Quelques chroniques de livres et BD qui méritent d'être lus et les critiques cinéma des dernières nouveautés. Par Michel et Fabienne Litout
mercredi 22 février 2017
De choses et d'autres : Toujours plus vite
De toutes les activités inutiles et chronophages, l’addiction aux séries télé caracole en tête de peloton. Regarder une saison complète, y compris les nouveaux formats qui comptent 12 à 13 épisodes, prend énormément de temps. Même en DVD expurgé des publicités. La mode depuis quelques années : se lancer dans des marathons. Plusieurs heures devant le poste à enchaîner 6 ou 7 épisodes voire toute la saison d’un coup d’un seul. Le lendemain à la machine à café on peut parler des derniers rebondissements de Game of Thrones. Mais on n’est pas très efficace côté boulot... Heureusement l’informatique vient au secours des boulimiques du genre. Un petit gadget sur certains lecteurs vidéo permet d’augmenter la vitesse. Les voix sont à peine déformées et on peut gagner 20 à 30 % de temps. Cette mode a été nommée outre-atlantique le « speed watching » en référence au « binge drinking », action d’ingurgiter un maximum d’alcool en un minimum de temps. Aux esprits chagrins prompts à dénoncer la déformation de l’œuvre originale, je répondrai que parfois on a envie de passer à la version accélérée tant l’action proposée est lente. Un Maigret de 90 minutes peut se résumer en un quart d’heure. Les épisodes de Joséphine ange gardien mériteraient d’être raccourcis (clin d’œil de très mauvais goût, j’admets) d’autant. Quant à la mythique série « Voisin voisine », les 385 épisodes de 58 minutes tiennent sans difficulté en une petite demi-heure.
Voisin Voisine par tibobon
mardi 21 février 2017
BD : Et si nous avions deux vies ?
Baudouin s’est longtemps rêvé guitariste et chanteur d’un groupe de rock. Mais les impératifs de la vie l’ont poussé à entreprendre des études de droit. Résultat, à trente ans, il est juriste dans une grosse société à la Défense, le crédit de son appartement sur le dos, célibataire et presque sans amis. Une situation qui désole son frère aîné, médecin pour une ONG humanitaire en Afrique. Lors d’un de ses retours à Paris, il tente de persuader Baudouin de mieux profiter de la vie. En vain. C’est une petite boule sous le bras qui va le pousser à tout remettre en question. Une tumeur. Et d’après un ami cancérologue du grand frère, il ne sert à rien de tenter de la soigner. C’est trop tard. Mieux vaut essayer de profiter des derniers mois qu’il lui reste à vivre. Baudouin part au Bénin avec son frère et va commencer sa seconde vie. Car comme l’a dit Confucius « On a deux vies, et la deuxième commence quand on se rend compte qu’on n’en a qu’une ». Une très belle histoire de Fabien Toulmé maîtrisant à merveille narration et coup de théâtre final de ce roman graphique de plus de 270 pages.
➤ « Les deux vies de Baudouin », Delcourt, 27,95 €
De choses et d'autres : Le nouveau cannibalisme
Arte consacre sa soirée au sang et à ses dérivés. En France, le don est basé sur le bénévolat. Dans d’autres pays, donner son sang induit une rémunération (USA) ou un dédommagement (Allemagne). De ces poches de sang est extrait le plasma, essentiel à la fabrication de nombreux médicaments.
Le documentaire d’Arte s’est intéressé aux pratiques d’Octopharma, une société helvétique. Présente en France, elle vend aux hôpitaux ses produits dérivés. Le problème vient de la provenance de la matière première. Aux USA des centaines de centres de collecte tournent 12 heures par jour. Les plus démunis vendent leur sang deux fois par semaine pour quelques dizaines de dollars. Un des intervenants explique se sentir comme « une vache qui fournit du lait ». Ce plasma américain est ensuite congelé, expédié en Suisse et sert de base aux médicaments d’Octopharma. Les associations de donneurs français crient à l’« abomination ». Certains responsables parlent de « nouveau cannibalisme ». La France est autosuffisante en sang. Il faut sans cesse renouveler les appels aux dons mais le système a prouvé son efficacité. L’ouverture à la concurrence des médicaments issus du plasma risque de bousculer cet équilibre.
