mercredi 19 juin 2024

BD - Un peu Mou mais très efficace…


 Charles a tout du loser absolu. Après de longues études, il vit toujours chez sa mère et subsiste en livrant des pizzas à vélo. Comme en plus il est très timide, côté cœur c’est la débandade. Après une journée catastrophique (même si elle n’est que dans la moyenne des journées pourries qui jalonnent son existence), il décide de se rebeller, de lâcher son boulot, de ne pas rentrer chez maman. Chance, il voit une petite annonce sur la porte d’un café : « cherche personnel de salle ». Il entre et postule.

Mais la mouise continue. La patronne lui explique que cet établissement est spécial, réservé aux femmes et que bien évidemment le personnel aussi doit être féminin. Il se met à chialer et par pitié, elle accepte qu’il s’asseye dans un coin le temps que la crise de larmes passe. C’est là que Paola entre en scène. Cette chimiste qui travaille pour ESA (la Nasa européenne), craque sur le pauvre Charles et l’emmène chez elle. Après un coït raté, le malheureux déprime encore plus. Et a soif. Alors il va dans le frigo et boit le contenu d’un verre bien frais.

Le début de ce roman graphique de Benoît Féroumont décrit une société où les femmes sont fortes et Charles faible. Charles qui va mal digérer le liquide. Normal, c’est une expérience de Paola. Il va se transformer en une sorte de poulpe tout mou. De quoi faire peur à la jeune femme. Il fuit donc… par la cuvette des WC et se retrouve dans les égouts. Charles, devenu tout mou, va alors découvrir que cette forme voluptueuse est très appréciée des femmes et va devenir assez rapidement un amant recherché.

Dans Mou, l’auteur met en scène des femmes libérées, qui en ont assez de la virilité des mâles alpha et préfèrent tendresse, même si c’est une chose informe qui la distille. Tout homme devrait en prendre de la graine. Même si au niveau tentacules, on sera toujours un peu handicapé face à la métamorphose de Charles.
« Mou », Dupuis, 96 pages, 19,90 €

mardi 18 juin 2024

Thriller historique - « L’Or maudit » ou la suite des aventures de Margaux de Dente

 Dans le Haut-Razès audois du Moyen Âge, Mireille Calmel raconte la vie tumultueuse d’une héroïne déjà croisée dans ses précédents romans, « Le Templier de l’ombre ». 

 

Ses romans historiques sont dignes des grands feuilletonistes du siècle dernier. Mireille Calmel n’a pas son pareil pour imaginer des intrigues à rebondissements pour ses héros. Son héroïne plus exactement.
Margaux de Dente, fille de Cathare, vit dans la vallée du Haut Razès. La première partie de ses péripéties ont été racontées dans les deux tomes de Le Templier de l’ombre parus l’an dernier (le tome 1 vient de sortir en poche chez Pocket). La belle Margaux est déjà de retour dans le tome 1 de L’or maudit. Toujours dans son manoir de Sainte-Eugénie entre Quillan et Rhedae, l’ancien nom de Rennes-le-Château.
Avec son mari, Michel, elle prend soin d’Anne, sa petite fille de 5 ans. Une dégourdie qui reste de longues heures au sommet du donjon pour tenter d’apercevoir le loup blanc, une bête qui sème la terreur dans les campagnes et la forêt.
En ce 6 mars 1313, Bertrand Leplacier, prévôt, est prévenu de la découverte d’une nouvelle victime de l’animal. Mais près du cadavre, un berger a remarqué des pièces d’or et un gantelet, « une pièce d’armure, de celles dont les chevaliers du Temple se couvraient les mains autrefois lors des batailles en Orient ». Et à l’intérieur du gant, une main sectionnée.
Le roman débute comme un polar, avec quantité de suspects. Leplacier mène l’enquête alors que Margaux désire avant tout protéger sa fille. Au même moment arrive à Carcassonne Guillaume de Nogaret, premier conseiller du roi Philippe le Bel. Il a pour mission de récupérer, pour la couronne, l’or des templiers en possession du maître inquisiteur d’Ablis. Même si tous les Cathares ont été exterminés, Geoffroy d’Ablis continue sa chasse, impitoyable. Il aimerait faire tomber Blanche de Dente.
Malgré son aversion pour le personnage, Guillaume de Nogaret négocie pour revenir en grâce à la cour. Découvrir aussi ce qu’est devenu son père, mystérieusement disparu. Car dans les romans de Mireille Calmel, tous les protagonistes ont de multiples secrets. Inavouables. De Nogaret retrouve un coffret bourré de lingots d’or. Mais une fois de retour dans l’ancienne maison de son père dans la Cité, « à la place du coffret contenant l’or, trônait une main sanguinolente dans laquelle un carreau d’arbalète avait été planté. »
Avec une maestria étonnante, dans des chapitres courts et percutants, Mireille Calmel pose les bases de son histoire. De l’or à retrouver, des complots, des vengeances et peut-être la résurgence du catharisme car dans la vallée du Haut-Razès, des signaux s’allument sur les sommets : « comme autrefois, de colline en colline, les anciennes tours cathares se répondaient. » La seconde partie de L’or maudit est annoncée pour octobre.
Et les passionnés pourront lire, sur la plateforme numérique Kessel Media, un court roman, Le secret de Margaux, qui fait le lien entre Le Templier de l’ombre et cette nouvelle saga.

