance entre Automne et le beau jeune homme qui est éclaireur du peuple de fer. Il va succomber au chrome d’Automne et réfléchir aux conséquences de ses actes. Une petite prise de conscience qui ferait beaucoup pour l’avenir de notre planète si elle était partagée par un peu plus de monde.
On peut reprocher le simplisme de la démarche des deux auteurs. Et pourtant… Quelle solution différente peut changer durablement l’avenir de notre société ? Une BD qui bénéficie du talent des deux auteurs, Cécile et Lionel Marty, ensemble dans la vie et qui ont fait le choix de vivre loin des dégâts de l’urbanisation. Un quotidien en accord avec son travail artistique. Chapeau !    
“Automne”, Delcourt, 64 pages, 16,50 €

dimanche 14 septembre 2025

BD - La dernière enquête de Jack Palmer dessinée par Manu Larcenet


René Pétillon nous manque. Tant au niveau du dessin de presse (sa seule présence, avec Cabu, justifiait chaque semaine l’achat du Canard Enchaîné), qu’en tant que créateur de BD. Jack Palmer, après des débuts abscons et discrets dans les pages de la première version de l’Echo des Savanes est devenu un héros culte de la BD d’humour. Ses grandes aventures devenues populaires, ont même donné des idées à des cinéastes. 

Aujourd’hui, quelques années après la disparition de son créateur, Jack Palmer fait un dernier tour de piste. Le détective au gros nez, au feutre mou et à l’imperméable d’une propreté douteuse se rend dans le bordelais, région viticole renommée. C’est un des personnages de “L’enquête corse” qui met en relation Palmer et des propriétaires. Leur fille a disparu. Elle devait se marier avec un riche Américain, planche de salut de l’exploitation à la limite du Médoc. 

Si cet album ne sort que maintenant, c’est pour la bonne raison que Pétillon n’en avait pas dessiné la moindre case. Le projet n’était qu’un scénario inachevé. Les éditions Dargaud ont décidé de trouver un auteur capable de relever le défi. Car l’univers de Pétillon, celui de Jack Palmer exactement, est loin des canons de la BD humoristique habituelle. On est loin d’une simple reprise d’Astérix… C’est pourtant un grand copain de Ferri qui a accepté le challenge. Et pas n’importe qui : Manu Larcenet himself ! 


Le dessinateur de Blast ou de La route, maître du noir et blanc apocalyptique, a retrouvé son trait d’humoriste très gros nez (ça tombe bien) pour plonger “Palmer dans le rouge”, titre à double sens de cet album qui se déguste comme un bon pinard oublié quelques années dans la cave. 

Palmer, sans son scooter, va déambuler entre châteaux et vignes taillées au cordeau pour tenter de retrouver l’héritière. Rien ne se passera comme prévu. Seule certitude, le Médoc, bon ou mauvais, file mal au crâne si on en abuse. Palmer le confirme durant une bonne partie de ses recherches hasardeuses et tout sauf professionnelles. Avec sa nonchalance habituelle, il découvre un trafic de vin, démasque des fraudeurs, retrouve presque la jeune fille et remplit son contrat, même s’il se fait virer en cours de route. Le dessin de Larcenet ne tente pas de ressusciter le Palmer de Pétillon. Il fait du Larcenet, tendance Ferri, rond et caricatural. Juste ce qu’il faut pour que les fans de Pétillon ne s’offusquent pas et que les siens (plus nombreux…) ne renient pas leur idole artistique. Un album qui finalement permet un dernier retour en nostalgie. Quand Pétillon était un “Prince de la BD” et que Larcenet justifiait, à lui tout seul, l’achat chaque mois de Fluide Glacial. 

“Palmer dans le rouge”, Dargaud, 64 pages, 17,50 €


samedi 13 septembre 2025

BD - « Le petit frère » et « Un père » : la vie de famille de JeanLouis Tripp en dessins

Raconter sa famille, faire bonifier ses souvenirs et surtout ne pas les oublier. Telle semble la démarche de JeanLouis Tripp, auteur de bande dessinée lauréat du Prix Coup de Cœur des Vendanges littéraires, présent à Rivesaltes les 4 et 5 octobre.


Après une longue carrière dans la bande dessinée, parfois en pointillé, il a attendu d'avoir largement plus de 50 ans pour se recentrer sur ce qu'il connaît le mieux : sa propre vie. Et s'il parle de ses premiers émois sexuels dans les deux tomes d'« Extases », il change de registre avec « Le petit frère » et « Un père ». Deux gros romans graphiques de plus de 300 pages, essentiellement en noir et blanc. L'émotion y est omniprésente. Le lecteur ne peut que se reconnaître dans ces parcours racontés et dessinés avec talent et sans tabou.

