mercredi 3 novembre 2021

BD - Trop de Pat dans ce Mickey signé Cornette et Thierry Martin


Nouvelle aventure de Mickey par deux auteurs qui s’approprient le personnage créé par Disney. Cornette au scénario et Thierry Martin au dessin plongent Mickey dans un monde de magie. 


La petite souris va croiser la route d’un sorcier débonnaire qui ne maîtrise pas toutes ses formules magiques. Pour preuve, une poudre permet de se démultiplier. Une aubaine pour Pat Hibulaire qui y voit la meilleure façon de tyranniser le village. Simple, merveilleusement dessinée, ce Mickey plaira aux petits comme aux grands.

« Mickey et les mille Pat », Glénat, 19 €

De choses et d’autres - Netflix sur grand écran

Quand Netflix n’était qu’une plateforme diffusant des séries, le pas encore géant de la culture mondiale était royalement dédaigné par les autres acteurs de la profession. Les grandes maisons de productions comme les chaînes de télé. Il a fallu attendre que Netflix ait plus de 100 millions d’abonnés et que tout le monde parle de ses « coups » à la machine à café (La casa de papel ou Lupin) pour que certains comprennent que le danger était là.


Tout a changé quand Netflix a décidé de produire et de diffuser en exclusivité des films de cinéma. Un paradoxe puisqu’une production audiovisuelle, pour être considérée comme cinématographique, doit être diffusée dans une salle, sur grand écran. Quelques dizaines de films plus tard, dont de remarquables comme Roma, The Irishman ou Marriage Story, Netflix négocie avec quelques salles la possibilité d’organiser un festival en décembre pour permettre de voir quelques-uns de ces films dans des conditions optimales. Et là, Netflix devient du jour au lendemain l’ennemi absolu, la pire peste qui risque de tuer le cinéma français, de la production la distribution.

Pourtant il est envisagé de sortir dans ce cadre The Power of the Dog de Jane Campion, film salué par tous les critiques. Œuvre qui, tiens c’est bizarre, a été présentée en avant-première sur grand écran, en présence de la réalisatrice, ovationnée au festival Lumière de Lyon.

En fait, les films de Netflix dans les salles de cinéma c’est mal, sauf quand ils sont réservés à une petite élite du milieu qui peut en profiter avant tout le monde.

Chronique parue en dernière page de l’Indépendant le mercredi 3 novembre

mardi 2 novembre 2021

Roman - Une famille anglaise dans la tourmente de l’industrie du kaolin

Écrivain britannique discret, Robert Goddard est pourtant à la tête d’une œuvre conséquente qui dresse depuis quelques années la cartographie de la bourgeoisie anglaise. Dans L’énigme des Foster, il creuse cette veine avec une intrigue digne d’un polar et une romance qui fera chavirer les cœurs les plus insensibles.

Le narrateur se nomme Jonathan. Fils d’un employé de banque, il va rejoindre une université londonienne à la rentrée. Nous sommes en 1968 et il a trouvé un petit boulot dans une entreprise de la petite ville de Cornouailles. Plusieurs sociétés y prospèrent en exploitant le kaolin de carrières recouvrant toute la campagne environnante de cette poussière blanche. Jonathan, lors de ses déplacements dans les différents sites, croise la route des enfants Foster, la famille à qui appartient la société qui l’emploie. Il y a Oliver et Vivien. Oliver « les mains enfoncées dans les poches, un air blasé, la paupière lourde. Son front haut le faisait paraître beaucoup plus âgé, et ce en dépit d’une masse de cheveux blonds en bataille ». Sa sœur aînée, Vivien, éblouit le jeune Jonathan : « Elle était très belle. La conscience que je pris de sa beauté m’ébranla de la tête aux pieds. Pas simplement jolie, sexy ou séduisante, mais bien plutôt tout cela ensemble. » Un été 68 dramatique. La complicité entre Jonathan et Vivien va être cassée par un drame. Le roman, une véritable saga, raconte ensuite par petites touches l’entrée de Jonathan dans la société, son éloignement de Vivien, comment il gravit les échelons et devient indispensable au patron, le beau-père de Vivien et redoutable homme d’affaires Greville Lashley.

