mardi 23 avril 2024

Cinéma - “Le mal n’existe pas” au cœur des forêts du Japon

Film écologique, naturaliste et familial, « Le mal n’existe pas » de Ryusuke Hamaguchi donne à voir un autre Japon, partagé entre nature préservée et ambitions touristiques luxueuses. 

Le film débute par un long travelling sur les cimes d’arbres. Mais à l’opposé de nombre de génériques de série, ce n’est pas vu du ciel et à partir d’un drone que c’est filmé. La caméra avance et capte l’image des branches qui cachent en partie le ciel. La beauté de la forêt, mais admirée à hauteur d’homme, tête renversée. Ou d’enfant. Car ils sont deux à sillonner sans relâche cette zone protégée du Japon : Takumi (Hitoshi Omika) et sa fille Hana (Ryo Nishikawa).

Le premier est homme à tout faire dans cette petite ville loin de la frénésie de la capitale. Il élève seul sa fille de 8 ans qui passe plus de temps à courir la nature qu’à faire ses devoirs. Ce début de film pourrait sembler trop lent, sans la moindre action (par exemple cinq minutes durant lesquelles Takumi scie du bois puis fend des bûches…). Sauf si on lâche prise et qu’on écoute la musique de Eiko Ishibashi.

Le film est un dérivé d’une collaboration entre cette compositrice et le réalisateur. Il a filmé cette splendide forêt pour illustrer des concerts en live. Des images qu’il a reprises en partie dans le film, y greffant une intrigue qui prend toute son ampleur dans la seconde partie.

Des promoteurs ont acheté une partie de la forêt et veulent y implanter un « glamping ». Le concept fait fureur : un mélange de camping et de glamour. Cela apportera emplois et dynamisme économique. Mais lors d’une réunion de présentation du projet par deux jeunes investisseurs, les quelques habitants présents s’inquiètent surtout pour l’eau de la source qui alimente le village.

La fosse septique du « glamping » pourrait la polluer. Ils exigent que la fosse soit déplacée. Incompréhension des deux urbains. Le film se transforme en critique sociale et écologique. Car au Japon comme chez nous, les intérêts capitalistiques se moquent de la préservation de l’environnement. Et dans la suite de Le mal n’existe pas, Ryusuke retrouve la profondeur cinématographique de Drive my car. Les investisseurs sont parfaitement conscients que le projet est mal ficelé.

Mais une seule chose importe : le boucler le plus rapidement possible pour récupérer des subventions d’après crise sanitaire. La dernière partie du film voit les deux jeunes investisseurs revenir en forêt et tenter de persuader Takumi du bien-fondé de leur projet de glamping.

La confrontation de ces deux mondes et une fin totalement inattendue, toujours avec l’appui d’une bande-son virtuose, propulse ce film japonais vers le statut de chef-d’œuvre inattendu. Le Lion d’argent au dernier festival de Venise est dès lors tout à fait justifié.

Film de Ryusuke Hamaguchi avec Hitoshi Omika, Ryo Nishikawa, Ryûji Kosaka

 

lundi 22 avril 2024

En vidéo, les huit épisodes de “Mercredi” dans un coffret

 


Huit épisodes et un succès planétaire inégalé. la série Mercredi, qui vient de sortir en vidéo chez Warner, doit beaucoup à Jenna Ortega, interprète principale. Mais c’est avant tout la vision de Tim Burton qui a permis à cette histoire issue de la célèbre Famille Adams de marquer les esprits lors de sa sortie en 2022 sur Netflix.

Dans le boîtier de deux blu-ray ou trois DVD on retrouve tous les épisodes, évidemment, mais malheureusement pas le moindre bonus. Pourtant? il y aurait sans doute beaucoup à montrer sur la genèse de la série, le tournage (en Europe, exactement en Roumanie au cœur des Carpates) ou le casting. On se contentera donc de la bouille craquante de Jenna Ortega et de ses aventures fantastiques et assez sombres.
Quant à la saison 2, elle a été confirmée, mais toujours pas sa date de diffusion.

dimanche 21 avril 2024

Un polar best-seller : Les effacées de Bernard Minier

Suite des aventures de Lucia Guerrero. Bernard Minier revient en Espagne pour la seconde enquête de cette policière galicienne. Le premier tome, Lucia, vendu à des milliers d’exemplaires, vient de sortir en poche chez Pocket. Le second, Les effacées, est promis au même succès.

Deux meurtriers, des cibles différentes. D’un côté ce sont des femmes invisibles, ces ouvrières pauvres, forçats de l’ombre, qui sont la cible d’un tueur. De l’autre, les victimes sont des milliardaires madrilènes.