Il faut parfois qu'un drame nous frappe de plein fouet pour prendre conscience de l'importance de la vie. En cet été 1976, Jean-Louis a 18 ans. Il est en vacances avec une partie de sa famille. Un mois à sillonner la Bretagne à bord d'une roulotte tiré par des chevaux. Une bulle de bonheur. Jusqu'à ce jour où Gilles, le petit frère, se fait mortellement renverser par un chauffard. Terminée la parenthèse enchantée, finie l'insouciance. Le malheur s'invite. L'été ne sera plus heureux, avec baignades, mures cueillies au bord de la route et nuits au calme, loin de tout danger... 

L'album, sorti en 2021, revient sur l'accident mais se penche aussi sur les suites. Comment la vie a continué, la façon dont la famille a survécu au procès. Ce récit, entre intime et universalité, entre douceur (souvenir des jours heureux) et rage (peut-on pardonner à l'assassin ?) a marqué les esprits. Preuve que la BD, loin de clichés, est devenue un art majeur, animé par de formidables artistes, créateurs novateurs, capables de s'accaparer et de révolutionner un média aux possibilités infinies.


Place au père !

Toujours dans cette veine de l'autobiographie familiale, JeanLouis Tripp s'attaque à un autre monument de sa vie : son père. Pour se comprendre, encore faut-il maîtriser ses origines, savoir d'où l'on vient, de qui on a appris à vivre en société. Parle-t-on avant tout de soi quand on entreprend de raconter la vie de son père ? Cette interrogation est omniprésente dans ces plus de 350 pages. La confrontation est parfois violente. Dans « Un père », l'auteur passe de l'admiration au rejet, de la joie simple à la tristesse infinie. Récit forcément subjectif, le roman graphique a pour cadre les lieux qui ont compté dans la famille : les petits villages du Tarn-et-Garonne, affectations des parents, Francis et Monique Tripier, instituteurs, la Cerdagne et la maison de vacances, les Corbières et le bord de la Méditerranée. Un des premiers souvenirs de Jean-Louis, ou du moins une des premières histoires que sa mère lui a raconté des dizaines de fois date de ses 1 an et demi. Ils sont en vacances chez ses grands-parents, à Mont-Louis en Cerdagne dans le chalet, véritable cœur battant de la famille. Laissé seul sans surveillance, le petit Tripier fait sa première fugue. Quelques heures dans les bois, au bord de la rivière, provoquant une belle panique. Retrouvé intact et sourient par deux jolies randonneuses.


Une entrée en matière très douce, positive. La suite est parfois plus compliquée. Notamment quand Jean-Louis, adolescent, rêve qu'il tue son père et l'enterre. D'où vient cette violence ? Des fessées reçues quand il était gamin et n'obéissait pas ? Ou plus simplement à un banal rejet de la figure paternelle à laquelle on refuse de ressembler ? Pourtant il a de nombreux bons souvenirs avec son père. Quand ils lui apprend à faire du ski, toujours en Cerdagne. Quand ils jouent au rugby. Quand il lui achète Vaillant, le journal communiste à destination des jeunes, là où JeanLouis Tripp découvre la bande dessinée. Quand ils visitent ensemble la Roumanie, pays communiste vénéré par ce père refusant longtemps d'abandonner son rêve universaliste et soviétique. Mais il y a aussi les mauvais jours, quand il se met en colère, cassant la vaisselle, faisant des scènes à sa femme devant les enfants. Un couple progressiste, de gauche, mais qui n'a pas évité la déchirure, le divorce.

Comme souvent, les relations se distendent. Le fils et le père se voient moins. JeanLouis Tripp, dans des pages d'une extrême sensibilité, s'interroge sur la vision que son père avait de ce fils, dessinateur, mais aussi professeur comme lui, dans une université au Canada.

Aujourd'hui, JeanLouis Tripp n'a plus de père. Sa mère aussi est morte. C'est paradoxalement le moment qu'il a choisi pour revenir vers le bercail familial. Installé à mi-temps puis totalement depuis l'an dernier, dans les Corbières audoises, c'est en partie là qu'il a imaginé et dessiné l'histoire de ses proches. Son histoire aussi. Dans ce Sud qu'il aime tant, entre montagne et mer, avec la garrigue au milieu. Des paysages que l'on retrouve en fin de ce roman graphique dans la scène sans doute la plus émouvante, du chalet à la mer, avec la Têt pour ultime voyage.

