dimanche 24 août 2025

Roman - La réserve indienne du Massif Central

Figés dans le temps, deux vieux paysans du Massif Central sous le regard acéré de Marie-Hélène Lafon.

Un silence assourdissant, une immobilité comme éternelle : plus rien ne semble en vie dans la vieille maison des Santoire. Un couple de paysans, à la retraite, le frère et la sœur, derniers d'une longue lignée qui a vécu et régné sur ces terres, richesse devenue malédiction. Reclus volontaires dans leur bâtisse, ils regardent le temps passer, la société évoluer, le progrès bouleverser les vies des voisins. Mais pas la leur. Voilà pourquoi ils font figure de « derniers Indiens » sous la plume de Marie-Hélène Lafon, romancière originaire de la région, qui a connu, dans sa chair, ces moments suspendus. 

Ce court roman, âpre et rude, nous plonge dans la non-vie de Marie et Jean Santoire. Durant toute leur existence, ils ont été sous la coupe de la mère, reine de la maison, celle qui ne supportait pas la contradiction, qui avait toujours raison. Une mère aigrie depuis la mort de l'aîné, Pierre, en 1968. Depuis, une sorte de chape de plombs a submergé la maison. Pourtant Marie aimerait un peu d'évolution. Elle se le dit, tente parfois de demander à son frère. Changer les bancs de la cuisine par des chaises par exemple. « Il ne veut pas, il n'aime pas le nouveau, ne veut rien changer, rien ajouter, il veut que tout reste comme avant, avant quoi, avant toute la vie, avant. » Alors Marie se tait, « elle rumine ses rengaines » et se contente de regarder par la fenêtre. 

De l'autre côté de la route, vivent les voisins. D'autres paysans, ouverts sur la modernité. Ils empruntent pour acheter des machines, étendent leur domaine, louent les terres des Santoire. Vivent, nombreux, heureux. Marie se contente de détailler leur lessive qui sèche dans la cour, les sous-vêtements gracieux, les robes colorées. Et le dimanche, écoute quand ils jouent de l'accordéon et chantent. Elle se racornit dans la maison si grande, aux trois-quarts vide, immobile, poussiéreuse et froide. Mais au moins elle est vivante la Marie. Pas comme l'Alice, une jeune rousse, intrépide, hébergée chez les voisins. Il y a des années, en plein hiver, elle a disparu. Quelques jours plus tard, on a retrouvé son cadavre, nu et profané, dans la forêt. Car même chez les derniers Indiens il existe des monstres experts en dissimulation.

« Les derniers Indiens », Marie-Hélène Lafon, Le Livre de Poche, 160 pages, 7,90 €

samedi 23 août 2025

Roman - L'amour, valeur dépassée ?

Jolie variation littéraire sur les vicissitudes de « L'amour moderne » par Louis-Henri de La Rochefoucauld. 

Sous une brillante couverture signée Floc'h, Louis-Henri de La Rochefoucauld, critique littéraire à l'Express, explore ce qu'il reste de l'amour au XXIe siècle. L'amour, à l'heure des nouvelles technologies, est-il moderne ? Pas tant que cela finalement. D'autant que l'auteur se consacre surtout aux amours d'hommes et de femmes du siècle dernier. Ou du moins qui ont débuté leur parcours d'adultes amoureux, à la fin du XXe. Et sans surprise, on se retrouve avec le classique (et pas moderne pour un sou), ménage à trois : le mari, l'épouse et l'amant. 

Ivan, écrivain par accident, marié par hasard, divorcé par raison, vivote dans Paris, alignant les pièces de théâtre légères et les succès. Un confort matériel qui lui permet de faire une pause dans sa production. En réalité, cela fait un an qu'il n'arrive plus à écrire, de plus en plus obsédé par un fait divers qui a bouleversé son enfance. Ivan, contacté par Michel, riche et très influent producteur. Il voudrait qu'il écrive un petit chef-d’œuvre pour son épouse, la célèbre actrice Albane, retirée des plateaux depuis de trop longues années après avoir tout remporté, de la palme d'interprétation à Cannes en passant par un oscar et quantité de césar. Michel considère Albane comme sa « chose ». 

Cette dernière, exemple même de la femme désirant s'émanciper, a repris des études et cherche plus de spiritualité dans la vie. Ivan, peu habitué aux commandes, est récalcitrant. Mais quand il apprend qu'Albane, un peu plus âgée que lui, est directement liée au drame qui le hante toujours, il accepte l'offre. Juste pour en apprendre un peu plus. La malice du romancier transforme cette relation de travail en cour subtile et délicate. Comme quoi, même moderne, l'amour ne s'épanouit pas sans un minimum d'effort. 

