vendredi 22 août 2025

Roman – Road-trip féministe au Chili

Originaire du Chili mais vivant en France depuis des années, Nicole Mersey Ortega est blonde. Comme le personnage principal de son premier roman aux accents destroy. La jeune narratrice vit dans une favela de Santiago, mais elle ressemble à une touriste occidentale. La faute à un père français. Qui l'a abandonnée. A l'ombre d'une montagne d'ordures, elle rêve d'évasion, de fête dans le Nord. Avec deux amies, elle économise et fugue. 

Un périple de plus de 1000 kilomètres, vers une fête légendaire à Iquique. Roadtrip agité et surtout très risqué. Dans ce Chili des années 90, la police est corrompue et féroce. Les femmes ne semblent être que de la chair fraîche pour des hommes violents. De plus, un serial killer sévit sur la nationale 5, cette route qui traverse un désert interminable. Le trio va souvent se faire peur. Le lecteur redoute une fin brutale. Mais une vierge noire, ou une dame blanche, semble veiller sur les filles. 

Elles vont vivre des moments épiques (la scène du match de foot à Calama marque les esprits), de grandes frayeurs et quelques désillusions. Le tout raconté dans une langue moderne et vivante, celle des femmes libres, uniquement armées de leurs mots pour repousser les violeurs, tueurs et autres nuisibles.

« Même le froid tremble », Nicole M. Ortega, Editions Anne-Carrière, 176 pages, 19 €

jeudi 21 août 2025

Roman – Amour d'été passager

Premier roman de Robin Watine, « Je rouille » ose l'histoire sentimentale. L'histoire d'amour estivale, sans avenir. A moins que... Léna est Parisienne. Néo vit à l'année dans cette station balnéaire de la Côte d'Azur où elle passe un mois en compagnie de ses parents. Léna et Néo, deux jeunes originaires de milieu sociaux radicalement différents. Pourtant, le temps de ces quelques semaines, entre plage, baignade et sorties nocturnes, leurs mondes vont se croiser, se rencontrer et trouver un petit terrain d'entente. Sexuel au début. Et plus si affinités. Ce roman court et nerveux, se concentre sur les derniers jours, quand les vacanciers commencent à faire leurs valises pour replonger dans le quotidien gris de la grande ville. Noé, narrateur, double du romancier, redoute ce départ. La fin d'une parenthèse enchantée. Il constate, triste et émerveillé en même temps, qu'il tient à Léna. Qu'il est bêtement tombé amoureux de cette fille, a priori inaccessible pour un gamin inculte. Un texte entre mélancolie, regrets et espoirs. Car des vacances il y en a tous les étés. Et la jeunesse des deux protagonistes leur laisse la possibilité de se retrouver dans quelques mois.

« Je rouille », Robin Watine, Calmann-Lévy, 160 pages, 18,50 €

mercredi 20 août 2025

Roman – La drôle d'enfance de la mère d'Amélie Nothomb

Un écrivain puise toujours dans ses racines pour imaginer d'autres vies, d'autres mondes. Amélie Nothomb, pour son traditionnel roman de rentrée, ose parler, presque pour la première fois, de sa mère. Un roman pour raconter cette femme, morte en février 2024. Les trois-quarts du texte racontent l'enfance d'Adrienne, la maman de fiction. Indépendante très jeune, tiraillée entre son père et sa mère, couple dysfonctionnel qui l'a obligée à se dissocier pour tenter de maintenir les liens de la famille. Adrienne, à trois ans, passe un été horrible chez sa « bonne-maman de Gand », la mère de sa mère. Une vieille folle acariâtre, qui lui sert du hareng au vinaigre pour son premier petit déjeuner. Adrienne, révulsée, rend tout dans son assiette. Sa grand-mère l'oblige à manger son vomi. 