« L’or Maudit » de Mireille Calmel, XO Éditions, 326 pages, 20,90 €

lundi 17 juin 2024

Littérature italienne - « Les règles du mikado » pour apprendre à vivre caché

Un homme, une femme, la montagne. L’écrivain italien Erri De Luca va au plus simple dans ce roman, sorte de conte philosophique au ton doux-amer. 

Certains jeux de société sont parfaits pour comprendre la vie en société. Les échecs sont les plus connus. Pourtant, selon Erri De Luca, on est mieux préparé si on intègre parfaitement les règles du mikado. Loin d’être un simple jeu d’adresse, il faut en réalité anticiper et se cacher pour être celui qui, au final, enlèvera le bâton noir.

Avant de jouer, les deux personnages de ce roman vont apprendre à se connaître. Il y a un vieil homme, un ancien horloger, très riche, qui passe ses nuits sous une simple tente plantée dans la montagne italienne, à quelques encablures de la frontière. Une nuit, une jeune femme pénètre dans la tente. Pour se cacher. C’est une gitane. Elle craint sa famille. Les policiers aussi. Comme deux animaux sauvages, ils vont se renifler longuement, presque s’apprivoiser l’un l’autre.

Composée essentiellement de dialogues, cette première partie est percutante. La fille fuit un mariage arrangé. L’homme, qui est lui-même originaire de l’Europe de l’Est, lui explique qu’elle a choisi l’exil. « J’ai choisi de ne pas me marier » explique-t-elle. «Le reste, je ne choisis pas, je l’affronte. Le monde est vaste et je trouverai bien un endroit. » Le vieux va secourir la jeune. Comme un éternel recommencement car ce n’est pas la première personne que l’ancien horloger aide dans la montagne. On apprendra pourquoi dans la dernière partie du roman. Et alors les règles du mikado deviendront limpides pour le lecteur. La finalité des parties. Pourquoi le vieillard est si bon, pourquoi il décide, du jour au lendemain de ne plus jouer, de léguer les bâtons à la jeune gitane en cavale.

Un roman qui fait du bien en ces temps troubles où rares sont ceux qui ont un idéal. Encore moins ceux qui osent aller vers les inconnus. Avec, disséminés entre les scènes, quelques vérités comme cette constatation de l’horloger : « J’ai plus d’années que de kilos. Les vieux doivent être légers » ou celle très actuelle : « La guerre anéantit, dévore, et une fois commencé elle n’a besoin d’aucune cause. »

« Les règles du mikado » d’Erri De Luca, Gallimard, 160 pages, 18 €

dimanche 16 juin 2024

Un album jeunesse : Renard, la lettre et les affreux


Renard a du courrier ce matin. Normal, c’est son anniversaire et sa mémé n’oublie jamais de lui écrire. Mais dans la jolie lettre il découvre le dessin de… deux fesses ! Mais qui a osé lui envoyer cette horreur.



