vendredi 21 octobre 2022

DVD et Blu-ray - "Coupez !", subtile leçon de cinéma


Bien plus qu’un film de zombies, Coupez ! de Michel Hazanavicius intéressera surtout sur son aspect leçon de cinéma. La première partie est constituée de ce moyen métrage halluciné où ça meurt et massacre à tour de bras. Mais une fois le dernier plan du générique passé, on a droit à la genèse du projet. 

Comment ce réalisateur (Romain Duris) qui fait plutôt dans le drame intimiste et intellectuel, accepte de se lancer dans cette réalisation en direct pour le lancement d’une nouvelle plateforme de streaming. Répétitions, préparation du plateau, modifications du scénario, défaillance de certains comédiens, prise de tête avec d’autres… rien ne lui est épargné. 

Autant de situations compliquées qu’il faut absolument gérer dans l’urgence, pour ne pas crier l’ordre qui dans le cas présent signifierait l’échec du projet : « Coupez ! ». Remake d’un film japonais, Coupez ! (Pan-Européenne), n’a pas de bonus mais permet de retrouver des acteurs et actrices au sommet du burlesque, Bérénice Béjo, Grégory Gadebois et Finnegan Oldfield en tête. 


BD - Banksy rend les rues artistiques


Qui est Banksy ? Cette BD documentaire ne donne pas une réponse définitive mais les deux auteurs, Matteuzzi (scénario) et Maraggi (dessin) semblent pencher pour l’œuvre d’un collectif politique très engagé. Pour comprendre comment le phénomène du street art est devenu mondial, Looking for Banksy suit deux jeunes Anglais. 

Adam est surpris en pleine action sur un mur, Claire, vidéaste, est aussi embarquée car elle filmait. Ensemble ils vont réaliser des vidéos pour expliquer au plus grand nombre le phénomène Banksy. Le résultat est pédagogique, moderne et très documenté. 

« Looking for Banksy », Hugo, 19,95 €


jeudi 20 octobre 2022

DVD et Blu-ray - Dans les coulisses de la célébrité


Tourné presque intégralement dans l’Aude, J’adore ce que vous faites (Gaumont) de Philippe Guillard est désormais disponible en DVD après un relatif échec lors de sa sortie en salles (un peu plus de 150 000 entrées). Pourtant la comédie est réussie, servie par un duo d’acteurs complémentaires. Artus et sa bonhomie faisant le contrepoint parfait de l’humeur souvent massacrante de Gérard Lanvin. 

Un Gérard Lanvin qui pour la première fois de sa foisonnante carrière joue son propre rôle. Comédien reconnu internationalement, il est choisi pour interpréter un Résistant dans une grosse production américaine sur la Libération de la France. Sur place, son quotidien de vedette est chamboulé par l’arrivée d’un fan Momo Zapareto (Artus), aussi exaspérant qu’idiot. Une confrontation qui va faire des étincelles. 

BD - Deux tueuses


Terry Moore est l’exemple même de l’auteur américain qui sait construire un monde qui n’a rien à voir avec les superhéros. Dans Serial, il met en vedette la petite Zoe, déjà vue dans Rachel Rising. Zoe semble avoir 10 ans, mais elle est coincée dans ce corps depuis 50 ans. Dont une trentaine sous la domination d’un démon la transformant en tueuse. 


Libérée, elle tente de reprendre une vie normale, mais quand sa meilleure amie est tuée par une autre serial killer, Zoe voit rouge. Les deux femmes vont s’affronter durant 220 pages en noir et blanc de toute beauté.

« Serial », Delcourt, 19,99 €


mercredi 19 octobre 2022

Série télé - Cinq sœurs à défendre sur AppleTV+


La plateforme AppleTV +, contrairement à Netflix ou Prime Vidéo d’Amazon, ne cherche pas à noyer ses abonnés sous une masse de nouveautés. Au contraire, la marque à la pomme privilégie la qualité. Et ses propres productions. Donc il y a beaucoup moins à voir, mais les « déchets » sont quasi inexistants. De plus, les séries sont rarement données à voir d’un bloc, les épisodes, comme sur les chaînes TV classiques, étant distillés au rythme d’un épisode par semaine. Mi-août les deux premiers épisodes de Bad Sisters ont été mis en ligne. Ce vendredi, le 10e et dernier chapitre de cette comédie policière irlandaise a été mis en ligne permettant aux pressés de profiter d’un coup d’un seul des manigances des sœurs Garvey. 