« Le petit frère », Casterman, 344 pages, 28 €

« Un père », Casterman, 360 pages, 28 €

vendredi 12 septembre 2025

Thriller - Une vengeance vieille et implacable

A chaque cadavre son indice. Puzzle macabre pour le profileur suédois  Sebastian Bergman dans « Le fardeau du passé » de Hjorth et Rosenfeldt.

Débutées en 2011, les aventures de Sebastian Bergman comptent désormais 8 titres. Tous réédités ou édités par Actes Sud et Babel Noir. Le nouvel opus, « Le fardeau du passé », arrive dans les librairies pour cette rentrée littéraire. On peut tout à fait le lire sans avoir découvert les sept précédents, mais on y « divulgache » forcément les intrigues des précédents romans tant les deux auteurs, Michael Hjorth et Hans Rosenfeldt, manient avec brio les ressorts du feuilleton. Pas étonnant quand on sait qu'ils ont débuté dans la production de séries télé policières en Suède, pays qui s'est imposé dans ce genre. 

On retrouve au centre du thriller le fameux psychologue et profileur Sebastian Bergman. Un peu plus de 60 ans, toujours aussi séducteur et amateur de jolies femmes. Il a cependant un peu levé le pied sur son « addiction au sexe » depuis qu'il est grand-père. Une petite fille qu'il va parfois chercher à la sortie de l'école maternelle, quand sa mère, Vanja Lithner, chef de la brigade criminelle de Stockholm, le lui demande. 

Sa relation avec Vanja s'apaise depuis qu'il a décidé de ne plus travailler pour son service. Pas pour longtemps cependant. La policière d'élite, dont le service est sur la sellette, récupère une affaire complexe. Une femme assassinée est découverte dans une ferme porcine. Sur les murs cette phrase inscrite en peinture rouge « Résous ça Sebastian Bergman ». Sebastian et Vanja vont donc de nouveau enquêter de concert. Rapidement, un second meurtre, avec une nouvelle énigme à la clé, les oblige à aller très vite. Quitte à s'affranchir de quelques règles légales. La tempête reprend de plus belle dans le service et ils ont fort à faire pour rester à leur poste tout en traquant un meurtrier vicieux et très retors, comme seuls les grands de la littérature nordique savent les imaginer. 

Enquête mouvementée sur laquelle se greffe plusieurs intrigues annexes, explications des romans précédents ou pierres posées pour les prochains épisodes. Il y est question de ce « maudit Billy », ancien collègue de Vanja mais aussi tueur en série attendant son procès, d'une jeune Australienne à l'identité incertaine ou de l'arrivée d'une nouvelle enquêtrice, belle et effrontée : tout pour plaire à Sebastian.   

« Le fardeau du passé » de  Hjorth et Rosenfeldt, Actes Sud, 400 pages, 23,50 €

jeudi 11 septembre 2025

Thriller – Le diamant de l'apocalypse

Alexandre Murat est un érudit. Sa parfaite connaissance de l'histoire napoléonienne lui a donné l'envie de partager son savoir. Mais au lieu de pondre des études savantes, il a utilisé ces faits parfois extraordinaires pour alimenter en rebondissements des thrillers haletants. Pour se plonger dans l'Histoire, deux héros : Alex et Mary. Un couple. Lui universitaire, elle femme d'action. Pour cette nouvelle enquête, le voyage dans le temps est plus profond. Alex et Mary se lancent à la recherche d'un diamant façonné en 1492 en pleine inquisition espagnole. Sur cette pierre unique, inestimable, est gravée la clé permettant de retrouver un parchemin révolutionnaire pour l’Église catholique. Une secte de fanatiques, espérant la fin du monde, l'Apocalypse, quitte à la provoquer, désire aussi posséder aussi ce diamant. Des USA à Anvers, en passant par Rome, Munich ou l'abbaye de Montserrat en Catalogne, un thriller passionnant par « le Dan Brown français » selon Philippe Labro.

« La prophétie du diamant », Alexandre Murat, Fleuve Noir, 336 pages, 20,95 €

jeudi 4 septembre 2025

Autobiographie - L'étonnante romance de Lydie Salvayre

En racontant son quotidien avec beaucoup d'humour, Lydie Salvayre parle aussi de ses parents, avec amour.

