vendredi 14 mars 2025

BD - Tous les rieurs se tournent vers l'Ouest

Allergiques au western, cette BD va peut-être vous réconcilier avec le genre.  Manichéen, plein de bons sentiments et de violence gratuite, le western est la nouvelle tragédie pour certains. Un tissu de clichés pour d'autres. Les seconds vont donc se précipiter sur cette parodie championne de l'absurde. Olivier Supiot au scénario et Damien Geffroy au dessin proposent donc le second recueil d'histoires courtes. Des récits prépubliés dans Fluide Glacial, ce qui donne une idée du pourcentage d'humour dans les planches. 

Pour lier ces petits contes abscons, les auteurs ont pondu quelques pages et dessins de liaison mettant en scène un certain Starwild Ranger, un cowboy masqué, amateur de duels et de belles pépées. Un Ranger aujourd'hui à la retraite, grabataire et cloué dans son fauteuil roulant (qu'il prend pour un mustang !). Il tente de séduire (trousser à la hussarde exactement), l'aide soignante qu'il prend pour Suzie, une de ses conquêtes de quand il était jeune et vigoureux. En fait il s'adresse à Micheline qui a bien du mérite de supporter les délires du vieux. 

Entre une soupe et un suppositoire (on vous passe le changement de couches), Starwild raconte l'histoire du trappeur Kevin Croquette, un Canadien qu'il ne faut pas confondre avec Davy Crockett, de Charlie, pistolero impitoyable très à cheval sur l'hygiène ou du soldat Carrington, pris en défaut dès sa première mission chez les Indiens. Quelle idée aussi de fumer un calumet de la paix rempli d'herbes hallucinogènes. 

Des récits courts, de quatre pages maximum, qui parfois auraient pu contenir dans une seule planche de gag. Mais ce serait dommage car cela permet à Damien Geffroy de développer son graphisme. Il soigne ses planches, les décors sont dignes d'un Giraud ou d'un Hermann. Mais côté "héros", c'est plutôt du gros nez rigolo. Une opposition qui donne aussi tout son charme à une BD portant la parodie du western à son summum.

"Les cowboys sont toujours à l'Ouest" (tome 2), Fluide Glacial, 56 pages, 15,90 €

Retrouvez ici la critique du tome 1       

jeudi 13 mars 2025

Récit - Jean-Noël Pancrazi pleure sa sœur


Retour à Perpignan pour Jean-Noël Pancrazi. L'écrivain semble inexorablement attiré par la ville de son enfance. Cette fois il quitte Paris pour soutenir sa sœur, Isabelle, qu'il aime tant. Elle a préféré rester dans la région et vit toujours au Moulin-à-Vent. Mais plus pour longtemps : un cancer est en train de tuer à petit feu. 

Ce sont ces derniers instants, dans la dignité et la force, que l'écrivain couche sur le papier. Il se souvient de leur enfance en Algérie, des combats de sa sœur, de sa vie si active dans le département. Cela donne quelques jolis passages sur la vitalité du cinéma Castillet, « le plus beau cinéma d'art et d'essai dont la programmation l'emportait sur tous les autres » ou les rencontres littéraires organisées dans la nouvelle librairie de Port-Vendres. 

Un texte tendre et charnel, universel face à la mort. 

« Quand s'arrêtent les larmes », Jean-Noël Pancrazi, 128 pages, 17 €

Science-fiction - Le confinement de l'apocalypse

Et si le confinement avait mal tourné ? Sur cette interrogation, Eliott de Gastines imagine une France qui plonge dans le chaos. Un cauchemar raconté dans « La frontière sauvage ».

La Normandie, ses vaches, sa quiétude, ses vallons verdoyants, ses fermes isolées... son califat de Lisieux. Eliott de Gastines, en décrivant cette France d'après confinement qui tourne mal, ne fait pas dans la dentelle. Au contraire il force le trait dans l'horreur, le désordre, la violence. Les 20 premières pages ont tout du roman de confinement. Eliott et sa compagne, Florence, vivent dans un appartement d'une petite ville de Normandie. Quand un virus fait son apparition en Chine puis en Italie, ils ne s'inquiètent pas. Quand le gouvernement décrète le confinement, ils en rigolent.

Mais dans ce roman d'anticipation, les fake news vont changer la perception de la pandémie. Une mutation rendrait le virus plus virulent. Plus mortel aussi. Le droit de retrait est invoqué dans la santé, la sécurité, le commerce. Le pays se dérègle, sombre dans l'anarchie. Certains en profitent, se transformant en pilleurs-tueurs-violeurs. Eliott et Florence fuient dans les bois alentours. Et tombent, au bord d'une rivière, sur la nouvelle réalité de la Normandie : « Sur la grève s'entassait un amas de corps impossibles à dénombrer. On pouvait clairement distinguer dans ce tas partiellement carbonisé des membres, des bouts de vêtements en tous genres, des visages figés dans un cri, d'autres paisibles à jamais. (…) Des corps de jeunes enfants, là les courbes d'une femme en petite tenue, ici ce qui ressemblait à des notaires de province ramenés en cubes les chevilles par-dessus les épaules. » Le roman bascule dans l'horreur. Bien que peu adapté à la survie, le couple va passer un été relativement tranquille dans un pigeonnier perdu dans une vallée.

