lundi 1 avril 2024

BD - Sœurs opposées

 


Depuis leur plus tendre enfance, Camille et Lise vivent dans la même maison. Un joli pavillon avec jardin dans un quartier calme de la ville. A la mort des parents, elles ont conservé cette location. Mais ne s’entendant plus, elles ont coupé le bâtiment en deux.

Un mur en parpaings, du portail qui donne sur la rue, jusqu’au fond de la maison. Elles ne se comprennent plus car elles ont deux vies radicalement différentes. Camille, prof, aime la musique, est plutôt de gauche, a un chat et des amis entre baba-cools et altermondialistes.

Lise est analyste financière, plutôt de droite, aime les ambiances zen, le jardinage, déteste les chats et rêvait d’être footballeuse professionnelle. Ce petit monde, imaginé par Isabelle Sivan, est mis en images par Bruno Duhamel. Une BD presque expérimentale car la symétrie est omniprésente. Pour comprendre cet antagonisme permanent, tout ce que fait Camille est comparé aux actions de Lise.

Les planches sont coupées en deux. Ou alors les deux pages sont symétriques, avec un effet miroir. Une difficulté graphique dont s’est joué avec brio le dessinateur. Pour ce qui de l’intrigue, elle explore cette sororité défaillante quand le propriétaire décide de revendre la maison. Les deux locataires sont prioritaires. Encore faut-il qu’elles en aient les moyens et surtout qu’elles s’unissent. Sans oublier la première étape, la plus importante : recommencer à se parler sans se hurler dessus.

Très original, ce roman graphique est maîtrisé de bout en bout et analyse avec finesse et humanité les relations au sein d’une même famille, expliquant les différentes trajectoires et évolutions d’une relation pas toujours évidente entre deux sœurs aux goûts divergents.

« Deux sœurs », Bamboo Grand Angle, 72 pages, 16,90 €

dimanche 31 mars 2024

Cinéma - Surtout “Pas de vagues” chez le Mammouth

 Accusé de harcèlement par une élève, un jeune professeur voit ses idéaux s’évanouir. « Pas de vagues » est un film social assez sombre réalisé par Teddy Lussi-Modeste sur un scénario d’Audrey Diwan.



L’Éducation nationale est une machine gigantesque et complexe. Qui évolue lentement. Pour la désigner, Claude Allègre, ministre de tutelle, parle de « Mammouth ». C’était en 1997 et, depuis, cette administration a conservé cette image d’animal lent et appelé à disparaître. Pourtant le corps enseignant évolue, comme le montre le film Pas de vagues, réalisé par Teddy Lussi-Modeste sur un scénario écrit en collaboration avec Audrey Diwan. Histoire tirée de faits réels… Sa propre expérience quand il a commencé son premier métier de professeur de français.

Le film débute par la déclamation d’un poème de Ronsard, le célèbre Mignonne, allons voir si la rose. Explication de texte par Julien (François Civil), jeune prof chaleureux, patient et à l’écoute de sa classe. Certains élèves sont exubérants, d’autres chahuteurs. Leslie (Toscane Duquesne) est timide et réservée.

C’est pourtant elle qui envoie une lettre à la CPE de ce collège d’une banlieue défavorisée pour accuser Julien de harcèlement. Il lui aurait fait des avances. Une simple feuille qui va déclencher une réaction en chaîne dévastatrice. D’abord pour Julien. Qui nie ces accusations. Il les met sur une incompréhension de l’adolescente. Il demande à s’expliquer avec le père ou la mère. Mais c’est le grand frère qui vient et menace Julien des pires représailles. Il va dans la foulée porter plainte au commissariat. Les élèves sont entendus, la rumeur se répand. Julien suspecté, accusé, rejeté.

Un prof maladroit dans sa défense. Il est persuadé que la direction de l’établissement va le défendre. Mais au nom du fameux « Pas de vagues », on lui demande de faire profil bas. De bon prof, investi dans son métier, volontaire et novateur, Julien va se transformer en paranoïaque autoritaire. Au risque de saboter sa carrière, son couple, sa vocation.

Teddy Lussi-Modeste, le réalisateur, s’est inspiré de sa propre histoire. Il explique dans le dossier de presse qu’il ne voulait « pas coller aux événements tels qu’ils s’étaient déroulés dans la réalité. Je voulais coller aux émotions qui m’avaient traversé. » La peur, la culpabilité.