Alors pour pérenniser ce formidable acte de générosité que représente le don du sang, rendez-vous aux multiples collectes organisées dans la région, comme à Pollestres les 22 et 23 février ou à Trèbes le 22 février.
lundi 20 février 2017
Roman : Retour gagnant pour Malaussène et Daniel Pennac
Daniel Pennac exhume son personnage fétiche de la naphtaline. Il est toujours aussi séduisant.
Coucou le revoilou... Malaussène, le héros parisien imaginé par Daniel Pennac, après des millions d’exemplaires vendus de ses précédentes mésaventures, revient sur le devant de la scène littéraire. Il a toujours la même verve, avec un poil de sagesse en plus. « Ils m’ont menti » est le premier tome de la nouvelle trilogie de Pennac au titre évocateur de « Le cas Malaussène ». Oui c’est un cas ce Benjamin Malaussène à la famille recomposée et compliquée immense et labyrinthique racontée dans les six premiers tomes de son existence hors du commun (tous les titres sont disponibles en Folio sous de très belles couvertures signées Tardi).
Près de 20 ans après, certains personnages ont grandi. Notamment les enfants, devenus adultes, travaillant aux quatre coins du monde. Malaussène lui est toujours employé dans la maison d’édition de la Reine zabo, grande prêtresse de la littérature de la « vérité vraie », autrement dit de l’autofiction. Les auteurs racontent leur vie, sans tabou ni garde-fous. Malaussène se charge de les protéger car les révélations ne font pas toujours plaisir.
C’est le cas d’Alceste qui a remporté un incroyable succès avec « Ils m’ont menti », l’histoire de sa famille. Il met la touche finale à la seconde partie, « Leur très grande faute », dans un chalet isolé sur le Vercors. Une région idéale pour les jeunes selon Pennac : « L’immensité convient à l’enfance que l’éternité habite encore. Passer des vacances à plus de 1 000 mètres d’altitude et à 80 kilomètres de toute ville c’est alimenter le songe, ouvrir la porte aux contes, parler avec le vent, écouter la nuit, prendre langue avec les bêtes, nommer les nuages, les étoiles, les fleurs, les herbes, les insectes et les arbres. C’est donner à l’ennui sa raison d’être et de durer. » De la poésie pure, à picorer entre les pages plus classiques sur l’intrigue.
■ Critique sociale et littérature
Car une nouvelle fois de l’exceptionnel arrive dans l’entourage de Malaussène. L’affairiste George Lapieta est enlevé. Le montant de la rançon réclamée est la somme exacte du parachute doré qu’il vient de toucher, un peu plus de 2,8 millions. Critique sociale fait bon ménage avec réflexion sur la littérature quand Pennac explique toute la difficulté de débuter un roman : « Par quel bout attraper le réel ? (…) Décider de raconter une histoire, c’est se soumettre à un début. Dire le réel c’est envisager tous les commencements possible. » Mais pour « Le cas Malaussène », la problématique est différente car il s’agit d’un recommencement. Pour le plus grand plaisir des fans du personnage.
➤ « Le cas Malaussène » (Ils m’ont menti, tome 1), Daniel Pennac, Gallimard, 21 €
Coucou le revoilou... Malaussène, le héros parisien imaginé par Daniel Pennac, après des millions d’exemplaires vendus de ses précédentes mésaventures, revient sur le devant de la scène littéraire. Il a toujours la même verve, avec un poil de sagesse en plus. « Ils m’ont menti » est le premier tome de la nouvelle trilogie de Pennac au titre évocateur de « Le cas Malaussène ». Oui c’est un cas ce Benjamin Malaussène à la famille recomposée et compliquée immense et labyrinthique racontée dans les six premiers tomes de son existence hors du commun (tous les titres sont disponibles en Folio sous de très belles couvertures signées Tardi).
