samedi 22 janvier 2022

Document. A la découverte d’un petit pays qui a failli exister


Chaque pays a sa devise. Face à « Liberté, égalité fraternité » si chère aux Français, les habitants du Liberland ont préféré « Vivre et laissez vivre ». Devise toute théorique comme le pays, utopie libertarienne qui n’a jamais réussi à passer l’épreuve de la reconnaissance par une autre nation. La brève histoire du Liberland est racontée par Timothée Demeillers et Grégoire Osoha, deux auteurs qui ont rencontré le président de ce micro-état situé sur la Danube, sur une bande de terre non revendiquée entre Croatie et Serbie. 

Ce document, raconté comme un roman politico-diplomatique, est par moment incroyable. Comment un Tchèque, homme politique qui a tenté en vain d’importer le parti libertarien des USA dans son pays, a cru possible de créer un état indépendant sur cette bande de terre coincée dans les méandres du Danube entre deux pays qui il y 20 ans à peine étaient en pleine guerre ? 

Pourtant Vit Jedlicka y a cru jusqu’au bout. Tout a débuté en 2015. Vit, sa compagne et un ami, posent le pied sur ces terres, les revendiquent et hissent les couleurs du Liberland. Ils sont vite chassés par les gardes-frontières croates. Ce qui était considéré comme une plaisanterie devient plus compliqué quand des milliers de personnes veulent devenir citoyens du Liberland. L’argent afflue, Vit entreprend de longues tournées pour recevoir le soutien de pays. Il croit arriver à son but quand il est officiellement invité comme chef d’État à l’investiture de Trump. 

Mais malgré se solides appuis chez les Républicains américains, les USA ne bougent pas. Et sur place, les centaines de colons sont obligés de rester loin des terres revendiquées. 

Ces péripéties sont racontées avec gravité, parfois humour, par les deux auteurs qui loin de banaliser cet état où tout serait permis, soulignent aussi que c’est essentiellement l’extrême-droite, les racistes et les complotistes qui apprécieraient qu’un tel état voit le jour. Pour l’instant ce n’est pas le cas. Mais d’autres tentatives pourraient voir le jour, sur d’autres terres reculées et vierges. 

« Voyage au Liberland » de Timothée Demeillers et Grégoire Osoha, Marchialy, 20 €

vendredi 21 janvier 2022

Streaming - Drôle de changement pour Hôtel Transylvanie sur Prime Vidéo


100 millions de dollars. C’est le prix que Amazon Prime a déboursé pour avoir en exclusivité les droits de diffusion du quatrième opus de la saga Hôtel Transylvanie. Ce film d’animation produit par Sony devait sortir en salles au mois d’octobre dernier. 

Il a été reporté à plusieurs reprises en raison de la crise sanitaire et finalement le long-métrage débarque directement en streaming sur la plateforme du géant de la vente en ligne. 100 millions c’est une belle somme même si le 3e volet avait rapporté 527. Mais c’était en 2018…

Dans cet Hôtel tenu par Dracula, les monstres sont choyés. Mais le patron est sur le point de prendre sa retraite. 

Il envisage de céder son commerce à sa fille Mavis (une vampire) et son gendre Johnny (un banal humain, complètement crétin en plus). Au dernier moment il abandonne son projet. Justifiant sa décision par le fait que Johnny n’est pas un monstre. Problème, à cause d’une invention de Van Helsing, Johnny se transforme en monstre. Et Dracula en humain. Ils vont devoir se lancer dans une quête dangereuse en Amazonie pour tenter de remettre les choses dans l’ordre.


Le film ne fait pas dans la dentelle parfois. Notamment quand Johnny se met à chanter. Mais cette idée d’inverser les rôles est parfaitement maîtrisée et une source inépuisable de gags. On rit beaucoup, avec les enfants mais aussi seul car les allusions et clins d’œil adultes pimentent parfois le scénario.

De choses et d’autres - Mal au casque

 

Un éleveur turc, pour diminuer le stress de ses vaches laitières, a tenté une expérience. Il en a équipé certaines de casques de réalité virtuelle. Tout en restant à l’étable, elles avaient l’impression de se balader dans de vertes prairies. Résultat, les deux mammifères équipés ont produit en moyenne 27 litres chaque jour contre seulement 22 pour les ruminants bien conscients de leur enfermement.

 

Je pense qu’il faut absolument étendre cette expérience à bien des secteurs de notre société sclérosée pour gagner en productivité. Chaque enseignant, entre deux cours, en salle des profs où il boit des cafés debout, devra porter un casque VR qui le propulsera au bord de la Méditerranée, transformant le petit noir en mojito, le chauffage d’appoint en soleil brûlant et les revendications des collègues syndiqués en musique techno. Une fois de retour en classe, il sera plus détendu et aussi efficace que son ministre de tutelle.


