vendredi 28 juillet 2006

Roman - "Sur ses traces", thriller on the rocks

Un tueur en série, une medécin légiste, un policier en plein doute, un maire prêt à tout pour garder le pouvoir : ce thriller d'Elizabeth Becka se distingue par la complexité de la psychologie des personnages.


Elle même médecin légiste dans la police de Floride, Elizabeth Becka sait de quoi elle parle dans ce roman policier. Seule différence, son héroïne, Evelyn James, officie à Cleveland, ville froide et sinistre du nord des USA. L'action se déroulant en hiver, en plus des forces du mal, elle devra en permanence lutter contre le froid, la neige et le verglas. Evelyn est appelée un matin de novembre sur la scène d'un crime. Au bord de la rivière charriant ses eaux glacées, des promeneurs ont découvert le corps d'une jeune femme. Les deux pieds pris dans un seau rempli de ciment, elle est en plus enchaînée. Sur place, Evelyn va rencontrer un nouveau policier, David, et rapidement comprendre que la victime n'était pas morte quand elle a été précipitée dans l'eau. Commence alors le travail long et fastidieux des enquêteurs scientifiques. En plus de l'autopsie, Evelyn va relever les différentes fibres encore collées aux vêtements de la morte, tenter de découvrir la provenance du ciment et des chaînes. Mais tout va s'accélérer quand un second corps est découvert trois jours plus tard à proximité du premier. Et si la première victime est encore une inconnue, la seconde est beaucoup plus connue : Destiny Pierson est la fille du maire. Ce maire noir très ambitieux qui a été également le premier amour d'Evelyn il y a une vingtaine d'années. Les personnages principaux sont en place, le grand bal des apparences peut débuter.

Une lente agonie
Si Elizabeth Becka concentre son roman autour de l'enquête d'Evelyn, elle décroche parfois pour raconter avec un luxe de détails les affres des victimes. Un long chapitre est ainsi consacré à la captivité de Destiny et son agonie. Car la jeune fille, consciente alors que le ciment est en train de prendre autour de ses pieds, parviendra à se défaire de ses liens alors quelle est plongée dans l'eau glacée. Parvenue sur la berge au prix d'un effort surhumain, elle se croira sauvée avant de croiser une nouvelle fois le tueur. Un tueur mystérieux et aux pratiques d'un rare sadisme. Evelyn, qui a elle aussi une fille, Angel, âgée de 16 ans, ne peut que trembler pour sa progéniture. Et en pratiquant ses examens sur les cadavres en compagnie de David, elle s'interroge : « Je ne cesse de me demander ce que l'on peut ressentir, à voir ce ciment sur ses pieds, à entendre le bruit de l'eau et savoir qu'on n'a plus que quelques minutes à vivre. Ce n'est pas seulement la noyade, mais le fait de geler et de se noyer. L'eau doit donner l'impression d'être poignardée par des glaçons, et en même temps pas assez froide pour vous faire mourir instantanément, ni vous engourdir suffisamment pour ne pas ressentir la douleur lorsqu'on ne peut plus retenir sa respiration. »

Personnages complexes
Ce premier roman d'Elizabeth Becka, sans sombrer dans la complexité des enquêtes scientifiques, se distingue surtout par les interrogations des protagonistes, jamais manichéens, chose assez rare dans la littérature américaine. Evelyn, divorcée, tentant d'éduquer au mieux sa fille adolescente, aime son travail mais risque à tout moment de le perdre. Son chef, fonctionnaire installé, menace sans cesse de la remplacer par un jeune étudiant plus ambitieux. David, le policier, célibataire lui aussi, oublie son mal de vivre dans son travail, préférant aller interroger des proches des victimes tard le soir que de rentrer dans son appartement vide. Des personnages torturés, perfectibles et humains, confrontés à l'abomination au quotidien. Le lecteur se surprend à penser comme eux, à comprendre leurs doutes et à espérer un jour meilleur. Mais ne rêvons pas, nous sommes aux USA...

