mardi 3 août 2010

BD - Le Tueur de Matz et Jacamon peut-il s'humaniser ?


Le Tueur poursuit son œuvre sur les terres vénézuéliennes. Passé à la solde de Cuba, il abat plusieurs responsables de la junte ayant renversé le président élu. Pour une fois, il semble être du bon côté. Cela ne l'empêche pas de tuer méthodiquement, sans états d'âme. Que cela soit des militaires sanguinaires l'indiffère. Il a pourtant un peu l'impression d'œuvrer pour l'avenir de la planète et de ses habitants. 

Il se trouve que le Tueur est devenu père. Est-ce pour son fils qu'il s'humanise ? Matz, le scénariste, y apporte un embryon de réponse quand il relève que « au XXe siècle, les guerres génocides et massacres ont fait plus de 170 millions de morts. Et la plupart de ces gens ont été tué par de bons pères de famille, sûrs de leur bon droit et de leur force... Parfois même au nom de leurs enfants ». 

La série, toujours dessinée par Jacamon ne fait pas dans la dentelle. « L'homme est-il bon ? » se demandait Moebius. Il est méchant, tout simplement.

« Le Tueur » (tome 8), Casterman, 10,40 € 

lundi 2 août 2010

Roman - Carcans britanniques malmenés par Alan Bennett

La vie en couple entraîne une sclérose des sentiments. Pour Alan Bennett, l'auteur de ce roman, rien de tel qu'un cambriolage pour casser les carcans.

Une plongée vertigineuse dans le quotidien d'un couple anglais : tel est le menu principal de ce court roman d'Alan Bennett. L'auteur, connu pour ses séries télé, pièces de théâtre et désormais romans, décrit la vie de ses compatriotes avec une rare acuité.

Maurice et Rosemary Ransome semblent être les archétypes des Anglais bon teint, stricts et coincés. Le seul plaisir de Mr Ransome est l'écoute de la musique classique. Après une soirée à l'opéra, ils tombent des nues en constatant qu'ils ont été cambriolés. Leur appartement a été vidé. De fond en comble. Jusqu'aux rideaux et au papier toilette... « Le vol d'une chaîne hi-fi est parfaitement banal. Celui d'une moquette l'est moins. »

Exit les habitudes

Passé la surprise, il faut réagir. Alors que Mr Ransome cherche une cabine téléphonique pour prévenir la police (qui ne viendra que 5 heures plus tard), Mrs Ransome attend, « assise le dos au mur à l'endroit où elle se serait normalement allongée si leur lit n'avait pas disparu. » La force des habitudes...

Le quotidien parfaitement réglé et morne des Ransome se trouve donc bouleversé. Le lendemain matin, Maurice, avoué, se fait un point d'honneur à aller travailler comme si de rien n'était. « Il n'était pas lavé, pas rasé, il avait le derrière en compote et s'était contenté pour le petit déjeuner d'un filet d'eau froide, au robinet de l'évier. Toutefois, aucun des arguments qu'aurait pu avancer Mrs Ransome ne l'aurait empêché de se rendre héroïquement à son travail. Elle savait du reste, instinctivement que, même dans ces circonstances sans précédent, son rôle consistait à flatter le noble dévouement de son mari. »

La vraie vie

Alan Bennett brosse avec brio le portrait de ces deux spécimens assez particuliers. Maurice, tout en principe et rigueur, semble inébranlable. Ce n'est pas le cas de Rosemary qui finalement va profiter de cet événement pour sortir de son train-train. Pour remeubler l'appartement, elle va découvrir d'autres magasins, notamment cette épicerie pakistanaise dont elle n'osait pas franchir le seuil et qui se révèle une caverne d'Ali-Baba pour s'assurer un minimum de confort. Par exemple ces poufs, elle dit des « balles de haricots », remplacent avantageusement les vieux fauteuils. Elle va se mettre à cuisiner des curry, porter de fausses perles, envisager de peindre les murs en blanc. Et regarder la télévision l'après-midi. « Affalée sur sa balle de haricots au milieu du parquet dénudé de son salon, Mrs Ransome découvrit qu'elle n'était pas malheureuse, que sa situation présente avait une réalité bien plus grande et que, indépendamment du confort que chacun est en droit d'attendre, ils allaient désormais pouvoir mener une vie moins douillette... » Une prise de conscience augmentant quand ils vont enfin découvrir pourquoi on les a cambriolés.