Robert Goddart entraîne le lecteur alors dans un palpitant thriller se déroulant en grande partie à Capri dans les années 80, avec enlèvement et mort brutale, avant de conclure la saga des Foster en 2010, dans les ruines industrielles de l’exploitation du kaolin.

« L’énigme des Foster » de Robert Goddard, Sonatine, 23 €

BD - Tarpon au turbin


Cabanes continue son exploration de l’œuvre de Manchette. Il propose dans la collection Aire Libre l’adaptation de Morgue Pleine, roman paru dans les années 70. On retrouve le détective privé Tarpon


Cet ancien gendarme n’arrive pas à s’en sortir dans ce Paris déjà hostile aux provinciaux. Il envisage de rentrer sagement chez sa maman quand une certaine Memphis Charles débarque chez lui. Elle demande de l’aide : sa colocataire a été égorgée. Tarpon, telle une auto tamponneuse sans volant, va aller de choc en choc dans une affaire qui lui sera longtemps incompréhensible. 

« Morgue pleine », Dupuis, 22 € (il existe un tirage de tête numéroté et signé à 35 €)


De choses et d’autres - Cinq emplois… pour la frime

Si l’on en croit certains leaders politiques, les Français sont des fainéants qui ne travaillent pas assez. Non seulement il faut mettre fin à ces honteuses 35 heures, mais on doit aussi repousser l’âge de la retraite au-delà de 65 ans.

Un discours de droite qui doit dans doute plaire à ce jeune de 20 ans seulement qui s’est fait une sacrée réputation en diffusant un petit film résumant sa journée : « Boulangerie de 4 h à 8 h, agent laborantin de 9 h à 12 h, pizzeria de 12 h à 15 h, matelot sur un catamaran de luxe de 16 h à 21 h, agent d’entretien de 21 h à minuit. »

Cela représente selon lui 120 heures de travail par semaine. En voilà un de Français qui aime bosser. Sans doute qu’il est animé par un besoin impérieux de nourrir sa famille nombreuse ou de rembourser les dettes de ses parents. Mais en réalité, ce jeune se tue à la tâche (il n’y a pas d’autre mot) juste pour faire le beau à la fin de son clip et de se vanter de s’être acheté une Audi RS3 à 20 ans. Tout ça pour une voiture de sport. Pour la frime…

Avec en plus les risques de mélange de boulot : il analyse un croissant au labo puis garni sa pizza avec des souches de virus…

Finalement, en voyant ce montage, je me dis qu’à choisir entre travailler 120 heures par semaine ou me retrouver bénéficiaire du RSA, je choisis sans hésiter la seconde solution. Certes je ne pourrais jamais m’acheter de voiture de sport, mais au moins j’aurais du temps pour mes proches et profiter de la vie, la vraie. 

Chronique parue en dernière page de l’Indépendant le mardi 2 novembre 2021
 

lundi 1 novembre 2021

Cinéma - “De son vivant”, filmer la maladie jusqu’au bout

Benoit Magimel. Laurent Champoussin/Les films du Kiosque

L’hôpital a pris une place prépondérante dans notre vie, depuis quelques années. Encore plus avec la crise sanitaire. Le cinéma, aussi, s’intéresse à ce lieu clos si particulier. Après La fracture, vision très réaliste (et peu optimiste) du système de santé hospitalier français, De son vivant, d’Emmanuelle Bercot, offre une vision moins clivante de ce monde. Pas de brancard dans les couloirs, d’infirmières à bout, de médecins épuisés et de proches énervés pour cause d’attente et de manque évident d’information. Là, tout est beau, simple, carré, évident. La réalisatrice assume ce parti pris, pour raconter une histoire de sentiment autour de la mort. Un mélo qui va faire pleurer le public. 

Quand Benjamin (Benoît Magimel), apprend qu’il est atteint d’un cancer, il espère s’en sortir. Il est encore jeune. Mais, la maladie, souvent, se moque des âges et frappe sans chercher la moindre logique. Alors que Benjamin se voit dépérir, sa mère, Crystal (Catherine Deneuve), doit faire face à cette douleur immense de voir son enfant mourir à petit feu. Entre les deux, le cancérologue doit composer. Un médecin interprété par un véritable chirurgien qui a soufflé l’idée du film à la réalisatrice. On est, donc, face à une forme très hybride du mélo à base de faits scientifiques avérés. Étonnant et parfois un peu dérangeant.

