jeudi 22 septembre 2022

De choses et d’autres - Études frigorifiques

On se demande parfois à quoi ça sert de faire de longues études. Dernier exemple en date, la décision prise par la direction de l’université de Strasbourg. Face à l’envolée du prix de l’énergie, et pour faire des économies sur la facture, il a été décidé de fermer tout le campus durant deux semaines supplémentaires, cet hiver.

Dans le genre « on est très intelligent, on a bac plus 8, mais on gère au jour le jour », il n’y a pas pire. Même un élève de CP aurait pu prendre une décision aussi simpliste. Résumé simplement : « Le chauffage coûte trop cher ? On coupe le chauffage ! »


Oui, mais du coup, on supprime aussi tous les cours en présentiel. Avouons, cependant, que pour beaucoup de jeunes, c’est une aubaine. En plus des deux semaines de fin décembre, ils se retrouvent avec sept jours de bonus (du lundi 3 janvier au dimanche 8) pour récupérer des excès des réveillons. Et ils auront encore une semaine en février où les portes de l’université resteront fermées.

Cela ne suffira pas, il a donc été décidé que le chauffage sera rallumé le plus tard possible et réglé sur un petit 19°.

L’an dernier, un scandale avait secoué le campus de Bordeaux, car les radiateurs des cités universitaires étaient à peine tièdes. Cette année, si rien n’a été fait pour remédier au problème, le même organisme girondin recevra des lauriers du gouvernement pour ces quelques degrés d’économisés.

Problème, c’est au détriment des étudiants qui ne pourront que moins bien étudier dans la froidure hivernale. Reste la solution extrême qui va, forcément, être un jour mise sur la table : placer les grandes vacances de novembre à février compris et travailler tout l’été. À condition d’installer des climatiseurs dans les facs, canicule oblige.

Billet paru en dernière page de l’Indépendant le mercredi 21 septembre 2022

Roman - Les « Commencements » de Catherine Millet


Comme elle le fait remarquer dans ce nouveau « roman », Catherine Millet n’a qu’un seul thème inspirant : elle-même. Ces Commencements racontent ses débuts dans la vie, quand encore à peine adolescente elle a découvert la puissance de l’amour, est entrée dans le milieu journalistique et de l’art contemporain, a quitté ses parents pour vivre en autonomie.

Un texte parfois un peu décousu, avec une multitude d’hommes, d’amis, d’amants, qui lui permettent de pleinement découvrir la vie libre, libertine. Il y a cependant moins de détails explicites que dans ses précédentes autobiographies.

On découvre dans ces pages l’intellectuelle, celle qui se rêvait poète et qui redoutait aussi de devenir adulte. « L’adolescence, c’est la période où l’on hésite à sortir de l’enfance, je n’avais pas envie de perdre le privilège d’être celle qui se contente de regarder et qu’on tient à l’écart sous prétexte qu’elle ne peut pas comprendre. » La petite Catherine va donc grandir et on va découvrir dans son sillage l’effervescence de ce Paris des années 60 et 70.

« Commencements » de Catherine Millet, Flammarion, 20 €

BD - Outlaws, histoire des rebuts de l'espace


Orbital est une série de SF qui remporte depuis des années un beau succès en librairie. Au point que le scénariste, Sylvain Runberg, propose une variation dans ce même univers. C’est Kristina, la jeune sœur de Caleb, qui est au centre de l’intrigue. Fugitive, elle arrive clandestinement sur une ferme qui exploite des animaux. Elle va devoir subir de nombreuses brimades pour survivre.

Car les Humains, dernière espèce à avoir rejoint la Confédération, sont considérés comme le rebut de l’espace.


Dessinée par Éric Chabbert, cette histoire sur le racisme ordinaire est très prometteuse. On apprécie particulièrement le début d’amitié entre Kristina et Zachary, un amalgame, issu de l’union d’une mère humaine et d’un père maloïde.

« Outlaws » (tome 1), Dupuis, 14,95 €


mercredi 21 septembre 2022

Cinéma - Une mère en manque et “Les enfants des autres”

Les semaines se suivent et se ressemblent, en ce moment, pour le cinéma français. Après Revoir Paris, bouleversant film sur la reconstruction des victimes d’attentats terroristes, c’est Les enfants des autres qui va remuer les spectateurs. Avec un point commun : la présence en tête d’affiche de Virginie Efira. La comédienne belge avait placé la barre très haut avec le premier film (sorti le 7 septembre), avec cette réalisation de Rebecca Zlotowski, elle parvient à maintenir le niveau de son jeu et apporte, en plus, un rayonnement intérieur, tout au long de l’histoire, la transformant en boule d’émotion qui emporte tout sur son passage.