Il ne faut pas demander conseil à sa voisine quand on entreprend un travail d'écriture très personnel. Lydie Salvayre le constate dans les premières pages de cet « Autoportrait à l'encre noire », livre de commande dans lequel elle s'engage à satisfaire la curiosité de ses lecteurs. La romancière, prix Goncourt en 2014 avec « Pas pleurer » est devenue amie avec Albane, sa voisine de palier. Albane adore la lecture. Son genre préféré : la romance. Plus que préféré, exclusif. Donc quand Lydie Salvayre lui explique qu'elle est un peu bloquée dans la rédaction de son autoportrait, Albane, enthousiaste, lui conseille d'appliquer à ce texte les codes éprouvés de ces récits d'amour, toujours positifs, si beaux, si réconfortants... Si mièvres et mal écrits du point de vue de l'écrivain. Mais pourquoi pas ?

Sur la plage d'Argelès...

Véritable exercice de style, introspection comique mais aussi profonde, ce texte, si différent des autres signés Lydie Salvayre, oscille toujours entre farce assumée et révélations intimes douloureuses. Et avant d'oser évoquer son propre cas, elle se penche sur l'idylle entre ses parents. Drôle de romance. Notamment à cause du cadre. Andrés et Montserrat, tous les deux espagnols se sont rencontré en 1939 dans un « cadre de rêve : le camp de concentration d'Argelès-sur-Mer où ma mère vient d'arriver rompue de fatigue et blanche de la poussière des routes après des jours et des jours de marche sous les bombes pour atteindre la frontière française. » Lydia naîtra en 1946, dans cette famille pauvre, marquée par la Retirada. Elle deviendra Lydie et prendra vite le nom, français, de son premier mari, comme pour se défaire de cette peau de réfugiés espagnols, ce cette famille de miséreux. Et entre les interventions désopilantes d'Albane, toujours persuadée que seul l'amour, le vrai, l'unique, l'exceptionnel, est intéressant, elle raconte la vie entre une mère qu'elle adore et un père redouté. Le père deviendra d'ailleurs « le grand méchant », étape incontournable de toute romance digne de ce nom. Car pour connaître une fin heureuse, une histoire doit être contrariée par un personnage hostile.

Ce père détesté, elle va le raconter en explorant ses souvenirs, relativiser et finalement comprendre pourquoi il a tout le temps été si dur pour sa femme et ses filles. Comme si en faisant ce travail d'écriture, des années après sa disparition, Lydie Salvayre parvenait enfin à nouer un vrai dialogue avec cette figure intimidante, implacable, terrifiante. On retrouve alors la profondeur des romans de cette grande signature des Lettres françaises. Tout en souriant aux saillies d'Albane et aux répliques acerbes et pleines de mauvaise foi assumée de sa voisine, contrariée de ne pas réussir à boucler cet autoportrait comme une véritable romance.

« Autoportrait à l'encre noire », Lydie Salvayre, Robert Laffont, 224 pages, 20 €

mercredi 3 septembre 2025

BD - La vie des brebis dans les Pyrénées racontée par leur berger, Maxim Cain


Cirque d’Anglade, Mont-Roch d’Espagne, lac de la Mariole, Bois de la Fourque, pic de l’Arrech… Tous ces lieux aux doux noms pyrénéens, servent de décor au roman graphique en noir et blanc de Maxim Cain, “Démontagner”. En 140 planches, il raconte l’été passé dans la solitude à surveiller les centaines de brebis en estive, avec l’aide de son fidèle compagnon, le chien Finet. 

Entre reportage, journal intime et fiction animalière, la première BD de cet auteur qui depuis dix ans passe ses étés dans la montagne ariégeoise est d’une extraordinaire force, un témoignage précis et circonstancié sur la vie de ces hommes et femmes qui sacrifient plusieurs mois de leur vie chaque année pour permettre à quelques propriétaires de la vallée de récupérer des animaux en bonne santé après leur bombance dans les prairies des hauteurs. Sacrifice car être berger reste un sacerdoce. Même en 2025, avec les nouvelles technologies. Là-haut, vous serez seul la plupart du temps, responsable d’un troupeau fait d’individualités contradictoires. 

D’une façon classique mais efficace, c'est-à-dire chronologiquement, le berger raconte cet été à rallonges qui débute mi-juin et prend fin à la mi-octobre. Une parenthèse, parfois enchantée, trop souvent dure et pénible. Car monter en estive, c’est abandonner tout le confort de notre société moderne de l’opulence. 

La cohue du premier jour

Le premier jour, tous les propriétaires amènent leur troupeau au lieu de rendez-vous. C’est la fameuse transhumance, le départ dans une formidable cohue vers les pâtures perchées dans les hauteurs des Pyrénées. Des centaines de brebis, guidées par les hommes et les chiens, par routes et sentiers. Et puis après une nuit où tous se racontent leurs souvenirs, Maxim se retrouve seul sur le chemin escarpé, avec Finet et des bêtes excitées car pressées de se goinfrer. 