La force du texte d'Alan Bennett n'est pas dans cette révélation mais bien dans la seconde naissance de Mrs Ransome. De victime passive de sa vie écrite à l'avance elle va se transformer en décideuse dominante. Mr Ransome n'est pas au bout de ses surprises.

« La Mise à nu des époux Ransome », Alan Bennett, Denoël, 12 € 

dimanche 1 août 2010

Fantastique - Terreur au château de Shirley Jackson


« Je m'appelle Mary Katherine Blackwood. » C'est la première phrase de ce roman. Une jeune fille de 18 ans, surnommée Merrycat par sa sœur Constance. Merrycat qui raconte à la première personne leur déchéance. Merrycat que le lecteur n'est pas prêt d'oublier. Séduit dans un premier temps par cette sauvageonne rêveuse, il sera petit à petit terrorisé en découvrant ses véritables pensées et la façon bien particulière qu'elle a de se venger quand on la punit.

Ces deux sœurs vivent dans une grande maison isolée au milieu d'un parc interdit au public. Il est vrai que leurs relations avec les villageois se limitent au strict minimum. Merrycat se contente d'aller en ville deux fois par semaine pour faire des courses. Constance vit cloîtrée dans sa maison depuis des années. Un terrible drame a bouleversé leur vie. Depuis, les

dernières descendantes de la famille Blackwood sont devenues les têtes de turc de toute la contrée. Insultes, humiliations, plaisanteries grasses et quolibets, rien ne leur est épargné. Une ambiance exécrable qui se détériore au fil des pages, augmentant le sentiment d'oppression qui ne peut qu'aboutir à une explosion de violence.

Shirley Jackson a dû mettre beaucoup d'elle-même dans le personnage de Merrycat. Si dans un premier temps elle a essentiellement écrit des livres pour enfant, elle a rencontré un succès considérable aux U.SA dès qu'elle a abordé la littérature d'horreur. Personnage excentrique s'autoproclamant sorcière, on peut également lire d'elle (toujours chez Pocket) « La loterie » et « Maison hantée. »

« Nous avons toujours habité le château.», Shirley Jackson, Pocket, (chronique parue une première fois en février 1999) 

samedi 31 juillet 2010

Roman - Devenir le « Liseur » de la femme aimée


Au début des années 60, Michaël, un jeune Allemand de 15 ans, découvre l'amour dans les bras d'une femme de 35 ans. Une relation forte mais déséquilibrée. Certes Hanna lui apprend tout ,des choses de l'amour, mais elle reste très mystérieuse sur sa vie. Il sait qu'elle est receveuse dans un tramway, mais n'arrive pas découvrir ce qu'elle faisait auparavant, avec qui elle vivait. Ils prennent l'habitude de se voir chaque fin d'après-midi. Ils font l'amour puis Michaël lit quelques pages à sa maîtresse.

Après six mois de cette relation lecteur-auditeur, Hanna disparait du jour au lendemain. Michaël mettra quelques années à oublier son premier amour.

C'est en poursuivant ses études de droit, sept ans plus tard, qu'il retrouvera Hanna. Elle est dans le box des accusés. Durant la guerre, elle s'était engagée dans les SS. Elle dirigeait un camp de déportation pour femmes. Son procès fait grand bruit dans cette Allemagne qui tente d'exorciser ce sinistre passé. Une autre relation va se nouer entre Michaël et Hanna. Une nouvelle fois c'est en lisant que Michaël va lui prouver son amour.

Ce roman de Bernhard Schlink est d'une force incroyable, On ne peut que tomber en admiration devant Hanna, la comprendre, vouloir également lui lire un de ces romans qu'elle apprécie tant.

