Quelques chroniques de livres et BD qui méritent d'être lus et les critiques cinéma des dernières nouveautés. Par Michel et Fabienne Litout
mardi 18 juillet 2006
BD - Pétanqueurs presque trop vrais
Curd Ridel, déjà comblé avec sa série Le Gowap et Angèle et René, se lance dans une nouvelle aventure en créant « Les pétanqueurs » avec Cazenove au scénario. Installé dans le sud de la France, le dessinateur a visiblement pris beaucoup de plaisir à illustrer les mésaventures de de trio de lanceurs de boules. Pour bien jouer aux boules il faut avant tout beaucoup de bagout, une mauvaise foi à toute épreuve et une liste de jurons longue comme un jour sans pain. Jurons ou expressions typiques de la région dont le lecteur pourra découvrir la véritable signification en fin d'ouvrage dans un lexique qui explique, par exemple, que « mounine » est la partie intime des jeunes filles. Mais un couillon de la mounine, c'est un simple d'esprit. « Estoquefiche » est une insulte dérivée du stockfish (bien connu dans le Bassin) qui sert aussi à dire d'une fille qu'elle est tellement maigre qu'on lui voit plus que le profil. Ridel dessine aussi quelques pin-ups vêtues courts et bien développées du côté poitrinaire. Mais elle ne valent pas Fanny qui mérite qu'on achète cet album rien que pour découvrir à quoi elle ressemble... (Bamboo, 9,45 €)
lundi 17 juillet 2006
BD - Les Cyclistes, du gros braquet
Le Tour de France vient de prendre le relais des footballeurs à la une de l'actualité et sur le petit écran, l'occasion pour découvrir ce deuxième album de la série « Les cyclistes » de Panetier (scénario) et Ghorbani (dessin). Les cyclistes en question n'ont rien des professionnels avalant les cols comme d'autres des olives à l'apéro. Nico, Chris, Doumé et Alain sont de jeunes sportifs découvrant sous la houlette d'un vieux de la vieille, Monsieur B., les secrets de ce sport exigeant et beaucoup plus technique qu'il n'y paraît. Mais comme c'est avant tout un recueil de gags, on n'en sort pas plus savant sur la science des dérailleurs et autres boyaux, et vos zygomatiques seront certainement plus fatigués que vos mollets. De plus Candice, charmante jeune femme à la recherche de sensations fortes apporte une note de fraîcheur dans une série parfois lourde, notamment quand intervient Doumé, le petit gros vulgaire et boulimique de service. (Vents d’Ouest, 9,40 €)
dimanche 16 juillet 2006
Roman - Une traque russe racontée par Henri Troyat
Un jeune idéaliste russe décide d’assassiner le meurtrier du grand poète Pouchkine. Un roman historique de vie et de mort signé Henri Troyat.
Alexandre Rybakoff, jeune Russe de bonne famille, vient d’achever ses études dans le même lycée que le poète Pouchkine a fréquenté dans sa jeunesse. Pouchkine mort il y a 32 ans dans un duel. Le Russe avait provoqué un officier français tournant autour de sa femme. Le baron Georges de Heeckeren d'Anthès, sans coup férir, tua l’écrivain jaloux, plongeant le monde littéraire russe dans un deuil interminable. D’Anthès, après quelques remontrances de sa hiérarchie militaire, a pu retourner dans son pays. Et quand Alexandre apprend que ce dernier mène la vie brillante d’un sénateur du Second Empire, il se jure de venger Pouchkine.
Découverte de la vie
Une vengeance littéraire, telle est la trame de ce nouveau roman de Henri Troyat, académicien infatigable malgré ses 95 ans. Il est vrai qu’il aborde là un milieu qu’il connaît parfaitement, ayant signé il y a fort longtemps une biographie de Pouchkine. Mais cette fois il s’est intéressé au gagnant du duel, obscur militaire, devenu homme politique et grand serviteur de Napoléon III. Prétextant le besoin d’une cure au soleil du Midi de la France, Alexandre quitte les froidures de Saint-Pétersbourg et s’arrête à Paris. Jeune étudiant idéaliste, il va découvrir, au cours de sa quête de l’homme honni, l’exaltation des Républicains et le charme incendiaire des petites femmes de Paris.
