Imaginé par Charlier et Hubinon au début des années 60, Barbe-Rouge a longtemps vogué avec éclat sur les eaux du 9e art. Il est reparti à l’abordage dans une nouvelle collection, avec Jean-Charles Kraehn et Stefano Carloni à la manœuvre.
Le quatrième tome intitulé Chasseur d’esclaves, voit le terrible pirate tenter de s’adapter à son nouveau statut de corsaire du roi. Pour le gouverneur de Cap-Français, il doit capturer de mystérieux voleurs, détroussant, de nuit, les planteurs de Saint-Domingue. Ce serait des esclaves en fuite.
L’occasion pour le scénariste de plonger son petit monde dans un débat politico-humaniste. Barbe-Rouge, impétueux, veut de l’action. Baba, d’origine africaine, refuse de chasser ses frères. Triple-Pattes avoue sa honte. Une première partie explosive, avec l’arrivée d’un méchant de la pire espèce, Peet le Bordelais, le fameux chasseur d’esclaves sans morale ni pitié.
Une série reprise avec brio par un duo équilibré : les histoires sont cohérentes et palpitantes, le dessin très classique mais avec une mise en page dynamique et moderne. « Les nouvelles aventures de Barbe-Rouge » (tome 4), Dargaud, 56 pages, 17 €
Certains héros ne meurent jamais. Dans le cas de Beetlejuice c’est évident. Plus de 30 ans après sa première apparition, il est de retour. Toujours aussi effrayant… et marrant.
Tim Burton n’est plus le jeune cinéaste visionnaire de ses débuts. Mais il reste un incorrigible rêveur, bourré d’imagination, incapable de marcher droit. En partie révélé avec Beetlejuice sorti en 1988, le réalisateur américain fait le grand écart en proposant une suite à ce conte fantastique. Il n’est jamais facile de retrouver l’alchimie qui transforme une bonne idée en chef-d’œuvre. Un exercice au cours duquel on a beaucoup plus de chances de se fracasser contre un mur de redites que de retrouver le chemin du succès. En retrouvant plusieurs des comédiens du premier opus (Michael Keaton, Winona Ryder, Catherine O’Hara), Tim Burton parvient à faire le lien avec le Beetlejuice de 1988.
De nos jours, Lydia Deetz n’est plus l’adolescente gothique que Beetlejuice veut épouser mais une célèbre animatrice d’un show télé sur les fantômes. Elle a une fille, Astrid (Jenna Ortega), mais ne s’en occupe pas réellement, préférant se consacrer à sa carrière sous la coupe de son fiancé Rory (Justin Theroux). Elle doit retourner dans la maison hantée pour les obsèques de son père.
Un déchirement pour Astrid qui adorait ce grand-père un peu poète, le seul de la famille qui semblait normal à cette jeune fille rationnelle niant farouchement l’existence de spectres et autres esprits surnaturels.
Si la première partie du film est un peu longue, notamment pour présenter les nouveaux personnages et rappeler le contexte, la suite devient plus percutante, digne du film d’origine. Dès que la maquette de la ville dans le grenier est débarrassée du drap blanc la cachant au monde des vivants, la folie Beetlejuice s’exprime pleinement. Avec péripéties et monstres en tout genre. Winona Ryder, de gamine rebelle, se transforme en maman aimante, mais totalement terrorisée à l’idée de croiser de nouveau la route d’un Michael Keaton toujours méconnaissable sous le maquillage.
Lydia va pourtant devoir de nouveau faire appel à sa malice pour délivrer l’ado des griffes d’un méchant fantôme. Et pour corser le tout, Tim Burton invente une première épouse à Beetlejuice. Très possessive, elle veut retrouver son mari. Monica Belucci offre ses traits parfaits à cette vamp en morceaux.
L’inventivité du réalisateur semble alors débridée, entre scènes sanglantes, pastiche de Dune et critique féroce des influenceurs, tous renvoyés dans les limbes de leurs écrans de pacotille. C’est dynamique, horrible, marrant, novateur et terrifiant. Du pur Tim Burton !
Film de Tim Burton avec Michael Keaton, Winona Ryder, Jenna Ortega, Justin Theroux
Film de et avec Laetitia Dosch et aussi François Damiens, Jean-Pascal Zady, Kody le chien, Anne Dorval.
Pour son premier grand rôle au cinéma, Kody frappe les esprits. Sa composition, tout en nuance, très expressive, profonde quand il va tenter de retrouver ses racines, son cri primal, a justement été récompensée d’un prix au dernier festival de Cannes. Kody est la véritable vedette du premier film de Laetitia Dosch, Le procès du chien. Kody, 9 ans, est un griffon croisé. Un chien qui crève l’écran dans cette comédie douce-amère sur la folie des hommes.
Avril (Laetitia Dosch), avocate des causes perdues, accepte de défendre Dariuch (François Damiens), maître malvoyant du chien Cosmos (Kody). Cosmos a mordu une femme, la défigurant. Avril veut éviter l’euthanasie et plaide la responsabilité de Cosmos. Le juge la suit et le canidé se retrouve accusé en personne, risquant de nouveau l’endormissement définitif.