De même, les livreurs de pizza et autres repas issus des chaînes de restauration rapide, pour bien comprendre qu’ils sont l’avenir économique de notre pays puisqu’ils représentent la moitié du million de créations d’entreprises en 2021, devront, entre deux commandes, s’entraîner grâce à la réalité virtuelle à troquer leur vélo pour une Ferrari et vivre par procuration des conseils d’administration des géants du CAC40.

Et même moi je vais demander à ma direction d’être équipé. Avec un casque VR me plongeant en pleine séance du dictionnaire à l’Académie française, je suis certain de faire moins de fautes. Et de trouver facilement le sommeil.

Chronique parue en dernière page de l’Indépendant le vendredi 21 janvier 2022

jeudi 20 janvier 2022

Absence mortifère au cœur de “Serre moi fort”



Clarisse (Vicky Krieps) quitte le domicile conjugal. Au petit matin, elle part, seule. Un dernier regard vers son mari Marc (Arieh Worthalter) qui dort encore. Elle lui prend juste son briquet. Dans la chambre des enfants, elle remet le garçon dans le bon sens du lit. L’aînée, Lucie, semble la regarder. Clarisse sort par la porte de la cuisine, monte dans une vieille voiture (celle de la jeunesse de Marc) et part vers la mer. Elle a envie de voir la mer…

Les premières minutes de « Serre-moi fort » (Gaumont Vidéo), film signé Mathieu Amalric sont très déstabilisantes. On devine dans l’attitude de la mère une grande tristesse. De la lassitude aussi. Presque du renoncement. Mais pourquoi partir ? Ensuite, c’est un tsunami d’interrogations. Les enfants se lèvent. Constatent l’absence de leur maman. Le père fait comme si de rien n’était. La vie continue. Clarisse est-elle un fantôme comme le suggère Lucie ? À moins que la famille n’existe plus que dans le souvenir de Clarisse ? 

Tiré d’une pièce de théâtre de Claudine Galéa, Serre moi fort, comme les musiques classiques qui rythment le film, va crescendo dans l’émotion. Quand on comprend où se trouve la réalité, on entre en empathie avec cette famille brisée. Et comme Clarisse, on redoute l’arrivée de ce printemps, même s’il conserve son caractère de renaissance. 

 Film de Mathieu Amalric avec Vicky Krieps, Arieh Worthalter 

 


De choses et d’autres - Nourriture automatique

 

Amateurs de bonne bouffe et de gastronomie à la française, passez votre chemin. La modernité aura peut-être raison de ce savoir-faire qui fait des envieux dans bien des pays. Désormais, il existe des restaurants qui ne fonctionnent qu’avec des robots.

 

En Chine il y en a des dizaines qui préparent le wok aussi bien que le cuisinier qui a pourtant un tour de main qui semble inimitable. Les assiettes, chaudes, arrivent par le plafond. Les bras articulés agitent des cocktails à une vitesse qu’un barman ne pourrait pas atteindre, même en phase terminale de Parkinson.

En France aussi les premiers restos automatisés viennent d’ouvrir leurs portes. Une enseigne en région parisienne propose des pizzas à Chatelet et à Val d’Europe. La simplicité aurait été de préparer les pizzas à, l’avance et de simplement les cuire à la demande. Mais ça, n’importe qui peut le faire chez soi.



Dans les restaurants Pazzi, c’est un robot qui confectionne votre pizza. Plusieurs bras articulés officient autour du four selon la démonstration en ligne sur le site de l’enseigne. Le plus impressionnant reste le découpage final. Cela devrait donner des idées à quelques réalisateurs de films d’horreur.

Par contre je suis un peu déçu de ne pas voir les bras robotiques jongler avec la pâte en la faisant tournoyer dans les airs. C’est quand même le plus important dans la fabrication d’une pizza : la frime à l’italienne.

Chronique parue en dernière page de l’Indépendant le jeudi 20 janvier 2022

mercredi 19 janvier 2022

Cinéma - La fausse liseuse veut prendre « La place d’une autre »

 Histoire de femmes écrite, réalisée et interprétée par des femmes, La place d’une autre ressemble par certains aspects au Retour de Martin Guerre. Il y a au centre d’intrigue une usurpation d’identité. Mais assumée et révélée d’entrée. Toute la tension du film réside dans la façon de préserver les positions acquises par la fausse liseuse.


