jeudi 5 novembre 2009

Roman français - Le remord des morts


Un roman de Michel Rio se lit comme une plongée en apnée. On tente toujours d'aller plus loin, au risque de suffoquer. "Leçon d’abîme", une enquête de Francis Malone, illustre une nouvelle fois cette impression. Le final, horrible et pathétique, nous laisse sans souffle, comme doutant de notre humanité.

En Suisse, près de Zurich, derrière un immense portail, une demeure de prestige et deux personnes pour accueillir le policier : un sous homme, Karl, difforme et claudiquant, valet servile du riche propriétaire, et une femme blonde et sophistiquée d'une rare beauté, Hildegard, la secrétaire. Malone ne peut s'empêcher de penser qu'il a devant lui « l'idéal esthétique de la féminité aryenne, de la déesse barbare germanique fantasmée par les nazis ». D'autant plus étonnant qu'il est chez David Klein, riche juif ayant survécu aux camps d'extermination allemands.

Malone est à la recherche d'indices prouvant la mort d'un certain Hans Uzler, Waffen SS, un des dirigeants du camp de Dachau. Dachau de sinistre mémoire pour David Klein. Il a réussi à s'évader du camp la veille de la mort de Uzler. Sans sa sœur, Judith, qui est morte dans l'incendie de la maison de Uzler. Dans cette vaste demeure fermée à l'extérieur, Malone va sortir de l'oubli une histoire à trois : le frère, la sœur et le bourreau. Paradoxalement ce triumvirat est reformé lors de jeux sadomasochistes entre David Klein, riche voyeur, le serviteur difforme et la sculpturale Hildegard. Malone l'apprendra par la suite, au cours d'une rencontre torride avec la secrétaire et légataire universelle du milliardaire David Klein.

Que veut prouver exactement Malone ? Hildegard joue-t-elle un double jeu ? Quelles sont les pensées secrètes de Klein ? Quel rôle exact a joué Judith dans cette sombre histoire ? Un flot de question qui pousse le lecteur à dévorer les dernières pages du roman, face-à-face d'une grande intensité entre Klein et Malone.

« Leçon d'abîme » de Michel Rio, Seuil, 11 € 

mercredi 4 novembre 2009

BD - Matière verte et nostalgie


Je l'avoue, de toutes les rééditions des séries de l'âge d'or du journal de Spirou, celle de Tif et Tondu par Will est ma préférée. Je me suis d'ailleurs longtemps demandé pourquoi cette série tombait dans l'oubli malgré ses qualités graphiques évidentes. Depuis trois ans les éditions Dupuis ont remédié à cet état de fait et choisi de reprendre les épisodes non pas par ordre chronologique mais par thème. 

Ce 6e tome propose les ultimes histoires scénarisées par Rosy, le créateur de Choc. Et dans ces histoires, « La matière verte » et « Tif rebondit », pas de grand méchant pour donner du fil à retordre aux deux héros. Publiées en 1967 et 1968, ces albums marquaient un tournant dans la série. La volonté de changer les codes. Rosy semblait lassé de ces héros. Will continuait à consciencieusement dessiner ces récits mouvementée, maniant le décor à merveille, mais avait lui aussi l'envie de s'évader vers d'autres horizons. Cela donnera la création, quelques années plus tard, d'Isabelle et de son monde magique et merveilleux.

Tif et Tondu c'est par excellence une de mes madeleines d'enfance. Pourtant j'ai mis du temps à saisir toute la virtuosité du trait de Will. Sa simplicité et son efficacité semblaient m'aveugler. Il aura fallu que mon oeil s'éduque pour que j'apprécie à sa juste valeur ce dessinateur d'exception. Ces intégrales montrent qu'il était avant tout moderne. On pourrait regretter qu'il soit resté si longtemps enfermé dans une série qui, sans être un best-seller, a toujours été un pilier des éditions Dupuis.

Cette étiquette de dessinateur efficace et régulier lui a longtemps collé à la peau. Il a d'ailleurs volontiers participé à cette image en ne signant que les décors, comme un simple assistant, de certains albums de Spirou ou de Natacha. Mais il suffit d'avoir vu une fois une de ses peintures, notamment de femme, pour être persuadé que c'était avant tout un immense artiste.

« Tif et Tondu » (intégrale, tome 6), par Will et Rosy, Dupuis, 152 pages, 18 € 

mardi 3 novembre 2009

BD - Voir Bagdad et mourir... de rire


Voilà le genre de BD qui ne va pas nous réconcilier avec les Américains malgré les efforts du président Sarkozy, tant du temps de Bush que celui, encore plus compliqué, d'Obama. D'un autre côté, les auteurs, Sergio Salma et Marco Paulo, sont Belges, alors...