Film d’Emmanuelle Bercot avec Catherine Deneuve, Benoît Magimel, Gabriel Sara



Poches - Folio enquête


La collection Folio Policier reprend essentiellement des thrillers ou romans noirs issus de la célèbre Série Noire. Mais avec ces trois titres parus mi-octobre le sombre laisse la place à un style plus lumineux, celui du « cosy mystery ». 

L’occasion de reprendre Meurtre à l’anglaise (7,50 €), exercice de style de Didier Decoin. Une morte, plusieurs suspects, un lieu clos (une île en Écosse) et un enquêteur, l’inspecteur John William Sheen. Plein de finesse et de chausse-trappes. 

Les deux autres titres sont de Georges Flipo et ont pour héroïne la commissaire Viviane Lancier. Une première enquête dans le milieu de la littérature (La commissaire n’aime point les vers, 8,10 €), la seconde (La commissaire n’a point l’esprit club, 8,10 €) se déroule sur l’île de Rhodes dans le cadre d’un village de vacances.


Roman - L’étoile filante du Bourdigou

De l’infime à l’infiniment grand. Du petit village du Bourdigou en bord de mer à l’immensité du cosmos. Le nouveau roman d’Hélène Legrais, Le cabanon à l’étoile, nous fait voyager dans tous les sens du terme. Au bord de la Méditerranée sur ces plages de sable encore vierges de tout béton, mais aussi dans les étoiles, tout là-haut entre galaxies et constellations. Un parcours émouvant en compagnie de deux héroïnes comme seule la romancière catalane sait les imaginer. La rencontre a lieu au bord d’une route. Une jeune fille fait du stop. 

La conductrice d’une vieille deux-chevaux s’arrête et l’embarque. Elles ne se quitteront plus jusqu’à la dernière page. La première prétend s’appeler Cassiopée. À peine 20 ans, belle et libre, elle ne parle pas beaucoup, déteste se livrer, mais quand la seconde, Estelle, lui propose de l’héberger quelques jours dans son petit paradis, Cassiopée accepte. Le paradis c’est un cabanon au milieu du village du Bourdigou à Sainte-Marie-la-Mer dans les Pyrénées-Orientales

Dans ces années 70, des milliers de familles ont construit ces cabanes de bric et de broc, sans le moindre confort, souvent avec des roseaux. Elles y passent l’été au frais, les enfants profitent du soleil, du bon air et des joies de la baignade. Une sorte de bidonville selon les promoteurs avides d’y couler du béton, une utopie libertaire pour les Bordigueros

Deux étoiles jumelles

Hélène Legrais ressuscite cette communauté d’entraide et de gentillesse dans ce lieu unique. Mais l’histoire se concentre surtout sur ces deux femmes qui, contre toute attente vont développer une amitié forte. On devine que Cassiopée, après de rudes épreuves, est en fugue. Estelle, fille de la grande bourgeoisie catalane l’admire et voudrait l’aider, la protéger. Estelle, la propriétaire du cabanon à l’étoile, qui refuse d’avoir des enfants et se contente d’une liaison sans avenir avec un amant par ailleurs marié et père de famille.

 Reste l’énigme Cassiopée. Rapidement, elle attire les regards de tous les hommes. Elle se promène dans un minuscule bikini bleu et ne rechigne pas à leur procurer quelques moments de plaisir. La jeune fille, à l’abri des dunes, profite de cette époque de libération sexuelle exacerbée. Pour son plaisir et aussi une forme d’évasion : « son corps était un bout de cosmos où ses membres planètes gravitaient autour de ses deux cœurs, celui qui bondissait dans sa poitrine et l’autre qui pulsait au creux de son ventre, deux étoiles jumelles… » Sublime Cassiopée, belle et mystérieuse étoile filante d’un été mémorable du Bourdigou. Pourtant, Estelle devine que son attitude n’est pas naturelle, que derrière cette fureur de vivre, de se donner corps et âme, le désespoir rôde. Hélène Legrais nous confie : « Je suis allée puiser très loin au fond de moi, l’écriture était parfois douloureuse ». Une réussite pour un roman passionné et passionnant.