Détestable mari

Elles sont cinq, toujours très unies malgré leurs parcours et caractères très différents. Une famille unie, catholique (l’action se déroule essentiellement en Irlande) pleine d’habitudes qu’il faut faire perdurer comme le bain de Noël dans l’eau glacée. Il faut plus d’un épisode pour bien cerner la mentalité des cinq. Eva (Sharon Horgan, également scénariste et productrice de la série), est l’aînée. Célibataire, elle a terminé l’éducation de ses quatre sœurs à la mort prématurée des parents. Ursula (Eva Birthistle), mère de famille, infirmière, semble la plus normale. Bibi (Sarah Greene) est la plus rebelle et iconoclaste. Borgne, elle se promène avec un bandeau noir sur son œil crevé, telle une pirate sans foi ni loi. Becka (Eve Hewson), la petite dernière, cherche toujours le grand amour. 

En attendant elle multiplie les coups d’un soir. Reste le cas de Grace (Anne-Marie Duff). Mariée à John-Paul (Claes Bang), elle est le prototype de la femme au foyer brimée par un pervers narcissique. Ce mari détestable est le personnage pivot de la série. Pour protéger leur sœur qui s’étiole de plus en plus, les autres sœurs décident de se débarrasser de John-Paul. Plusieurs tentatives seront nécessaires pour arriver à ce résultat qui amène la séquence culte du premier épisode : les obsèques.

Adaptée librement d’une série belge, Bad Sisters est une superbe histoire de sororité. On ne peut que comprendre ces femmes dans leur volonté d’éradiquer ce malfaisant. Il y a en filigrane aussi la critique de la société irlandaise corsetée dans une tradition catholique que l’on qualifierait en France d’intégriste. Et pour le côté intrigue au long cours, on se délecte de l’enquête foireuse menée par deux assureurs cherchant par tous les moyens de ne pas payer l’assurance vie contractée par John-Paul. Comique, émouvante, farfelue : Bad Sisters est le parfait divertissement pour les femmes, toutes les femmes, et les hommes qui en font trop. Tous les hommes… 

Roman - Impressions manipulatrices

En premier lieu voyage à travers l’histoire de la photographie, ce thriller psychologique de Robert Goddard est aussi, et avant tout, le récit d’une manipulation de haut vol. Comme si le personnage principal de L’inconnue de Vienne, un photographe professionnel talentueux, se retrouvait piégé dans une de ses compositions un peu trop artistique pour être réelle.

Photographe anglais, Ian Jarrett a couvert plusieurs guerres ? Un de ses clichés, pris durant la guerre du Golfe, a fait toutes les couvertures des magazines et lui a permis de se faire un nom. Depuis, il a abandonné les zones de conflit et se contente de signer des clichés artistiques pour des livres de commandes. Voilà comment il se retrouve en cet hiver à Vienne. Une semaine pour rapporter une dizaine d’images typiques de la capitale autrichienne. Une bonne occasion pour abandonner l’ambiance délétère de la maison familiale. Ian n’aime plus sa femme, au grand désespoir de leur fille adolescente, Amy. 

C’est en photographiant la place Saint-Etienne qu’elle lui est apparue : « Une silhouette déboucha dans l’image du côté sud de la cathédrale, vêtue d’un manteau rouge boutonné jusqu’au col pour se protéger du froid. » Il prend la photo mais cela ne plaît pas à L’inconnue de Vienne. « Elle marcha droit vers moi, les sourcils froncés. Elle donnait presque l’impression d’être en colère, ses yeux sombres me fixaient avec un air de défi. » Rencontre impromptue et coup de foudre immédiat. Elle dit s’appeler Marian, fuir son mari et ne pas savoir de quoi sera fait son avenir. Durant une semaine ils vont d’aimer. Et se promettre de se retrouver en Angleterre, de repartir à zéro. 