Cela fait donc quelques années que les troupes américaines ont libéré l'Irak et s'appliquent à pacifier le pays. Quelques années et de plus en plus de morts. Dans les deux camps. Sauf que dans le camp irakien, il ne reste plus que des civils. L'absurdité de cette guerre, aux motifs essentiellement économiques, est brocardée dans cette série de gags à l'humour très noir. Ils ont été prépubliés dans l'Echo des Savanes mais sont plutôt dans la ligné de Hara Kiri, le journal bête et méchant. 

En quelques dessins bien sentis les auteurs montrent toute l'absurdité des jeunes Américains s'enrôlant pour « sauver le monde libre » et qui se retrouvent à tyranniser des Irakiens, débarrassés de Saddam Hussein, certes, mais qui parfois regrettent ce temps où on mangeait à sa faim et ne risquait pas de mourir à chaque coin de rue d'une balle perdue des alliés ou dans les attentats aveugles des « résistants ». 

C'est éminemment politique, très engagé. Très cynique aussi. Mais comment faire autrement quand on décide de rire de la guerre ?

« Bagdad KO », Drugstore, 10 € 

lundi 2 novembre 2009

Jeunesse - Une poule tous, tous poule un !


Cela fait dix ans qu'elles passionnent les plus jeunes. Dix ans qu'elles vivent sous la plume de Christian Jolibois et le pinceau de Christian Heinrich. Les P'tites poules ont dix ans et pour l'occasion leur nouvelle aventure, « Une poule tous, tous poule un ! » sort dans un format encore plus grand. L'occasion de mieux apprécier les dessins de Christian Heinrich se présentant comme un « racleur d'aquarelles et redoutable ébouriffeur de pinceaux ». Et dans cette histoire, il émerveillera encore les yeux des petits (et des grands) avec des compositions sur des doubles pages mettant en scène toutes les poules de la série et des méchants véritablement horribles, deux trolls, massifs et idiots.

Tout débute par la tonte annuelle des moutons. Un véritable spectacle pour les P'tites poules sauf quand c'est leur ami Bélino, le jeune bélier, qui doit passer sous la tondeuse. Carmen et Carmélito, frères et soeurs, décident d'aider leur ami à laine. Ils prennent la poudre d'escampette pour trouver refuge près de la contrée des pierres levées. Ils y passent la nuit. Une nuit agitée pour Bélino. Se trouvant près d'une pierre magique, au premier rayon de lune, sa toison se transforme en or. Une aubaine pour deux trolls qui le capture. La suite de l'aventure verra les P'tites poules élaborer différents stratagèmes pour délivrer leur ami.

On retrouve dans cette série les ingrédients habituels de son succès. Une mise en avant de l'amitié, de l'intérêt de s'unir face à l'adversité. On relèvera aussi quelques clins d'oeil aux grandes légendes et contes immémoriaux, cette fois la Toison d'or. Des albums que l'on peut lire aux enfants à partir de 5 ans et qu'ils peuvent découvrir seuls à partir de 7 ans. Une série qui dure et est en passe de devenir un classique. En dix ans, on peut être sûrs qu'ils sont plusieurs milliers de jeunes Français a avoir appris à lire, en partie, en découvrant les péripéties peu banales de ces poules extraordinaires.

(Pocket Jeunesse, album grand format en couleur, 48 pages, 9,50 €) 

dimanche 1 novembre 2009

BD - Nävis en zone franche


Sillage est véritablement devenue la série de SF de référence de ces dernières années. A l'originalité du concept de départ (Nävis, l'héroïne, est la seule humaine rescapée de toute la galaxie), s'est greffé tout une trame de complots et d'intrigues sur le pouvoir. L'impétueuse jeune fille tente de se réhabiliter. 

Après son procès, elle a décidé de prouver à Sillage, l'immense navire sillonnant l'espace, qu'elle a été la victime de cette machination. Elle doit pour cela capturer Soimitt, un tueur à gages ayant des informations susceptibles de faire réviser le procès. Durant les premières pages, très mouvementées, Nävis capture le tueur pour le conduire sur une planète interdite. Un monde où tout être vivant entre en symbiose avec le biotope et se met à dire la vérité, quoi qu'il en coûte. 