Lucia va tenter de faire le lien entre deux affaires qui représentent, encore et toujours, la lutte entre riches et pauvres, bien et mal.

« Les effacées » de Bernard Minier, XO, 418 pages, 22,90 €

samedi 20 avril 2024

Une BD best-seller : La route par Manu Larcenet


Manu Larcenet frappe une nouvelle fois très fort. Son adaptation en BD du roman La route de Cormac McCarthy, dès sa sortie, s’est hissé en tête des ventes de BD.

Depuis Le combat ordinaire (20 ans déjà), Larcenet ne cesse de remonter le niveau de sa production, déjà bien supérieure à la moyenne. Dans ce roman graphique post-apocalyptique, il manie le noir, le gris et les hachures avec une dextérité inégalée.

Des dessins sublimes (chaque case pourrait être encadrée et vendue à des prix exorbitants) qui pourtant ne servent qu’à donner encore plus de force à ce récit centré sur la relation d’un père et son fils dans un monde où la mort est omniprésente, où chaque matin, malgré le brouillard éternel, est une victoire pour l’avenir.

« La route », Dargaud, 160 pages, 28,50 € (Version luxe en noir et blanc, 39 €, le roman illustré chez Points, 12,90 €)

vendredi 19 avril 2024

BD - Toutes les couleurs de la vie à bord du "Navire écarlate"

Essentiellement connus pour leurs réalisation dans le domaine de l'animation, Claire Grimond et Léo Verrier font une entrée remarquée dans le petit monde de la bande dessinée avec ce premier album. Le Navire écarlate, roman graphique plutôt destiné aux plus jeunes (à partir de 10 ans),  baigne dans l'art.

Le héros, Malo, est le petit-fils d'une célèbre peintre, Zita. Il aime lui aussi imaginer des scènes sur papier. Mais il a peur du jugement des autres,; manque de ,confiance, est persuadé de ne pas avoir de talent. Il va devoir changer ce jugement quand il est enlevé par un mystérieux ascenseur volant avec Zita.


I
l se retrouve sur le Navire écarlate, un bateau volant, occupé par des pirates peintres qui, la nuit, barbouillent les façades des immeubles gris et ternes de couleurs éclatantes. C'est à bord qu'il croise pour la première fois Cyane, une petite muse ailée. Elle les met en garde contrer les agissements du capitaine Magenta. 

De l'aventure, de la beauté, de l'imagination... il y a même beaucoup d'humour dans ce récit qui fait la part belle à l'éveil artistique des jeunes lecteurs. Une jolie surprise parue en janvier 2024.

"Le navire écarlate", Jungle, 112 pages, 17,95 €

jeudi 18 avril 2024

BD – La saga Wild West se poursuit dans « La boue et le sang »


Quatrième épisode de la saga Wild West imaginée par Thierry Gloris et dessinée par Jacques Lamontagne. Cet ambitieux western s'appuie sur plusieurs figures de la conquête de l'Ouest américain : Calamity Jane, Buffalo Bill et Charlie Utter. Trois durs à cuire unis pour tenter de mettre fin aux agissements d'un tueur en série profitant de la violence exacerbée de l'époque. Un Blanc qui scalpe ses victimes. Une enquête en parallèle de leur véritable boulot : hommes de main de Graham, patron de l'Union Pacific, société qui construit le chemin de fer qui va relier les deux côtes de l'Amérique du Nord. 

Jane et ses amis vont à Chicago pour tenter de retrouver la piste du tueur par l'intermédiaire d'un journaliste. Au même moment, la compagnie ferroviaire,n pour faciliter les travaux, dynamite un cimetière indien. Cela suffit pour remettre Cheval Fou sur le chemin de la guerre. C'est dans ce contexte, d'une ville assiégée par des Indiens déchaînés que le trio revient à Mud City. La chasse au tueur attendra les dernières pages. Avant il faut sauver la ville et tenter de calmer les Indiens. 

Cet album raconte la Grande histoire (la construction de la voie de chemin de fer, l'expropriation des Indiens, l'exploitation des soldats noirs...) à travers la petite. Un sans faute pour Thierry Gloris qui signe sans doute un de ses meilleurs scénarios. 

Parfaitement servi par le dessin réaliste d'une grande précision par un Jacques Lamontagne qui aura trop longtemps gaspillé son talent dans des agences de pub canadiennes. 

« Wild West » (tome 4), Dupuis, 48 pages, 15,50 €

mercredi 17 avril 2024

BD - "Les règles de l'amitié" pour aller de l'amitié à l'amour

 

Elles ne sont que quatre et Américaines. Les filles de la série Les règles de l’amitié, imaginées par Karen Schneemann (scénario) et Lily Williams (scénario et dessin) ont moins de problèmes existentiels que les Filles uniques françaises, mais leur dernière année au lycée n’est quand même pas un long fleuve tranquille.

