jeudi 20 novembre 2008

BD - Délires psychédéliques signés Dave Cooper chez Delcourt

Dave Cooper, après avoir été une des têtes d'affiche de la BD underground américaine, se consacre aujourd'hui à la peinture, le design des jouets et les livres pour enfants. « Suckle », réédité par Delcourt dans sa nouvelle collection Outsider, est une oeuvre de jeunesse. 

Publiée pour la première fois en 1996, elle présente l'errance de Basil, un adolescent, orphelin du désert, découvrant la vie et la complexité des humains. Il cherche l'amour et la sérénité. Avant d'atteindre ce nirvana, il se fera arnaquer par des exploiteurs, tabassé par des hommes cupides, enrôlé dans des sectes... 

Il goûtera également quelques substance hallucinogènes lui permettant de voir sa réalité sous un nouvel angle. Ce sont des planches totalement allumées, aux formes voluptueuses et charnelles. Une façon détournée de dessiner des scènes de sexe fantasmé. Du sexe il en est également beaucoup question dans le second récit, « Crumple », des lesbiennes complotant contre les mâles dominateurs.

« Suckle, suivi de Crumple », Delcourt, 16,50 € 

mercredi 19 novembre 2008

BD - Horreur muette


Dans quel monde vivons-nous ? Ivan Brun tente de répondre à cette question dans son album intitulé « No comment ». Une réponse noire et pessimiste car ses histoires courtes et muettes sont à l'opposé des bluettes servies par certains pour faire oublier les rigueurs du quotidien. 

Chez Ivan Brun, les personnages, corps d'enfants, grands yeux innocents, vivent des cauchemars éveillés. Que cela soit dans les villes déshumanisées de notre Occident ou les bidonvilles dépotoirs des pays pauvres, la misère est la même. Misère morale pour les uns, misère matérielle pour les autres. Avec à la clé, systématiquement, la violence qui s'impose. 

Violence tarifée ou par média de substitution d'un côté, ultra violence de l'autre avec la guerre des gangs, les enlèvements, les meurtres, la prostitution. La couverture est assez anxiogène, l'intérieur carrément dépressogène pour ceux qui croient encore au bonheur. Une BD à découvrir pour mieux comprendre les années 2000.

« No comment », Drugstore, 13,90 € 

mardi 18 novembre 2008

Roman - Tristes détectives

Même les détectives privés sont frappés par la crise économique. Alain Sevestre en fait un roman à part.

Pétapernal et Mandex. Les noms des deux héros de ce roman d'Alain Sevestre suffisent à eux seuls pour camper cette ambiance étrange. Deux hommes ne vivant que pour leur travail : détectives privés. Mais on est loin des personnages mythiques à la Chandler. Pétapernal et Mandex sont spécialisés dans le recouvrement de dettes. Ce sont eux par exemple qui sonnent chez les particuliers ayant oublié de payer une commande de livres par correspondance.

Un travail long, fastidieux et peu passionnant qu'ils exécutent pourtant avec abnégation. Le matin, ils se retrouvent dans le bureau de l'agence. Pour choisir les affaires à traiter. Mais surtout pour vérifier que le patron n'a pas fait sa réapparition. Car ce dernier, l'âme de cette petite entreprise, a disparu depuis de longs mois. Parti sans laisser d'adresse. 

Les deux employés tentent de faire marcher l'agence seuls, en attendant son hypothétique retour. Ils piochent dans la caisse pour survivre. Mais n'ont bientôt plus assez pour payer électricité ou téléphone. Reste le coffre-fort qui trône derrière le bureau du chef. Ils vont tout faire pour l'ouvrir, avec l'espoir de découvrir un indice pour retrouver la trace du patron...

Eviter la joie

Ce roman atypique (paru en 2005) interpelle le lecteur par son ton volontairement très monocorde. Pas d'éclat ni de passion dans la vie de Pétapernal et Mandex. Ils sont volontairesment effacés, tristes, comme pour se fondre dans la foule de la grande ville. Et quand par malheur ils sont heureux, "ces petits fracas de contentement, ils les réfrénaient très vite." "Par ailleurs, ils se méfiaient aussi de la joie qui eût pu les emporter à s'accorder avec le monde, les gens. Or, non, il ne fallait pas. Rien n'allait. Ça, c'était la base. La moindre joie manifestée avec le premier venu ouvre à la barbarie".