Voilà à quoi a ressemblé l'enfance de la mère d'Amélie Nothomb. Mais cela ne l'empêche pas de profiter de la vie, de conseiller sa grande sœur ou de protéger ses parents. Adrienne va aider sa mère quand elle découvre que la nuit elle capture et tue les chats du voisinage. Elle lui trouvera un nouvel amant après la Libération (le précédent, collaborateur notoire, a disparu à l'arrivée des Américains). A neuf ans, Adrienne se transformera en « petite maman » pour Charlotte, la  dernière de la fratrie. Mais comment a-t-elle surmonté ces épreuves ? Tout simplement en adoptant la formule magique du « tant mieux », leçon donnée par sa mère. 

La dernière partie du livre est beaucoup plus personnelle. Une sorte d'ultime confession de l'autrice. Un dernier « je t'aime » à destination de cette femme qui l'a toujours soutenue, même si elle « avait le génie de décontenancer les gens. Elle n'a jamais cessé de me désarçonner aussi. »

« Tant mieux », Amélie Nothomb, Albin Michel, 216 pages, 19,90 €

vendredi 15 août 2025

Roman – Rwanda, un génocide trop français

Enseignant et chercheur en géographie, Michel Bussi, avant de vendre des millions de polars partout dans le monde, a suivi et documenté, dès le début, le génocide des Tutsis par les Hutus en 1994 au Rwanda. En expert sur cette période noire de l'Humanité, il a tissé, autour de la mort d'un million d'innocents en quatre mois, un polar aux airs d'acte d'accusation contre les autorités françaises de l'époque. 

De 1990, arrivée de Jorik Artera, militaire français au Rwanda pour garantir la paix dans ce petit pays africain, à nos jours, ce roman raconte le chemin douloureux d'une famille. Jorik tombe amoureux d'Espérance, une Tutsi. Ils se marient, ont une petite fille, Aline. Cette dernière a trois ans en 1994 quand sa mère traverse le pays avec des hordes de Hutus à ses trousses. Jorik voudrait l'aider, mais son devoir de militaire français l'oblige à laisser s'accomplir l'inimaginable. 

En décembre 2024, Jorik retourne au Rwanda avec Aline, mère de Maé, adolescente. Et l'enfer recommence. Long, passionnant, détaillé, accusateur mais aussi bourré de rebondissements, ce roman de Michel Bussi mériterait dix fois plus le Goncourt que le futur lauréat, désigné début novembre. 

« Les ombres du monde », Michel Bussi, Presses de la Cité, 576 pages, 23,90 €

jeudi 14 août 2025

Polar - Oslo, capitale du « Faux-semblant »

La capitale de la Norvège se prépare à faire la fête. En ce 31 décembre 2018, la population est massée devant l'hôtel de ville d'Oslo pour profiter du traditionnel feu d'artifice. A minuit pile une grosse explosion retentit : une bombe placée dans une poubelle fait quatre morts et de nombreux blessés. Blix, le policier et Emma, la journaliste, le duo d'enquêteurs imaginé par Horst et Enger, romanciers norvégiens, sont dans la foule. 

Après une première aventure (« Que le meilleur gagne » disponible en Folio policier) ils se plongent à corps perdu dans cette histoire qui a tout de l'attentat terroriste. Mais les apparences sont trompeuses. Et comme une des blessées est la mère d'une fillette enlevée dix ans auparavant et jamais retrouvée, Blix en déduit que la bombe n'a pas été placée au hasard. 

On apprécie la complémentarité des héros : Blix, âgé, taciturne obstiné, sert aussi de père de substitution à Emma, dépressive, impulsive et tout aussi obstinée. On suit la progression du duo, allant de découvertes en surprises, réussissant à rester sur le bon chemin malgré les nombreuses fausses pistes placées sur leur route. 

« Faux-semblant », Jorn Lier Horst et Thomas Henger, Série Noire Gallimard, 416 pages, 21 €

mercredi 9 juillet 2025

BD - Les super héros testent la liberté


Une fois n'est pas coutume, mieux vaut débuter la lecture de cet album par la fin. Les dernières pages qui présentent sous forme de fiches les principaux protagonistes de cette histoire de super héros à cheval entre plusieurs dimensions et qui se retrouvent cloués sur Terre. Sans cette étape, vous allez peut-être décrocher face à la complexité de l'intrigue du début. D'où viennent-ils ? Qui sont-ils ? Pourquoi sont-ils cachés sur Terre derrière des identités d'étudiants ? 