Mais même les plaisirs de cette vie nouvelle, loin de sa mère et de ses professeurs, ne l’empêchent pas de pister sa proie. C’est pratiquement dans une enquête policière qu’il se lance, repérant grâce à beaucoup de persévérance le meurtrier de Pouchkine, l’observant discrètement, cherchant à découvrir ses habitudes pour tenter de trouver une faille. Car il veut le tuer, mais également lui expliquer les raisons de cet acte.
Entre haine et sympathie
Il trouvera finalement une ouverture grâce à un ami journaliste qui lui conseille de postuler au poste de secrétaire traducteur. Alexandre, sans trop y croire, écrit à D’Anthès et se retrouve engagé en moins d’une semaine. Cachant ses intentions, le tueur en puissance va tout faire pour devenir un familier de sa future victime. Et au fil des séances de travail, Alexandre va mieux connaître cet homme politique réactionnaire mais bon père de famille. Et petit à petit le doute va s’immiscer dans l’esprit d’Alexandre : « L’idée que le meurtrier de Pouchkine était capable de sentiments humains me dérangeait dans ma haine. J’aurais voulu qu’il fût un bloc de défauts. Seul un monstre intégral pouvait me renforcer dans ma décision. Mais les monstres n’existent que dans l’imagination des romanciers. La vie nous apprend à détester ou à aimer des gens qui ne sont ni totalement détestables, ni totalement aimables. La jeunesse méprise le juste milieu, l’âge mûr en fait son ordinaire ».
Le cas de conscience d’Alexandre est de plus en plus flagrant. Va-t-il respecter son engagement ou au contraire, la raison lui dictera d’épargner ce vieil homme ? C’est dans ce questionnement que repose toute l’intrigue du roman. Henri Troyat, en vieux routier de l’âme humaine, va décortiquer les errements, hésitations et exaltations du jeune Alexandre, avec en toile de fond historique les prémices de la guerre de 70 entre la France et la Prusse. Un roman exemplaire sur le façonnement de la personnalité d’un homme, quel qu’il soit.
« La traque », Henri Troyat, Grasset, 16,90 €
Alexandre Rybakoff, jeune Russe de bonne famille, vient d’achever ses études dans le même lycée que le poète Pouchkine a fréquenté dans sa jeunesse. Pouchkine mort il y a 32 ans dans un duel. Le Russe avait provoqué un officier français tournant autour de sa femme. Le baron Georges de Heeckeren d'Anthès, sans coup férir, tua l’écrivain jaloux, plongeant le monde littéraire russe dans un deuil interminable. D’Anthès, après quelques remontrances de sa hiérarchie militaire, a pu retourner dans son pays. Et quand Alexandre apprend que ce dernier mène la vie brillante d’un sénateur du Second Empire, il se jure de venger Pouchkine.
Découverte de la vie
Une vengeance littéraire, telle est la trame de ce nouveau roman de Henri Troyat, académicien infatigable malgré ses 95 ans. Il est vrai qu’il aborde là un milieu qu’il connaît parfaitement, ayant signé il y a fort longtemps une biographie de Pouchkine. Mais cette fois il s’est intéressé au gagnant du duel, obscur militaire, devenu homme politique et grand serviteur de Napoléon III. Prétextant le besoin d’une cure au soleil du Midi de la France, Alexandre quitte les froidures de Saint-Pétersbourg et s’arrête à Paris. Jeune étudiant idéaliste, il va découvrir, au cours de sa quête de l’homme honni, l’exaltation des Républicains et le charme incendiaire des petites femmes de Paris.
Mais même les plaisirs de cette vie nouvelle, loin de sa mère et de ses professeurs, ne l’empêchent pas de pister sa proie. C’est pratiquement dans une enquête policière qu’il se lance, repérant grâce à beaucoup de persévérance le meurtrier de Pouchkine, l’observant discrètement, cherchant à découvrir ses habitudes pour tenter de trouver une faille. Car il veut le tuer, mais également lui expliquer les raisons de cet acte.