Près de 20 ans après, certains personnages ont grandi. Notamment les enfants, devenus adultes, travaillant aux quatre coins du monde. Malaussène lui est toujours employé dans la maison d’édition de la Reine zabo, grande prêtresse de la littérature de la « vérité vraie », autrement dit de l’autofiction. Les auteurs racontent leur vie, sans tabou ni garde-fous. Malaussène se charge de les protéger car les révélations ne font pas toujours plaisir.
C’est le cas d’Alceste qui a remporté un incroyable succès avec « Ils m’ont menti », l’histoire de sa famille. Il met la touche finale à la seconde partie, « Leur très grande faute », dans un chalet isolé sur le Vercors. Une région idéale pour les jeunes selon Pennac : « L’immensité convient à l’enfance que l’éternité habite encore. Passer des vacances à plus de 1 000 mètres d’altitude et à 80 kilomètres de toute ville c’est alimenter le songe, ouvrir la porte aux contes, parler avec le vent, écouter la nuit, prendre langue avec les bêtes, nommer les nuages, les étoiles, les fleurs, les herbes, les insectes et les arbres. C’est donner à l’ennui sa raison d’être et de durer. » De la poésie pure, à picorer entre les pages plus classiques sur l’intrigue.
■ Critique sociale et littérature
Car une nouvelle fois de l’exceptionnel arrive dans l’entourage de Malaussène. L’affairiste George Lapieta est enlevé. Le montant de la rançon réclamée est la somme exacte du parachute doré qu’il vient de toucher, un peu plus de 2,8 millions. Critique sociale fait bon ménage avec réflexion sur la littérature quand Pennac explique toute la difficulté de débuter un roman : « Par quel bout attraper le réel ? (…) Décider de raconter une histoire, c’est se soumettre à un début. Dire le réel c’est envisager tous les commencements possible. » Mais pour « Le cas Malaussène », la problématique est différente car il s’agit d’un recommencement. Pour le plus grand plaisir des fans du personnage.
➤ « Le cas Malaussène » (Ils m’ont menti, tome 1), Daniel Pennac, Gallimard, 21 €
De choses et d'autres : À deux pages du crash
La semaine dernière, lundi exactement, j’ai passé la journée à Paris pour divers rendez-vous. Un aller-retour en avion, départ à 7 heures et retour à 21 h 50. J’enchaîne les rencontres et rejoins Orly en fin d’après-midi.
C’est dans la salle d’embarquement que je découvre l’urgent de notre site internet : « Météo : Aude et P.-O. en vigilance orange ». Confirmation une fois installé dans le Bombardier de Hop !, le pilote annonce un temps calme au début, puis quelques turbulences sur la descente vers Perpignan. J’en profite pour terminer un roman. Le narrateur avoue qu’il a la phobie de l’avion. Obligé de se rendre en Chine pour rejoindre sa dulcinée, il explique : « Je sais pertinemment que si un seul avion doit s’écraser cette année, ce sera le mien : j’en ai toujours été persuadé ». Pile à ce moment, le mien commence à ressembler à un manège de Port Aventura. Vais-je passer de la fiction à la réalité ?
Perpignan est là. Je vois les lumières de la ville. Cela secoue de plus en plus. Pourtant on va bien se poser puisque le commandant dit « PNC, préparez-vous à l’atterrissage ». J’avoue ma panique en constatant que la piste s’approche, mais qu’on n’est pas du tout dans l’axe puisque je la vois parfaitement sur ma gauche par le hublot. D’un coup, l’avion reprend de la hauteur. Trop de vent. On se posera à Montpellier pour terminer le voyage en bus.
Finalement, « Quelqu’un à qui parler » de Cyril Massarotto ne sera pas le dernier roman que j’aurai lu dans ma vie.
(Chronique parue en dernière page de l'Indépendant le 20 février)
dimanche 19 février 2017
Livres de poche : du gros, très gros best-seller
Le soir de son mariage, Lila, seize ans, comprend que son mari Stefano l’a trahie en s’associant aux frères Solara, les camorristes qu’elle déteste. De son côté, Elena, la narratrice, poursuit ses études au lycée. Quand l’été arrive, les deux amies partent pour le bord de mer. « Le nouveau nom » est le second tome de la saga d’Elena Ferrante dont la troisième partie vient de paraître chez Gallimard.