« Le liseur », Bernhard Schlink, Folio, 6,10 € (Chronique parue en mars 1999) 

vendredi 30 juillet 2010

Deux romans de Serge Brussolo à redécouvrir


Le Moyen-Age c'est Lancelot et Perceval, mais dans la réalité, les chevaliers avaient beaucoup moins de classe. Serge Brussolo en fait la démonstration dans ce roman noir de crasse et de manigances. Le héros, Jehan, est un simple bûcheron. Mais sa bravoure et sa force lui permettent, sur un champ de bataille d'être ordonné chevalier. Un chevalier sans terre, errant de château en château, convoyant documents ou personnalités sur des chemins peu sûrs. Il accepte ainsi d'escorter Dorius, un moine chargé d'une mission secrète par le seigneur Ornan de Guy. Ce dernier va bientôt se marier avec la belle et frêle Aude. Mais avant de consommer le mariage, le seigneur tout puissant désire guérir de la peste qu'il aurait conntracté en croisade. C'est la mission de Dorius : récupérer des reliques censées supprimer les effets de cette terrible maladie. Jehan, sans le savoir, va devenir un pion dans cette vaste machination qui aboutira à la malédiction du territoire d'Ornan de Guy.

Sorcière, poison, bête méhaignée, prêtre exorciste, bourreau et troubadours se relaieront sous la plume acérée de Serge Brussolo pour alimenter les multiples rebondissements de ce roman à l'ambiance si vénéneuse, un peu comparable au film «La chair et le sang» de Paul Verhoeven. Bref les coups bas et trahisons prennent le pas sur les sentiments purs.


On retrouve Serge Brussolo dans «Les ombres du jardin» mais l'auteur plante cette fois le décor de son cauchemar dans la France des années 50. La nostalgie de cette époque où on s'enthousiasmait de la moindre nouveauté est très présente tout au long du roman.

Mais très vite, le lecteur partage les angoisses de Jeanne et de Martine, sa fille de 8 ans. Un homme déboule dans la vie de cette famille monoparentale. Avec violence il réclame Martine, ce serait sa fille... La fuite semble la seule solution. Le virtuose français del'angoisse frappe. juste et fort.

«Le château des poisons», Serge Brussolo, Le livre de Poche, 5 €

« Les ombres du jardin », Serge Brussolo, Folio, 7,70 € (Chroniques parues une première fois en 1999) 

jeudi 29 juillet 2010

BD - Paulette, héroïne ingénue


Il est des héroïnes qui ne peuvent pas laisser insensibles les lecteurs mâles. Précédemment, une première Paulette (dessinée par Pichard sur des scénarios de Wolinski) avait fait quelques dégâts chez les adolescents prépubères des années 70. 

Cette nouvelle Paulette, Comète de son nom, marche sur ses traces. Paulette est une ravissante étudiante en sociologie qui devient, la nuit venue, justicière à mi-temps. Dans sa première aventure, totalement déjantée, imaginée par Mathieu Sapin, elle va se mettre en travers de malfrats classiques et d'autres plus ambitieux, les patrons d'une multinationale voulant asservir tous les peuples de la planète.

 Le ressort comique est dans le fait que Paulette ne fait rien volontairement. C'est une cruche, devenant nymphomane dès qu'elle boit une goutte d'alcool. Bref, elle est souvent en petite tenue. Un régal car c'est sous le crayon de Christian Rossi...

« Paulette Comète » (tome 1), Dargaud, 10,95 € 

mercredi 28 juillet 2010

BD - Vengeance épique pour Marie des Dragons


Marie, petite fille privilégiée, était éduquée dans une famille pauvre mais aimante. Un bonheur de courte durée. Un jour, elle revient chez elle et retrouve ses parents assassinés. Ses frères et sœurs ont été enlevés par les sbires de Georges d'Aiscelin. 

Nous sommes en France au Moyen Age. Quelques années plus tard, Marie est devenue une jeune femme vivant de son épée. Suspectée de sorcellerie, elle est pourchassée par un prêtre soldat, Jean de Clermont. 

Mais ce dernier a un faible pour cette courageuse Marie à la recherche de ses frères et sœurs. Le second tome de cette série entre fantastique et aventure voit Marie s'allier à Jean pour convoyer l'or du pape. Sur leur chemin, ils retrouveront l'ignoble Georges d'Aiscelin et ses créatures diaboliques. Et la famille commencera à se reformer... Ce scénario solide et plein d'action est signé par le couple Ange. Il est illustré par Thierry Démarez. Ce dessinateur réaliste talentueux ne vit pourtant pas de la BD. Il est décorateur à la Comédie française.

