samedi 28 octobre 2006

Essai - Virginie Despentes a les boules

Virginie Despentes aime provoquer. Cet essai sur la condition des femmes intitulé "King Kong théorie "devrait une nouvelle fois faire bondir... les hommes.


Elle ne fait pas dans la dentelle et n'y met pas les formes. Quand Virginie Despentes se penche sur la condition des femmes, cela décoiffe. Connue pour ses romans et films qui ont fait scandale au moment de leur sortie (« Baise-moi » essentiellement), elle précise dans une introduction nerveuse quelle écrit ces lignes pour « les moches, les vieilles, les camionneuses, les frigides (...) toutes les exclues de la bonne meuf » et d'expliquer quelques pages plus loin que « quand on n'a pas ce qu'il faut pour se la péter, on est souvent plus créatifs. Je suis plutôt King Kong que Kate Moss, comme fille. Je suis ce genre de femme qu'on n'épouse pas, avec qui on ne fait pas d'enfants (...)».

Pour parler des femmes, Virginie Despentes se prend tout simplement en exemple. Il se trouve que sur les divers chapitres qu'elle aborde, elle en connaît un bon bout. Que cela soit le viol, la prostitution ou l'industrie du film porno, elle s'appuie sur des expériences personnelles. Un vécu qu'elle transforme en avis. Elle mélange allègrement réflexion assez poussée et argumentée avec la description de faits et gestes tirés de son histoire.

Quelques vérités sur le viol

Le viol par exemple, elle décrit le contexte, comment elle l'a senti venir, et n'a rien fait pour l'éviter. Comme tétanisée. Est-ce que cela lui donne une légitimité pour ensuite en tirer des généralités ? Certains en doutent, et pourtant comment ne pas donner plus de crédibilité à une Virginie Despentes et son parcours heurté mais imprégné du réel qu'à une féministe, universitaire, à 100 lieues de ce monde machiste peuplé de violeurs en puissance ? « On s'obstine à faire comme si le viol était extraordinaire et périphérique, écrit-elle, en dehors de la sexualité, évitable. Comme s'il ne concernait que peu de gens, agresseurs et victimes, comme s'il constituait une situation exceptionnelle, qui ne dise rien du reste. Alors qu'il est, au contraire, au centre, au cœur, socle de nos sexualités. Rituel sacrificiel central, il est omniprésent dans les arts, une constante à travers les siècles ». Première divergence évidente avec la parole officielle du politiquement correct.

De l'importance de la prostitution

Elle poursuit son entreprise de démystification en présentant la prostitution sous un jour nouveau. Elle estime que les tentatives d'interdire la prostitution ne sont que les conséquences d'hommes redoutant que des femmes ne deviennent autonomes et indépendantes sur le plan économique économique. Elle prend de la même façon la défense du cinéma X : « Le porno, volontiers dénoncé comme mettant les gens mal à l'aise par rapport au sexe, est en réalité un anxiolytique ». Une théorie un peu plus difficile à avaler tant les intérêts financiers en jeu sont importants dans ce qui reste une usine à fric. Au final elle explique cette fameuse théorie autour de King Kong en décortiquant le film de Peter Jackson. Virginie Despentes, presque la quarantaine, en quittant la fiction, prend des risques encore plus grands. Elle sait pourtant où elle va : « Heureusement, il y a Courtney Love. En particulier. Et le punk-rock en général. Une tendance à aimer le conflit. Je me refais une santé mentale, dans mon ombre de blonde. Le monstre en moi ne lâche pas l'affaire».

« King Kong théorie », Virginie Despentes, Grasset, 13,90 €

vendredi 27 octobre 2006

BD - Mortelle ruée en compagnie de "La fille du Yukon"


La grande ruée vers l'or sert de cadre à "La fille du Yukon", série écrite par Philippe Thirault et dessinée par Sinisa Radovic. Dans le grand nord américain, des hommes et des femmes ont tout laissé tomber pour tenter de faire fortune en trouvant un filon d'or. Mais sur place, ils ne découvrent que conditions de vie inhumaines et exploiteurs. Le froid, le relief, tout devient obstacle. 