➤ « Le nouveau nom », Folio, 8,80 €
Hope, Josh et Luke, étudiants en neurosciences, forment un trio inséparable. Lorsque Hope tombe malade, ils décident de jouer aux apprentis sorciers, aux alchimistes de la vie et de se lancer dans une course effrénée pour défier la mort. Émouvant, mystérieux, plein d’humour et d’amour, « L’horizon à l’envers » de Marc Levy est un roman innovant qui explore la mémoire des sentiments.
➤ « L’horizon à l’envers », Pocket, 7,80 €
Autofiction réussie, « D’après une histoire vraie » est directement inspirée de la vie de Delphine Le Vigan. La romancière, après un important succès, passe par une période de doute. Elle rencontre L. Et c’est cette descente aux enfers qu’elle raconte à la première personne. Un texte qui va être adapté au cinéma par Roman Polanski avec Emmanuelle Seigner en vedette.
➤ « D’après une histoire vraie », Le Livre de Poche, 7,90 €
Pour Lucas Belvaux, le FN « veut prendre le pouvoir, pas arranger les choses »
Dans une rencontre avec la presse quotidienne régionale, le réalisateur Lucas Belvaux revient sur le message qu’il veut faire passer dans son film « Chez nous » sur les candidats et les électeurs du Front national
L’Indépendant : D’où vous est venue l’envie de réaliser un film politique sur l’extrême droite en France ?
Lucas Belvaux : L’idée du film m’est venue durant le tournage de « Pas son genre », à Arras pendant la campagne des dernières élections municipales. J’aimais beaucoup le personnage principal, une coiffeuse sympathique, volontaire, une fille du peuple pour qui j’avais beaucoup de sympathie. Pendant le tournage, les sondages donnaient entre 30 et 40 % pour le FN. Nous avions parfois 200 figurants sur le plateau. Et statistiquement, cela en faisait entre 60 et 80 qui votaient FN. Je me suis demandé « mais elle, le personnage de Jennifer, comment va-t-elle voter ? » Et surtout, à la fin du film, après qu’elle se soit fait maltraiter par son amoureux philosophe, qui représente la cible des partis populistes, pour qui votera-t-elle après son dépit amoureux ? J’avais cette idée, cette envie de parler du parti et des électeurs mais je ne trouvais pas la forme. Puis j’ai découvert le roman « Le Bloc » de Jérôme Leroy et je me suis appuyé sur cette trame.
« Dans le Nord, voter pour un parti pétainiste n’a aucun sens »
Comment expliquer qu’une jeune femme soit séduite par ce parti ?
Elle travaille dans un secteur où elle est confrontée de 6 h du matin à 22 h le soir à la souffrance. Physique d’abord, et sociale aussi. Au bout d’un moment, elle ne peut répondre à tout, c’est un personnage généreux. Quand elle a la possibilité de s’engager plus, elle le fait car elle est dans une espèce de trou idéologique. Dans cette région, il y a encore ce souvenir de la lutte sociale et en même temps, il y a une rupture dans la transmission sur laquelle prospère le FN. On a une génération, des trentenaires nés au début des années 80, qui ont l’impression que les luttes n’ont abouti à rien. Droite ou gauche, tout ça c’est pareil, les socialistes sont corrompus, et ils n’ont pas tout à fait tort, encore que dans certaines communes où les élus travaillent bien, le FN n’a pas du tout prospéré. Je voulais raconter ce vote contre nature dans une région où il y a eu une résistance très dure dans les mines et maintenant ils votent pour un parti pétainiste et ça n’a aucun sens. On note un rejet de l’élite. Parce qu’on « souffre », on ne veut recevoir de leçon de personne.
Pourquoi sortir le film à moins de deux mois du premier tour ?