En 1914, la France vient d’entrer en guerre. Les hommes sont au front, les femmes seules dans la misère. Nélie (Lyna Khoudri), jeune orpheline, va de foyer en foyer, se prostituant à l’occasion pour manger à sa faim. Quand la Croix Rouge lui propose de venir aider au front comme brancardière, elle accepte. Dans une maison isolée des Vosges, elle soigne des blessés. Une jeune Suisse s’y réfugie. Rose (Maud Wyler) doit rejoindre comme liseuse la veuve française d’un ami de son père récemment décédé. Lors d’un bombardement Rose est grièvement blessée à la tête. Elle semble condamnée.



Nélie y voit un signe pour enfin quitter cette vie de misère et de privations. Elle va endosser l’identité de Rose et se présenter à Eléonore (Sabine Azéma). Sa simplicité, son dévouement, sa gentillesse, vont lui permettre de changer d’existence. Certes, au prix d’un mensonge, mais que ne ferait-on pas pour s’élever dans cette société encore très corsetée par les origines sociales ?

Trois femmes d’exception

Tout bascule quand la véritable Rose fait irruption dans la maison d’Eléonore accusant la jeune liseuse d’usurpation d’identité.

Ce film d’Amélia Georges est une jolie surprise. La reconstitution historique est juste, les costumes mis en valeur par un éclairage naturel très maîtrisé. Les différents coups de théâtre permettent de maintenir le suspense et de montrer les deux jeunes femmes comme des victimes d’un monde où les hommes ont tous les droits. Lyna Khoudri apporte sa fraîcheur et sa beauté lumineuse à un personnage complexe, Sabine Azéma sa grande expérience cinématographique à une bourgeoise pleine d’empathie et Maud Wyler crève l’écran dans cette folie provoquée par une situation qui lui échappe.


Film français d’Aurélia Georges avec Lyna Khoudri, Sabine Azéma
   

De choses et d’autres - La leçon d’Ibiza

 

Depuis trop longtemps, la médisance populaire fait dire que si des hommes et des femmes choisissent le métier de professeur, c’est avant tout pour les vacances qui vont avec. Une totale contrevérité vite démontrée si l’on a un membre de l’Éducation nationale dans son entourage. Non, ils ont avant tout et la plupart du temps la vocation de faire bénéficier leur savoir aux plus jeunes.

 

Mais cette histoire de profs qui sont toujours en vacances va de nouveau être accommodée à toutes les sauces à cause du premier d’entre eux : le ministre Blanquer.


Encore en train de profiter de la Méditerranée la veille de la rentrée de janvier, Jean-Michel Blanquer s’est attiré les foudres des syndicats, de l’opposition et de 90 % des Français qui n’ont pas les moyens de se payer quelques jours de farniente à Ibiza en plein hiver.

Pourtant, lors de son arrivée au gouvernement, Jean Castex avait demandé à ses ministres de rester en France pour les vacances de l’été 2020. Jean-Michel Blanquer avait officiellement passé son congé en Bretagne. Rebelote en 2021, mais il avait cependant prévenu qu’il passerait quelques jours « dans un pays limitrophe de la France ». Déjà l’Espagne…

Cet hiver, malgré la 5e vague de Covid, il n’a rien dit et s’est discrètement éclipsé en direction de la capitale européenne des jetclubbers. Le plus incroyable c’est que les autres ministres ont défendu ce droit au congé et au télétravail.

Car la France n’est pas la Suède. Là-bas, une ministre qui avait acheté deux barres chocolatées avec une carte professionnelle a dû démissionner dès son forfait révélé dans la presse.

Chronique parue en dernière page de l’Indépendant le mercredi 19 janvier 2022

mardi 18 janvier 2022

Cinéma - “Nightmare Alley”, le film noir du XXIe siècle

Écrit et filmé comme un classique du XXe siècle, le nouveau Guillermo del Toro mélange hommage et inventivité.

 

La trop gentille Molly (Rooney Mara), complice du rusé Stan (Bradley Cooper). Kerry Hayes/2021 20th Century Studios


Misère, gloire et déchéance d’un arnaqueur, tel aurait pu être le sous-titre de ce Nightmare Alley, film de Guillermo del Toro avec une pléiade de vedettes à l’affiche. Adapté d’un roman des années 40, ce drame, très sombre, suit le parcours de Stan (Bradley Cooper), Américain d’extraction populaire bien décidé lui aussi à mordre à pleine dent dans le rêve américain. Alors qu’en Europe Hitler commence à faire des siennes, de l’autre côté de l’Atlantique, Stan, après un long voyage en bus, débarque sur la côte Est et parvient à se faire embaucher comme homme à tout faire dans une fête foraine. Sous la responsabilité de Clem (Willem Dafoe), le très autoritaire patron de cette bande d’illusionnistes et de simili monstres, il observe et charme Zeena (Toni Colette), une diseuse de bonne aventure. Mais c’est la belle Molly (Rooney Mara) qui fait battre son cœur. Pour elle il fera tout pour quitter le cirque misérable et devenir célèbre. 