Dans le premier tome, les autrices ont voulu parler des règles sans tabou. Un livre témoignage, un livre solution. Dans le second, elles s’intéressent plus à la psychologie du quatuor et détaille leurs amours. Si Sash semble vivre une belle histoire d’amour tout ce qu’il y a de plus classique avec un gentil Anglais, elle va cependant devoir moins le fréquenter pour améliorer ses résultats.

Brit, souffrant d’endométriose, est partagée. Elle craque pour le beau Jorge, mais Fitz, intellectuel comme elle, semble mieux la comprendre. C’est encore plus compliqué pour Brit. Elle est tombée amoureuse d’Abby, la quatrième du groupe, sa meilleure amie. Mais comment cette dernière va réagir ? Et comment lui dire ?

Ces préoccupations lycéennes sont criantes de vérité. Les études, les amours, les questions de genre et de préférence se bousculent dans l’esprit en plein apprentissage de ces jeunes héroïnes. Une presque sit-com, avec des personnages différents et des thèmes encore plus inhabituels. Un gros pavé qui se dévore comme un bon feuilleton, que l’on soit il, elle ou iel…

 « Les règles de l’amitié » (tome 2), Jungle, 336 pages, 18,50 €

mardi 16 avril 2024

BD - Les mal-barrées de la série "Filles uniques" se rebiffent

 


Il y a de plus en plus de profondeur et de réflexion dans les bandes dessinées écrites par Béka, duo formé par le couple Caroline Roque et Bertrand Escaish. Si Filles uniques semblait au début une série sur la jeunesse actuelle, au fil des albums, l’histoire a pris un tour plus dramatique et psychologique.

Elles sont cinq dans ce club des Mal-Barrées. Des nanas qui ne se reconnaissent pas dans les gravures de mode adeptes du formatage imposé par les réseaux sociaux. Cinq individualités qui ont cependant besoin de collectif. Elles se sont finalement trouvées et ont pour prénom Apolline, Sierra, Céleste, Paloma et Chelonia. C’est l’histoire de cette dernière qui est présentée dans la première partie de ce 5e tome. L’instigatrice du club, la plus secrète. Celle qui cache le plus. Chelonia qui serait la demi-sœur de Paloma.

Un même père, pervers narcissique qui a détruit leurs mères. Mais la réalité est plus complexe et c’est un autre homme, inquiétant au premier abord, Solo, un hacker, qui raconte l’enfance de Chelonia à Mayotte.

La suite du récit est un joli retournement de situation, prouvant la grande intelligence des Béka dans l’analyse de la pensée des adolescentes. Le dessin de Camille Chenu, tout en finesse apporte un côté un peu plus léger à cette BD parfois dure et violente.

« Filles uniques » (tome 5), Dargaud, 56 pages, 13 €


lundi 15 avril 2024

Littérature étrangère - 18 novembre pour l’éternité

Tara Selter est bloquée dans le temps. Jour après jour, elle revit le 18 novembre. Les deux premiers tomes (sur sept) de cette expérience littéraire de Solvej Balle viennent de paraître.

Méfiance, lire Le volume du temps de Solvej Balle peut provoquer un basculement dans la folie. Il faut avoir les nerfs bien accrochés pour ne pas tomber dans un état autre, étrange, dangereux, en découvrant les circonvolutions effectuées jour après jour par l’esprit de Tara Selter, la narratrice. Son manuscrit, qui va s’étendre sur sept tomes et que Solvej Balle, autrice norvégienne a mis plus de 20 ans à finaliser, débute au jour #121. Cela fait 121 jours que Tara est bloquée dans le temps. 121 jours qu’elle se réveille le matin du 18 novembre. Elle se souvient des autres jours. Son entourage par contre, n’en garde jamais le moindre souvenir. Le 18 novembre, Tara est à Paris. Elle rentre d’un voyage d’affaires à Bordeaux (achat de livres anciens). Son mari est resté chez eux, un petit village du Nord de la France. Elle doit le rejoindre le 19. Mais cela fait 121 jours qu’elle attend ce 19 novembre. En vain.