Un épisode très dépaysant (la planète zone franche fait un peu penser au monde des Bisounours), où le scénario de Morvan donne une nouvelle fois l'occasion à Buchet, le dessinateur, de montrer toute l'étendue de son talent à imaginer de nouvelles races d'extraterrestres.

« Sillage » (tome 12), Delcourt, 12,90 €

samedi 31 octobre 2009

BD - Franquin posthume


Alors que les éditions Dupuis viennent de rééditer dans une nouvelle présentation et avec de superbes dessins de couvertures toute la série des Gaston, deux petits rigolos, Piak au scénario et Turalo au dessin, ont décidé de transformer le génial dessinateur inventeur du Marsupilami en héros de BD. 

Mais Franquin est mort. C'est donc en dessinateur zombi qu'il intervient, comme s'il tenait un blog dessiné, passage obligé pour tout jeune auteur en devenir et surtout en quête de reconnaissance. Franquin nous donne de ses nouvelles et de quelques uns de ses potes, comme Roba ou Hergé. Avec le premier, pas de problème. Avec le second, il y a souvent de l'embrouille. 

Il croise aussi Morris, Delporte qui s'invite en cours de récit et Goscinny. Avec ce dernier il a de longues discussions sur l'inspiration. Car si Franquin veut revenir sur le devant de la scène, il a un gros problème : plus d'idées. Cette BD souvent irrévérencieuse est en fait un bel hommage à ces maîtres disparus. Ils ont beaucoup apporté au 9e art. 

Mais aujourd'hui seraient complètement dépassés par la génération montante. A moins que Franquin ne parvienne à finaliser sa reprise des aventures du groom rouge. Un album intitulé « La mort de Spirou »...

« Le blog de Franquin » (tome 1), Drugstore, 10 € 

vendredi 30 octobre 2009

BD - Loustal crépusculaire

Le héros et narrateur vient de passer quatre années en prison. A sa sortie, son père l'accueille, au volant d'une grosse voiture avec une certaine Mandy à l'arrière. Une prostituée. Ces retrouvailles familiales n'ont rien à voir avec un quelconque amour paternel mais sont très intéressées. Le taulard était sur un très gros coup. Il venait de subtiliser un énorme diamant à un pigeon de première. Par manque de chance, durant la transaction, la mère de l'arnaqué était victime d'une balle perdue. Le narrateur aussi prenait une balle. Dans la tête. Et devenait amnésique. 

Aujourd'hui, de nouveau libre, il tente de se souvenir de ce qu'il a fait de la pierre avec l'aide se son père qui lui raconte l'histoire. Et une troisième personne remonte à la surface. Gwen. Sa petite amie. Il lui avait promis de l'amener à Coronado avec l'argent de la pierre. Il lui avait aussi recommandé de se méfier de son père s'il lui arrivait malheur. 

Adapté d'une nouvelle de Denis Lehane, ce récit de Loustal est d'une noirceur implacable. Beaucoup de cadavres jalonnent cette histoire se déroulant aux USA, le décor préféré du dessinateur de « Barney et la note bleue ».

« Coronado », Casterman/Rivages Noir, 17 € 

jeudi 29 octobre 2009

Roman jeunesse - Star attaque avec Hunger Games

Jusqu'où peut aller la télé-réalité ? Dans ce roman de Suzanne Collins, les participants doivent tuer leurs adversaires pour l'emporter.


Certains comparent les émissions de télé-réalité à de nouveaux jeux du cirque tant les spectateurs semblent apprécier mensonges, coups bas et trahisons. Suzanne Collins a poussé l'horreur à son paroxysme dans ce roman s'adressant principalement aux adolescents et jeunes adultes, ceux-là même qui semblent se délecter de ces programmes. Un texte d'anticipation, comme une épée de Damoclès sur nos têtes. Dans le programme vedette, Hunger games, les participants n'ont qu'un but : s'entre-tuer en direct et sous les caméras. Seul le dernier en vie remporte célébrité et cagnotte. Ils sont 24 joueurs au début, dont une grande majorité n'ayant pas choisi d'y participer. C'est le cas de Katniss et Peeta, le deux héros du roman

Désignés pour mourir

Dans un futur proche, les États Unis ont complètement explosé. Une nouvelle guerre civile qui s'est finalement achevée par une nouvelle partition du territoire. Un état central, le Capitole, régente la vie des douze districts sous sa coupe. Douze régions où le niveau de vie a considérablement baissé. Le District 12 est spécialisé dans l'extraction du charbon. C'est là que vit Katniss, une adolescente qui malgré ses 16 ans assure l'ordinaire à sa mère et sa petite soeur. Le père est mort dans un accident, un coup de grisou. Katniss prend donc le risque de quitter le district quotidiennement pour chasser dans les forêts environnantes. En ramenant écureuils ou lapins tués grâce à son habileté à l'arc, elle gagne suffisamment pour ne pas mourir de faim.

