lundi 17 janvier 2022

De choses et d’autres - 20 ans et des poussières

 

On n’apprend pas toujours de nos erreurs. La preuve avec cette candidature de Christiane Taubira annoncée samedi. L’élue guyanaise, en 2002, était déjà sur la ligne de départ. Elle a récolté un peu plus de 2 % des voix.
Des poussières me direz-vous. Certes, mais ces 2 % auraient largement suffi à Lionel Jospin pour passer devant Jean-Marie Le Pen et se retrouver au second tour face à Jacques Chirac.
Une division fatale à la gauche plurielle qui avait pourtant toutes les chances de l’emporter tant le bilan du Premier ministre socialiste de cohabitation était bon. 20 ans après, la multiplication des candidatures à gauche va donc précipiter une nouvelle fois le camp progressiste dans une déprime carabinée.



Tout le monde le dit, mais les candidats continuent à se multiplier. Pas comme des petits pains, plutôt comme de la mauvaise herbe qui envahit tout le champ empêchant la récolte. Ce ne sont plus des territoires en jachère mais des champs de mine condamnés pour des décennies.
Il y a cependant une grosse différence avec 2002, la gauche n’a plus aucune chance de l’emporter en 2022. La candidature de Christiane Taubira n’aura aucune influence sur le scrutin. Juste des poussières, comme en 2002, mais qui ne manqueront à personne de son camp cette fois.
Alors au point où en est la gauche, je ne vois plus qu’une solution, qui est d’ailleurs revendiquée par quelques purs et durs : Lionel Jospin doit lui aussi se déclarer candidat : quitte à rejouer 2002, autant conserver le même casting.

Chronique parue en dernière page de l’Indépendant le lundi 17 janvier 2022

 

dimanche 16 janvier 2022

Roman - Des générations de malédiction


Les conséquences d’un crime peuvent-elles se propager au-delà des générations ? Cette question est le fil rouge du premier roman de Séverine Vidal. Dans Le goût du temps dans la bouche, tout débute véritablement en 1913. Un jeune homme disparaît. Jamais il ne sera retrouvé. Des décennies plus tard, au cœur des années 50, quand ce fait divers est raconté à la radio, Prudence, mère de famille est comme tétanisée. Elle gardera la chambre une semaine, muette. 

Ses trois enfants, André, l’aîné, Suzanne et Simone ne comprennent pas mais se doutent que cela a un rapport avec la mort récente du père. Une tension familiale qui passe au-dessus de Luc, le fils d’André. Lui aime ces vacances en Charente-Maritime dans cette grande maison en bord de mer où son père s’amuse avec lui, où sa tante Suzanne le pourrit de câlins. 

Le roman de Séverine Vidal saute allègrement d’une époque à l’autre. On retrouve Suzanne et Luc dans les années 2000. Luc qui à son tour a fondé une famille. Son fils, Nico, est le pivot de ce roman. Le dernier d’une lignée qui semble marquée par une malédiction inexplicable. Ce Français a tout quitté pour se perdre à Brunnby en Suède. Il vit presque seul dans une vieille bicoque, donnant des cours de français et jouant épisodiquement dans un groupe rock. 

Les amours de Nico

Il aime le climat froid et hostile de ce pays nordique : « Il se remet à neiger. Nico lève la tête pour sentir les flocons frôler ses joues. La douceur, cette nuit, c’est le vent et rien d’autre. »  Le portrait de Nico apporte tout son sel à ce roman. On devine qu’il a subi un violent traumatisme le poussant à fuir sa famille. Il redoute l’arrivée de Noël tout en découvrant les lettres envoyées régulièrement par Suzanne, sa grand-tante, presque centenaire, cherchant la solution de l’énigme. Car en racontant les errances de Nico, les amours de Suzanne et les remords de Prudence, Séverine Vidal tisse en réalité la toile d’araignée dans laquelle s’est prise cette famille. 

Un texte parfois lyrique, très touchant, qui raconte parfaitement comment les secrets de famille peuvent bouffer des vies. Prudence meurt aigrie, incapable de raconter à Luc, son petit-fils, cet événement qu’elle traîne comme un boulet depuis sa jeunesse. Suzanne aussi cultive le secret. Contrainte par l’époque. Elle vivra plus de 60 ans en « colocation » avec une autre femme. Une simple colocation pour cacher un amour fou qui a traversé le siècle. 

Nico est moins heureux que Suzanne en amour. Il vient de quitter Vilma, une Suédoise impulsive. Et rencontre une autre fille nordique au tempérament de feu mais au prénom français, Maud, comme un signe. Quand arrive le dénouement de l’enquête, la révélation finale, difficile de ne pas être touché au cœur. Car dans toutes les familles, il existe des histoires semblables, occultées, pernicieuses et rarement sans conséquence sur les générations suivantes.    