Rapidement la tension monte et le spectateur se retrouve plongé dans un thriller oppressant, avec un homme en danger et une menace réelle avec le frère violent qui veut « lui casser les jambes », mais aussi des dizaines de collégiens suiveurs, experts pour mettre la pression sur leur potentielle victime via les réseaux sociaux.

Pas de vagues est très actuel et explicite sur le malaise du corps enseignant. Même s’il y a plus de 50 ans, Les risques du métier avec Jacques Brel, racontait la même injustice.

Film de Teddy Lussi-Modeste avec François Civil, Shaïn Boumedine, Bakary Kebe


samedi 30 mars 2024

Thriller - Holly, l'héroïne de Stephen King, seule face à deux vieux monstres

Stephen King retrouve Holly Gibney dans son nouveau thriller. La détective doit faire face à un couple maléfique insoupçonnable. 

 


Stephen King a de la suite dans les idées. Et n’aime pas gâcher de bons personnages. Après deux romans terrifiants (Mr Mercedes et L’Outsider), il remet Holly Gibney sur le devant de la scène. La détective privée mal dans sa peau doit affronter plusieurs crises en même temps.

Après la mort de son mentor, sa mère décède du covid. Covid qui met également hors-jeu son complice, Pete. Dans une Amérique de plus en plus fracturée (pour ou contre les vaccins, pour ou contre Trump), une mère la sollicite. Sa fille, Bonnie, a disparu.

Elles ne s’entendaient pas bien, mais la jeune bibliothécaire n’avait aucune raison de tout abandonner du jour au lendemain. Holly, toujours aussi peu optimiste, craint le pire. Enlèvement, viol, assassinat… Un scénario que le lecteur envisage aussi au premier chef en découvrant, entre les chapitres consacrés à la longue et patiente enquête d’Holly, les agissements des époux Harris. Deux vieux professeurs d’université qui cachent bien leur jeu de serial-killers.

Stephen King, en dévoilant dès les premières pages, les assassins, semble se moquer des cosy mystery très à la mode. Son roman n’en demeure pas moins passionnant car on découvre, au fil des pages, les agissements absolument horribles d’Emily et Rodney Harris. Arthrite et sciatique ne les empêchent pas de tuer et dépecer de jeunes victimes soigneusement choisies.

C’est une des difficultés que doit surmonter Holly : « Bonnie et Rae sont trop différents pour être victimes d’une même personne. Elle en est certaine. Presque. » Ce presque, doute caractéristique du fonctionnement d’Holly, donne tout son sel à ce thriller très psychologique. Car en plus des époux tueurs, on suit les remises en cause d’Holly découvrant les mensonges de sa mère ou la belle relation entre Barbara (une jeune collaboratrice d’Holly) et une vieille poétesse presque centenaire.

Souvent, dans les romans de Stephen King, ce sont ces passages hors intrigue qui donnent toute leur saveur à ces thrillers du réel.

« Holly » de Stephen King, Albin Michel, 528 pages, 24,90 €

vendredi 29 mars 2024

Roman français - Paysans et bêtes « Du même bois »

Une ferme en montagne. Des paysans. Et des bêtes. Le tout à travers les souvenirs de Marion Fayolle. Une chronique d’un temps révolu, entre nostalgie et envie de liberté.



Ces derniers mois sur les routes bloquées, et à Paris récemment pour la salon, il est beaucoup question d’agriculture. De son évolution, de son avenir, d’économie, de politique. Tout ce que vous ne trouverez pas dans ce texte de Marion Fayolle. Du même bois parle des hommes et des femmes qui depuis des générations vivent sur ces terres en moyenne montagne.

Pas des agriculteurs, non, des paysans dans toute la noblesse du terme. Ceux qui font ce pays, ces paysages. Devenue dessinatrice, Marion Fayolle a quitté cette ferme en Ardèche près de la source de la Loire. Ferme qui n’existe plus d’ailleurs. Non viable économiquement. Mais en y passant toute son enfance, elle a emmagasiné quantité de souvenirs. Elle aurait pu en faire une BD, elle a préféré raconter, avec des mots simples, des émotions fortes, des portraits de ses proches, ce quotidien où toutes les générations, de la « gamine » au pépé, cohabitent dans ces deux habitations reliées par l’étable où vivent les vaches et leurs petits.