Aux premiers froids, face à la difficulté, ils feront le choix de la sécurité en demandant refuge au califat de Lisieux, enclave musulmane où Eliott, grâce à son talent en calligraphie, va devenir essentiel dans la propagande du « ministère de l'information ». Ce semblant de sérénité (au coût exorbitant : conversion à l'Islam le plus radical, accepter d'avoir des esclaves) ne durera pas longtemps. Car la vision d'Eliott de Gastines, radicalement pessimiste, ne nous laisse que peu d'espoir si par malheur sa fiction devenait réalité. Il y a un peu d'humour dans ce roman enlevé, mais le ton est avant tout triste et nostalgique. Comme pour mieux nous faire prendre conscience combien nous vivons dans un monde privilégié, loin de tout danger mais incapables de profiter de ce bonheur simple.

« La frontière sauvage » d'Eliott de Gastines, Albin Michel, 320 pages, 21,90 €

mercredi 12 mars 2025

Polar - Policière contre marionnettiste

Helen Grace, policière anglaise de Southampton imaginée par M. J. Arlidge, doit affronter sa hiérarchie et sa base pour tenter de sauver des adolescentes transformées en marionnettes sexuelles.

En Angleterre comme en France, les pontes de la police nationale apprécient de pouvoir communiquer après d'éclatantes réussites. À Southampton, dans le sud du pays, les trafics de drogue se transforment en guerre des gangs. Comme à Marseille, les règlements de compte se multiplient. La dernière fusillade qui a coûté la vie à un jeune convoyeur d'argent liquide tiré de la vente de drogue s'est déroulée en plein quartier résidentiel. Il faut donc rapidement trouver les auteurs de l'attaque pour rassurer la population. Comprenez les électeurs...

Helen Grace, enquêtrice très solitaire (et efficace) du commissariat, est elle aussi mobilisée. Sur le terrain, elle interroge ses indics mais se désintéresse rapidement de l'affaire. Le matin même, elle a été très touchée par le cri de détresse d'une mère. Sa fille, Naomi, a disparu depuis la veille. Une adolescente en rupture. Si la hiérarchie d'Helen lui demande de ne pas s'investir dans une simple fugue, le sixième sens de la policière d'élite la pousse à désobéir. Alors que la base est sur les dents à la recherche des tireurs, elle demande à plusieurs enquêteurs de se concentrer sur le cas Naomi. Rapidement, beaucoup trouvent ce travail inutile.

M. J. Arlidge, dans ce nouvel épisode des aventures d'Helen Grace, place à nouveau son héroïne en fâcheuse posture. Cette fois elle risque la mise à pied pour insubordination. Le lecteur sait pourtant qu'elle a raison. Car entre les chapitres consacrés à l'enquête, l'auteur relate le cauchemar vécu par la jeune fille. Enfermée dans une cave, enchaînée, elle est transformée en objet sexuel par un ravisseur qui filme son calvaire, obéissant aux ordres de voyeurs payant cher pour ce spectacle abominable.

Le roman devient palpitant car en plus de tenter de découvrir qui est le ravisseur et tortionnaire, le lecteur craint pour la vie de la captive. Sans oublier les risques encourus par Helen. Sur le terrain mais également dans les bureaux du commissariat, quand ses chefs veulent la mettre sur la touche après les récriminations et plaintes des agents sous ses ordres. Et comme le romancier ose tout, le dénouement sera étonnant à plus d'un titre et annonce une suite encore plus déstabilisante pour les fans.

« Ainsi font font font » de M. J. Arlidge, Les Escales, 480 pages, 23 €

mardi 11 mars 2025

BD - Star Naze, parodie et gags intergalactiques

Qui aime bien, châtie bien ! Ced, le scénariste de ce recueil de gags, a sans doute vu des dizaines de fois chaque épisode de la saga des Star Wars. Sans compter les séries et autres dessins animés qui animent sans cesse la franchise (ne manquez pas la ressortie au cinéma, le 24 avril 2025 à l'occasion des 20 ans, de l'épisode III, La revanche des Sith). 

Christo, le dessinateur, a lui aussi visionné plus que de raison les films de Georges Lucas. Résultat ce sont deux fans, amateurs éclairés et véritables spécialistes qui se permettent les pires blagues sur cet univers légendaire. 