Entre haine et sympathie
Il trouvera finalement une ouverture grâce à un ami journaliste qui lui conseille de postuler au poste de secrétaire traducteur. Alexandre, sans trop y croire, écrit à D’Anthès et se retrouve engagé en moins d’une semaine. Cachant ses intentions, le tueur en puissance va tout faire pour devenir un familier de sa future victime. Et au fil des séances de travail, Alexandre va mieux connaître cet homme politique réactionnaire mais bon père de famille. Et petit à petit le doute va s’immiscer dans l’esprit d’Alexandre : « L’idée que le meurtrier de Pouchkine était capable de sentiments humains me dérangeait dans ma haine. J’aurais voulu qu’il fût un bloc de défauts. Seul un monstre intégral pouvait me renforcer dans ma décision. Mais les monstres n’existent que dans l’imagination des romanciers. La vie nous apprend à détester ou à aimer des gens qui ne sont ni totalement détestables, ni totalement aimables. La jeunesse méprise le juste milieu, l’âge mûr en fait son ordinaire ».
Le cas de conscience d’Alexandre est de plus en plus flagrant. Va-t-il respecter son engagement ou au contraire, la raison lui dictera d’épargner ce vieil homme ? C’est dans ce questionnement que repose toute l’intrigue du roman. Henri Troyat, en vieux routier de l’âme humaine, va décortiquer les errements, hésitations et exaltations du jeune Alexandre, avec en toile de fond historique les prémices de la guerre de 70 entre la France et la Prusse. Un roman exemplaire sur le façonnement de la personnalité d’un homme, quel qu’il soit.
« La traque », Henri Troyat, Grasset, 16,90 €
samedi 15 juillet 2006
BD - Une étoile toujours aussi mystérieuse
La réédition des fac-similés des premiers albums de Tintin en couleurs permet aux jeunes lecteurs de redécouvrir les versions originales de ces bandes dessinées entrées dans la légende du neuvième art. Certaines aventures étaient très différentes. D’autres sont restées presque identiques. Les modifications sont minimes. « L’étoile mystérieuse », parue en noir et blanc sous forme de strips dans le quotidien belge le Soir, est sortie en albums en 1942. Directement en couleurs. Hergé n’y était pas très favorable. Les éditions Casterman ont réussi à le convaincre. Plus d’un demi siècle plus tard vous pouvez vous plonger dans cette aventure de Tintin comme les jeunes francophones l’ont découverte en pleine guerre. Dos toilé, papier épais, coloris aux tons chauds, la réédition est remarquable. L’histoire n’a pas changé : un morceau d’astéroïde est tombé ans le grand Nord et deux expéditions concurrentes se font la course pour s’en accaparer. La différence essentielle c’est la nationalité des concurrents peu scrupuleux de l’équipe européenne menée par Tintin et Haddock. Financée par un banquier juif américain pour le compte des USA. Après guerre, ce détail faisait tâche… (Casterman, 17,95 €)
jeudi 13 juillet 2006
BD - Le Professeur Bell rajeunit
Pas évident de trouver le sommeil après avoir causé la mort d’une petite fille. Le professeur Bell, héros imaginé par Joann Sfar et dessiné depuis trois albums par Hervé Tanquerelle, a dont tué par inadvertance la fille unique de son pire ennemi, Adam Worth. Conséquence, les nuits de Bell sont courtes et agitées. Cauchemars incessants, réveils en sursaut : c’est un véritable calvaire qui pousse Bell à commettre l’irréparable : tenter d’assassiner Worth. Il échoue lamentablement et tout le monde le pousse à prendre quelques jours de vacances. Il choisit la verte Irlande au grand désespoir de son valet et confident, Ossour. Son impétuosité le pousse à s’attaquer à des lutins qui le capturent et vont lui jouer un drôle de tour. Moins mouvementée, plus cérébrale, voire philosophique, cette nouvelle aventure de Bell porte véritablement la marque de fabrique de Sfar, parfaitement enluminée par un Tanquerelle au trait adapté aux différentes ambiances. Il se permet même un dessin pleine page digne du grand-guignol. (Delcourt, 12,90 €)
mercredi 12 juillet 2006
BD - Mic Mac Adam et l'amazone