Ce premier film un peu bordélique par moments, presque trop riche, offre d’excellents moments de comédie (François Damiens méconnaissable, Jean-Pascal Zadi parfait en comportementaliste animalier), mais ne nous fait pas oublier la gravité du sujet. En creux, la comédienne et réalisatrice traite de la montée de l’extrême-droite, des brimades faites aux femmes, des violences contre les enfants et du simple respect de la vie, toutes les formes de vie. Avec en point d’orgue ce questionnement : pourquoi, du point de vue juridique, les animaux de compagnie ont encore de nos jours le statut d’objets, de mobilier dans un foyer ?
Tout propriétaire d’un chien, et pas forcément aussi intelligent et craquant que Kody, ou d’un autre compagnon, appréciera ce film qui quitte la comédie pure dans sa dernière partie pour se transformer en farce tragique.
Exercice de style très réussi, Late night with the Devil des frères Cairnes sort directement en vidéo chez Wild Side.
Un film d’horreur qui lorgne vers la comédie satirique.
Jack Delroy (David Dastmalchian) est le présentateur d’un show télé quotidien sur une télé américaine dans les années 70. Son audience faiblissant, il organise une émission spéciale pour Halloween. Avec l’ambition d’invoquer Satan pour une interview ultime. Le film prend la forme de cette émission de direct, avec coulisses lors des coupures pub. On y découvre toute la morgue de l’animateur et de son producteur.
La dernière partie, véritablement horrible, permet de s’interroger : Pour rester au firmament, un animateur doit-il vendre son âme au Diable ? Certaines « vedettes » françaises devraient se poser la question.
Y a-t-il une vie après le départ de ses enfants ? Nos rejetons, une fois devenu adultes, nous enlèvent-ils l’envie de survivre au quotidien ? Cette question est au centre de Un jardin pour royaume, roman de Gwenaëlle Robert. Alors que la cadette quitte le domicile familial, la narratrice se retrouve presque seule dans sa grande maison.
Trois enfants qui volent de leurs propres ailes, un mari souvent absent car sous-marinier : comment occuper ses journées ? Elle décide de reprendre sa thèse sur Rousseau abandonnée pour cause de maternité. Elle se rend à Ermenonville, au château de Girardin, là où l’écrivain philosophe est mort.
A quelques kilomètres de la maison d’enfance de la romancière. Rousseau, souvenirs, solitude : ce mélange donne un texte délicat, lucide, un peu nostalgique et parfois sombre. Comme cette réflexion : « Longtemps, quand les enfants me regardaient vivre, quand mes faits et gestes étaient soumis à leur juridiction, j’ai imaginé ce que je pourrais faire quand je serais sans témoin. Maintenant j’ai la réponse : je regarde les plafonds, j’y projette mon angoisse du vide, l’impression de ne plus exister du tout. »
Une remise en cause balayée par la fabuleuse histoire de Rousseau et de son dernier bienfaiteur, Girardin. « Un jardin pour royaume » de Gwenaëlle Robert, Presses de la Cité, 208 pages, 20 €
Thorgal se démultiplie. Après les aventures parallèles (Jeunesse, Louve, Kriss…), place à la Saga. Une autre façon de satisfaire les fans de la série imaginée par Van Hamme et Rosinski. L’occasion pour certains auteurs de s’emparer d’un personnage et d’un monde dans des romans graphiques plus longs.
Le 3e titre de la collection voit le retour de deux experts des aventures du Viking : Yann et Surzhenko. Ils se proposent de combler un trou dans les albums de la série d’origine. Shaïgan raconte la vie du Thorgal devenu amnésique et « reconditionné » par la perfide Kriss de Valnor en Shaïgan-sans-merci, le sanguinaire pirate.
Un épisode prenant place juste avant Géants, paru en 1996. De plus en plus incapable de tuer, Thorgal-Shaïgan demande conseil à un sorcier qui peut lire le passé. Il lui promet de lui révéler sa véritable identité contre une épée magique enterrée avec la dépouille d’un roi. Après une présentation du contexte, le reste de l’album multiplie les combats et découvertes sur une île défendue par des morts vivants. Des combats, à terre mais aussi sur les flots, qui permettent à Surzhenko de signer de superbes planches.
Le scénario de Yann, bourré de références, est avant tout un hommage au travail de Van Hamme. Une Saga dont on ne se lassera jamais. « Thorgal Saga - Shaïgan », Le Lombard, 88 pages, 21,50 €
Son premier roman, écrit avec ses « tripes », À l’ombre des choses d’Anatole Édouard Nicolo est un superbe témoignage sur les errements de certains jeunes, déboussolés, incapables de trouver leur voie dans une société de plus en plus exigeante et rapide. Longtemps, Anatole a été à l’ombre de son grand frère, G., devenu un célèbre chanteur de rap. Anatole cherche lui aussi à prendre un peu de lumière et raconte dans ce texte écrit à l’encre acide, comment il s’y est pris après de multiples échecs.