Dans ce désert gelé, cela grouille. Et les morts se comptent par dizaines. On suit plus particulièrement le parcours de Christina et Justin, les deux amants en fuite. Ils ont recueilli une fillette, jeune orpheline, Alison. Mais ils sont surtout pourchassés par Doug et Sydney, deux hors-la-loi. Ils en veulent beaucoup à Justin, leur ancien complice. 

Après un hold-up, il a pris la fuite avec le butin, abandonnant son copain et la jeune femme, sa maîtresse, enceinte. Un passé qui va perturber le périple du couple dans son voyage, accompagné de l'Indien Hakina. Le seul dans toute cette histoire qui paraisse bon et civilisé. 

Le dessin très réaliste de Radovic est parfait pour ces scènes de cruautés et d'horreur. (Dupuis, 13,50 €)

jeudi 26 octobre 2006

BD - Nekan, enfin

Patrice Poissonnet porte ce projet de Nekan depuis ses années lycée. C'est à cette époque qu'il imagine ce monde futuriste aux multiples réalités. Il peaufine son scénario, reprenant sans cesse la trame. Ses études, de graphiques, virent au littéraire et en entrant dans l'école « Arc en ciel » d'Anthony il suit des cours de strory-boarder et surtout rencontre Francis Gardiol, un dessinateur très attiré par le manga. Ensemble ils décident de proposer une première ébauche de Nekan 2024 aux éditeurs. Le premier tome vient de paraître, un rêve de lycée, vieux de dix ans, prend corps. 

Sur la planète Nekan, un régime autoritaire règne en maître. Mais dans les sous-sols la résistance s'organise. Parmi ces réfractaires au tout répressif, Kimito se pose de multiples questions. D'où vient-il ? Pourquoi est-il attiré par des jeux virtuels, au risque d'endommager son cerveau ? C'est lors d'une attaque contre le cœur de l'appareil policier qu'il découvre qu'il peut manipuler le temps. 

Un récit un peu hermétique au début, mis en image très sobrement par un jeune dessinateur déjà plein d'assurance. (Vents d'Ouest, 12,50 €)

mercredi 25 octobre 2006

BD - Jeune BD coréenne


On parle beaucoup de la Corée ces derniers temps. Celle du Nord, qui tente de maîtriser l'arme nucléaire. Au Sud, dans une démocratie très capitalistique, la jeunesse se gorge de bande dessinée. Des centaines d'albums bons marchés, comme au Japon, peu ambitieux. Mais à côté de ce volet très commercial, quelques auteurs parviennent à proposer des récits adultes et ambitieux. Une jeune bande dessinée coréenne que Casterman a décidé de mettre en avant dans une nouvelle collection. Premier exemple avec « Le marécage » de Choi Kyu-sok. Un étudiant en bande dessinée, raconte dans ce courtes scénettes de 3 ou 4 pages, sa vie en cohabitation avec trois amis. Dans une minuscule pièce, ils mangent, dorment et travaillent. Problèmes de coeur, d'argent, d'étude ou de relations constituent le pain quotidien de cette BD qui nous en apprend beaucoup sur la jeunesse coréenne. On rit souvent, mais l'émotion n'est pas absente, l'auteur donnant parfois un ton très sérieux et politique à son propos. Une belle découverte. (Casterman, Hanguk, 15,75 €)

mardi 24 octobre 2006

BD - La saga africaine du "Peuple des endormis"


Didier Tronchet, à côté de ses albums d'humour pur, dont généralement il signe les scénarios, aime se dérouiller la main en dessinant des albums plus ambitieux graphiquement, tirés de romans qu'il a apprécié. Après plusieurs adaptations des romans d'Anne Sibran, sa compagne, il s'attaque au roman de Frédéric Richaud, "Le peuple des endormis", paru aux éditions Grasset. Dans le paris du XVIIe siècle, un jeune garçon s'évade en dessinant. Pour sa mère, à l'éducation stricte et religieuse, c'est une hérésie. Mais son père apprécie le talent de son fils. Il décide de partager son secret. Dans des caves secrètes, il tente de trouver la bonne solution pour empailler des animaux. Il travaille notamment pour le Marquis de Dunan, grand séducteur, cherchant un bon moyen pour se faire remarquer par le roi. Quand il décide de financer une expédition pour explorer l'Afrique, il emmène dans ses bagages le jeune dessinateur qui sera chargé de retranscrire sur le papier tous les animaux qu'ils croiseront. Violent, cruel, sans concession, époque oblige, cet album en surprendra plus d'un. (Dupuis, 13,50 €)