L’autrice se met souvent à la place des anciens qui voient le temps passer, les mœurs évoluer, les traditions s’estomper. mais ils croient toujours que les jeunes vont continuer, comme eux qui ont repris l’exploitation des parents. « Les jeunes rêvent de s’envoler avant l’hiver, d’échapper à la neige qui les emprisonne pendant des semaines, des mois, Ils imaginent une vie à eux, qui ne serait pas celle des parents, qu’ils auraient réussi à inventer tout seuls. C’est l’adolescence, ça leur passera. Quand ils verront que ce n’est pas mieux ailleurs, ils reviendront, ils feront paysans, on ne veut jamais ressembler à ses parents quand on a quinze ans. »

Pourtant l’appel du large sera le plus fort. Pour la « gamine » notamment qui semble être le portrait craché de l’autrice. Comme ses cousins ou ses amis, « ils ont envie de partir, de débrider leur mobylette, de connaître ce qui existe derrière les montagnes, après les vallées, de l’autre côté des frontières. Ils ont eu un paysage entier pour grandir mais ça ne leur suffit pas. Au-delà de la ligne d’horizon, ils sont convaincus que c’est mieux. » L’exode rural expliqué simplement, humainement. Et chez les anciens, la survie est forte. Comme cette mémé qui « fait de tout petits pas, pour faire durer la vie, pour ne pas arriver trop vite à la fin. Elle raccourcit les promenades, n’a pas besoin d’aller loin pour compter les buses, surprendre des renards. »

Dans cette ferme vit la famille, besogneuse, résignée ou prête à déployer ses ailes ailleurs, mais aussi les bêtes. Ce sont les autres personnages principaux de ce récit. Les vaches, calmes ou capricieuses, les veaux, si mignons, irrémédiablement condamnés, quelques cochons, des lapins et une poule faisane domestiquée par un tonton zinzin. Une ménagerie merveilleuse qui semble elle aussi crier grâce à Marion Fayolle : « Ne nous oubliez pas ! ».

« Du même bois » de Marion Fayolle, Gallimard, 116 pages, 16,50 €

 

jeudi 28 mars 2024

Un témoignage : La maternité d’Elne

 


597 enfants. 597 vies sauvées par Élisabeth Eidenbenz entre décembre 1939 et avril 1944 à la maternité suisse d’Elne. Assumpta Montellà, historienne catalane, a publié ce livre témoignage en 2005.

Pour la première fois il est traduit en français. On découvre dans ces pages le récit de cette aventure humaine exceptionnelle, des photos d’époque mais surtout de nombreux témoignages, notamment de ces enfants d’Elne qui aujourd’hui encore avouent leur immense admiration pour Élisabeth et toutes celles et ceux qui ont sauvé ces vies durant cette période où violence et mort semblaient les plus fortes.

« La maternité d’Elne », Assumpta Montellà, Trabucaire, 132 pages, 20 €

mercredi 27 mars 2024

Un collector : concentré de P’tites Poules

 


Après parution en grand format, les histoires des P’tites Poules imaginées par Christian Jolibois et dessinées par Christian Heinrich, sont regroupées dans des albums collector petit format.

Le tome 5 reprend les quatre dernières aventures des amis des plus jeunes.

On vibre donc aux péripéties Carmen, Carmélito et compères en Chine, sur les bords de la rivière qui cocotte à cause de ces pollueurs de putois, avec Maurice, le dernier dodo de la planète et dans leur nid douillet au cœur de l’hiver, alors que Machab, le chêne légendaire et ses corbeaux maudits, tente de dérober leurs dernières graines.

Une compilation parfaite pour redécouvrir une des meilleures séries jeunesse de ces dernières années.

« Les P’tites Poules, collector » (tome 5), PKJ, 200 pages, 15,10 €

mardi 26 mars 2024

Un roman jeunesse : Moumoute

 


Du plus grand au plus petit. Cette histoire destinée aux enfants de 5 à 7 ans leur permet de prendre conscience des différentes échelles de grandeur des choses qui les entoure.

Les deux personnages de l’histoire, Moumoute et Mouchka sont deux amis inséparables mais radicalement différents. Moumoute est un gros ourson, Mouchka un minuscule insecte.