Dans « L’Amazone des ténèbres », quatrième titre de ses nouvelles aventures, Mic Mac Adam retrouve Miss Vickie Pitcott. Cette vieille connaissance avait disparu. Mais ce n’est pas la véritable Vickie qu’il rencontre au cours d’un reportage sur les lignes allemandes en pleine première guerre mondiale. La jeune femme, possédée par une entité fantastique, s’est mise au service du 2e Reich. Dans son avion biplan, grâce à l’aide de créatures magiques, elle décime toute une escadrille française. En Allemagne, les puissances magiques maléfiques entrent en jeu alors que chez les Anglais, le paisible peuple des Kobbels met sa maîtrise de l’agriculture pour approvisionner les troupes alliées. Mais cela ne semble pas suffisant. Ils devraient prendre aux aussi les armes. Double intrigue, des deux côtés du front, pour une série fantastique toujours dessinée par André Benn, auteur belge très talentueux, trop souvent dans l’ombre, mais scénarisé par deux jeunes, Luc Brunschwig et Sylvain Runberg. (Dargaud, 11 €)
mardi 11 juillet 2006
BD - Le terrorisme du futur
Polar américain avec un zeste de sabre japonais et de cheval comme à la grande époque de la conquête de l’Ouest, New West de Palmiotti (scénario) et Noto (dessin) est surtout l’occasion pour ses auteurs d’imaginer Los Angeles dans un futur proche, « après l’impulsion ». L’intrigue, une prise d’otage qui tourne mal, est supplantée par cette fameuse impulsion et ses conséquences. Un beau jour, des terroristes coréens, mécontents de l’américanisation de leur pays, ont bricolé une bombe électronique aux effets ravageurs. Une fois actionnée, elle a éliminé toute forme d’électricité à des kilomètres à la ronde. Le premier signe cela a été les avions qui sont tombés du ciel, ensuite les catastrophes se sont enchaînées inexorablement. Et comme cette impulsion agit toujours, c’est un détective privé à cheval et armé d’un sabre qui va tenter de retrouver le maire, lui aussi kidnappé. Dan Wise, politiquement incorrect, découvrira le pot aux roses. Sous des airs de BD d’action et de combat, un beau message contre les manipulations des grands de ce monde. (Bamboo, Angle Comics, 10 €)
lundi 10 juillet 2006
BD - Interrogations d'artistes
Carlos Sampayo, créateur d’Alack Sinner avec Munoz, signe un récit complet dessiné par Oscar Zarate sur les affres de la création.
Chantal Fernandes est une journaliste parisienne spécialisée dans le domaine culturel. Alors que son ordinateur tombe en panne, elle reçoit la commande d’un reportage sur les trois artistes lauréats d’une fondation présidée par un certain Blanchard. Adriano Lazzari est un musicien virtuose, Maurice Malikian un peintre majeur et Diego Nogales un écrivain traduit sur toute la planète. Chantal va tenter de découvrir pourquoi ce sont ces trois artistes qui sont distingués cette année, et ce que se cache derrière leurs œuvres.
Le lecteur découvre Chantal dans son appartement en train de préparer son reportage, mais il comprend rapidement que ces scènes ne sont que des retours en arrière. Le présent, c’est Chantal étendue à terre, inanimée, la tête ensanglantée. Que s’est-il passé ?
Souvenirs parisiens
Sampayo avec toute son expérience de la narration elliptique va faire se rejoindre ces deux courbes du temps, jusqu’au coup tragique. Chantal, avant de pouvoir rencontrer les trois artistes qui viennent d’arriver et Paris et logent tous dans un palace, devra passer la barrière de Blanchard. Prétentieux, sûr de lui, considérant son personnel comme un cheptel corvéable à merci, il va tenter de séduire Chantal qui résistera pour ne pas cracher tout le dégoût que lui inspire cet homme. Les trois artistes se croisent dans l’hôtel, sans véritablement faire connaissance. A tour de rôle, ils se souviennent d’une période de leur vie, à Paris justement, dans leur jeunesse, alors qu’ils n’étaient pas encore reconnus par la profession et le public. Nogales par exemple, jeune père, ayant laissé sa famille au Mexique, tombe dans les bras d’une hôtesse de l’air française. En quelques jours une passion dévorante va transformer les deux amants. L’écrivain, sur un nuage, retrouvera durement la réalité. Au cours d’un voyage de nuit, sur des routes envahies de brouillard. Depuis, il détient en lui un secret terrible, source de son nouveau style faisant l’économie de certains mots qu’il ne peut plus prononcer.
Un visage lunaire
De la même façon Adriano Lazzari, alors adolescent, écrasé par son père, musicien virtuose, découvre l’amour dans les bras d’une jeune étudiante… Chantal Fernandes. L’histoire de Maurice Malikian est encore plus tortueuse. Ce maître de l’autoportrait a sculpté son visage, avec la complicité d’un chirurgien esthétique. Aujourd’hui il a gommé tout ce qui fait une personnalité : cheveux, lèvres, nez, sourcils, pommettes… Sa face est lunaire. Pourquoi s’est-il infligé cette torture ? Adriano aime-t-il toujours Chantal ? Qui l’a frappée ?