Le petit héros imaginé par Thibault Prugne mène son enquête et va suspecter, à tour de rôle, une moufette, un hibou et une taupe. Tous ont des arguments, mais alors qui a tracé ces deux fesses ? Loin de l’enquête policière, cette petite histoire pour les plus jeunes explique comment se faire des amis, quelles que soient les circonstances. Mignon et réjouissant.

« Renard, la lettre et les affreux », Margot (L’école des loisirs), 40 pages, 13,90 €

samedi 15 juin 2024

Une biographie : Jean Giraud alias Mœbius

La première biographie de Jean Giraud vient de paraître. Pourtant le dessinateur de Blueberry est mort en 2012. C’est Christophe Quillien qui s’est penché sur l’œuvre protéiforme de Jean Giraud alias Moebius.

De ses débuts à Pilote à la création de Métal Hurlant, de ses exils volontaires près de Pau, en Polynésie ou aux USA ou de ses attirances pour les mondes ésotériques, ce ne sont pas deux biographies qui sont compilées mais une multitude de vies, toutes plus riches et créatrices.

L’artiste a marqué des générations d’illustrateurs et aura fait rêver encore plus de lecteurs de BD. Une biographie qui ne publie pas de dessins mais de très nombreuses photos de Jean Giraud. Ou Mœbius.

« Jean Giraud alias Mœbius », Seuil, 608 pages, 26 €

vendredi 14 juin 2024

Un livre jeunesse : Les pirates de Gudule

 


Pour beaucoup de jeunes lecteurs, il y a un avant et un après Gudule. La romancière a publié plus de 200 livres pour tous les âges. Une œuvre qu’il est temps de redécouvrir, près de 10 ans après sa mort. Voilà donc une réédition du premier tome de Histoires de pirates avec de nouvelles illustrations signées Marc Lizano.

Le premier tome raconte comment le baron Bagatelle, gouverneur de Fort Plouf-Plouf, tente de retrouver le trésor de Barbak-le-Rouge. Un redoutable pirate, capturé par Bagatelle et emprisonné durant des années. C’est à la fin de sa vie que le redoutable pirate accepte de conduire le gouverneur, tout aussi vieux, sur l’île déserte où est caché le trésor.

Humour et dérision, comme souvent avec Gudule, transforment cette histoire en petite leçon de philosophie.

« Histoires de pirates », Splash !, 40 pages, 8,95 €

jeudi 13 juin 2024

Un essai : Régis Debray en bref

 

À plus de 80 ans, Régis Debray a traversé le XXe siècle en y laissant une pensée, une vision, un témoignage. Penseur, philosophe, intellectuel : difficile de le définir. Dans ce nouvel ouvrage, il accepte avant tout sa condition : un vieillard qui sait sa fin proche. Alors il fait bref. Des aphorismes, parfois à la Cioran, sur le temps passé.

On peut méditer sur ces deux extraits révélateurs de l’ensemble du livre : « Puisqu’on fait de vieux os avec de vilains sentiments, restons antipathiques. On ne sait jamais. » « Il est sage de ralentir la marche. À quoi bon se mettre à courir quand on arrive au bout. »

« Bref » de Régis Debray, Gallimard, 76 pages, 10 €

mercredi 12 juin 2024

Cinéma - “Heroico”, film sur l’armée qui broie les jeunes

Un film mexicain de David Zonana avec Santiago Sandoval Carbajal, Fernando Cuautle.


Le film Heroico se déroule au Mexique. Mais il pourrait être transposé dans n’importe quel pays qui a une armée professionnelle. Un film universel donc, sur la façon de « dresser » de jeunes hommes, leur donner le goût du sang, de la mort. Au Mexique, le film de David Zonana a été critiqué car il s’attaque à un bastion du pouvoir. Pourtant il est sans doute très près de la vérité dans ce pays où la violence est quotidienne, sans limite.

Luis (Santiago Sandoval Carbajal), jeune homme vivant seul avec sa mère, décide de s’engager. Avant tout pour bénéficier de la mutuelle de l’armée qui assurera les soins de sa mère, diabétique. Un premier sacrifice. Arrivé à l’école, il est vite remarqué par son sergent instructeur, Sierra (Fernando Cuautle). Le prototype du manipulateur, pervers, régnant sur sa cour où tout lui est possible. Il protège Luis de certaines corvées, des bizutages ou autres exercices physiques. En échange, il l’engage sur des « missions » non officielles. Le week-end, en civils, Sierra et ses sbires deviennent de vulgaires mercenaires, armés et dangereux, des tueurs.