« Marie des dragons » (tome 2), Soleil, 13,95 € 

mardi 27 juillet 2010

BD - Amour multiple avec Philippe Djian et Jean-Philippe Peyraud


Pas évident d'adapter en bande dessinée une pièce de théâtre. La BD aime les grand espaces et permet, à moindre coût, de présenter des scènes gigantesques ne lésinant pas sur le figurant. Le théâtre c'est plus limité, surtout quand il s'agit d'une pièce minimaliste de Philippe Djian : quatre personnages et un seul décor. 

Dans le salon d'une luxueuse villa, un homme se dispute avec une femme. On comprend que c'était son infirmière, elle est devenue sa maîtresse. Elle l'a soigné, lui permettant de remonter la pente. Il souffre psychologiquement. A cause de son ancienne femme. Elle vient souvent le hanter. Il y a deux ans, il s'est mal comporté avec elle. Adaptée par Jean-Philippe Peyraud, cette pièce peut être considérée par certains comme la longue prise de tête d'un homme aimant les femmes mais trop lâche pour en assumer les conséquences. 

En fait, en se laissant prendre à ces dialogues incisifs, on pénètre l'âme humaine. Attention, cela chamboule. Mention spéciale aux portraits de Peyraud : lui aussi semble aimer les femmes...

« Lui », Futuropolis, 24 € 

lundi 26 juillet 2010

Roman - Des effets secondaires du mariage pour les témoins

Quand le leader d'une bande de cinq amis décide de se marier, l'heureuse élue a toutes les chances de briser l'entente du groupe. Sauf si...


L'amitié face à la fatalité : tel est le match qui se déroule dans ce roman de Didier van Cauwelaert. Le romancier aime plus que tout ces personnages nécessitant beaucoup d'amour ou d'amitié pour tenir debout. Il en décrit carrément toute une bande dans « Les témoins de la mariée ». Quatre personnes qui se connaissent depuis l'adolescence et qui ont un unique centre de gravité : Marc. Marc le photographe des stars, celui transforme en or tout ce qu'il touche. Ses livres best-sellers lui ont donné l'aisance financière. Cette fortune lui a permis d'aider ses amis de toujours. Hermann Banyuls d'abord, son chauffeur, aide de camp, mécanicien, homme de confiance. Banyuls est également chargé par Marc de dégoûter ses multiples conquêtes. Ce grand séducteur ne supporte pas les histoires qui durent. Banyuls n'a pas son pareil, à la demande de son ami, pour le faire passer pour « un pervers en série ne songeant qu'à tuer sa mère en détruisant les autres femmes ». Marlène, la seule fille du groupe, est galeriste. Une galerie d'art moderne qui survit grâce à l'argent frais de Marc. Jean-Claude, en plein divorce compliqué, gère un hôtel dans Paris. Hôtel appartenant à Marc. Lucas, le dernier de la bande, est peut-être le moins dépendant de Marc. Du moins financièrement. Cet ancien journaliste, cloué dans un fauteuil roulant depuis un accident, broie du noir. Sans la joie de vivre de Marc il aurait certainement fait le grand saut.

Un enterrement et un mariage

A quelques jours de Noël, au cours d'un traditionnel repas à cinq, Marc annonce la grande nouvelle à ses amis : il va se marier avant la fin de l'année. Et il présente à la bande, sur photo, Yun-Xiang ce qui veut dire « Senteur de nuage ». Cette jeune Chinoise travaillait dans un atelier de copie de tableaux de maîtres. « Il nous a montré la photo de l'élue. Nous avons échangé un regard où la perplexité le disputait à la consternation. Le portrait en noir et blanc était superbement contrasté, comme tout ce que faisait Marc, mais la fille était l'incarnation parfaite de la banalité. Silhouette plate en blouse grise, sourire de commande, cheveux raides, regard droit, avec une expression de désarroi qui s'excuse. » Pour Marc elle est « magique ». Et il demande à ses amis d'être les témoins de son mariage. Deux pour lui, les deux autres pour la mariée.