« Le goût du temps dans la bouche » de Séverine Vidal, Robert Laffont, 19 €


BD - Monstre d’acier


Les amateurs de technologie et d’histoire militaire adorent cette série imaginée par Pécau. Dans Machines de guerre, il raconte comment des ingénieurs mettent au point des chars de légende. Nouvelle livraison (dessinée par Mavric), avec l’histoire courte mais très meurtrière du Loup Gris, le plus gros tank jamais construit. 


Il existait deux prototypes mis au point pas les Nazis. 188 tonnes de fer et d’acier et une puissance d feu redoutable. Il faudra le courage d’une combattante soviétique (d’après la BD), pour arrêter ce monstre de métal. 

« Machines de guerre : le Loup gris », Delcourt, 15,50 €

BD - Chercheur d’anomalies


Creusant le monde de l’insolite, Richard D. Nolane convoque un expert dans sa nouvelle série intitulée Arkham Mysteries. 

Un chercheur en religion à l’université d’Arkham va croiser à la rédaction du journal local un certain H. P. Lovecraft, grand connaisseur des mondes monstrueux et très utile dans cette enquête qui débute en Mongolie et se poursuit aux USA, en pleine prohibition.

 A noter le dessin de Manuel Garcia, parfaitement adapté à l’ambiance de ce cauchemar de 56 pages.   

« Arkham Mysteries » (tome 1), Soleil, 14,95 €

samedi 15 janvier 2022

BD - Le réveil du dragon



Elina est la sentinelle du Petit peuple. Cette petite fille a le pouvoir de voir les fées et autres lutins et de les protéger. Mais pour cela il lui faut une pommade magique. Elle décide d’en fabriquer un peu plus quand elle constate qu’elle n’a plus de larme de dragon. 


Va-t-elle perdre son pouvoir ? 

Ce second album d’une série écrite par Carbone et Véronique Barrau conduit la jeune héroïne dans la forêt de Brocéliande. Elle va devoir réveiller un dragon endormi et pétrifié et affronter un redoutable mage. Une BD pour les plus jeunes avec de superbes dessins très colorés de Charline Forns. 

« La sentinelle du petit peuple » (tome 2), Dupuis, 12,50 €

Roman - Pêche aux souvenirs dans « Ce n’est pas un fleuve » de Selva Almada


L’Argentine regorge de talents littéraires et de paysages uniques. Dans « Ce n’est pas un fleuve » de Selva Almada, l’action se déroule en grande partie sur une île posée au milieu de ce fleuve qui passe près de Santa Fe. Trois amis y campent pour le week-end. La journée ils pêchent la raie. Le soir ils grillent des saucisses et vont au bal. Une vie simple, routinière, mais qui va apporter son lot de surprise. 

Ils vont croiser des villageois aigris, des jeunes filles fantomatiques et toute sorte d’animaux : « Les sons changent en intensité à mesure qu’ils s’enfoncent dans la forêt. Des bestioles, des oiseaux peut-être, crient en même temps, à la fois effrayées et menaçantes. Des battements d’ailes, des herbes qui s’ouvrent au passage de quelque chose et se referment sur la créature qui vient de passer. » 

La peur est omniprésente. Peur de l’inconnu et surtout de la mort personnifiée par ce Noyé qui hante les pêcheurs. 

« Ce n’est pas un fleuve » de Selva Almada, Métailié, 16 €

BD - Waldor et les crapauds


Le dessin rond et expressif de David De Thuin est idéal pour faire rêver les plus jeunes. Dans le monde médiéval de Waldor, le petit héros, les personnages sont des animaux. Le héros est un renard, son comparse comique un canard et dans ce second album de la série, ils vont devoir affronter une armée de crapauds. 


Des mercenaires embauchés par le méchant qui désire prendre la place du roi. Waldor, toujours aussi ingénieux, va tout mettre en œuvre pour sauver la tête couronnée. Une série aussi enchanteresse que simple.  

« Waldor » (tome 2), Glénat, 10,95 €

vendredi 14 janvier 2022

Cinéma - “Ouistreham”, le travail des femmes invisibles

Plongée dans le monde des femmes de ménage, des travailleuses invisibles vedettes de ce film bouleversant.