La disparition de l’inconnue

La première partie du roman est presque trop belle pour être vraie. Mais le talent de Robert Goddard fait qu’on est totalement happé par cet amour fou. On veut y croire, même si on se doute que l’avenir sera moins rose. De retour à Londres, Ian quitte le foyer et se rend au rendez-vous convenu avec Marian. Qui n’est pas là. Commence une longue quête pour la retrouver. Percer ses mystères. Ian découvre que Marian est le nom d’une femme ayant vécu au XIXe siècle. Elle aurait, la première inventée la photographie. La femme de Vienne serait en réalité « possédée » par le fantôme de Marian. Une explication non rationnelle. Contrairement aux négatifs de la véritable Marian, retrouvés dans une vieille demeure. Ils valent de l’or. Est-ce le véritable mobile de la disparition de la belle inconnue de Vienne ? 

Au gré des 430 pages du roman, Robert Goddard multiplie les fausses pistes, alternant les récits en parallèle, du présent compliqué de Ian à son passé traumatisant en passant par les bonds dans le temps racontant la vie de la véritable Marian, génie de la chimie, femme brimée par un mari violent et rétrograde. Et quand quelques escrocs viennent mettre leur grain de sel, on se retrouve avec un petit chef-d’œuvre de manipulation entre les mains, un roman brillant qui vous surprendra jusque dans son dernier chapitre. 

« L’inconnue de Vienne » de Robert Goddard, Sonatine, 23 €


mardi 18 octobre 2022

Série télé - Peurs de malades

À quelques jours d’Halloween, les séries horrifiques débarquent en masse sur les plateformes de streaming. L’occasion de se faire peur bien protégé sous la couette, lové dans le canapé, si possible en compagnie de potes ou mieux d’un être aimé. Les sensations en seront décuplées, notamment si vous jetez votre dévolu sur The Midnight Club, à découvrir sur Netflix. Un choix qu’on ne peut qu’encourager. En premier lieu car il s’agit d’une série signée Mike Flanagan. Aussi car plusieurs passages sont tirés des romans de Christopher Pike. Bref des frissons assurés et de qualité. 

Tout débute par l’annonce d’une maladie incurable à la jeune Ilonka (Iman Benson, photo dessus). Après des recherches, elle décide de finir ses jours dans une structure réservée aux adolescents. Elle va partager son quotidien, a priori ses derniers mois d’existence, avec d’autres cancéreux condamnés. Des jeunes qui tentent de vivre comme tout le monde et ont même mis en place un club secret. The Midnight club se réunit la nuit dans la bibliothèque et à tour de rôle ils se racontent des histoires épouvantables. 

C’est le volet très Halloween de la série. Mais en filigrane, il y est aussi question de résilience, de rapport avec la mort, de famille (aimante ou qui vous abandonne) et un peu de miracles. Car Ilonka est persuadée que sa mort n’est pas inéluctable. Elle a découvert que dans les années 60 une patiente de l’établissement est sortie en pleine santé de l’institution. De là à se persuader que cela peut lui arriver, il n’y a qu’un pas. Reste à savoir quel est le prix à payer. 

Jeunesse - Deux récits royaux


Deux rois en vedette dans la très jolie collection Pastel de L’école des loisirs. 

Kristien Aertssen dans Mon papa roi raconte comment un gentil roi tente de satisfaire son fils, le prince. Un prince qui voudrait savoir qui est le roi des papas. Son père, pour tenter de trouver la réponse, va le conduire auprès de différentes personnes remarquables. Mais si l’un est le roi du vélo, un autre le roi du bricolage ou roi des gourmands, aucun ne peut prétendre au titre suprême. De retour au palais, le papa roi après avoir appris auprès des différents rois leurs secrets, reproduit joie et amusement pour le prince qui du coup, décrète qu’il n’y a qu’un seul et unique roi des papas : le sien ! 