A la prochaine cérémonie des Césars, il faudra remplacer la catégorie meilleure comédienne par César du meilleur film avec Virginie Efira en vedette.

Rachel (Virginie Efira) est une femme active. Professeur de français dans un lycée, elle vient de rencontrer Ali (Roshchdy Zem) à son cours de guitare. Deux quadras, une nouvelle histoire d’amour. Ali, récemment divorcé, a la garde de sa petite fille (5 ans), une semaine sur deux. Rachel va tenter de jouer les mères de substitution auprès de Leila. Un rôle ingrat. La fillette est méfiante, réclame souvent sa maman. Pire, elle voudrait que ses parents se réconcilient et vivent avec elle tout le temps. Alors Rachel va espérer avoir un enfant avec Ali. Mais son gynécologue lui explique clairement que le temps lui est compté. Elle a un peu trop attendu.

Toutes les maternités 

Le film de Rebecca Zlotowski explore, grâce au personnage de Rachel, toutes les facettes de la maternité. L’intrigue nous apprend que Rachel a perdu sa mère dans un accident de voiture. Autre thématique, celle de la petite sœur de Rachel, qui se retrouve enceinte alors qu’elle n’a pas terminé ses études. Que faire ?

Autre problématique, celle de la maladie. Rachel croise, au cours de judo de Leila, une autre maman. Malade. Quelques mois plus tard ,c’est le papa qui récupère la copine de Leila. Dans ce tourbillon de relations mère - enfant, Rachel tente de trouver sa place, elle qui n’a jamais connu cette joie de la maternité. Virginie Efira, dans une performance d’actrice de très haut niveau, parvient à faire toucher du doigt aux spectateurs toutes les émotions, envies et déceptions qui traversent le corps et l’esprit d’une maman en manque.

Film de Rebecca Zlotowski avec Virginie Efira, Roschdy Zem, Chiara Mastroianni

 

Double littéraire dans le roman "Quelque chose à te dire" de Carole Fives chez Gallimard


Peut-on admirer l’œuvre d’un écrivain sans s’en inspirer quand on a soi-même des velléités d’écriture ? Cette question est au centre du roman subtil et parfois machiavélique de Carole Fives. Quelque chose à te dire est une réflexion assez poussée sur le processus de création littéraire. Un texte court, percutant, repéré par les jurés du Goncourt puisqu’il fait partie de la première sélection du plus prestigieux prix littéraire français.

Elsa Feuillet est une jeune romancière lyonnaise. Divorcée, elle s’occupe de son fils une semaine sur deux. Elle a déjà publié quelques romans. Sans grand succès. Alors qu’elle se trouve en plein marasme, l’inspiration lui échappant, elle apprend la mort de Béatrice Blandy, son autrice préférée. Habitués des prix littéraires, les romans de Béatrice sont des best-sellers. Une grande des lettres françaises. Elsa lui avait d’ailleurs dédié son dernier roman, mettant une phrase d’un de ses romans en exergue.

Nouvelle histoire d'amour

Aussi c’est avec étonnement mais aussi une certaine fierté qu’elle est contactée par Thomas, le mari de Béatrice. Il veut rencontrer Elsa pour la remercier. Thomas pas insensible au charme provincial d’Elsa. Et cette dernière, subjuguée de découvrir le lieu où son idole a écrit tous ses livres, se surprend à trouver bien du charme à ce riche producteur de cinéma de 20 ans son aîné. Une histoire d’amour se noue.

Mais Thomas n’est pas totalement dupe quand il s’exclame « Dans le fond, ce qui vous plaît chez moi, c’est ma femme ! Je n’existe pas, je ne suis rien pour vous ! C’est Béa que vous cherchez à travers moi ! » Reste qu’Elsa change de vie, retrouve le plaisir de vivre à côté d’un homme prévenant.

Avec un bémol, elle ne se sent pas à la hauteur face à l’absente : « Elle se sent moche, son regard triste, marron yeux de cochon, sa mine de chien battu. Elle est banale, toute en demi-teintes, morose. Le contraire de Béatrice avec son regard azur, ses cheveux noirs, une fille qui avait du peps. » La bascule du roman intervient quand Elsa découvre un manuscrit inachevé de Béatrice. Que faire avec cette pépite ?

L’histoire imaginée par Carole Fives se transforme en thriller psychologique avec la création littéraire en toile de fond. Un texte édifiant sur les difficultés des artistes face à certaines sources d’inspiration.