Un texte érudit, brillant, léger ; parfait pour comprendre les subtilités de cette étonnante alchimie qui provoque une attirance irrépressible entre deux êtres humains. L'occasion aussi de découvrir les pratiques de ce milieu culturel parisien, souvent boursouflé d'orgueil et de vanité, mais qui parfois est à l'origine d’œuvres mémorables.    

« L'amour moderne » de Louis-Henri de La Rochefoucauld, Robert Laffont, 256 pages, 20 €


vendredi 22 août 2025

Roman – Road-trip féministe au Chili

Originaire du Chili mais vivant en France depuis des années, Nicole Mersey Ortega est blonde. Comme le personnage principal de son premier roman aux accents destroy. La jeune narratrice vit dans une favela de Santiago, mais elle ressemble à une touriste occidentale. La faute à un père français. Qui l'a abandonnée. A l'ombre d'une montagne d'ordures, elle rêve d'évasion, de fête dans le Nord. Avec deux amies, elle économise et fugue. 

Un périple de plus de 1000 kilomètres, vers une fête légendaire à Iquique. Roadtrip agité et surtout très risqué. Dans ce Chili des années 90, la police est corrompue et féroce. Les femmes ne semblent être que de la chair fraîche pour des hommes violents. De plus, un serial killer sévit sur la nationale 5, cette route qui traverse un désert interminable. Le trio va souvent se faire peur. Le lecteur redoute une fin brutale. Mais une vierge noire, ou une dame blanche, semble veiller sur les filles. 

Elles vont vivre des moments épiques (la scène du match de foot à Calama marque les esprits), de grandes frayeurs et quelques désillusions. Le tout raconté dans une langue moderne et vivante, celle des femmes libres, uniquement armées de leurs mots pour repousser les violeurs, tueurs et autres nuisibles.

« Même le froid tremble », Nicole M. Ortega, Editions Anne-Carrière, 176 pages, 19 €

jeudi 21 août 2025

Roman – Amour d'été passager

Premier roman de Robin Watine, « Je rouille » ose l'histoire sentimentale. L'histoire d'amour estivale, sans avenir. A moins que... Léna est Parisienne. Néo vit à l'année dans cette station balnéaire de la Côte d'Azur où elle passe un mois en compagnie de ses parents. Léna et Néo, deux jeunes originaires de milieu sociaux radicalement différents. Pourtant, le temps de ces quelques semaines, entre plage, baignade et sorties nocturnes, leurs mondes vont se croiser, se rencontrer et trouver un petit terrain d'entente. Sexuel au début. Et plus si affinités. Ce roman court et nerveux, se concentre sur les derniers jours, quand les vacanciers commencent à faire leurs valises pour replonger dans le quotidien gris de la grande ville. Noé, narrateur, double du romancier, redoute ce départ. La fin d'une parenthèse enchantée. Il constate, triste et émerveillé en même temps, qu'il tient à Léna. Qu'il est bêtement tombé amoureux de cette fille, a priori inaccessible pour un gamin inculte. Un texte entre mélancolie, regrets et espoirs. Car des vacances il y en a tous les étés. Et la jeunesse des deux protagonistes leur laisse la possibilité de se retrouver dans quelques mois.

« Je rouille », Robin Watine, Calmann-Lévy, 160 pages, 18,50 €

mercredi 20 août 2025

Roman – La drôle d'enfance de la mère d'Amélie Nothomb

Un écrivain puise toujours dans ses racines pour imaginer d'autres vies, d'autres mondes. Amélie Nothomb, pour son traditionnel roman de rentrée, ose parler, presque pour la première fois, de sa mère. Un roman pour raconter cette femme, morte en février 2024. Les trois-quarts du texte racontent l'enfance d'Adrienne, la maman de fiction. Indépendante très jeune, tiraillée entre son père et sa mère, couple dysfonctionnel qui l'a obligée à se dissocier pour tenter de maintenir les liens de la famille. Adrienne, à trois ans, passe un été horrible chez sa « bonne-maman de Gand », la mère de sa mère. Une vieille folle acariâtre, qui lui sert du hareng au vinaigre pour son premier petit déjeuner. Adrienne, révulsée, rend tout dans son assiette. Sa grand-mère l'oblige à manger son vomi. 