Chute inéluctable

La première partie du film, dans des décors entre cauchemar et bidonville, est la plus ressemblante à un film de del Toro. On y retrouve d’ailleurs Ron Perlman, un de ses comédiens fétiche. 

Mais une fois Stan installé à New York, on entre dans une autre histoire. Devenu distingué, respectable, quasi un sosie de Clark Gable, il n’est pourtant qu’un petit escroc qui profite de la crédulité des clients des grands hôtels. Avec sa complice, il met au point un numéro de pseudo-télépathie. L’occasion de profiter de quelques gogos faciles à plumer. Cela ne plaît pas à Molly, mais l’amour la rend aveugle. Aussi quand Stan rencontre une psychanalyste qui lui propose d’arnaquer un gros bonnet, ce dernier plonge immédiatement sans la moindre hésitation. Interprétée par Cate Blanchett, cette blonde fatale semble tirée elle aussi d’un de ces films noirs des années 40 et 50 qui ont fait la légende d’Hollywood. Le rêve américain de Stan va se transformer en cauchemar, avec apparition de spectre et réveil d’une ancienne plaie qui précipitera sa chute. 

Une intrigue machiavélique, à la fin évidente, interprétée par un long gros plan sur Bradley Cooper qui semble totalement habité par son personnage. On retrouve dans ce final toute la noirceur de l’univers du réalisateur d’origine mexicaine. 

Film de Guillermo del Toro avec Bradley Cooper, Cate Blanchett, Toni Collette, Rooney Mara

De choses et d’autres - Pour quelques milliards de plus

 

Il est parfois des promesses électorales qui nous passent très largement au-dessus de la tête. Quand le candidat Macron a annoncé que la France compterait 25 licornes avant 2025, comme la majorité des Français de ma génération, je n’y ai accordé que peu d’attention.

 

Hier, le président Macron s’est fendu d’un message vidéo pour se féliciter du fait que sa promesse s’est réalisée avec trois ans d’avance. Fier de ses licornes le président.

Une licorne, c’est une société non cotée en bourse qui est valorisée à plus d’un milliard de dollars. Quatre nouvelles sociétés ont atteint ce palier début 2022. Essentiellement dans la finance. Un milliard de dollars ! Forcément, cela semble totalement abstrait pour le commun des mortels qui se demande encore comment il va payer sa note d’électricité à la fin du mois.

En fait cette 25e licorne vient confirmer que malgré la crise sanitaire et sociale, il y a un pognon de dingue qui circule. Mais pas pour tout le monde. Un rapport d’Oxfam dévoile que la fortune des milliardaires a plus augmenté durant les 18 derniers mois (le temps de la pandémie) qu’en dix ans auparavant. On trouve sans doute dans le lot les patrons des licornes si chères au président. Mais attention, pas question de dire du mal de ces hommes et femmes entreprenants.

Les licornes ce sont 200 000 emplois supplémentaires en France. 200 000 boulots dont presque personne ne comprend l’intitulé pas plus que l’utilité. Vous savez, ces titres ronflants avec du « manager » et des anglicismes à gogo. Alors si vous êtes attiré par les licornes, tentez votre chance sur ces emplois d’Head of Growth BtoB ou de Lead Front-End Developer. Et quand vous serez millionnaire, vous pourrez venir me dire merci.

Chronique parue en dernière page de l’Indépendant le mardi 18 janvier 2022

lundi 17 janvier 2022

Roman - Mémoire russe


Drôle d’endroit pour une rencontre. A Perpignan, sur le quai Rive Gauche, le narrateur imaginé par Jacques Issorel croise la route d’une mendiante. Une Russe, à la vie exceptionnelle. Elle se raconte dans la première partie de ce roman qui fera voyager le lecteur de la Russie soviétique aux USA en passant par l’Italie. Helena était une danseuse prometteuse.

 A 15 ans elle découvre l’amour. Mais à l’époque de Kroutchev, il y avait toujours le risque de déplaire à l’intelligentsia et de se retrouver au goulag. Héléna, fauchée en pleine gloire doit en plus faire le deuil de son grand amour le danseur italien Alessandro Giovanetti. 

Le narrateur, comme pour donner un dernier plaisir à cette pauvre femme perdue, se lance à sa recherche. Un roman passionnant, palpitant comme un thriller, traversant l’Europe et le siècle pour raconter une histoire d’amour à la russe.  

« Une lettre pour Alessandro Giovannetti » de Jacques Issorel, Trabucaire, 15 €