Deux héros tristes, trimbalant leur volonté d'oubli dans des rues grises, croisant des hommes et des femmes dans le besoin, parfois résignés, parfois prêts à tout pour s'en sortir. Les deux amis mettront des semaines et des semaines pour envisager la fermeture de l'agence, la fin de leur travail, une éventuelle reconversion.

Et pour pimenter cette longue descente aux enfers, Alain Sevestre instille un peu de suspense avec le feuilleton du coffre-fort puis de son contenu, et la quête du père par un fils blessé. Sans oublier une touche d'humour avec l'embauche d'une incroyable secrétaire paranoïaque réclamant sans cesse des pauses pour aller... prier. Ce roman se dévore comme on se lance sur un manège rapide, on est grisé au début puis la tête nous tourne et quand c'est fini il ne nous tarde qu'une chose : retourner faire un tour en compagnie de Pétapernal et Mandex.

"Les tristes" d'Alain Sevestre. Editions Gallimard. 17,50 euros.

lundi 17 novembre 2008

Roman - Famille à lier

Comment, dans un couple, une rupture peut mettre en évidence la folie de toute la famille ? Démonstration savante de Régis Jauffret.

Légèrement oppressant au début, incroyablement inventif par la suite, ce roman de Régis Jauffret (paru en 2005 et récemment réédité chez Folio) dissèque avec une précision chirurgicale la rupture chez un jeune couple. La première partie est un long monologue d'une vingtaine de pages. La femme, Gisèle, raconte comment elle a rejeté cet homme, Damien, qu'elle n'aime plus. Comment il a sombré dans la déchéance en raison de cet abandon : "Après, il ne sera plus qu'un pauvre mec, il lassera ses meilleurs amis avec ses jérémiades, et il perdra son travail quand les services techniques l'accuseront de détremper les circuits informatiques avec la vapeur de ses larmes qui les corrodera comme l'air salé des tempêtes d'équinoxe". Elle se défoulera dans la parole, prenant le lecteur à témoin pour finalement lui confier : "Puisque notre histoire est terminée, c'est qu'elle n'a jamais eu lieu. Elle est à ce point imaginaire, que je vais vous la raconter. Sans pleurer, sans frémir, sans colère, sans émotion".

La fuite de la rupture

Tout commence donc un matin comme les autres. Damien, cadre dans une grande entreprise, doit assister à une réunion à Toulouse. Il se lève très tôt pour prendre l'avion. Gisèle déjeune avec lui puis va se recoucher. Durant la matinée, le père de Damien sonne chez Gisèle pour changer le robinet de la cuisine qui fuit. Mais ce n'est qu'un alibi car une fois la réparation achevée, il demande à Gisèle de l'aider à transporter la commode de famille prêtée au jeune couple. Et au passage d'emballer également les disques, les livres et l'ordinateur de Damien. Damien qui n'a pas eu le courage d'annoncer de vive voix sa rupture et qui a délégué cette tâche à son père. Gisèle n'y croit pas. Refuse en bloc cette éventualité. L'insistance du père parvient pourtant à la faire fléchir. Elle se retrouve seule dans l'appartement car le soir, effectivement, Damien n'est pas rentré. Il est retourné chez ses parents.

Gisèle semble s'enfoncer lentement mais sûrement dans la folie. Une folie qui l'avait épargnée car au fil des pages, le lecteur découvre les véritables personnalités de Damien et de ses parents. Le moins que l'on peut dire c'est que cette famille est étrange. Dérangée serait plus juste. Dans une maestria de formules décapantes et de faux dialogues (chaque protagoniste, à tour de rôle, explique sa vision de la rupture en faisant questions et réponses...), Régis Jauffret raconte cette famille de fous relativisant ces excès en expliquant que "notre avenir n'est pas tracé, nous nous modifions trop, nous sommes chaotiques, et je me dis parfois qu'à notre mort nous laisserons derrière nous la myriade de cadavres de tous ces gens que nous avons été pleinement, mais l'espace d'un instant, d'une semaine, ou de quelques années".