lundi 23 octobre 2006

BD - Watch, l'humanitaire sans condition


L'Unesco est une administration mondiale prônant paix et éducation pour tous les enfants de la planète. Mais pour obtenir des résultats, parfois, la méthode forte s'avère être la plus efficace. C'est dans ce cadre que Michaël Le Galli, le scénariste, a imaginé un service de l'Unesco agissant dans l'ombre. La section WATCH est basée à Montréal et intervient un peu partout dans le monde et n'hésite pas à recruter ses membres parmi les services secrets des États membres. Pour cette première mission, plusieurs de ses membres se rendent au Sri Lanka tenter de mettre fin au recrutement de force d'enfants soldats par les Tigres tamouls. Dessiné par Luca Erbetta, le premier tome permet au lecteur de mieux connaître les agents de la section, leurs origines, leur vie privée, leurs inimitiés et casseroles. Le second, paraissant simultanément, les plonge dans l'action. Bien documenté, très crédible, l'histoire permet de dénoncer ces chefs de guerre prêts à tout pour avoir des troupes dociles et malléables. Le prochain épisode est annoncé pour janvier prochain. La série inaugure une nouvelle collection, Impact. (Delcourt, 10,50 €)

dimanche 22 octobre 2006

BD - Un demi dragon à l'attaque


Dans un pays ressemblant à une principauté d'opérette, le maire, industriel local, meurt sans héritier direct. Ce sont ses deux petites-filles qui devront assurer la pérennité de la prospérité de cette vallée encaissée entre les montagnes. Au même moment, un paysan découvre au fond d'une caverne un oeuf qu'il ramène chez lui. Quand il l'offre à sa femme, cela bouge dans le sac. Ce petit être sera leur fils. On le retrouve quelques années plus tard. Brüssli est le souffre-douleur des autres enfants du village. Mais il s'en moque car une jeune fille vient de lui faire un compliment. Ce n'est pas dit explicitement, mais le lecteur comprend vite que Brüssli, en fait, est un jeune dragon qui n'a pas conscience de sa véritable identité. Premier tome d'une série pour les plus jeunes, écrite par Jean-Louis Fonteneau (Inspecteur Bayard), un habitué de la littérature jeunesse. Au dessin, Etienne fait exploser les couleurs, comme dans le premier tome de Gargouilles dont il est l'auteur. (Les Humanoïdes Associés, 12,90 €)



samedi 21 octobre 2006

"La corde aux jours impairs", polar décalé

"La corde aux jours impairs", premier roman policier de Thomas Taddeus est très déstabilisant, la réalité qu'il décrit semblant toujours altérée et la société viciée. 

Le héros de « La corde aux jours impairs » est policer. Un jeune flic qui vient juste de finir son école. Le lecteur se doute très vite que ce polar sortira de l'ordinaire car le héros s'appelle Bossa Nova. Son coéquipier Gabardine. Drôles de noms, mais drôle de pays également. Car l'action ne se situe pas en France ou dans un autre pays connu. Cette contrée imaginaire, fait parfois penser à une principauté, vivant recluse sur elle-même. 
Bossa Nova, loyal et droit, se sent un peu mal à l'aise dans ce monde très sécurisé. Son coéquipier, plus expérimentée, plus blasé aussi, tentera de lui ouvrir les yeux sur le mode d'emploi de son boulot, de la hiérarchie. Tout débite quand ils sont appelés pour enquêter sur le décès d'un homme inconnu des services de police. Il est retrouvé pendu, avec un mot manuscrit sur la table basse : « Je n'avais pas le choix ». Tout plaide pour le suicide. Mais lors de l'autopsie, effectuée par un ami de Bossa Nova, des traces de somnifères sont retrouvées dans le sang du mort. Beaucoup de somnifère. Pris bien avant l'heure supposée du suicide. En fait, au moment de sa mort, il dormait comme un bébé. 