Quand ce dernier veut faire déguster les gâteaux qu’il a cuisinés avec amour pour le pique-nique, ce ne sont que des miettes pour Moumoute. Et comment jouer ensemble quand on est si différent l’un de l’autre ? Une belle parabole sur la compréhension de l’autre signée Inbar Heller Algazi, illustratrice installée à Toulouse.

« Moumoute et la journée avec Mouchka », L’École des Loisirs, 40 pages, 6,50 €

lundi 25 mars 2024

Un livre témoignage : la marche selon Noëlle Bréham

 

Visage connu des téléspectateurs amateurs de jardinage, voix identifiable après des décennies à France Inter, Noëlle Bréham a délaissé l’audiovisuel pour l’écrit.

Elle raconte dans ce récit au ton léger mais instructif (comme ses émissions) son besoin vital de marcher. De son enfance à sa retraite, elle en aura fait des kilomètres. « Quand je mets mes chaussures de marche, mon chien et mon cœur font la même chose : ils sautent de joie » se confie-t-elle. Une marche assez sportive : « Je marche vite, mais la plupart de mes amis marchent lentement, et ça me rend dingue. » En refermant ce livre vos pieds vont bouger tout seuls.

« Tête en l’air et pieds sur terre » de Noëlle Bréham, Salamandre, 128 pages, 19 €

dimanche 24 mars 2024

BD - Chat géant chez les dragons


Ethan Young, dessinateur américain d’origine chinoise, a imaginé son nouveau roman graphique en se basant sur des légendes du pays de ses parents. La voie dragon allie Chine ancestrale, futur inquiétant et fantastique classique. Le clan Wong est nomade.

Dans une sorte de château ambulant escorté par des engins plus maniables, il rejoint le Vieux Pays. Mais avant d’atteindre ces terres d’où il a été chassé il y a des décennies, il doit traverser le pays des dragons. Des humanoïdes ressemblant des dragons de Komodo. La confrontation est inévitable.

« La voie dragon », Glénat, 200 pages, 17,90 €

Seul le prince Sing échappe à leurs griffes. Après une longue errance, il atteint le Vieux Pays et rencontre le Mystique Ming, un sorcier, protégé par un chat gigantesque (au moins 10 mètres de hauteur), surnommé le Monstre par les légendes, Minuit pour les amis. Virtuose du dessin, Ethan Young parvient à donner une ampleur étonnante aux combats, malgré le petit format de la BD.

Par contre c’est un peu moins concluant au niveau du scénario, peu de surprise et une apologie de la royauté et du sang royal qui forcément à un peu de difficulté à passer au pays de la Révolution, des droits de l’Homme et de la guillotine…

« La voie dragon », Glénat, 200 pages, 17,90 €

samedi 23 mars 2024

BD - Imaginaires et Maléfics de Castlewitch

 


Second tome de la trilogie de Castlewitch, série imaginée par Nicolas Jarry et dessinée par François Gomes. Après avoir découvert la ville de Castlewitch et ses spécificités dans le premier tome, le lecteur plonge un peu plus dans la guerre entre Imaginaires et Maléfics.

Chaque enfant se crée un ami imaginaire. A Castlewitch ils sont réels. A l’adolescence ils disparaissent sauf dans certains cas. L’ami devient un Imaginaire si son créateur est bienveillant, un Maléfic s’il est animé de mauvaises intentions. Malo, le jeune héros, a un Imaginaire nommé Afnu’rr. Certains de ses camarades de classe aussi, ont un compagnon qui participe au combat souterrain.

Dans cette suite, Malo va se lier avec Irina, une nouvelle habitante de Castlewitch. Elle a un Maléfic, mais elle parvient toujours à le dominer. Jeu dangereux ? La suite est pleine d’affrontements, de combats et d’actes de bravoure. De renoncements aussi.

L’univers mis en place par Nicolas Jarry est particulièrement cohérent et passionnant. Chaque Imaginaire est représentatif des jeunes. Combatif pour Farah, peureux pour Jules et encore un peu trop joueur pour Malo.

Certains Maléfics sont véritablement terrifiants, mais d’autres sont risibles. Car cette BD, tout en étant très sérieuse et parfois même dramatique, offre une bonne dose de sourires. Et cela devrait aller en augmentant avec l’arrivée, dans le tome 3, de Grizzbou et Granloup, deux nouveaux Imaginaires envoyés pour aider les jeunes amis de Malo dans son combat.

« Castlewitch » (tome 2), Soleil, 56 pages, 13,50 €