M. Li et F. H.

« Le cabanon à l’étoile » d’Hélène Legrais, Calmann-Lévy, 19,50 €

De choses et d’autres - Revenu d’entre les morts

 

Le titre de la chronique du jour est certainement excessif. Mais pour un retour, après un mois d’absence quand même, je me dois de frapper les esprits. D’autant qu’on est le 1er novembre, jour des morts. Par ailleurs date anniversaire des débuts de mes scribouillages en dernière page de l’Indépendant. Dix ans que je squatte cet emplacement pour le pire et le meilleur, doublé d’un podcast depuis trois ans.

Et pourtant je ne pensais pas revenir frais et dispo. A la base, l’intervention chirurgicale programmée n’est pas spécialement dangereuse, même si j’ai dû signer un document précisant que j’avais bien compris tous les risques, dont l’ultime : la mort. 

Le matin de l’opération, dans la salle d’anesthésie, harnaché par une myriade d’infirmières, un homme masqué apparaît dans mon champ de vision et me demande : « Bonjour je suis l’anesthésiste. Je vais vous endormir. Vous êtes le Litout qui écrit des billets dans l’Indépendant ? » Obligé de répondre oui.

Et immédiatement de gamberger. Mince, et si cet anesthésiste est un des lecteurs qui ne m’apprécient pas et me le fait savoir avec des lettres anonymes pleines de sous-entendus sur mon inutilité et ma nullité ? Et s’il n’avait pas apprécié que je me moque de Jean Castex, Mélenchon ou Zemmour ? Et s’il en profitait pour mettre juste ce qu’il faut de produit en plus pour que je ne me réveille pas.

Voilà comment j’ai cru, durant quelques secondes, ma dernière heure venue. Quelques secondes seulement car avant de sombrer dans le grand sommeil j’ai eu le temps de l’entendre dire « J’aime bien ce que vous faites, je vous écoute aussi parfois en pod… » Bonne nuit tout le monde

Chronique parue en dernière page de l’Indépendant le lundi 1er novembre
 

vendredi 1 octobre 2021

Témoignage - Gérard Haddad écrit à sa bien-aimée disparue

Témoignage exceptionnel de rigueur et de tendresse que celui de Gérard Haddad. Ce psychologue et psychanalyste, également écrivain, raconte la fin de vie de son épouse, Antonietta. Exactement il décide de lui écrire des lettres alors qu’elle n’est plus là. Elle n’est pas morte, mais la maladie d’Alzheimer lui a enlevé parole et sensations. Surtout, elle a tout oublié de leur vie commune de 50 ans. 

Dans ce récit Gérard Haddad se dévoile. Comment il est tombé amoureux de cette jeune étudiante, vive et hyperactive. Comment ils ont décidé de vivre ensemble, partageant tout. L’équilibre qu’ils ont trouvé dans leur vie d’intellectuels, entre France, Italie et Israël. Une trop belle histoire que la maladie vient briser. « Je pensais que nous vieillirons du même pas, c’était la belle promesse du soir que j’espérais, et que la mort nous saisirait ensemble. Le sort, dans sa méchanceté, ne l’a pas voulu. » Les premiers signes sont diffus. Et le mari, souvent, refuse de les voir. 

Comme ces dernières vacances passés en Italie, dans le petit village de Monterosso dans les Cinque Terre. Antonietta, d’ordinaire si joyeuse et active, refuse de se baigner, rechigne aux découvertes. C’est après cet été qu’en plus de l’esprit, son corps lâche. Gérard Haddad raconte sans fard ces mois au cours desquels il doit être présent en permanence, s’occuper de cette femme d’ordinaire totalement indépendante comme un enfant. Jusqu’à la changer et la préparer pour la nuit. C’est pourtant dans cette épreuve que Gérard Haddad se découvre et signe les plus belles pages de cet amour infini : « Cette horrible maladie me faisait accéder au pur amour que tu voulus m’enseigner depuis le premier jour et que je ne sus recevoir qu’au moment de ce désastre. […] Notre amour que je croyais fané avait ressurgi, triomphant, vainqueur, infini. » Quelques mois de répit. 

La fin du livre est très dure, comme la lente extinction d’une femme qui a toujours été une lumière dans la vie de l’auteur. 

« Antonietta, lettres à ma disparue » de Gérard Haddad, Éditions du Rocher, 16,90 €