Finet dessiné par Maxim Cain.

Première étape dans un casot en dur. Quelques rencontres avec des randonneurs, mais déjà la solitude, le manque de sociabilisation, la routine pour soigner les bêtes malades, retrouver les égarées, essayer de les compter. Et de longs moments à attendre, lire au début, se lasser, tourner en rond, regarder la vallée avec envie. Maxim Cain montre le quotidien d’un berger en estive. Entre contemplation obligée, tâches harassantes et répétitives, ennui. 

Ce sera plus dur quand il faudra aller encore plus haut pour trouver d’autres prairies. Là où l’ours ou les chiens errants sévissent, attaquent les bêtes affolées. Ce seront des nuits blanches, à craindre les raids. Ou des journées de frayeur, quand les éléments se déchaînent, que les orages frappent au hasard, foudroyant les bêtes. Parfois les hommes. 

Souvent, l’auteur admet qu’il est lassé de ces conditions extrêmes, qu’il songe à arrêter. Même s’il décide de prendre un jeune chiot pour le former, Finet commence à devenir vieux… On comprend aussi qu’il est subjugué par cette beauté brute, sans artifices. On la retrouve dans ses dessins, superbes interprétations de la splendeur des Pyrénées. Et puis il y a la complicité avec le chien, la douceur des brebis, le chagrin face aux pertes. Et tout se termine avec la redescente vers la civilisation, le bruit, la fureur. Le futile aussi. L’occasion pour comprendre la signification du titre : démontagner c’est la transhumance d’automne quand on “quitte la montagne”.    

“Démontagner”, Actes Sud BD, 140 pages, 28 €


dimanche 31 août 2025

BD - Les jeunes tribus d'un futur apocalyptique


Littérature, cinéma, séries télés et BD : l'imaginaire américain est particulièrement pessimiste quand il doit décrire la vie quotidienne d'ici quelques dizaines d'années. Nouvelle pierre à l'édifice avec les deux premiers tomes de la série écrite par Matthew Rosenberg et dessinée par Tyler Boss : "C'est où le plus loin d'ici ?" Première mise en orbite fin août pour la rentrée littéraire, tir de confirmation du second étage le 10 septembre. La suite (et fin a priori) pour plus tard. Si on est encore en vie... Car lire ces 272 pages (tome 1) puis 152 pages (tome 2) entraîne obligatoirement un peu de spleen. Les plus sensibles pourraient décider de se faire sauter le caisson. Surtout si l'on a plus de 25 ans... 

Dans ce futur aux décors urbains en ruines, les rares rescapés vivent en bande. En tribus. Les membres sont solidaires, comme issus d'une même famille. Et entre elles, la paix peut régner, mais souvent les affrontements viennent éclaircir les rangs. La particularité de ces tribus : il n'y a que des jeunes. Quand un membre devient adulte, il est éjecté, récupéré par de mystérieux "étrangers", les éléments les plus fantastiques de cette BD pourtant très réaliste. 

Pour comprendre ce nouveau monde, les auteurs racontent le quotidien de la bande du Collège. Ils tiennent leur nom du bâtiment dans lequel ils vivent. Ils ont des chefs et une religion. Chacun se choisit un Dieu. En l'occurrence un disque vinyle pioché dans la discothèque de l'établissement scolaire. 

La jeune Sid se pose beaucoup de questions. Depuis quelques semaines son ventre s'arrondit. Elle sent que cette transformation va bousculer son quotidien. Alors elle choisit de fuir, de tenter l'aventure. Elle a une carte dessinée à la main montrant le chemin pour rejoindre la ville, sorte d'Eden où l'on peut vivre sereinement, même adulte.

La BD, assez sombre, montre un pays qui s'est effondré. On ne sait pas pourquoi, mais ce retour aux instincts primaires s'est effectué au détriment du confort. Les amis de Sid, en tentant de la retrouver pour l'aider, croisent d'autres bandes. Certaines vont coopérer, d'autres en profitent. La violence est quotidienne, la peur aussi. Chacun trouve une façon de survivre. 

Sid va intégrer une nouvelle tribu presque plus animale qu'humaine. Les autres vont échouer dans une fête foraine trash et gore. Lentement mais sûrement, le périple se transforme en succession de cauchemars. Cela pourrait être rebutant. C'est en fait passionnant et édifiant sur l'état d'esprit de cette nation, les USA, qui semble sans cesse chercher le meilleur moyen pour précipiter sa chute. 

"C'est où le plus loin d'ici ?" de Matthew Rosenberg et Tyler Boss, Casterman, volume 1, 272 pages, 23 €, volume 2, 152 pages, 18 €