"Asiles de fous" de Régis Jauffret. Editions Gallimard. 16,50 €. (Folio, 5,80 €)

dimanche 16 novembre 2008

Roman - Souvenirs de "Los Montes"


François a douze ans à la fin de la guerre. Il quitte la rue Lepic pour le Chili. Sa mère va y rejoindre un "ami" propriétaire d'une immense hacienda. Roman de souvenirs, roman de l'enfance, "Los Montes" de Richard Godbille donne un éclairage singulier sur la façon dont les adolescents font le deuil de leurs proches. Le père de François est mort au début des hostilités, en 1940. En cette année 1946, après une longue traversée en bateau, il ne se doute pas que sa mère part rejoindre un ancien officier SS réfugié au Chili. Un Allemand qu'elle a rencontré à Paris. Coup de foudre ? François ne le saura jamais car l'adolescent entre en rébellion contre cet homme strict et autoritaire qui tente de prendre la place du père disparu. Le roman alterne les longues balades dans la sauvage et magique cordillère des Andes avec la découverte par François du passé de sa mère et de son compagnon. Personne ne sortira indemne de cette quête risquée.

"Los Montes" de Richard Godbille. Editions Anne Carrière. 16 € 

samedi 15 novembre 2008

BD - Sœur Marie-Thérèse des Batignolles, la guère sainte


Sœur Marie-Thérèse des Batignolles se faisait rare ces dernières années. Maëster, son créateur, ne se reposait pas sur ses lauriers, mais sa légendaire lenteur alliée à des changements d'éditeurs ont fait le reste. Cette religieuse qui aime bien persuader son prochain de la justesse de ses vues à grand coup de baffes dans la tronche, se retrouve dans un couvent en plein beaujolais. L'ennui est redoutable. 

Heureusement, parfois cela s'anime. Quand par exemple un curé pédophile vient se réfugier dans le couvent, avec une horde de chasseurs au fesses. Des chasseurs qui décident finalement que le jardinier du couvent, originaire d'Afrique noire, fera un parfait coupable. Cela donne l'occasion à l'auteur de se déchaîner contre ces détestables chasseurs, racistes et bornés. 

En prennent également pour leur grade les écrivains d'avant-garde, Dracula et l'industrie agro-alimentaire : Maëster ne fait pas dans le détail.

« Sœur Marie-Thérèse » (tome 6), Drugstore, 12,50 € 

vendredi 14 novembre 2008

BD - Gaudin et Danard racontent la jeunesse de Marlysa


Si Marlysa, dans ce tome zéro, n'enlève toujours pas son masque, elle dévoile une partie de son enfance. La guerrière imaginée par Jean-Charles Gaudin (scénario) et Jean-Pierre Danard (dessin), toujours fillette, n'a pas encore les courbes et rondeurs qui affolent ses adversaires. Par contre, elle est déjà courageuse, audacieuse et bagarreuse. A la veille de son anniversaire, notre héroïne, en compagnie de trois de ses amis, va se se baigner dans une cascade en forêt. 

Mais au retour, les compères tombent sur un groupe de Lods. Capturés, ils sont immédiatement revendus aux Klekols, sortes de fourmis humanoïdes qui engraissent leurs proies avant de les dévorer. Les enfants devront leur salut à la rencontre d'une mercenaire dotée de pouvoirs magiques. Un modèle pour la jeune Marlysa. 

Une histoire simple, dans le ton de la série, complétée par un cahier d'illustrations présentant Marlysa sous toutes les coutures.

« Marlysa » (tome 0), Soleil, 12,90 € 

jeudi 13 novembre 2008

BD - Huis clos maritime au temps des pirates


En préambule, les auteurs de cette série maritime expliquent que « cet ouvrage ne prétend pas être une suite de l'Ile au trésor, mais un humble hommage à cet immense chef-d'oeuvre qui ne cesse de nous émerveiller depuis notre enfance ». Xavier Dorison et Mathieu Lauffray ont donc imaginé la suite de la vie mouvementée du pirate Long John Silver. Il est une nouvelle fois à la poursuite d'un trésor. Celui de Lord Byron Hastings qui a découvert, au coeur de l'Amazonie, la cité de Guyanacapac. Sur le navire qu'il a affrété, Silver a placé quelques-uns de ses hommes pour intervenir le moment voulu. Mais rien ne se déroule comme prévu. 

Une tempête venant en plus bousculer les plans des différents protagonistes. Dans cet album, on apprécie l'esprit de la piraterie, le personnage de Silver et surtout celui de Vivian Hastings, belle garce prête à tout pour tirer son épingle du jeu. Sans oublier les dessins de Lauffray, sombres et violents.

« Long John Silver » (tome 2), Dargaud, 13 € 

mercredi 12 novembre 2008

BD - Paroles de petits rescapés

Jean-Pierre Guéno a recueilli les témoignages d'enfants juifs cachés durant la guerre. Leurs récits ont été adaptés en courtes bandes dessinées.