« Sur ses traces », Elizabeth Becka, Calmann-Lévy, 20,50 €

jeudi 27 juillet 2006

BD - Protecto, combat inégal


Si vous avez aimé « Mèche rebelle », vous apprécierez « Protecto », série écrite par Zidrou et dessinée par un Italien talentueux, Mattéo. Dans ce tome 1, on retrouve Kim, Alicia et Madame, les protagonistes de la première histoire reprise dans un gros album de 96 pages récupérant le numéro 0. Madame, c'est la Mort. Elle est vicieuse, persévérante et très sûre d'elle. Kim et Alicia ont déjà échappé à ses griffes grâce à l'aide des agents de Protecto, des anges gardiens chargés de déjouer les plans machiavéliques de Madame. Mais cette dernière est également rancunière et dans « La fabrique des mères éplorées », elle va s'attaquer à la petite fille de Kim. Une course contre la montre qui va s'achever dans une maison en flamme au bord du lac de Garde en Italie. Zidrou, si comique avec son élève Ducobu,ou tendre avec « Sac à puces », change totalement de registre avec cette histoire trouvant parfaitement sa place dans la collection Empreintes. Les mères sont prêtes à tout pour sauver leur progéniture, mais au final c'est Madame qui marque le plus le lecteur. Une parfaire représentation du mal, du malheur... (Dupuis, 13 €)

mercredi 26 juillet 2006

BD - Bad news in Azerbaidjan


Juste avant de dédicacer le troisième épisode des « Nouveaux tsars », Jean-Yves Delitte explique que « la vie est si courte et beaucoup trop hasardeuse pour se cacher derrière une imbécile pudeur en se refusant de crier haut et fort son amour aux êtres qui nous sont chers ». Comme si l'auteur, en enquêtant sur les pratiques de la mafia et des groupes terroristes dans les pays de l'ancien bloc soviétique, avait pris conscience que tout cela ne pouvait que conduire à une catastrophe mondiale inéluctable. Son héros, Youri Vladimir, croit encore en la justice. Il est employé par un organisme international pour contrôler le démantèlement de l'arsenal nucléaire russe. Quand il arrive en Azerbaidjan, il ne se doute pas qu'une révolution est en marche. Les groupes islamistes sont soutenus par des puissances étrangères voulant récupérer le pétrole de la région qui pour l'instant est exploité par des Canadiens. Vladimir enquête de son côté sur des fûts toxiques ayant coulé dans le lac Baïkal. Méticuleusement, Delitte démontre comment tout peut basculer dans l'horreur. Et que les vies humaines ne représentent rien quand le pouvoir et l'argent sont en jeu. (Glénat, 12,50 €)

mardi 25 juillet 2006

BD - Double gauche, monstre magicien


Dustin Goldfnger est devenu l'homme le plus puissant de Sinostropolis. Dans sa villa-palais, il reçoit le gratin de la ville. Une soirée prestigieuse au cours de laquelle une femme provoque un scandale. Elle prétend s'appeler Mimsy, connaître Dustin de puis son enfance et critique vertement son mode de vie. Car Dustin a amassé sa fortune en profitant malhonnêtement de son don. Dustin a deux mains gauches aux pouvoirs extraordinaires. Cette nouvelle série (prévue en trois tomes) est écrite par Corbeyran et dessinée par Formosa. Ce dernier, après des essais dans l'héroïc fantasy et le cyberpunk semble avoir trouvé sa voie. Un univers réaliste classique avec l'intervention de monstres cauchemardesque. Ce premier tome, après avoir planté le décor actuel, revient sur l'enfance malheureuse de Dustin et la découverte de son don. Mais il reste un monstre pour beaucoup, notamment Ordog Polok, propriétaire d'un cirque, prêt à tout pour capturer Dustin et l'exhiber aux spectateurs voyeurs. (Dargaud, 13 €)

lundi 24 juillet 2006

BD - Dieu est un buveur de coca


Entre délire loufoque et violente critique sociale, cette série de la collection 32 sort des sentiers battus. Premier épisode des aventures de James Dieu. Enfin Dieu tout court. Il a l'apparence d'Elvis Presley (à la fin de sa vie), vit dans une canette de coca-cola et avoue que sa seule erreur, la création de notre monde, est la conséquence d'une soirée trop arrosée. L'Humanité, ce n'est que la résultante d'un vomi d'ivrogne. Un préambule déconcertant dans un contexte beaucoup plus terre à terre. Un chicano immigré à New York est au chômage depuis six mois. Depuis que l'usine de Coca qui l'employait a été délocalisée... au Mexique. C'est lui qui a découvert la canette contenant Dieu. Il est un peu chamboulé par cette révélation, tant est si bien qu'il ne voit pas que sa femme, harcelée sexuellement par son employeur est en train de craquer. Fred Pontarolo lâche les brides de son imagination. L'opposition entre le réalisme social et la folie de Dieu confère à cette BD une ambiance unique. Et comme le premier épisode s'achève sur un coup de théâtre, on attend avec impatience la suite... (Futuropolis, 4,90 €)