Dans "Star Naze", la version parodique, tous les personnages ont un côté obscur parfaitement caché. On découvre ainsi d'où provient la manie qu'a Yopla d'inverser verbe, sujet et complément. Et les graves conséquences que cette dyslexie a parfois. De Luc à Kador (version canine de Dark Vador ?) en passant par Yann Tousseul ou Klorokin (allusion à l'actualité dans le jeu de mot le plus drôle de la galaxie), vous rirez rien qu'en découvrant le nouveau nom des héros. 

Quant aux situations, entre violence et sexe, il y a tout ce que le vrai Star Wars laisse deviner sans jamais en parler et encore moins le montrer. Enfin vous risquez, comme moi, vous demander longtemps pourquoi l'ordre des Jedi est devenu dans la BD l'ordre des Jedognon. Un conseil, il faut le prononcer à haute voix pour comprendre l'astuce qui vous fera pleurer de rire.

"Star Naze", Jungle, 128 pages, 15 €

Science-fiction - Avenir radieux dans "Terra Humanis" de Fabien Cerutti

Les auteurs de science-fiction nous proposent souvent une vision sombre de l'avenir. Comme si notre perte était inéluctable. Pour conjurer ce sort, Fabien Cerutti propose une version radieuse de ces prochaines décennies. Car en utopiste indécrottable, il est persuadé qu'il est encore temps de sauver notre environnement. Comment ? Plongez dans « Terra Humanis » pour découvrir ses solutions. Un roman qui court sur plus d'un siècle, de la prise de conscience de quelques scientifiques à des découvertes majeures et quelques efforts pour réduire notre course en avant.

Tout change quand un couple, Rebecca et Luc, prennent le pouvoir en France, mobilisent la population sur leur programme écologiste et parviennent à entraîner d'autres pays émergents. Le changement est lent, plein d'embûches, mais efficace. Un texte résolument positif et optimiste, à l'opposé de la triste « écologie punitive », épouvantail des bonnes volontés.

« Terra Humanis » de Fabien Cerutti, Folio SF, 384 pages, 10 €

lundi 10 mars 2025

BD - Un (tout petit) ami de plus pour Anatole Latuile

Comme Tom-Tom et Nana en leur temps, Anatole Latuile est devenu une star de la bande dessinée. Une série au long cours, publiée chaque mois dans J'aime Lire et dont les albums ont été vendus à plus d'un million d'exemplaires. Le 18e recueil de ces histoires courtes vient de sortir et on retrouve avec plaisir toute la bande d'amis imaginés par Anne Didier et Olivier Muller (frère et soeur dans la vraie vie) et dessinés par Clément Devaux. 

Anatole, cheveux noirs et dressés sur la tête, aime et a de sérieuses aptitudes pour, dans l'ordre, provoquer des catastrophes, faire des expériences interdites et aider ses amis. Dans cet album de 11 histoires courtes intitulé "Un Max de surprises !", il va surtout développer sa dernière compétence pour Jason, son meilleur ami. 

Ils sont dans la même classe depuis des années et Jason, au début du premier récit, est très inquiet car sa mère semble totalement absente, comme obsédée par autre chose. Avec Anatole il va fureter mais c'est la perspicacité de Marjane (une de leurs nombreuses copines) qui amènera la réponse, loin d'être aussi dramatique qu'un divorce : la maman de Jason est tout simplement enceinte. 

Jason va bientôt avoir un petit frère ou une petite soeur. Une attente qui va permettre aux amis de faire des plans sur la comète et aux petits lecteurs de se préparer si, par bonheur, eux aussi ont une famille en cours d'agrandissement. Finalement ce sera un garçon, un petit Max, prénom suggéré par Jason, finalement très heureux de partager sa chambre avec ce bébé. 

Ces histoires, simples, comiques, ancrées dans le réel, expliquent tout le succès de la série, parfaite à partir de 8 ans, adaptée aussi sous forme de romans, de webtoon et bientôt au cinéma.

"Anatole Latuile" (tome 18), Bayard BDKids, 96 pages, 11,50 €

dimanche 9 mars 2025

Polar - Les petites combines d'un dealer

Témoignage édifiant que ce « Deal », texte signé d'un énigmatique « 6 ». Un jeune, originaire de Grenoble, y raconte comment il s'est fait une place dans le juteux mais dangereux monde du trafic de drogue.