Au cours de ces 80 pages denses et dramatiques, les deux auteurs réussissent à explorer au plus profond ces trois âmes ayant certainement, à un moment donné de leur vie, trop sacrifié à leur art. Passionnante, cette BD a le souffle des grands romans, avec des personnages forts et attachants mais surtout fragiles, comme tous les génies…
« Trois artistes à Paris », dessin Zarate, scénario Sampayo, éditions Dupuis, 14 euros
Chantal Fernandes est une journaliste parisienne spécialisée dans le domaine culturel. Alors que son ordinateur tombe en panne, elle reçoit la commande d’un reportage sur les trois artistes lauréats d’une fondation présidée par un certain Blanchard. Adriano Lazzari est un musicien virtuose, Maurice Malikian un peintre majeur et Diego Nogales un écrivain traduit sur toute la planète. Chantal va tenter de découvrir pourquoi ce sont ces trois artistes qui sont distingués cette année, et ce que se cache derrière leurs œuvres.
Le lecteur découvre Chantal dans son appartement en train de préparer son reportage, mais il comprend rapidement que ces scènes ne sont que des retours en arrière. Le présent, c’est Chantal étendue à terre, inanimée, la tête ensanglantée. Que s’est-il passé ?
Souvenirs parisiens
Sampayo avec toute son expérience de la narration elliptique va faire se rejoindre ces deux courbes du temps, jusqu’au coup tragique. Chantal, avant de pouvoir rencontrer les trois artistes qui viennent d’arriver et Paris et logent tous dans un palace, devra passer la barrière de Blanchard. Prétentieux, sûr de lui, considérant son personnel comme un cheptel corvéable à merci, il va tenter de séduire Chantal qui résistera pour ne pas cracher tout le dégoût que lui inspire cet homme. Les trois artistes se croisent dans l’hôtel, sans véritablement faire connaissance. A tour de rôle, ils se souviennent d’une période de leur vie, à Paris justement, dans leur jeunesse, alors qu’ils n’étaient pas encore reconnus par la profession et le public. Nogales par exemple, jeune père, ayant laissé sa famille au Mexique, tombe dans les bras d’une hôtesse de l’air française. En quelques jours une passion dévorante va transformer les deux amants. L’écrivain, sur un nuage, retrouvera durement la réalité. Au cours d’un voyage de nuit, sur des routes envahies de brouillard. Depuis, il détient en lui un secret terrible, source de son nouveau style faisant l’économie de certains mots qu’il ne peut plus prononcer.
Un visage lunaire
De la même façon Adriano Lazzari, alors adolescent, écrasé par son père, musicien virtuose, découvre l’amour dans les bras d’une jeune étudiante… Chantal Fernandes. L’histoire de Maurice Malikian est encore plus tortueuse. Ce maître de l’autoportrait a sculpté son visage, avec la complicité d’un chirurgien esthétique. Aujourd’hui il a gommé tout ce qui fait une personnalité : cheveux, lèvres, nez, sourcils, pommettes… Sa face est lunaire. Pourquoi s’est-il infligé cette torture ? Adriano aime-t-il toujours Chantal ? Qui l’a frappée ?
Au cours de ces 80 pages denses et dramatiques, les deux auteurs réussissent à explorer au plus profond ces trois âmes ayant certainement, à un moment donné de leur vie, trop sacrifié à leur art. Passionnante, cette BD a le souffle des grands romans, avec des personnages forts et attachants mais surtout fragiles, comme tous les génies…
« Trois artistes à Paris », dessin Zarate, scénario Sampayo, éditions Dupuis, 14 euros
dimanche 9 juillet 2006
Polar - Où les borgnes sont rois
Loin des clichés de la Côte Ouest américaine qui fait rêver, ce thriller de Jess Walter conduit le lecteur dans les bas-fonds de la conscience humaine.