Autant de questions sans réponses dans les premières pages et forcément déstabilisantes. En résumé, ces "free agents" étaient chargés de protéger des univers de l'envie de conquête  du grand méchant de l'histoire, Eskandir, l'Argive. 

Ayant perdu leur chef au combat, ils se retrouvent propulsés sur Terre. Ils décident d'y vivre tranquillement, loin de la guerre. Mais c'est sans compter sur l'Argive, ses sbires et autres monstruosités qui décident de conquérir cette gentille planète. Les agents vont reprendre du service. Mais sans chef, en totale liberté. 

Une histoire dense signée Kurt Busiek et Fabian Nicieza. Au dessin, on retrouve un Stephen Mooney au sommet de sa forme.  

"Free Agents" (tome 1), Delcourt, 160 pages, 17,50 €

mercredi 2 juillet 2025

Dessin - Vacances poétiques bretonnes avec "Bon vent !" de François Ravard

Pour les vacances estivales, depuis quelques années, rien ne vaut le climat de la Bretagne. Là-bas, vous n'aurez pas la désagréable impression de cuire dans une friteuse par 40 ° sous une hypothétique ombre. François Ravard, le temps de ces dessins d'humour plus poétiques que foncièrement comiques, fait l'apologie de cette Bretagne parfois humide mais jamais brûlante. Des dessins pleine page, dans des tons doux et tendres grâce à une technique à l'aquarelle idéalement maîtrisée. 

Transport collectif 

On croise donc dans ce recueil des curistes en peignoirs, quelques enfants coursant des mouettes, des chiens fous dans les vagues et de nombreux amoureux, sous le charme de ces paysages. Vous aussi allez craquer pour ces criques protégées, ces embruns régénérants et ces scènes touchantes. Mais attention, si juillet et août sont "supportables" pour les sudistes, les autres mois de l'année risquent d'être un peu trop "extrêmes" pour ces mêmes adorateurs du soleil et de la sécheresse. 

"Bon vent !", François Ravard, Glénat, 96 pages, 16,50 €

mercredi 25 juin 2025

BD - Double dose de "Cyborgs", série imaginée par Istin et Dim D

Telle une fusée, la série de SF Cyborgs vient d'être lancée en orbite en deux temps, comme deux étages pour aller au plus haut. Première mise à feu (en avril) avec Ronin, album dessiné par Kael Ngu. Dans un futur assez lointain, la Terre, de moins en moins vivable, voit sa population se concentrer dans d’immenses villes fortifiées sous cloche. Ailleurs, le froid rend la vie impossible. Dans ces villes, les libertés sont en chute libre depuis la terrible "guerre des silos". 

A Europa, la jeune Yuko est élevée par son oncle Akira. Elle est née handicapée, dépourvue de bras. Akira, maître en combat, est chargé de former la milice privée de Tudor, président récemment élu. Un dictateur en puissance. Akira décide de rompre son contrat. Ses anciens élèves vont le poursuivre et le tuer. Yuko va trouver refuge auprès de Russell, le seul qui ose se dresser face à Tudor. Il va donner de nouveaux bras à Yuko, l'entraîner au combat et l'intégrer, sous le nom de Ronin, dans son équipe de cyborgs chargée de faire respecter la loi et la liberté. Et mettre fin à la dictature. Vaste programme...

Une mise en bouche très mouvementée, avec une héroïne attachante. L'univers graphique est imaginé par Dim D et les storyboards signés Kyko Duarte et Benoit Dellac. Toute une équipe de créateurs pour un résultat manquant un peu de personnalité mais d'une incroyable efficacité. 

Le second tome, paru en juin, a pour personnage central Sam, jeune femme insouciante, fille de la principale opposante de Tudor. Mais quand elle est victime d'un attentat, l'existence de Sam bascule. Si sa mère meurt, de son côté elle survivra mais avec deux jambes et un bras en moins. Elle aussi va recevoir des prothèses cybernétiques la transformant en redoutable guerrière, avide de vengeance. Steel, ce sera son nouveau nom, va faire parler d'elle. 