Au gré des courts CDD où elles sont camarades de galère, Christèle (Hélène Lambert), Marilou (Léa Carne) et Marianne (Juliette Binoche) sympathisent puis se retrouvent dans l’enfer du ferry. Christine Tamalet

Mettre sa plume au service des plus démunis, des derniers de cordée, de ces invisibles qui travaillent dans l’ombre et les horaires décalés ? Florence Aubenas, grand reporter, a osé le long récit sous couverture pour leur donner la parole sans filtres. Durant plusieurs mois elle a endossé la blouse de simple femme de ménage en Normandie. Cela a donné un livre très fort (Le quai de Ouistreham chez Points en poche) adapté par Emmanuel Carrère avec Juliette Binoche dans le rôle de la journaliste infiltrée, renommée pour l’occasion Marianne Winckler. 

Le film débute par les doutes de la narratrice. Car elle est bien consciente que pour arriver à ressentir et faire parler les femmes qui subsistent avec quelques heures de ménage glanées difficilement, il va lui falloir mentir en permanence. Cacher sa vie d’avant, son train de vie, ses origines bourgeoises. Alors elle s’invente une vie de femme divorcée et écume les salles d’attente de Pole Emploi et les stages de formation, nécessaires pour conserver ses droits. Elle va croiser des compagnes de galère, se lier avec elles, enfiler les gants en pour nettoyer la merde des sanitaires publics. C’est ce recul compliqué sur une action à la base très fausse qui donne toute sa puissance au film. Car si le public sait que Marianne n’est pas ce qu’elle montre, toutes les autres personnes sont dupes. Et la magie de la vie sociale, cette entraide qui n’existe que chez les plus démunis, se met superbement en place. 

Fausse amitié ?


Avec Christèle (Hélène Lambert), elle va découvrir la dure réalité de ces mères de famille célibataires obligées de se battre pour que les gosses n’aient pas faim. Christèle qui va se livrer à Marianne ; une aubaine pour l’écrivaine qui y trouve le cœur de son livre. Véritable œuvre de cinéma, avec une Juliette Binoche étonnamment fragile dans un rôle pourtant fort, Ouistreham a une sincérité absolue qui doit beaucoup aux autres comédiens. Car Emmanuel Carrère a pris le risque, en dehors du premier rôle, de ne faire appel qu’à des amateurs. On est sidéré par les performances d’Hélène Lambert (sa première scène face à des fonctionnaires déshumanisés est époustouflante) et de Léa Carne, interprète de la jeune Marilou, pleine de rêve, pas encore résignée. Des invisibles pour interpréter d’autres invisibles qui méritent simplement qu’on leur dise bonjour.

Film d’Emmanuel Carrère avec Juliette Binoche, Hélène Lambert, Léa Carne



Cinéma - Le chevalier errant de « The Green Knight » sur Prime Vidéo


Streaming. Les meilleurs réalisateurs indépendants américains sont comme tout le monde : difficile de résister aux ressources financières des plateformes de streaming. David Lowery, réalisateur de l’inoubliable et véritable chef-d’œuvre « A ghost Story », signe un film plus cher sur une histoire dérivée des chevaliers de la Table Ronde. Et malgré la beauté de la réalisation, la profondeur de l’intrigue et la qualité des interprètes, « The Green Knight » sort directement en streaming sur Amazon. 

Dev Patin endosse le rôle de Gauvain, neveu du roi Arthur. Dilettante, fêtard, insouciant : il profite de la vie sans contrainte. Mais quand le chevalier vert, sorte de géant mi guerrier mi arbre vient défier un membre de la cour d’Arthur, Gauvain se porte volontaire. Une décision hâtive qu’il va regretter car au bout, c’est sa mort qui se profile. Un film ambitieux où l’on retrouve la très belle et impeccable Alicia Vikander.

BD - Un géant du rire dessiné

 


S’épanouissant depuis 1986 dans le gag absurde, Etienne Lécroart est un génie méconnu. Présent dans de nombreuses revues comme Spirou, Fluide Glacial ou Ça m’intéresse, il est un des plus illustre membre de l’OuBaPo (Ouvroir de Bande dessinée Potentielle).

 

Tel un Georges Pérec graphique, il aime les défis et la rigolade. Pour partager son grand savoir, il vient de publier chez Fluide Glacial ce Petit manuel d’humour en toute circonstance. Divisé en chapitres qui sont comme autant de contraintes, il aborde avec délicatesse les tabous (des perversions au sexe en passant par la scatologie), le rythme ou l’art du décalage. Ce sont essentiellement des dessins d’humour avec une légende remettant en cause ce que l’on voit. Mais il y a également de véritables BD, avec des phylactères et des décors.

Bref l’amateur d’ambiance désopilante en aura pour son argent.

« Petit manuel d’humour en toute circonstance », Fluide Glacial, 9,90 €