Une nuit froide dans la ville de Spokane située au coeur de l'Etat de Washington, pas loin du Canada, mais très éloignée du miracle économique de la côte Ouest des USA, de Seattle à Los Angeles. Spokane ville sinistrée économiquement, encaissée au pied de montagnes presque perpétuellement enneigées. La police locale, sans être submergée, a beaucoup à faire. La patrouille a trouvé un homme, un borgne avec bandeau noir de pirate, au sommet d'un hôtel désaffecté. Il semblait vouloir se suicider. Refusant de parler, il attend dans une salle d'interrogatoire. Caroline Mabry, bien qu'elle soit sur le point de finir son service et de partir en week-end, décide d'entendre cet inconnu. Il lui faudra beaucoup de temps pour rompre la glace et finalement il avouera un meurtre et voudra se confesser à la policière. Une confession écrite qui constitue le gros de ce roman policier de Jess Walter, ancien journaliste connaissant parfaitement la région de l'action. Elle alterne avec l'enquête plus classique de l'agent Mabry qui doit dans un premier temps découvrir l'identité de l'homme s'accusant de meurtre.
Le cas Eli Boyle
L'inconnu borgne débute son récit quand il était encore élève en CM2 et qu'il devait prendre le bus scolaire chaque matin. C'est là qu'il a rencontré pour la première fois Eli Boyle. "Je n'ai jamais connu d'élève aussi âgé qui faisait encore pipi à l'école, qui pleurait, qui s'asseyait à l'avant et appelait sa maman. Il devait porter des chaussures orthopédiques à cause d'un pied déformé, souffrait d'une scoliose, de lésions cutanées et de la gale, et l'infirmière scolaire l'emmenait sans cesse pour un impétigo, une indigestion, une occlusion intestinale, ou toute autre saleté qu'il traînait dans son sillage comme seuls amis". Eli Boyle dont il s'accuse d'avoir pris la vie. Eli qui était devenu son ami, son protégé. Il a toujours été là pour le protéger, notamment depuis qu'il a perdu un oeil dans une bête bataille au pistolet à plomb. C'est Eli, en prévenant les secours, qui lui a sauvé la vie.
La majeure partie du roman est donc composée de ces souvenirs d'enfance et d'adolescence, avec les progrès incessants d'Eli pour tenter de s'insérer dans la vie active. Le narrateur au fil des pages se dévoile, alors qu'en parallèle Caroline Mabry elle aussi parvient petit à petit à reconstituer le puzzle, cherchant ce cadavre sans lequel les aveux du borgne ne restent qu'affabulations.
Policière dépressive
Caroline qui elle aussi profite de cette enquête atypique pour se poser quelques questions sur sa vie. La solitude lui pèse, son métier la déprime et elle connaît trop bien cette ville. Se remettre en question ? La belle affaire. "C'est facile d'être seul, le week-end. D'habitude, à cette heure-ci, le samedi après-midi, Caroline Mabry a oublié jusqu'à l'existence d'autrui et s'est installée devant son écran de télévision ou d'ordinateur, enfin à l'aise avec elle-même après une semaine pénible au bureau." Bref la jeune policière est au bord de la dépression et sans qu'elle sache pourquoi elle va totalement s'investir dans cette enquête, passant trois jours sans dormir, remuant ciel et terre pour prouver que l'inconnu a menti. Une certitude qui s'affirme de page en page, alors même qu'elle se découvre une attirance, une concordance, avec ce paumé de la vie, ne supportant les coups que le sort lui a donné au cours de ces dernières années.
Ce thriller social et romantique de Jess Walter est remarquable par sa construction jonglant avec les allers-retours entre présent et passé et surtout le personnage d'Eli Boyle, apparent monstre mais véritable âme d'un roman cru sur la misère humaine.
« Où les borgnes sont rois », Jess Walter, Seuil, 19 €
Une nuit froide dans la ville de Spokane située au coeur de l'Etat de Washington, pas loin du Canada, mais très éloignée du miracle économique de la côte Ouest des USA, de Seattle à Los Angeles. Spokane ville sinistrée économiquement, encaissée au pied de montagnes presque perpétuellement enneigées. La police locale, sans être submergée, a beaucoup à faire. La patrouille a trouvé un homme, un borgne avec bandeau noir de pirate, au sommet d'un hôtel désaffecté. Il semblait vouloir se suicider. Refusant de parler, il attend dans une salle d'interrogatoire. Caroline Mabry, bien qu'elle soit sur le point de finir son service et de partir en week-end, décide d'entendre cet inconnu. Il lui faudra beaucoup de temps pour rompre la glace et finalement il avouera un meurtre et voudra se confesser à la policière. Une confession écrite qui constitue le gros de ce roman policier de Jess Walter, ancien journaliste connaissant parfaitement la région de l'action. Elle alterne avec l'enquête plus classique de l'agent Mabry qui doit dans un premier temps découvrir l'identité de l'homme s'accusant de meurtre.