« Créature de rêve »

Une fois le décor planté, Didier van Cauwelaert va lâcher les chevaux de son imagination. La veille de l'arrivée de la future mariée, Marc se tue en voiture. La bande des quatre se retrouve à Roissy pour accueillir Yun-Xiang et lui annoncer la mauvaise nouvelle. Mais il ont un tel choc en la découvrant qu'ils décident de mentir, prétendant que Marc a du partir en urgence en reportage, loin de Paris. « On avait devant nous une créature de rêve à mi-chemin entre Jackie Kennedy et une geisha de Playboy relookée haute couture. Tout ce qui restait de la petite ouvrière d'art à la chaîne que j'avais rangée dans ma poche, c'était le regard noisette à peine bridé sous le maquillage de scène. » Rapidement, ils vont simultanément tomber amoureux de la jeune Chinoise, impatiente de retrouver son futur époux.

 Une situation semblant inextricable et se compliquant quand le frère de Marc prend les choses en mains et met des scellés sur la fortune du défunt. Un roman vivifiant, entre glamour, amour et amitié. Même si la fin est convenue, on apprécie quand même cette belle histoire tant les personnages, les témoins et la mariée, sont attachants.

"Les témoins de la mariée", Didier van Cauwelaert, Albin Michel, 19 € 

dimanche 25 juillet 2010

Roman - Rosario Ferré noue des « Liens excentriques »

La petite Elvirita n'oubliera jamais qu'elle est avant tout une Rivas de Santillana, une des plus vieilles familles de planteurs de canne de Porto Rico. Et qu'en tant que telle, elle se doit d'observer une conduite exemplaire, digne de l'aristocratie insulaire. Bien que sa mère, Clarissa, lui ait toujours préféré son frère Alvaro et n'arrête pas de lui seriner que vraiment, quel dommage, elle n'a aucun des traits d'une finesse patricienne qui distingue la branche maternelle de la famille. Elle est pleine de contradictions, Clarissa, souvent à la limite de l'hystérie.

Elle a beau reprocher à Elvirita de ressembler à son père Aurélio comme s'il s'agissait d'une tare, elle voue cependant à son mari un amour passionné, pimenté par une jalousie féroce. Le fait qu'il se lance dans la politique, avec toute la cohorte de jolies filles qui papillonnent autour de ce candidat plus que séduisant n'arrange certes pas la situation.

Portraits de famille

Elvirita a du caractère, il faut dire qu'entre les personnalités plutôt fortes de grand-père Alvaro et de grand-mère Valeria.- ses grands-parents maternels, elle a été à bonne école, Et commence une immense fresque, saga familiale racontée par Elvira. Impossible de résumer cette histoire foisonnante de personnages, tantes, oncles, cousins, mais aussi d'anecdotes. Elvira interroge un à un tous les membres de sa famille du côté maternel et paternel. Respectivement les Rivas de Santillana et les Vernet. Et trace ainsi le portrait de chacun d'entre eux, depuis la nourrice Mina, qui a sauvé la vie de Clarissa en lui donnant son lait jusqu'à la tante Lakhmé, qui collectionne les maris et les belles toilettes. Elle raconte aussi par le menu l'ascension des quatre frères Vernet, qui deviennent immensément riches en développant au bon moment leur cimenterie.

La vie politique de l'île. n'est pas oubliée, Elvira en raconte les mouvances au travers de l'activité politique de son père Aurélio et du mari d'une de ses tantes. Rapprochement avec les Etats-Unis, indépendance, misère du petit peuple, lent déclin de la culture de la canne. En somme, toute la vie d'une petite île des Caraïbes et de ses habitants marqués par une immense fracture sociale.

Rosario Ferré réussit le tour de force de trouver un côté attachant à chacun de ses personnages, les descriptions ne sont jamais ennuyeuses et certaines anecdotes sont carrément jubilatoires. L'écriture enlevée est encore enrichie par les interventions des personnages qui racontent leur propre histoire. On pourrait craindre de se perdre dans cette multitude de tranches de vie qui s'entrecroisent, il n'en est rien. Le livre est parfaitement construit et d'une clarté exemplaire. On ne peut s'empêcher de songer à Gabriel Garcia Marquez, tant dans la forme que dans le fond. Un roman passionnant, exubérant, attachant, vous l'aimerez, c'est sûr !

Fabienne HUART

« Liens excentriques » de Rosario Ferré, Stock (Chronique datant de septembre 2000)