dimanche 23 juillet 2006

BD - Lucille, la fuite et la faim


Le livre est presque aussi lourd que son héroïne. 544 pages écrites et dessinées par Ludovic Debeurme, racontant le passage à l’âge adulte de Lucille, une adolescente anorexique. Lucille va rencontrer Arthur, autre adolescent mal dans sa peau. Au début, ces deux écorchés vifs vivent leurs malheurs chacun de leur côté. Lucille est devenue un squelette ambulant pour ressembler à sa poupée longiligne alors qu’elle était une fillette plutôt grassouillette. Arthur rejetant son père, son métier de marin et surtout son alcoolisme chronique. Ils vont se croiser une première fois à l’hôpital. Et puis ce sera le coup de foudre et l’envie de partir ensemble, le plus loin possible. Ce sera l’Italie et sa douceur de vivre. Mais ce n’est pas parce que l’on change d’horizon que l’on n’emmène pas avec soi ses problèmes. Certes ils sont maintenant deux et peuvent s’épauler, reste que les blessures sont trop profondes pour guérir en si peu de temps. Roman graphique dépouillé, Lucille permet à Ludovic Debeurme de démontrer tout son talent de montreur d’âmes. (Futuropolis, 27,90 €)

samedi 22 juillet 2006

BD - Poison Ivy, inquiétante pin-up


Une nouvelle fois, Dottie Partington, alias Poison Ivy, a changé d'aspect et d'identité. Elle chasse le serpent venimeux dans les eaux chaudes d'Hawaï. Un serpent aquatique très dangereux. Pas spécialement agressif, sauf quand il se trouve en présence de sang. Après avoir collecté le venin, elle le vend à un laboratoire qui en fait du sérum. Soleil et mer à gogo : la vie de Dottie semble idéale, mais elle sait que ce répit est de courte durée. Son ancien employeur est toujours à sa recherche. Et pas pour lui souhaiter un bon anniversaire. Il envoie une tueuse sur place pour définitivement éliminer Dottie de ce monde. La belle a cependant d'autres soucis. En priorité effacer les trois lettres tatouées sur son épaule. A la place elle fera dessiner un serpent. Un tatouage très discret à côté des multiples motifs ornant le corps du sculptural Marlon. Un Kanak, fier de ses origines, recherché par la police pour le meurtre d'une touriste australienne. Yann, au scénario, a multiplié les intrigues autour du fil rouge de la fuite de Dottie. Berthet dessine avec toujours autant de grâce et de de brio les courbes parfaites de son héroïne préférée. (Dargaud, 13 €)

vendredi 21 juillet 2006

Roman - Flèche jaune dans une Russie à l'agonie

Viktor Pelevine raconte un voyage improbable dans un train russe traversant éternellement un pays en pleine décomposition.


Considéré en Russie comme un des auteurs les plus prometteurs de sa génération, Viktor Pelevine, dans ce court roman publié initialement en 1994, décrit une société russe refermée sur elle même, avançant indéfiniment dans une direction qu'elle n'a pas choisi mais qu'elle accepte, résignée. Toute l'action se passe dans un train, la « Flèche jaune », évocation de la Flèche rouge, fleuron de la technologie ferroviaire soviétique qui relie Moscou à Saint-Pétersbourg. A son bord, Andreï, jeune Russe survivant grâce à une bonne dose de philosophie. Il a la chance de dormir dans une couchette et parvient sans trop, de problème à subvenir à ses besoins ce qui n'est pas le cas de tout le monde dans le long convoi. Il ne sait plus depuis combien de temps il est enfermé dans la Flèche jaune. Ni ce qu'il y fait exactement. Seule certitude, le train ne s'arrête jamais et donc il est totalement impossible de s'arrêter. Cela ne l'empêche pas de rêver et de s'émerveiller en voyant un coucher de soleil. Mais l'inactivité aidant, il gamberge, et ne peut s'empêcher de comparer les rayons du soleil à des existences : « Et le pire était que toutes ces flèches jaunes qui tombaient obliquement par la fenêtre pouvaient fort bien posséder une conscience, l'espoir d'une vie meilleure et le sentiment de la vanité de cet espoir. Tout comme l'homme, elles disposaient peut-être de tous les ingrédients nécessaires pour souffrir ». 