Le film, d’une très grande violence, ne la montre pas. Tout est suggéré. On est subjugué par l’interprétation des deux comédiens principaux. Santiago Sandoval Carbajal dans le rôle de Luis, toujours partagé entre la révolte et le confort de l’obéissance. Une victime qui a cependant toutes les solutions entre ses mains pour faire cesser ce cauchemar. Encore plus impressionnante la partition de Fernando Cuautle, alias Sergent Sierra. Arrogant, prétentieux, calculateur, toujours à la limite de l’acceptable, cette caricature de militaire doit cependant hanter les nuits de nombre de recrues, au Mexique et ailleurs, certainement passées sous ses fourches caudines.

mardi 11 juin 2024

BD - Larzac, terre de résistance

 

Le Sud n’a jamais aimé les décisions imposées par le Nord, encore moins quand cela vient de Partis, la capitale si prétentieuse. En 1972, le Larzac, plateau caillouteux couvert de brebis à cheval sur l’Hérault et l’Aveyron, entre en résistance. Le gouvernement a décidé d’agrandir le camp militaire expropriant de fait des centaines de familles de paysans. L’occitan va résonner dans toute la France avec ce cri de ralliement, de fierté de résistance : « Gardarem lo Larzac ! »

Première ZAD (zone à défendre) de l’Histoire de France, ce mouvement va durer des années et donner l’occasion à deux auteurs se signer un gros album de près de 180 pages. Pierre-Marie Terral, agrégé et docteur en histoire contemporaine s’est spécialisé dans l’étude de cette lutte paysanne exemplaire qui reste encore très présente dans les mémoires des Français. Sébastien Verdier, dessinateur qui a beaucoup travaillé avec Pierre Christin, recrée les ambiances de l’époque dans des planches en noir et blanc très réalistes.

Des chapitres entrecoupés de photos d’époque ou de dessins parus au moment des événements dont une BD-reportage de Cabu. Un ouvrage pour ne pas oublier que toute lutte, si elle est juste, peut être victorieuse. Signataire de la préface, ce n’est certainement pas José Bové qui peut prétendre le contraire.

« Larzac, histoire d’une résistance paysanne », Dargaud, 176 pages, 23,50 €

lundi 10 juin 2024

BD - Le magot de Mémé

 

Le Tarn est un affluent de la Garonne. Un département aussi, décor du roman graphique Le gigot du dimanche écrit par Philippe Pelaez et dessiné par Espé. Une histoire de famille, la famille du scénariste Philippe Pelaez qui joue un rôle essentiel dans le récit en répondant au surnom si mignon de Pilou.

Pilou adore les dimanches où tout le monde mange chez Mémé, un gigot bourré d’ail après des bouchées à la reine à la cervelle. Frères, oncles, cousins, tous se disputent et après ils vont au stade voir l’équipe locale de rugby maltraiter les voisins puis au loto-quine où le gros lot est un cochon. Vivant le cochon.

Pilou à 11 ans, on est en 1981 et sa maman, qui a voté Mitterrand, crie sur son tonton, l’assureur, gaulliste, mauvais perdant, persuadé que les chars russes vont défiler sur le Champs-Élysées le 14-Juillet. Une famille dysfonctionnelle qui retrouve de l’unité dès que Mémé va à la cuisine. Ils tentent tous de savoir où elle a pu planquer son magot, des Louis d’or devenus aussi légendaires qu’invisibles.

Tout semble vrai dans cette histoire. À part le fameux magot. Philippe Pelaez reconnaît qu’il s’est un peu inspiré de sa famille, mais que le seul dont il est certain d’avoir respecté les pensées et agissements, c’est lui-même. On rit beaucoup aux multiples péripéties autour du magot mais aussi de la découverte de la vie par Pilou, un petit gros un peu naïf qui n’a pas son pareil pour mettre les pieds dans le plat… de gigot.

« Le gigot du dimanche », Bamboo Grand Angle, 72 pages, 16,90 €