On voulait qu’il sorte maintenant, on s’est dépêché pour qu’il soit finalisé pour la campagne électorale. C’est une façon de participer au débat. Ça fait quelques années que le cinéma n’ose plus dire les choses frontalement. Il y a un moment, il faut dire les choses clairement : les gens oublient ce qu’est ce parti fondamentalement. C’est un parti cryptofasciste, raciste, antisémite. Et ce n’est pas la peine d’aller très loin pour s’en rendre compte. Mais les gens sont dans le déni. Pourtant, quand on gratte à peine, on voit réapparaître les vrais fascistes, des nazis. Car aujourd’hui, en 2017 en France, il y a des nazis, des gens qui s’en revendiquent. Notamment l’association des amis de Léon Degrelle, homme politique belge qui a porté l’uniforme SS. Elle publie des revues qui sont des apologies des crimes de guerre ou des nécrologies de combattants SS et dont ses membres sont élus dans les conseils régionaux. Pas ouvertement, ils ne se font pas élire sur ce programme. N’empê- che qu’aujourd’hui il y a des gens qui ont élu des nazis. La grande réussite de Le Pen père a été d’agréger une extrême droite qui était contradictoire. Il y a les fascistes, les Maurassiens, les néo-païens. Aujourd’hui il y a encore des tensions entre eux, mais ce qui les intéresse c’est de prendre le pouvoir, pas d’arranger les choses.
Votre vision de l’actuelle campagne électorale ?
Ça me déprime assez sur le fait que les idées du FN prospè- rent. Quand un syndicaliste policier trouve que « bamboula » c’est acceptable, quand on en arrive là, c’est effrayant. La campagne commence à me faire un peu peur.
(Interview parue dans l'Indépendant le 19 février dernier)
__________________
« On est chez nous »
Avant même sa sortie, le film de Lucas Belvaux a été violemment critiqué par les cadres du Front national. « Un joli navet clairement anti-Front national », selon Florian Philippot. Même élément de langage chez Steve Briois attaquant un « un sacré navet en perspective » et se portant à la rescousse de sa présidente : « Pauvre Marine Le Pen qui est caricaturée par ce pot à tabac de Catherine Jacob ». On appréciera au passage la méchanceté de cette appréciation contre une grande dame du cinéma français qui interprète son personnage sans la moindre outrance, trouvant l’attitude juste d’une femme de fer, poursuivant simplement son unique but par tous les moyens : accéder au pouvoir. Le problème réside bien les méthodes utilisées par le « Bloc », le parti du film, pour arriver à ses fins. La fameuse stratégie de dédiabolisation du FN, mise en place par Marine Le Pen pour faire oublier les provocations du père, n’est qu’un maquillage. Dans les faits, les mêmes décideurs sont toujours dans les instances dirigeantes. Ils n’ont pas perdu par une hypothétique prise de conscience leur profond racisme, antisémitisme et nostalgie d’une France nationaliste et recroquevillée sur ses « valeurs » du passé. « Chez nous » raconte comment la machine infernale va utiliser des hommes et des femmes assez naïfs (comme l’infirmière interprétée par Emilie Dequenne) pour représenter une image propre du mouvement d’extrême droite.
L’Indépendant : D’où vous est venue l’envie de réaliser un film politique sur l’extrême droite en France ?
Lucas Belvaux : L’idée du film m’est venue durant le tournage de « Pas son genre », à Arras pendant la campagne des dernières élections municipales. J’aimais beaucoup le personnage principal, une coiffeuse sympathique, volontaire, une fille du peuple pour qui j’avais beaucoup de sympathie. Pendant le tournage, les sondages donnaient entre 30 et 40 % pour le FN. Nous avions parfois 200 figurants sur le plateau. Et statistiquement, cela en faisait entre 60 et 80 qui votaient FN. Je me suis demandé « mais elle, le personnage de Jennifer, comment va-t-elle voter ? » Et surtout, à la fin du film, après qu’elle se soit fait maltraiter par son amoureux philosophe, qui représente la cible des partis populistes, pour qui votera-t-elle après son dépit amoureux ? J’avais cette idée, cette envie de parler du parti et des électeurs mais je ne trouvais pas la forme. Puis j’ai découvert le roman « Le Bloc » de Jérôme Leroy et je me suis appuyé sur cette trame.