Tueur en série
Le suicide se transforme en meurtre et le suspect en plus devient tueur en série puisque deux jours plus tard, un autre homme est retrouvé pendu chez lui, avec le même mot manuscrit, la signature du tueur. Bossa Nova va enquêter sur le passé des deux victimes, tenter de trouver un point commun, mais le premier était courtier en bourse, le second peintre sans le sou. Quand un troisième pendu, toujours avec le même type de corde, toujours un jour impair, est découvert, c'est le grand branle-bas de combat dans les hautes sphères. 
Le chef de la police, contre l'avis de ses subordonnés, fait appel à un célèbre romancier, spécialiste du polar. Un homme imbu de sa personnalité, persuadé d'avoir toujours raison. Cela donne ce savoureux passage extrait d'un article qu'il publie dans le journal local pour expliquer pourquoi les autorités attendent beaucoup de lui : « Il est bien triste de voir souvent la littérature policière si souvent dénigrée, dévalorisée, par d'obtus critiques. Loin d'être un simple produit de consommation destiné à faire frissonner le lecteur, le roman policier permet d'étendre le territoire du bien en rationalisant l'inutilité du mal. Ce faisant, il indique la direction morale que se doit de prendre une communauté, une société, une civilisation ». Attention, les chevilles enflent. Avec un avocat véreux et un grand patron, Pierlouis Vinegaar, le romancier, fait partie de ces personnages que l'on se surprend à haïr avec une certaine délectation. 
Mais le roman de Thomas Taddeus, sous des airs de manichéisme, est beaucoup plus riche. Bossa Nova parvient même à démasquer le tueur assez rapidement. Mais une fois en prison, un nouveau pendu vient brouiller toutes les pistes. Le lecteur est totalement désorienté et interrogatif : l'auteur a bien réussi son coup, l'entraînant sur un territoire qu'il n'aurait jamais imaginé en ouvrant ce roman. 
« La corde des jours impairs », Thomas Taddeus, Flammarion, 18 €

vendredi 20 octobre 2006

BD - Petit poison deviendra grande


Elle est vraiment craquante la petite Miss Swampy. Dans son bayou en Louisiane à la fin des années 30, elle vit comme une sauvageonne en compagnie de son frère qui lui ne rêve que d'aviation de guerre. Swampy pêche le poisson-chat, capture des crapauds, se méfie des alligators... et des jeunes mâles de la région. Elle n'est encore qu'une fillette pouvant se promener torse nue sans choquer. Mais un soir, alors qu'elle surprend des espions japonais, ces derniers tentent de l'empoisonner avec des baies de Poison Ivy. Une vieille prêtresse vaudou la sauve, mais elle en garde quelques effets secondaires. En premier un corps de femme, avec toutes les rondeurs là où il faut. Mais elle découvre également que ses baisers sont empoisonnés. Quiconque touche ses lèvres trépasse dans la minute. Accusée de meurtre, elle est capturée par l'armée américaine qui va l'intégrer à la section WOW pour « Women on war ». Yann, le scénariste, retrouve toute sa truculence des premiers Innommables, Berthet, au dessin, se régale dans ce premier tome des "exploits de Poison Ivy". (Dargaud, 9,80 €)

jeudi 12 octobre 2006

BD - La vie de Landru par Chabouté, un fait divers fumeux


Chabouté, après une expérience en couleur, revient au roman BD en noir et blanc, style dans lequel il excelle. Pas de sorcellerie pour ce « Henri Désiré Landru », mais une explication tout à fait plausible de l'affaire Landru. Dans cette France saignée aux quatre veines par la guerre des tranchées, Landru, père de famille nombreuse, améliore l'ordinaire en escroquant des femmes célibataires fortunées. Il se contente de les délester de quelques liquidités. A la fin de son procès, scène d'ouverture de cet album de 144 pages, il clame son innocence, affirmant solennellement au jury qui vient de le condamner à mort « Le tribunal s'est trompé ! Je n'ai jamais tué personne ! » Et le lecteur, au fil des pages va découvrir l'incroyable machination dont Landru aurait été victime. C'est alambiqué, mais tout à fait plausible. 
Henri Désiré Landru, Vents d'Ouest, 17,99 €