La première partie du roman décrit longuement la vie de la jeune fille et les nombreuses difficultés qu'elle doit surmonter. Quand le tirage au sort pour les Hunger games arrive, la petite soeur de Katniss est désignée. Son aînée se portera volontaire pour la remplacer.

Entraînée à tuer

Commence alors la seconde partie de cette histoire. Avec l'autre représentant du District 12, Peeta, elle va découvrir un autre monde. Car ce programme de télé, avant le sang, veut du glamour. Les candidats sont présentés au pays au cours d'une cérémonie où la jeune sauvageonne est transformée en fière amazone. « Je me retrouve dans le costume qui sera sans doute le plus sensationnel ou le plus fatal de la cérémonie d'ouverture. C'est une combinaison noire moulante qui va du cou à la cheville. J'ai aussi des bottes en cuir à lacets qui montent jusqu'au genou. » Avec en plus une cape en lanières jaune et rouge donnant l'impression de brûler. Rapidement Katniss va devenir la coqueluche du public, d'autant que son coéquipier, Peeta, timide fils de boulanger, avoue en direct être amoureux d'elle. Avant d'être lancés, à 24, dans l'arène, ils s'entraînent. Et de nouveau Katniss fait forte impression devant le jury avec un arc : « De retour au centre du gymnase, je reprends ma position initiale et je transperce le mannequin en plein coeur. Puis je coupe la corde du sac de frappe, qui s'éventre en s'écrasant par terre. Sans un temps mort, je roule sur une épaule, me relève sur un genou et tire une flèche dans l'un des projecteurs suspendus au plafond du gymnase. Une cascade d'étincelles en dégringole. »

Quand les choses sérieuses commencent, le clinquant laisse la place aux larmes et au désespoir. Katniss devra lutter seule contre les représentants des autres districts. Tout en découvrant les dessous de ce programme de télé qui ne fonctionne que grâce aux règles mouvantes, les magouilles de la production et autres coups de théâtre provoqués pour faire monter l'audience.

Tout l'art de Suzanne Collins consiste à préserver le suspense jusqu'au bout, tout en dénonçant les dérives de notre société vers le voyeurisme et la violence. Une suite est déjà programmée (en mai 2010) et une adaptation cinématographique est en cours.

« Hunger games », Suzanne Collins, Pocket Jeunesse, 17,90 € 

mercredi 28 octobre 2009

BD : Silien Melville face aux magouilles


Pas très reluisante la vie de Silien Melville. A peine la trentaine et déjà plus aucune illusion. Métier abrutissant, pompiste de nuit, solitude forcée après une séparation douloureuse, sans oublier une tendance à noyer le tout dans le whisky. En se rendant à son boulot en vélomoteur, il rêve de gagner le gros lot au loto. 

Le gros lot il va le décrocher, mais indirectement. Il reçoit la visite d'une vieille connaissance. Ils se sont connus à l'armée. Silien se retrouve alors plongé dans une affaire mêlant hommes politiques, truands et argent sale. 

Le scénario de Djian, original au début, devient plus classique par la suite. Ternon, au dessin, propose une mise en scène très cinématographique à base d'un dessin d'un réalisme chirurgical.

« Silien Melville » (tome 1), Vents d'Ouest, 9,40 € 

mardi 27 octobre 2009

BD - Police secours et Commandant Achab


Polar classique que ce premier épisode des aventures du commandant Achab. Le vieux policier, unijambiste, râleur et iconoclaste fait l'unanimité contre lui. Il est muté aux archives dans un petit bureau qu'il partage avec un chat caractériel. 

Un enterrement de 1re classe qui prend fin quand on lui confie une enquête sur des meurtres étranges. Il devra en plus se coltiner un nouvel équipier, Karim, jeune et entreprenant, rapidement déboussolé par les pratiques peu régulières de son supérieur. 

Le scénariste Stéphane Piatzszek a particulièrement réussi le portrait de ces héros atypiques. Stéphane Douay au dessin réaliste mais épuré, sert cette intrigue, imposant une ambiance très sombre malgré l'utilisation de la ligne claire.

« Commandant Achab » (tome 1), Soleil Quadrants, 14,30 €