« Quelque chose à te dire » de Carole Fives, Gallimard, 18 €

mardi 20 septembre 2022

De choses et d’autres - Le plan 10 %


Sorti mercredi, un film japonais interroge sur la fin de vie. Plan 75 raconte comment la société, dans un proche avenir, donne la possibilité aux hommes et femmes de plus de 75 ans d’en finir. Comme actuellement on reçoit des appels de démarcheurs pour utiliser nos droits à la formation, dans le film des commerciaux tentent de persuader des vieillards d’en finir, même s’ils sont en bonne santé. Un enjeu financier, une économie de la mort.


La France fait partie des derniers pays européens où l’euthanasie est quasiment impossible. Mais le gouvernement a décidé d’avancer sur le sujet. Un esprit tordu (moi en l’occurrence), pourrait voir une sorte de synergie horrible entre le film (de fiction, il faut le préciser) et la volonté du président Macron de réduire la consommation d’énergie des Français de 10 %.

Quand il dit que « la meilleure énergie est celle qu’on ne consomme pas », j’imagine un message subliminal. Car, devinez qui représente 10 % de la population française, actuellement ? Tout simplement tous ceux qui ont plus de 75 ans. Pour être sûr de réduire cette consommation d’énergie de 10 %, au lieu de baisser le chauffage, ne pas envoyer de vidéos de chatons à ses amis ou arrêter de regarder les plateformes de streaming, le plus simple serait d’éradiquer tous ces « inutiles » de plus de 75 ans.

Les économies seront immédiates, et sans doute au-delà du 10 % escompté, car c’est bien connu, on devient plus frileux avec l’âge.

Une logique comptable macabre qui, par chance, n’effleurera pas l’esprit de nos dirigeants. De toute manière, le film japonais, s’il est très sombre au début, montre ensuite la richesse de nos anciens et leur utilité dans la société. Mais qui peut en douter ?

Billet parue en dernière page de l’Indépendant le 8 septembre 2022

De choses et d’autres - Un drôle de don pour la science

Tout le monde peut contribuer à l’avancée des connaissances médicales. Prenez la grande opération intitulée « French Gut », lancée par l’Institut national de recherche pour l’agriculture, les hôpitaux de Paris et AgroParisTech. En faisant un petit don que vous envoyez par la poste, vous pourrez permettre aux chercheurs français de radiographier une des choses les plus mystérieuses du corps humain : son microbiote.

Dit comme ça, c’est assez enthousiasmant. Dans les faits, le romantisme du bénévolat est beaucoup moins évident. Car le don qui permettra de faire avancer les chercheurs sur la compréhension du microbiote est un peu rebutant. En clair, si vous acceptez de participer à l’étude, il faut 100 000 volontaires, vous recevrez un kit pour expédier, par la Poste, un petit échantillon de vos… selles.


Un peu de votre caca dans une boîte hermétique (on l’espère vraiment sécurisée pour le confort de ces pauvres facteurs déjà mis à rude épreuve) et on saura un peu mieux de quoi est constitué ce magma de bactéries qui pullulent dans les intestins. Une véritable faune sauvage, inconnue et aux pouvoirs insoupçonnés.

Ne dit-on pas que les intestins sont notre second cerveau ?

Et si, en réalité, comme dans les mauvais films de science-fiction, nous n’étions que des corps dépourvus de volontés, commandés par une armada d’aliens microscopiques bien au chaud et à l’abri dans nos tripes ?

J’ai trop d’imagination, ou alors c’est ma parano qui me fait gamberger. Mais si au final ma théorie foireuse est reprise par des complotistes (« Avec les reptiliens, ce sont les microbiotes qui commandent le monde »), j’aurai au moins laissé une trace sur cette terre. « Trace de pneu » ricane mon moi primaire scatologique.

Billet paru en dernière page de l’Indépendant le jeudi 22 septembre 2022

lundi 19 septembre 2022

De choses et d'autres - Seconde main


Le marché de la seconde main explose en France depuis quelques années. Grâce aux plateformes. Ebay a longtemps été leader du secteur. Jusqu’à l’arrivée du Bon Coin et de Vinted.

Mais il ne faut pas croire que seuls les particuliers peuvent profiter de cet engouement pour la revente de produits d’occasion. L’État aussi en tire de substantiels bénéfices. Et directement car régulièrement, des objets saisis pour rembourser des dettes (notamment fiscales), sont proposés dans des ventes aux enchères un peu particulières.


L’une d’entre elles est organisée le 4 octobre à Lyon. Elle est remarquable car parmi les plus de 210 lots proposés aux acheteurs (sur place ou sur le net), deux d’entre eux attirent de nombreuses convoitises.

Les lots 31 et 32 sont certains de trouver acquéreurs car ils proposent ce qui est quasiment impossible à trouver depuis une année : une PlayStation 5 ! À court de composants électroniques, le fabricant de la console de jeu n’en écoule que quelques unités à la fois, généralement à des privilégiés lors de vente sur invitation. L’État va donc démocratiser la vente des PS5. Enfin, pour deux exemplaires seulement grâce à l’Agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués.