Voilà à quoi a ressemblé l'enfance de la mère d'Amélie Nothomb. Mais cela ne l'empêche pas de profiter de la vie, de conseiller sa grande sœur ou de protéger ses parents. Adrienne va aider sa mère quand elle découvre que la nuit elle capture et tue les chats du voisinage. Elle lui trouvera un nouvel amant après la Libération (le précédent, collaborateur notoire, a disparu à l'arrivée des Américains). A neuf ans, Adrienne se transformera en « petite maman » pour Charlotte, la  dernière de la fratrie. Mais comment a-t-elle surmonté ces épreuves ? Tout simplement en adoptant la formule magique du « tant mieux », leçon donnée par sa mère. 

La dernière partie du livre est beaucoup plus personnelle. Une sorte d'ultime confession de l'autrice. Un dernier « je t'aime » à destination de cette femme qui l'a toujours soutenue, même si elle « avait le génie de décontenancer les gens. Elle n'a jamais cessé de me désarçonner aussi. »

« Tant mieux », Amélie Nothomb, Albin Michel, 216 pages, 19,90 €

vendredi 15 août 2025

Roman – Rwanda, un génocide trop français

Enseignant et chercheur en géographie, Michel Bussi, avant de vendre des millions de polars partout dans le monde, a suivi et documenté, dès le début, le génocide des Tutsis par les Hutus en 1994 au Rwanda. En expert sur cette période noire de l'Humanité, il a tissé, autour de la mort d'un million d'innocents en quatre mois, un polar aux airs d'acte d'accusation contre les autorités françaises de l'époque. 

De 1990, arrivée de Jorik Artera, militaire français au Rwanda pour garantir la paix dans ce petit pays africain, à nos jours, ce roman raconte le chemin douloureux d'une famille. Jorik tombe amoureux d'Espérance, une Tutsi. Ils se marient, ont une petite fille, Aline. Cette dernière a trois ans en 1994 quand sa mère traverse le pays avec des hordes de Hutus à ses trousses. Jorik voudrait l'aider, mais son devoir de militaire français l'oblige à laisser s'accomplir l'inimaginable. 

En décembre 2024, Jorik retourne au Rwanda avec Aline, mère de Maé, adolescente. Et l'enfer recommence. Long, passionnant, détaillé, accusateur mais aussi bourré de rebondissements, ce roman de Michel Bussi mériterait dix fois plus le Goncourt que le futur lauréat, désigné début novembre. 

« Les ombres du monde », Michel Bussi, Presses de la Cité, 576 pages, 23,90 €

jeudi 14 août 2025

Polar - Oslo, capitale du « Faux-semblant »

La capitale de la Norvège se prépare à faire la fête. En ce 31 décembre 2018, la population est massée devant l'hôtel de ville d'Oslo pour profiter du traditionnel feu d'artifice. A minuit pile une grosse explosion retentit : une bombe placée dans une poubelle fait quatre morts et de nombreux blessés. Blix, le policier et Emma, la journaliste, le duo d'enquêteurs imaginé par Horst et Enger, romanciers norvégiens, sont dans la foule. 

Après une première aventure (« Que le meilleur gagne » disponible en Folio policier) ils se plongent à corps perdu dans cette histoire qui a tout de l'attentat terroriste. Mais les apparences sont trompeuses. Et comme une des blessées est la mère d'une fillette enlevée dix ans auparavant et jamais retrouvée, Blix en déduit que la bombe n'a pas été placée au hasard. 

On apprécie la complémentarité des héros : Blix, âgé, taciturne obstiné, sert aussi de père de substitution à Emma, dépressive, impulsive et tout aussi obstinée. On suit la progression du duo, allant de découvertes en surprises, réussissant à rester sur le bon chemin malgré les nombreuses fausses pistes placées sur leur route. 

« Faux-semblant », Jorn Lier Horst et Thomas Henger, Série Noire Gallimard, 416 pages, 21 €

mercredi 9 juillet 2025

BD - Les super héros testent la liberté


Une fois n'est pas coutume, mieux vaut débuter la lecture de cet album par la fin. Les dernières pages qui présentent sous forme de fiches les principaux protagonistes de cette histoire de super héros à cheval entre plusieurs dimensions et qui se retrouvent cloués sur Terre. Sans cette étape, vous allez peut-être décrocher face à la complexité de l'intrigue du début. D'où viennent-ils ? Qui sont-ils ? Pourquoi sont-ils cachés sur Terre derrière des identités d'étudiants ? 