La bande dessinée contre l'oubli. L'oubli de la Shoah. Mais cet album collectif où l'on retrouve les signatures de Sorel, Algésiras, Lidwine, Biancarelli, Démarez, Kristiansen, David Lloyd, Arnoux, Thierry Martin, David Mack et Stéphane Servain ne raconte pas l'horreur des camps. Il se penche sur la survie des enfants juifs cachés par des Français durant la guerre. Des enfants qui ont survécu et qui ont accepté de raconter cette période si particulière de leur vie.

L'idée est de Jean-Pierre Guéno. A l'antenne de Radio France, il avait demandé aux auditeurs de collecter les lettres des Poilus. Cela avait donné des émissions, un livre (édité à 1,5 million d'exemplaires) et des adaptations en bande dessinée. Sur ce même principe, il a demandé à des enfants cachés de raconter. Mais cette fois il a pu rencontrer ces miraculés.

« Avant la Seconde Guerre mondiale, explique Jean-Pierre Guéno dans la préface, 72 000 enfants d'origine juive vivaient en France. 12 000 ont été éliminés entre 1942 et 1946. 60 000 ont survécu à la Shoah. Irène, Robert, Margot, Agnès, Martine, Solange et Catherine ont fait partie de ceux qui ont été sauvés par les hommes ou malgré eux. » Ce sont ces histoires que les dessinateurs ont mis en images, après que Serge Le Tendre ait adapté les textes originaux.

Les lettres de Margot

Cela donne des récits très forts, parfois dérangeants. Comme ces lettres de Margot. La petite Margot vivait heureuse avec sa mère. Et puis un jour, cette dernière a décidé qu'elle ne devait plus s'appeler Margot mais Marguerite. Et il fallait qu'elle soit baptisée. Elle s'en souvient, c'était à Figeac et Capdenac. Pour sa sécurité, elle est hébergée dans un couvent. Mais la fillette ne voit qu'une seule chose : sa mère semble l'avoir abandonnée. Elle lui écrit régulièrement, mais n'a jamais de réponse. Margot comprendra pourquoi des années plus tard. La religieuse, craignant que ces lettres ne tombent dans de mauvaises mains, les avait toutes gardées. Pendant des années Margot a reproché à sa mère d'avoir été silencieuse. Aujourd'hui elle regrette... Une histoire dessinée par Guillaume Sorel qui quitte son univers merveilleux pour une réalité triste et froide.

Tout aussi poignant le témoignage de Solange. Une petite fille cachée chez des paysans du Maine-et-Loire qui tenaient également un café. Avec très vite un malaise, Solange a eu l'impression d'être choisie « comme le serait des petits animaux ». Les enfants sont en fait exploités par ce couple. Et un jour, « dans l'étable qui jouxtait le café » la petite fille est violée par le frère de la mère Lulu, la patronne. Cette mère Lulu qui a toujours fermé les yeux. Et qui des années plus tard est morte sans regret, fière, au final, d'avoir sauvé une petite juive des fours crématoires. 

Solange a mis des années à exorciser cette histoire. Récemment, elle a retrouvé les enfants de la mère Lulu. Ils lui ont notamment demandé d'appuyer leur demande pour qu'elle soit nommée, à titre posthume, Juste devant les Nations... Ce récit, certainement le plus difficile à illustrer, a bénéficié d'une présentation très dépouillée et digne de Teddy Kristiansen.

D'autres histoires composent cet album d'une centaine de pages où les BD alternent avec les récits des enfants cachés. Textes illustrés de photos d'époque et actuelles. Un remarquable livre, pour ne pas oublier ce qu'était la France durant l'occupation.

« Paroles d'étoiles, mémoires d'enfants cachés, 1939 - 1945 », Soleil, 19,95 € 

mardi 11 novembre 2008

BD - Le Népal d'antan


La collection Aire Libre permet à des dessinateurs confirmés de se risquer dans un genre différent de leurs habitudes. Dernier en date à s'y risque, Jean-Claude Fournier qui entreprend de raconter la vie d'une famille népalaise, au XIXe siècle, sur un scénario de Lax. 

Fournier, créateur de Bizu, avait repris Spirou et Fantasio, après Franquin, puis animé les aventures culinaires de la Famille Crannibales. Nouveau style et nouvelle technique pour cet album éblouissant. On est notamment en admiration devant ces aquarelles, fidèles à la luminosité unique de ce pays montagneux.

« Les chevaux du vent » (tome 1), Dupuis, 14 € (existe également en édition luxe, avec un cahier supplémentaire, à 18 €)