vendredi 21 juillet 2006

Roman - Flèche jaune dans une Russie à l'agonie

Viktor Pelevine raconte un voyage improbable dans un train russe traversant éternellement un pays en pleine décomposition.


Considéré en Russie comme un des auteurs les plus prometteurs de sa génération, Viktor Pelevine, dans ce court roman publié initialement en 1994, décrit une société russe refermée sur elle même, avançant indéfiniment dans une direction qu'elle n'a pas choisi mais qu'elle accepte, résignée. Toute l'action se passe dans un train, la « Flèche jaune », évocation de la Flèche rouge, fleuron de la technologie ferroviaire soviétique qui relie Moscou à Saint-Pétersbourg. A son bord, Andreï, jeune Russe survivant grâce à une bonne dose de philosophie. Il a la chance de dormir dans une couchette et parvient sans trop, de problème à subvenir à ses besoins ce qui n'est pas le cas de tout le monde dans le long convoi. Il ne sait plus depuis combien de temps il est enfermé dans la Flèche jaune. Ni ce qu'il y fait exactement. Seule certitude, le train ne s'arrête jamais et donc il est totalement impossible de s'arrêter. Cela ne l'empêche pas de rêver et de s'émerveiller en voyant un coucher de soleil. Mais l'inactivité aidant, il gamberge, et ne peut s'empêcher de comparer les rayons du soleil à des existences : « Et le pire était que toutes ces flèches jaunes qui tombaient obliquement par la fenêtre pouvaient fort bien posséder une conscience, l'espoir d'une vie meilleure et le sentiment de la vanité de cet espoir. Tout comme l'homme, elles disposaient peut-être de tous les ingrédients nécessaires pour souffrir ». 

Etrange faune voyageuse
Dans les couloirs des wagons, Andreï fait d'étranges rencontres comme des businessmen véreux fans de Saddam Hussein ou des farfelus n'ayant rien trouvé de mieux que d'inventer une religion sanctifiant la locomotive qui emporte tout ce petit monde vers une destination inconnue et improbable. Certains prétendent qu'un jour le chemin de fer s'arrêtera et que tous mourront dans un déraillement gigantesque. Mais sans que l'on sache pourquoi, ce jour n'est pas venu et la Flèche jaune poursuit sa route avec son lot de prisonniers. Et puis un jour, en risquant sa vie, Andreï parvient à monter sur le toit du wagon. Il y découvrira une seconde communauté, tout aussi prise au piège, mais au grand air. Il y croisera aussi Khan, celui qui va l'obliger à prendre son destin en main. Sans véritablement l'encourager : « Khan lui dit qu'il était non seulement inutile, mais même plutôt nocif de grimper sur le toit, car les possibilités de s'évader du train – pour de vrai - étaient encore moindres que de l'intérieur. Mais ils continuaient cependant à le faire, pour échapper durant quelque heures à l'espace étouffant de la vie et de la mort commue. » Entre désespoir et nostalgie, Andreï trouvera quand même la force pour regarder le monde en face. Un monde pas obligatoirement en perpétuel mouvement.
« La Flèche jaune », Viktor Pelevine, Denoël, 10 €

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