Et si jouer ne vous intéresse pas, vous pourrez frimer avec quelques objets de luxe saisis à d’autres frimeurs un peu moins honnêtes : une Chevrolet Corvette coupé (14 000 €), un tableau de Zaho Chun (6 000 €), des bagues en or très vulgaires (1 600 €) ou une Rolex Submariner (6 000 €, que si vous avez moins de 50 ans).

Et pour les moins riches, il vous reste le lot 62 : trois flacons de parfums « de luxe » pour 50 € seulement.

Billet paru en dernière page de l’Indépendant le vendredi 23 septembre 2022

Cinéma - “Revoir Paris”, thérapie pour tenter de revivre

Comment se reconstruire après avoir été blessée dans un attentat terroriste ? Réponse dans ce film exceptionnel d’Alice Winocour.

Alors que le procès de l’attentat de Nice s’est ouvert cette semaine, quelques jours après le verdict de ceux de Paris, ce film d’Alice Winocour permet de se replonger dans cette ambiance qui a longuement tétanisé la France. Librement inspiré des actions terroristes contre des terrasses de café et le Bataclan, Revoir Paris est une plongée dans la tête d’une des victimes, Mia (Virginie Efira).

Attention, on ne ressort pas de ce film intact. La force de l’interprétation, la justesse des réactions, la beauté de certaines réactions risquent de durablement vous rester en tête. La réalisatrice, directement impliquée dans les attentats de Paris (son frère était au Bataclan), a fait un choix radical pour raconter l’horreur. « Ce n’est pas tant l’attentat lui-même qui m’a intéressé, explique-t-elle dans le dossier de presse, mais les traces qu’il a laissées chez les victimes. Aucune d’entre elles n’a une vision globale de l’attaque, mais seulement des bribes, des images désordonnées, comme les fragments d’un miroir éclaté. »

Les premières minutes montrent la vie parisienne de Mia. Au guidon de sa moto, elle va travailler et retrouve, le soir, son compagnon, médecin. Il doit partir en urgence à l’hôpital. Elle rentre seule. Comme il pleut, elle s’arrête dans une brasserie attendre la fin de l’orage. C’est là que sa vie bascule. Les premiers tirs, une blessure au ventre, puis un grand trou noir.

Rencontre avec les autres victimes 

Trois mois plus tard, elle ose revenir à Paris. Mais ne se souvient plus de la soirée fatale. Juste quelques flashes. Des images fugitives. Une fête d’anniversaire dans la salle où elle buvait un verre en attendant, deux jeunes touristes asiatiques croisées sur le chemin des toilettes. Les pieds du terroriste, quand elle se cache sous les tables renversées, les balles qui claquent.

Pour tenter de se réapproprier sa vie, son passé, Mia revient à Paris, va sur les lieux de l’attentat, rencontre des membres de l’association des victimes, dont Thomas (Benoît Magimel), celui dont on fêtait l’anniversaire. Lentement, comme à reculons, Mia va se souvenir, retrouver des détails, comprendre ce qu’elle a fait. Comment elle a pu survivre, avec qui elle s’est cachée. Presque une enquête policière dans une mémoire bloquée.

Virginie Efira, dans ce rôle compliqué, entier, signe une de ses meilleures prestations. L’ancienne animatrice télé belge s’est métamorphosée depuis quelques années en brillante comédienne. Cette nouvelle prestation la place très largement au-dessus de toutes ses consœurs. Un film inoubliable, très éloigné de tout manichéisme, qui paradoxalement, malgré le sujet, redonne espoir dans la vie et envie de revivre, tout simplement.

Film français d’Alice Winocour avec Virginie Efira, Benoît Magimel, Grégoire Colin.

 

dimanche 18 septembre 2022

BD - Corto Maltese chez les nazis


Présent à Perpignan pour le FID, Ruben Pellejero signe son quatrième album des nouvelles aventures de Corto Maltese. Le beau marin ténébreux est à Berlin au cœur des années 20. Hitler commence à faire parler de lui et une secte du nom de Consul distille son antisémitisme.

Corto apprend que son ami Steiner est mort. Il va tout faire pour retrouver son meurtrier et le venger. Entre Berlin et Prague, il rencontre des espions communistes, de belles comédiennes et des astrologues illuminés.

Le scénario de Canales est ancré dans l’Histoire et Pellejero, doucement mais sûrement, s’affranchit de la simple copie de Pratt pour donner plus de puissance et de personnalité à son dessin. De mieux en mieux.

« Corto Maltese » (tome 16), Casterman, 17 €