« Dans le Nord, voter pour un parti pétainiste n’a aucun sens »
Comment expliquer qu’une jeune femme soit séduite par ce parti ?
Elle travaille dans un secteur où elle est confrontée de 6 h du matin à 22 h le soir à la souffrance. Physique d’abord, et sociale aussi. Au bout d’un moment, elle ne peut répondre à tout, c’est un personnage généreux. Quand elle a la possibilité de s’engager plus, elle le fait car elle est dans une espèce de trou idéologique. Dans cette région, il y a encore ce souvenir de la lutte sociale et en même temps, il y a une rupture dans la transmission sur laquelle prospère le FN. On a une génération, des trentenaires nés au début des années 80, qui ont l’impression que les luttes n’ont abouti à rien. Droite ou gauche, tout ça c’est pareil, les socialistes sont corrompus, et ils n’ont pas tout à fait tort, encore que dans certaines communes où les élus travaillent bien, le FN n’a pas du tout prospéré. Je voulais raconter ce vote contre nature dans une région où il y a eu une résistance très dure dans les mines et maintenant ils votent pour un parti pétainiste et ça n’a aucun sens. On note un rejet de l’élite. Parce qu’on « souffre », on ne veut recevoir de leçon de personne.
Pourquoi sortir le film à moins de deux mois du premier tour ?
On voulait qu’il sorte maintenant, on s’est dépêché pour qu’il soit finalisé pour la campagne électorale. C’est une façon de participer au débat. Ça fait quelques années que le cinéma n’ose plus dire les choses frontalement. Il y a un moment, il faut dire les choses clairement : les gens oublient ce qu’est ce parti fondamentalement. C’est un parti cryptofasciste, raciste, antisémite. Et ce n’est pas la peine d’aller très loin pour s’en rendre compte. Mais les gens sont dans le déni. Pourtant, quand on gratte à peine, on voit réapparaître les vrais fascistes, des nazis. Car aujourd’hui, en 2017 en France, il y a des nazis, des gens qui s’en revendiquent. Notamment l’association des amis de Léon Degrelle, homme politique belge qui a porté l’uniforme SS. Elle publie des revues qui sont des apologies des crimes de guerre ou des nécrologies de combattants SS et dont ses membres sont élus dans les conseils régionaux. Pas ouvertement, ils ne se font pas élire sur ce programme. N’empê- che qu’aujourd’hui il y a des gens qui ont élu des nazis. La grande réussite de Le Pen père a été d’agréger une extrême droite qui était contradictoire. Il y a les fascistes, les Maurassiens, les néo-païens. Aujourd’hui il y a encore des tensions entre eux, mais ce qui les intéresse c’est de prendre le pouvoir, pas d’arranger les choses.
Votre vision de l’actuelle campagne électorale ?
Ça me déprime assez sur le fait que les idées du FN prospè- rent. Quand un syndicaliste policier trouve que « bamboula » c’est acceptable, quand on en arrive là, c’est effrayant. La campagne commence à me faire un peu peur.
(Interview parue dans l'Indépendant le 19 février dernier)
__________________
« On est chez nous »
Avant même sa sortie, le film de Lucas Belvaux a été violemment critiqué par les cadres du Front national. « Un joli navet clairement anti-Front national », selon Florian Philippot. Même élément de langage chez Steve Briois attaquant un « un sacré navet en perspective » et se portant à la rescousse de sa présidente : « Pauvre Marine Le Pen qui est caricaturée par ce pot à tabac de Catherine Jacob ». On appréciera au passage la méchanceté de cette appréciation contre une grande dame du cinéma français qui interprète son personnage sans la moindre outrance, trouvant l’attitude juste d’une femme de fer, poursuivant simplement son unique but par tous les moyens : accéder au pouvoir. Le problème réside bien les méthodes utilisées par le « Bloc », le parti du film, pour arriver à ses fins. La fameuse stratégie de dédiabolisation du FN, mise en place par Marine Le Pen pour faire oublier les provocations du père, n’est qu’un maquillage. Dans les faits, les mêmes décideurs sont toujours dans les instances dirigeantes. Ils n’ont pas perdu par une hypothétique prise de conscience leur profond racisme, antisémitisme et nostalgie d’une France nationaliste et recroquevillée sur ses « valeurs » du passé. « Chez nous » raconte comment la machine infernale va utiliser des hommes et des femmes assez naïfs (comme l’infirmière interprétée par Emilie Dequenne) pour représenter une image propre du mouvement d’extrême droite.