Etrange faune voyageuse
Dans les couloirs des wagons, Andreï fait d'étranges rencontres comme des businessmen véreux fans de Saddam Hussein ou des farfelus n'ayant rien trouvé de mieux que d'inventer une religion sanctifiant la locomotive qui emporte tout ce petit monde vers une destination inconnue et improbable. Certains prétendent qu'un jour le chemin de fer s'arrêtera et que tous mourront dans un déraillement gigantesque. Mais sans que l'on sache pourquoi, ce jour n'est pas venu et la Flèche jaune poursuit sa route avec son lot de prisonniers. Et puis un jour, en risquant sa vie, Andreï parvient à monter sur le toit du wagon. Il y découvrira une seconde communauté, tout aussi prise au piège, mais au grand air. Il y croisera aussi Khan, celui qui va l'obliger à prendre son destin en main. Sans véritablement l'encourager : « Khan lui dit qu'il était non seulement inutile, mais même plutôt nocif de grimper sur le toit, car les possibilités de s'évader du train – pour de vrai - étaient encore moindres que de l'intérieur. Mais ils continuaient cependant à le faire, pour échapper durant quelque heures à l'espace étouffant de la vie et de la mort commue. » Entre désespoir et nostalgie, Andreï trouvera quand même la force pour regarder le monde en face. Un monde pas obligatoirement en perpétuel mouvement.
« La Flèche jaune », Viktor Pelevine, Denoël, 10 €

jeudi 20 juillet 2006

BD - Tony Corso voyage (un peu...)


Tony Corso, le privé de la jet-set, quitte pour quelques pages la côte d'Azur pour découvrir les charmes du Belize. Ce petit état d'Amérique centrale est une plaque tournante du blanchiment de l'argent sale. C'est dans ce pays corrompus que le fils de Warren Bullet a disparu. Le vieil homme, multimillionnaire, est victime d'un chantage. Mais en même temps que le kidnapping de son fils, tous ses comptes en banque ont été vidés. Pour payer la rançon il n'a plus qu'une solution : vendre sa propriété en bord de mer. Il charge quand même Tony Corso de retrouver son fils sous les tropiques. Tony va entraîner dans sa galère un copain d'enfance, Madgid, et un chauffeur de taxi d'origine antillaise. Le dénouement de l'affaire se déroulera pas loin de Saint-Tropez, sur cette riviera où les crocodiles aux dents longues et acérées grouillent à tout heure de la journée. Olivier Berlion parvient à renouveler l'entourage de son héros, lui trouvant un associé sympathique et une ennemie que l'on devine rancunière et de nouveau prête à en découdre avec Tony. (Dargaud, 9.80 €)

mercredi 19 juillet 2006

BD - Pauvre petit Pascal Brutal


Pascal Brutal, c'est le héros de l'avenir. Un futur proche, dans quelques années, quand Alain Madelin sera président de la République et que la société française sera devenue ultra-libérale. Une société qui donne sa véritable place à un homme musclé et sans tabou. Pascal Brutal règne en maître dans sa ville. Les filles sont à ses pieds, les garçons aussi. Car Pascal, monstre de virilité, ne se refuse pas parfois une petite aventure homosexuelle. C'est tellement agréable de rejeter, le lendemain, son amant d'une nuit. Les pleurs sont encore plus déchirants. Pascal Brutal sait être odieux. Imaginé par Riad Sattouf, l'homme à la gourmette en argent n'est pas très sympathique d'un premier abord. Mais toute l'astuce de Sattouf est de dévoiler, par petites touches, le côté gros bébé de Pascal. Il refoule son complexe d'oedipe, n'est pas remis de son amour caché pour une ancienne professeur et pleure en voyant des chatons. Loin de tout ce qui a été fait jusqu'à maintenant dans le domaine de l'humour corrosif, Riad Sattouf a inventé la psychologie de la testostérone. (Fluide Glacial, 9,95 €)