Autant de questions sans réponses dans les premières pages et forcément déstabilisantes. En résumé, ces "free agents" étaient chargés de protéger des univers de l'envie de conquête  du grand méchant de l'histoire, Eskandir, l'Argive. 

Ayant perdu leur chef au combat, ils se retrouvent propulsés sur Terre. Ils décident d'y vivre tranquillement, loin de la guerre. Mais c'est sans compter sur l'Argive, ses sbires et autres monstruosités qui décident de conquérir cette gentille planète. Les agents vont reprendre du service. Mais sans chef, en totale liberté. 

Une histoire dense signée Kurt Busiek et Fabian Nicieza. Au dessin, on retrouve un Stephen Mooney au sommet de sa forme.  

"Free Agents" (tome 1), Delcourt, 160 pages, 17,50 €

mercredi 2 juillet 2025

Dessin - Vacances poétiques bretonnes avec "Bon vent !" de François Ravard

Pour les vacances estivales, depuis quelques années, rien ne vaut le climat de la Bretagne. Là-bas, vous n'aurez pas la désagréable impression de cuire dans une friteuse par 40 ° sous une hypothétique ombre. François Ravard, le temps de ces dessins d'humour plus poétiques que foncièrement comiques, fait l'apologie de cette Bretagne parfois humide mais jamais brûlante. Des dessins pleine page, dans des tons doux et tendres grâce à une technique à l'aquarelle idéalement maîtrisée. 

Transport collectif 

On croise donc dans ce recueil des curistes en peignoirs, quelques enfants coursant des mouettes, des chiens fous dans les vagues et de nombreux amoureux, sous le charme de ces paysages. Vous aussi allez craquer pour ces criques protégées, ces embruns régénérants et ces scènes touchantes. Mais attention, si juillet et août sont "supportables" pour les sudistes, les autres mois de l'année risquent d'être un peu trop "extrêmes" pour ces mêmes adorateurs du soleil et de la sécheresse. 

"Bon vent !", François Ravard, Glénat, 96 pages, 16,50 €

mercredi 25 juin 2025

BD - Double dose de "Cyborgs", série imaginée par Istin et Dim D

Telle une fusée, la série de SF Cyborgs vient d'être lancée en orbite en deux temps, comme deux étages pour aller au plus haut. Première mise à feu (en avril) avec Ronin, album dessiné par Kael Ngu. Dans un futur assez lointain, la Terre, de moins en moins vivable, voit sa population se concentrer dans d’immenses villes fortifiées sous cloche. Ailleurs, le froid rend la vie impossible. Dans ces villes, les libertés sont en chute libre depuis la terrible "guerre des silos". 

A Europa, la jeune Yuko est élevée par son oncle Akira. Elle est née handicapée, dépourvue de bras. Akira, maître en combat, est chargé de former la milice privée de Tudor, président récemment élu. Un dictateur en puissance. Akira décide de rompre son contrat. Ses anciens élèves vont le poursuivre et le tuer. Yuko va trouver refuge auprès de Russell, le seul qui ose se dresser face à Tudor. Il va donner de nouveaux bras à Yuko, l'entraîner au combat et l'intégrer, sous le nom de Ronin, dans son équipe de cyborgs chargée de faire respecter la loi et la liberté. Et mettre fin à la dictature. Vaste programme...

Une mise en bouche très mouvementée, avec une héroïne attachante. L'univers graphique est imaginé par Dim D et les storyboards signés Kyko Duarte et Benoit Dellac. Toute une équipe de créateurs pour un résultat manquant un peu de personnalité mais d'une incroyable efficacité. 

Le second tome, paru en juin, a pour personnage central Sam, jeune femme insouciante, fille de la principale opposante de Tudor. Mais quand elle est victime d'un attentat, l'existence de Sam bascule. Si sa mère meurt, de son côté elle survivra mais avec deux jambes et un bras en moins. Elle aussi va recevoir des prothèses cybernétiques la transformant en redoutable guerrière, avide de vengeance. Steel, ce sera son nouveau nom, va faire parler d'elle. 

Les tomes suivants seront consacrés aux deux autres cyborgs de l'équipe. Le final ce sera en 2026 pour une 5e titre apothéose. 

"Cyborgs" (tomes 1 et 2), Glénat, 84 et 76 pages, 18,50 et 17,50 €