Les documentaires inondant les chaînes de la TNT nous proposent souvent des émissions racontant 24 heures ou une nuit avec les policiers de terrain. Plus rares sont les émissions montrant l'autre côté, celui des dealers. Ce récit, sous forme de polar-confession, plonge le lecteur dans la spirale infernale de la vie d'une jeune originaire de Grenoble. A la première personne, « 6 » (c'est sa signature...), explique qu'à la base, il est simplement un gamin qui, s'ennuyant ferme dans sa banlieue, a tendance à fumer un peu trop de cannabis pour atténuer la morosité ambiante. Une consommation exponentielle qui devient problématique. Il décide donc de revendre une partie don stock pour financer les futurs achats.

Dans le milieu cela a un terme : il devient « brasseur ». Un consommateur qui peut, à l'occasion, dépanner les copains et connaissances. A la différence des dealers qui eux ne consomment pas.

La drogue n'est qu'un business comme un autre, le moyen de se faire beaucoup d'argent rapidement, comme nous le fait miroiter sans cesse notre société capitaliste et consumériste. L'auteur explique que « légal, illégal, licite, illicite... tout cela ne voulait strictement rien dire. Il n'y avait qu'une seule réalité : le profit, partout et tout le temps. Le produit, le service, la provenance ou la destination n'avaient aucune espèce d'importance. Le monde n'était qu'un immense champ de bataille ultralibéral parcouru par les flux incessants des capitaux. » Devenu incontournable dans son lycée ou son quartier, « 6 » gagne des clients et des relations. Touche à d'autres drogues (cocaïne, acides...), achète de grosses quantités et en fait son métier.

Attention, si vous croyez avoir découvert le livre qui prend la défense des consommateurs et des petits trafiquants, vous faites erreur. La concurrence est rude dans ce secteur particulier et la meilleure façon de s'imposer reste la méthode forte. Violente. Il n'y a rien de glamour à se faire tirer dessus ou à passer plusieurs mois en prison. On le découvre dans ce texte âpre, réaliste et sans concession au romantisme des brigands des temps nouveaux.

« Deal » de 6, Nouveau Monde éditions, 288 pages, 9,50 €

samedi 8 mars 2025

BD - La vie continue pour les deux soeurs en galère

Un récit solaire, malgré la misère, les difficultés et les incompréhensions. Sylvain Bordesoules, après le très remarqué L'été des charognes, revient dans un roman graphique tiré de son propre vécu. Mélissa et Candice sont soeurs. Deux Niçoises en galère. La première, la plus jeune, est au chômage. Habituée des petits boulots dans les grandes enseignes discount de banlieue, elle reste rarement en place. Présentement, elle profite de ses indemnités chômage. Après quelques copains de très mauvais conseils, elle a eu le coup, de foudre pour Press, une collègue de travail. Elles vivent ensemble. Discrètement. Dans un petit studio avec deux chats. La grande ville du Sud n'est pas la plus gayfriendly de la région... 

Sa soeur, Candice, l'aînée, a vite quitté sa mère et le beau-père. Un petit copain et elle tombe enceinte. Alors elle l'épouse, a un autre enfant et finalement le quitte. Seule dans son petit appartement, elle élève ses deux gosses tout en travaillant dans une crèche. Ménage et cuisine. Deux fortes personnes directement inspirées de l'entourage de l'auteur. Mais lui a quitté Nice et ce milieu populaire. Il en raconte la simplicité. Les difficultés aussi. 

C'est très réaliste, servi par des planches en couleurs où les teintes éclatantes jurent avec la grisaille et la tristesse du quotidien. Certes il fait beau à Nice, mais vivre à côté de la mer ne sert à rien si on a des difficultés à payer son essence ou la cantine des enfants. Radiographie crue et sans tabou d'une certaine France de la périphérie, Azur Asphalte se lit comme on regarde un reportage de Strip-tease, le côté voyeurisme en moins et un gros supplément d'âme pour faire passer le tout.  

"Azur asphalte", Gallimard, 168 pages, 24 €

vendredi 7 mars 2025

Biographie - Le rire de Pierre Bénichou

Immense journaliste, passé par de très nombreux journaux et devenu un des piliers du Nouvel Observateur, Pierre Bénichou fait partie de ces talentueux artistes sans œuvre. Son style lui aurait sans doute permis de signer des romans passionnants. Il se contentera de publier un recueil de ses nécrologies... 

Son bagout et son sens de la repartie étaient parfaits pour faire du stand-up. Mais le genre n'étais pas encore né. Alors il a amusé la galerie dans les bars et boites de nuit parisiennes. Et puis il a été remarqué par des faiseurs de stars. Sur le tard, il est devenu un sociétaire des Grosses têtes, poussant la chansonnette romantique après avoir sorti une vacherie absolue. 

Personnage complexe, Pierre Bénichou est au centre de cette biographie de Benjamin Puech. Dans quelques jours, cela fera 5 ans que nous sommes orphelins de cet amuseur talentueux.

« Pierre Bénichou, une figure de style », Benjamin Puech, Editions du Rocher, 208 pages, 19,90 €