samedi 18 février 2017
BD : Dirty Karl, exhumé d’entre les morts
De tous les jeunes auteurs découverts ces dernières décennies par Fluide Glacial, Relom est sans doute le plus trash. Les gamins Andy et Gina et leur famille totalement déjantée (un papa rock’n roll, une maman se réduisant à une tête parlante) ne sont que la seconde série destroy de l’auteur Avant, dans les pages du Psikopat, Relom a signé quelques histoires courtes de Dirty Karl. C’était à la fin des années 90. Ce Karl adore les macchabées. Et quand ils sont de sexe féminin, il va même beaucoup plus loin. Son chien, sorte de dogue mutant, aime dévorer les petites filles. De l’humour noir à ne pas mettre entre toutes les mains, mais qui plaira à ceux qui considèrent que la BD est le support idéal pour franchir tous les interdits et oser rire des pires horreurs.
➤ « Dirty Karl », Fluide Glacial, 10,95 €
vendredi 17 février 2017
BD : Mesdames les brigandes
Les femmes à la maison, pour s’occuper des enfants, du ménage, des repas et de la vaisselle. Une vision très réductrice qui a aussi cours chez les brigands mexicains du début du XXe siècle. Ces « Desperados Housewifes » imaginées par Sybille Titeux et mises en images par Amazing Ameziane ont pourtant d’autres qualités. Surtout ces trois sœurs sont beaucoup plus intelligentes que leurs nigauds de maris. Donc elles prennent les affaires en main, mais en se cachant. Masquées, elles braquent banques et étrangers de passage pour améliorer l’ordinaire. Beaucoup de gags, des personnages caricaturaux mais assez réussis, des situations entre dérision et action : sans prétention, ce manifeste féministe non politiquement correct est tout ce qu’il y a de plus réjouissant.
➤ « Desperados housewives », Jungle, 10,60 €
jeudi 16 février 2017
BD : Le tour de passe-passe du Messie
Grande nouvelle à Jérusalem : le corps de Jésus, crucifié trois jours auparavant, a disparu. Un événement transformant la ville pas encore sainte en ruche bourdonnante. Qui a fait le coup ? Pourquoi ? A qui profite le crime ? Il n’est pas encore question de résurrection, simplement de rapport de force entre colonisé, colonisateur et les religions avec pignon sur rue. En six volumes, au rythme d’un titre par mois, ce feuilleton humoristico-religieux est écrit pat Nicolas Juncker et dessiné par Chico Pacheco. Parmi les protagonistes les apôtres, Barabbas, Judas le Galiléen (meneur de l’indépendance des Palestiniens) et Ponce Pilate, consul romain sentant la situation lui échapper. Bourré de références contemporaines, cette BD joue avec les faits. On apprécie particulièrement les petites guerres entre apôtres opposant les zélateurs du messie à ceux, plus réalistes, qui sont déjà passés à autre chose (en gros imposer la nouvelle religion avec l’aide des Romains). Le second tome sort la semaine prochaine et même si on connaît le fin mot de l’Histoire, l’interprétation déjantée proposée par les auteurs fait que l’on attend avec impatience les épisodes suivants.
➤ « Un jour sans Jésus » (tomes 1 et 2), Vents d’Ouest, 11,50 €
Inscription à :
Commentaires (Atom)