Un roman confession aussi, où il met à plat ses relations avec ses parents. Une mère volontaire, bosseuse, mais qui n’a pas pu éviter la case Foyer pour indigents quand elle s’est retrouvée seule avec ses deux garçons adolescents. Un père excentrique, assez absent, artiste, vivant dans un squat. Avant de s’en sortir avec le sport et l’écriture, Anatole s’appuie sur sa bande de potes.
Des jeunes de banlieue, sans grand avenir, mais unis. Capables du pire comme du meilleur. « Nous ne faisions que marcher au bord du précipice, convaincus que nous ne tomberions jamais. » Jusqu’à cette garde à vue pour vandalisme… Un texte rugueux comme du béton brut, qui sent la rue, la sueur et se lit en écoutant du rap. A fond.
« À l’ombre des choses » d’Anatole Edouard Nicolo, Calmann-Lévy, 160 pages, 18 €
Le rêve américain, son cinéma inégalable, ses petites villes perdues, ses flics bêtes et bornés… Tel est le menu de recueil d’histoires courtes parues dans Fluide Glacial et reprises dans un album augmenté de quelques gags intermédiaires pour lier le tout.
Maddie Edwards est officiellement la shérif du comté de Badger, chef-lieu Chapatanka. Mais son rêve est de devenir romancière. Au lieu de rédiger les rapports de ses enquêtes de routine (très routinières), elle ambitionne de pondre un best-seller. Un polar évidement. Problème : elle n’a aucune imagination. Alors elle va s’inspirer de son quotidien. Nouveau problème, le roman débute par cette phrase peu accrocheuse : « Chapatanka, une ville sans histoires. »
Pourtant, si elle était un peu plus à l’affût, elle en trouverait des idées si l’on en croit les auteurs de la BD, B-Gnet et Joret. L’histoire de ces petites filles, des jumelles, perdues dans la forêt et qui survivent en tuant et mangeant des touristes, cet écrivain fou qui séquestre sa femme dans un hôtel isolé, cette famille de freaks, typique de ce Midwest où la dernière mode est de porter un masque en peau humaine.
Chaque histoire est une relecture, très humoristique, de grands classiques du cinéma US. De Rambo à E.T. « Chapatanka », Fluide Glacial, 56 pages, 15,90 €
Lire La barque de Masao, roman d’Antoine Choplin, c’est s’embarquer pour un voyage artistique et émotionnel au Japon. Masao est ouvrier sur l’île de Naoshima. Une vie anonyme, discrète, sans éclat. Son seul plaisir : lire de la poésie.
Un soir, en quittant son poste de travail, sa fille Harumi l’attend. Cela fait plus de dix ans qu’il ne l’a pas vue. Devenue architecte, elle est dans la région pour la construction d’un musée dans une autre île distante de quelques kilomètres. Retrouvailles hésitantes entre le père et la fille. On ne sait pas pourquoi mais on devine un traumatisme. L’auteur, grâce des retours en arrière où il donne directement la parole à l’ouvrier, raconte la rencontre avec Kazue, une artiste, le seul amour de Masao, la mère d’Harumi. Kazue qui occupe encore l’esprit de Masao, notamment quand il avait une barque et voguait au hasard à la recherche de celle qui désirait tant « marcher dans la mer ».
Entre le père et la fille, les souvenirs sont douloureux ; l’art va les atténuer. On visite indirectement deux musées d’exception, celui de Chichu, fantastique plongée sensorielle dans les éléments et la Matrice, le musée supervisé par Harumi, œuvre d’art unique où le visiteur est au centre d’émotions insoupçonnables. « La barque de Masao » d’Antoine Choplin, Buchet-Chastel, 208 pages, 19,50 €
Parmi les nouveautés de la rentrée BD 2024, le second tome de la série American Parano de Bourhis et Varela était très attendu. Le premier tome, paru en mai dernier, présentait l’héroïne (une jeune policière à San Francisco à la fin des années 60) et sa première enquête, un meurtre sur fond de secte satanique.
La suite, sortie vendredi dernier, confirme l’excellente impression faite par l’ensemble. Kim Tyler arrive de l’école de police. Elle est affectée à San Francisco au même commissariat que son père. Mais ils ne travailleront pas ensemble, le paternel est mort récemment. Kim suspecte Baron Yerval, fondateur de l’Église de Satan, d’être l’ordonnateur du meurtre d’une jeune femme lors d’un rite qui a mal tourné.
Ce bon polar, quasiment historique, montre un San Francisco en pleine ébullition. Les hippies investissent les vieux quartiers, la drogue circule librement, les mœurs sont débridées, tous les excès permis. Kim tente de trouver sa place dans ce monde si différent de son enfance.
La jeune femme devra faire face à de véritables démons tout en affrontant ceux, intérieurs, qui lui pourrissent la vie. Le dessin de Varela, entre ligne claire élégante et effets très seventies, colle parfaitement à la série. « American Parano » (tome 2), Dupuis, 64 pages, 16,50 €