Les tomes suivants seront consacrés aux deux autres cyborgs de l'équipe. Le final ce sera en 2026 pour une 5e titre apothéose. 

"Cyborgs" (tomes 1 et 2), Glénat, 84 et 76 pages, 18,50 et 17,50 €

mardi 17 juin 2025

BD - La mort en silence au cœur de la campagne française

Albertine Buisson. 99 ans. Doyenne du village. En pleine canicule, le maire de Courteville en Normandie transpire a grosses gouttes dans son bureau, au téléphone. Il vérifie que tous ses administrés "sensibles" sont en bonne santé et entourés. Quand il compose le numéro d'Albertine, pas de réponse. Elle habite une maison isolée, loin du bourg. Il n'a pas le temps de s'y rendre, alors il demande directement à une de ses adjointes qui est de la famille. Elle n'a pas vu la vieille dame depuis des années car elle est fâchée avec son beau-frère, c'est lui qui s'occupe d'Albertine, sa mère, depuis qu'elle ne quitte plus la maison, incapable de marcher. 

Ce roman graphique débute comme un reportage de la PQR (presse quotidienne régionale) sur le rôle des élus en situation d'urgence. Un dévouement chronophage mais essentiel pour le bien de la communauté. Le maire va de nouveau tenter de contacter Albertine. En vain. Alors malgré la chaleur accablante, il se rend sur place. Découvre une maison fermée, comme abandonnée. Il se doute qu'Albertine va mal. Voire plus. Il met la pression sur son adjointe. Le beau-frère. Et finit par prévenir la gendarmerie. 

Écrite par François Vignolle et Vincent Guerrier, tous les deux journalistes dans la région, cette BD romance une histoire réelle. Car des Albertine, il y en a eu des dizaines ces dernières années. La solitude, l'abandon et finalement la disparition dans l'indifférence. Un fait divers horrible, qui nous questionne sur nos rapports avec les personnes âgées proches, mis en images par Vincenzo Bizzarri, auteur italien qui refuse toute représentation sordide. La mort dans la campagne française ne s’accommode pas de sensationnalisme

"Albertine a disparu", Glénat, 144 pages, 23 €

vendredi 13 juin 2025

BD - Les petites aventures d'Émile et Margot

Enfants du roi et de la reine de ce petit pays imaginaire, Émile et Margot n'ont pas la grosse tête ni l'arrogance de la noblesse. Ce sont deux gamins attachants, curieux et toujours d'attaque pour se lancer dans des blagues compliquées avec deux victimes de choix : leur professeur particulier, M. Peumieufaire et la gouvernante Melle Niquelle-Crome. Surtout, Emile et Margot vivent dans un monde où le fantastique et la magie sont omniprésents, même s'il n'y a qu'eux pour en profiter.

On retrouve dans ce 15e recueil une nouvelle sélection d'histoires courtes, parues dans la revue « Mes premiers j'aime lire ». Les jeunes héritiers du trône, loin des considérations du pouvoir, profitent de leur complicité avec les Mini-Monstres, le Dekoij'meumèle ou les Monstres du dessous (ceux qui vivent dans le sous-sol du château).

C'est souvent très marrant, avec pas mal de poésie, des jeux de mots approximatifs (mais souvent délicieux) et des situations jamais stressantes. Adapté pour les plus jeunes, ces petits histoires sont écrites par Anne Didier et Olivier Muller qui, comme leurs héros, sont frères et sœurs. On leur doit déjà les déboires d'Anatole Latuile.

Pour dessiner cet univers merveilleux, le talent d'Olivier Deloye est parfait. Il excelle dans les créatures inventées comme cette girouette volante ou Bon-Chouchou, le petit monstre qui aime l'école.

Enfin ne manquez pas l'histoire sur le calendrier de l'Avent. Tout le monde aimerait posséder ce genre d'objet magique : chaque porte ouvre sur une immense pièce à explorer pour découvrir, grâce à des énigmes, les deux chocolats quotidiens.

« Emile et Margot » (tome 15), Bayard Jeunesse, 80 pages, 10,50 €