Olivier Tallec brosse le portrait d’un roi qui s’ennuie. Il a tout, d’une planche à roulettes à un éléphant sans trompe, mais il lui manque l’essentiel : rien. 

«Mon papa roi», L’école des loisirs, 14 €, «Le roi et rien», L’école des loisirs, 15 €

lundi 17 octobre 2022

Thriller - La Réunion, côté sombre

Tristes tropiques… Pourtant ces petites îles françaises, derniers vestiges d’un empire colonial évaporé, ont tout pour être des paradis miniatures. Mais une certaine fatalité semble plus forte que les atouts intrinsèques de ces territoires. 

Le nouveau roman de Jacques Saussey, L’aigle noir, se déroule à la Réunion. Ce département français dans l’océan Indien, dans l’hémisphère sud, a des paysages d’une richesse incroyable. Quelques plages, un climat favorable, une population métissée vivant en harmonie. Mais ce thriller dresse un portrait assez sombre de cette île. 

Le héros, Paul Kessler, ancien flic dépressif qui a démissionné après un drame familial, est embauché par un riche propriétaire terrien dont la famille a fait fortune dans la culture de la vanille, pour découvrir si la mort de son fils dans un crash d’hélicoptère dans le cirque de Mafate est bien un accident comme le prétendent les gendarmes ou un sabotage. 

Kessler, totalement déboussolé au début, va tenter de trouver des pistes malgré une chape de plomb tombées sur cette affaire qui embarrasse beaucoup trop de personnes. Car le jeune pilote, riche fils à papa, séducteur et fêtard, était moins lisse qu’il n’y paraît. Mauvaises relations, vices cachés, dettes : il avait effectivement maintes raisons pour être éliminé. 

Alors Kessler va décider d’aller sur le lieu du crash, dans cette nature sauvage, accompagné d’une jeune Réunionnaise. Une épreuve pour le vieux flic : « Bientôt le chemin s’éleva. De temps à autre, une trouée dans les arbres leur permettait de voir le ciel se charger de plus en plus. Au bout d’un raidillon très escarpé, tout en haut d’une crête qui dominait une vallée noyée dans la brume, le retraité stoppa une seconde, les mains appuyées sur les genoux. » C’est dans cet enfer vert, coupé de toute civilisation, que Paul va affronter le pire ennemi de sa carrière, un sorcier vaudou qui a trouvé dans les déviances sexuelles d’une partie de la population un terreau idéal pour mettre en place sa nouvelle église. 

Un roman dépaysant, sans concession, parfois glaçant par les sujets abordés (inceste, pédophilie), mais qui reste addictif et édifiant. 

« L’aigle noir » de Jacques Saussey, Fleuve Noir, 22,90 €

Roman - Fata Morgana

« Tu veux partir à l’étranger ? » Dele, riche « commerçant » de Lagos au Nigeria recrute les plus belles filles. Celles surtout, qui se retrouvent à la dérive ou simplement rêvent d’une vie meilleure. Elles sont quatre. Dans le petit appartement de la nommée comme un présage Zwartezusterstraat (rue de la sœur noire). Sisi, Joyce, Efe et Ama. Au parcours si différent mais au désir commun : gagner le maximum de fric pour rembourser Dele, leur « Madame » et enfin commencer leur vie.

Dès le lendemain de leur arrivée, la Madame les met au turbin. À savoir, dans une vitrine du quartier rouge d’Anvers, string, pulp up et paillettes. L’enfer. Enfin elles le croyaient, jusqu’à ce matin maudit où Madame leur annonce le meurtre de Sisi. Elles se rapprochent alors, et les vannes s’ouvrent. Leur véritable histoire jaillit de leur bouche, de leur cœur, de leurs tripes. En même temps que leurs langues se délient, elles-mêmes se sentent liées à tout jamais.

L’écriture puissante de Chika Unigwe, elle-même née au Nigeria, parvient à s’insinuer aux tréfonds de notre âme. Qui en restera à jamais marquée.

F. H.

« Fata Morgana », Chika Unigwe, Globe. 23 €