Le thème de la boucle dans le temps, popularisée avec le film Le jour de la marmotte, n’a jamais été développé à ce point. Pas sur le plan science-fiction, mais uniquement sur les conséquences sur le quotidien du prisonnier. Tara détaille toutes ses interrogations, peurs, incertitudes. Comment elle prend conscience que ce 18 novembre infini n’est pas un mauvais rêve, ce qu’elle tente pour briser le cercle infernal. « Nos connaissances auraient dû nous préparer à affronter l’invraisemblable, se dit-elle, mais ce n’est manifestement pas le cas. Bien au contraire : nous le côtoyons sans être pris de vertige tous les matins. Au lieu d’avancer prudemment et avec un étonnement constant, nous nous comportons comme si tout allait de soi. L’étrangeté nous paraît normale ; le vertige ne nous saisit que lorsque le monde nous apparaît tel qu’il est : incohérent, imprévisible et absurde. »

Dans un premier temps elle décide de revenir chez elle, rejoindre Thomas dès le matin. Elle passe la journée avec lui, mais le lendemain, il revit le 18 sans se souvenir de la veille, ne comprend donc pas ce qu’elle fait là. Elle lui explique de nouveau. Explications qu’il oublie le lendemain. Elle insiste : « Je devais trouver des réponses, une explication, un moyen de m’en sortir. Si j’arrivais à percer les mécanismes du temps, je parviendrais peut-être à remettre la journée sur ses rails. » Au bout d’une cinquantaine de jours, Tara, abandonne et va se cacher dans la maison, vivre ces 18 novembre par procuration. Car Thomas semble de plus en plus déconcerté, inquiet. « J’étais réellement devenue folle. Mais il confondait la cause et l’effet. Je n’étais pas folle au point d’imaginer que j’avais vécu trois cent trente-neuf 18 novembre. Si je l’étais devenue, c’était parce que je les avais réellement vécus. »

Lassée de revivre cette journée au même endroit, avec la même météo et les mêmes gens, Tara décide de bouger, donnant encore plus d’ampleur à ce voyage dans l’espace, mais dans un temps limité. Le volume du temps est déstabilisant.

On ne peut s’empêcher au fil des pages de s’interroger sur notre propre façon d’appréhender le temps qui passe, les opportunités ratées, les désirs inassouvis, les envies toujours présentes mais remisées au fond de notre subconscient pas manque de volonté.

« Le volume du temps » (tomes 1 et 2), de Solvej Balle, Grasset, 252 et 288 pages, 18,90 et 19,90 €

dimanche 14 avril 2024

Polar - « La Reine jaune » terrorise Roquebrune-sur-Argens

Un gendarme rigide et une spécialiste en écrits médiévaux enquêtent pour la seconde fois ensemble. Un drôle de duo imaginé par Joseph Macé-Scaron.


Après les falaises et les embruns d’Étretat, place à la garrigue et à la canicule de Roquebrune-sur-Argens. Gendarme en délicatesse avec sa hiérarchie, le capitaine Guillaume Lassire est muté (sanctionné plus exactement) en Provence. Il a été un peu trop brillant dans la résolution de sa première enquête (La falaise aux suicidés) et depuis se morfond dans ce Sud apathique, terrassé par la canicule.

Seul intérêt de la très tranquille vile de Roquebrune-sur-Argens, c’est là qu’on aurait aperçu pour la dernière fois Xavier Dupont de Ligonnès. Mais pas de chasse à l’homme pour Guillaume. Il doit se contenter de dissuader les particuliers de remplir leurs piscines, l’eau devenant de plus en plus rare. Il est aussi sollicité par des jeunes filles qui auraient pris une jeune fille fantôme en stop ou déterminer d’où vient un livre découvert à la bibliothèque et peut-être annoté par Dupont de Ligonnès.

Pour ce dernier cas, il va faire appel à Paule Nirsen, chartiste et déjà sollicitée à Étretat. C’est donc dans un cadre géographique radicalement différent que Joseph Macé-Scaron reforme son duo d’enquêteurs. Rapidement les choses vont se compliquer. Un inconnu agresse Paule pour lui dérober le livre. Et une jeune femme, vêtue d’une robe jaune, comme la mystérieuse auto-stoppeuse, est découverte morte dans le lit de la rivière.

Le mystère s’épaissit et prend un petit côté fantastique dans cette Provence beaucoup plus violente que l’image popularisée par Pagnol. L’occasion aussi pour l’auteur de brosser quelques portraits savoureux de notables, comme cette bibliothécaire sans doute trop curieuse ou le chef de brigade, expert en management par le vide : il donne des ordres incohérents et inutiles pour faire croire que l’on s’active alors que son seul désir est de ne rien faire bouger…

L’excellente nouvelle, en fin d’enquête, c’est l’annonce d’un troisième titre ayant pour vedette le couple (en tout bien tout honneur) composé par Paule et Guillaume.

« La Reine jaune » de Joseph Macé-Scaron, Presses de la Cité, 320 pages, 21 €