Le cas Eli Boyle
L'inconnu borgne débute son récit quand il était encore élève en CM2 et qu'il devait prendre le bus scolaire chaque matin. C'est là qu'il a rencontré pour la première fois Eli Boyle. "Je n'ai jamais connu d'élève aussi âgé qui faisait encore pipi à l'école, qui pleurait, qui s'asseyait à l'avant et appelait sa maman. Il devait porter des chaussures orthopédiques à cause d'un pied déformé, souffrait d'une scoliose, de lésions cutanées et de la gale, et l'infirmière scolaire l'emmenait sans cesse pour un impétigo, une indigestion, une occlusion intestinale, ou toute autre saleté qu'il traînait dans son sillage comme seuls amis". Eli Boyle dont il s'accuse d'avoir pris la vie. Eli qui était devenu son ami, son protégé. Il a toujours été là pour le protéger, notamment depuis qu'il a perdu un oeil dans une bête bataille au pistolet à plomb. C'est Eli, en prévenant les secours, qui lui a sauvé la vie.
La majeure partie du roman est donc composée de ces souvenirs d'enfance et d'adolescence, avec les progrès incessants d'Eli pour tenter de s'insérer dans la vie active. Le narrateur au fil des pages se dévoile, alors qu'en parallèle Caroline Mabry elle aussi parvient petit à petit à reconstituer le puzzle, cherchant ce cadavre sans lequel les aveux du borgne ne restent qu'affabulations.
Policière dépressive
Caroline qui elle aussi profite de cette enquête atypique pour se poser quelques questions sur sa vie. La solitude lui pèse, son métier la déprime et elle connaît trop bien cette ville. Se remettre en question ? La belle affaire. "C'est facile d'être seul, le week-end. D'habitude, à cette heure-ci, le samedi après-midi, Caroline Mabry a oublié jusqu'à l'existence d'autrui et s'est installée devant son écran de télévision ou d'ordinateur, enfin à l'aise avec elle-même après une semaine pénible au bureau." Bref la jeune policière est au bord de la dépression et sans qu'elle sache pourquoi elle va totalement s'investir dans cette enquête, passant trois jours sans dormir, remuant ciel et terre pour prouver que l'inconnu a menti. Une certitude qui s'affirme de page en page, alors même qu'elle se découvre une attirance, une concordance, avec ce paumé de la vie, ne supportant les coups que le sort lui a donné au cours de ces dernières années.
Ce thriller social et romantique de Jess Walter est remarquable par sa construction jonglant avec les allers-retours entre présent et passé et surtout le personnage d'Eli Boyle, apparent monstre mais véritable âme d'un roman cru sur la misère humaine.
« Où les borgnes sont rois », Jess Walter, Seuil, 19 €
samedi 8 juillet 2006
Roman - Des veuves au kilo...
Ce roman de Philippe Carrese est un road movie familial sur les routes de France en compagnie d’un flic de base et du fils d’un aristocrate.
On roule beaucoup dans "Les veuves gigognes", polar signé du Marseillais Philippe Carrese. La première scène se passe au bord d’une rivière, mais très rapidement une voiture va faire irruption dans cette scène bucolique. Une Jaguar venant de défoncer un parapet de cette route de montagne et qui plonge inexorablement vers le vide. Le conducteur, un ancien député de droite, meurt sur le coup. Une mort lourde de conséquence pour nombre de personnes qui ignoraient même son existence. En premier lieu Lucas Rosarian, flic dépressif en disponibilité après le départ de sa femme pour des cieux plus gais. Quand on vient livrer un bouquet de 38 roses à Mme Rosarian, il le prend très mal. Jusqu’à ce qu’il comprenne que ce n’est pas pour sa femme infidèle mais sa mère qui pourtant n’habite plus là depuis quelques années.
Encore plus étonnant la personne qui tient à offrir ce bouquet à sa mère. André-Marie Vilevirain de Saint-Chamons est un aristocrate quadragénaire « à tête de poireau. Au sommet de son crâne d’œuf, une méchante mèche rebelle flotte au gré du petit mistral qui se lève. Elle balaie sa calvitie naissante comme un plumeau monté sur un mécanisme d’essuie-glace. (…) L’aristocrate a le teint pâle, les lèvres fines et les yeux globuleux ».
Maîtresses et euros
André-Marie explique à Lucas qu’il est en service commandé. Son père, récemment décédé, veut qu’il remette 50 000 euros à chacune des « femmes de sa vie ». Car le député, catholique pratiquant très respecté des autorités ecclésiastiques, menait une double vie, collectionnant les aventures et parfois les maîtresses sur de longues périodes. Parmi elles, la mère de Lucas, aujourd’hui à la retraite. C’était il y a 39 ans, quelques temps avant la naissance de Lucas qui tout à coup a un doute sur l’identité de son père et pourrait se retrouver avec un demi frère « à tête de poireau », riche à million roulant en Porsche Cayenne. Il décidera même de suppléer l’aristocrate dans sa recherche des autres femmes de député cavaleur.
Philippe Carrese, avec son style vif et léger, bourré de bons mots et de personnages truculents, entraîne le lecteur dans une folle course poursuite de Marseille à Nice en passant par le Havre et Paris. Le couple formé par Lucas et Jean-Marie va trouver sur son chemin quelques aigrefins appâtés par les liasses de billets à distribuer aux anciennes maîtresses. A moins qu’ils ne cherchent autre chose dans les souvenirs de ce député à la vie en total décalage avec ses convictions politiques. Il y a du San-Antonio dans ce roman, situations, personnages et coups de théâtre défilant à toute vitesse au fil des pages.
« Les veuves gigognes », Philippe Carrese, Fleuve Noir, 19 euros
On roule beaucoup dans "Les veuves gigognes", polar signé du Marseillais Philippe Carrese. La première scène se passe au bord d’une rivière, mais très rapidement une voiture va faire irruption dans cette scène bucolique. Une Jaguar venant de défoncer un parapet de cette route de montagne et qui plonge inexorablement vers le vide. Le conducteur, un ancien député de droite, meurt sur le coup. Une mort lourde de conséquence pour nombre de personnes qui ignoraient même son existence. En premier lieu Lucas Rosarian, flic dépressif en disponibilité après le départ de sa femme pour des cieux plus gais. Quand on vient livrer un bouquet de 38 roses à Mme Rosarian, il le prend très mal. Jusqu’à ce qu’il comprenne que ce n’est pas pour sa femme infidèle mais sa mère qui pourtant n’habite plus là depuis quelques années.
Encore plus étonnant la personne qui tient à offrir ce bouquet à sa mère. André-Marie Vilevirain de Saint-Chamons est un aristocrate quadragénaire « à tête de poireau. Au sommet de son crâne d’œuf, une méchante mèche rebelle flotte au gré du petit mistral qui se lève. Elle balaie sa calvitie naissante comme un plumeau monté sur un mécanisme d’essuie-glace. (…) L’aristocrate a le teint pâle, les lèvres fines et les yeux globuleux ».
Maîtresses et euros
André-Marie explique à Lucas qu’il est en service commandé. Son père, récemment décédé, veut qu’il remette 50 000 euros à chacune des « femmes de sa vie ». Car le député, catholique pratiquant très respecté des autorités ecclésiastiques, menait une double vie, collectionnant les aventures et parfois les maîtresses sur de longues périodes. Parmi elles, la mère de Lucas, aujourd’hui à la retraite. C’était il y a 39 ans, quelques temps avant la naissance de Lucas qui tout à coup a un doute sur l’identité de son père et pourrait se retrouver avec un demi frère « à tête de poireau », riche à million roulant en Porsche Cayenne. Il décidera même de suppléer l’aristocrate dans sa recherche des autres femmes de député cavaleur.
Philippe Carrese, avec son style vif et léger, bourré de bons mots et de personnages truculents, entraîne le lecteur dans une folle course poursuite de Marseille à Nice en passant par le Havre et Paris. Le couple formé par Lucas et Jean-Marie va trouver sur son chemin quelques aigrefins appâtés par les liasses de billets à distribuer aux anciennes maîtresses. A moins qu’ils ne cherchent autre chose dans les souvenirs de ce député à la vie en total décalage avec ses convictions politiques. Il y a du San-Antonio dans ce roman, situations, personnages et coups de théâtre défilant à toute vitesse au fil des pages.
« Les veuves gigognes », Philippe Carrese, Fleuve Noir, 19 euros
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