mercredi 7 septembre 2022

BD - Spirou coule


Tout héros a une fin. Pour Spirou, tête d’affiche des éditions Dupuis, le moment semble venu de tirer sa révérence. Dans ce 56e titre de la série, écrit par Abitan et Guerrive, dessiné par Schwartz, il est quand même question de « La mort de Spirou ». Une nouvelle équipe pour un seul album ?


Et si plus subtilement cette histoire de ville sous-marine avec du Zorglub en filigrane n’était qu’une vaste opération marketing ? On ne le sait pas exactement en refermant l’album.

On se dit simplement que l’ensemble est réussi, cohérent et assez fidèle à l’esprit de la série. Excepté cette mort finale…

« Spirou » (tome 56), Dupuis, 11,90 €

mardi 6 septembre 2022

Cinéma - “Les mystères de Barcelone”, du fait divers au film

Film catalan de Lluis Danès, avec Nora Navas, Roger Casamajor, Bruna Cusí. 

Dans la Barcelone du début du XIXe siècle, une série d’enlèvements d’enfants crée la psychose. Une coupable est arrêtée, Enriqueta Martí (Nora Navas). Elle écope du surnom de Vampire de Barcelone. Suspectée de sorcellerie, les autorités affirment qu’elle tuait les enfants pour en récupérer les fluides qui, transformés en élixirs, sont vendus à la haute bourgeoisie catalane. 

Le film de Lluis Danès s’écarte de la thèse officielle. Il suit l’enquête du journaliste Sebastià Comas (Roger Casamajor) persuadé que la coupable n’est qu’un leurre pour cacher les véritables monstres. Un film très esthétique, avec un quartier du Ravall reconstitué de façon très onirique. Une partie en noir et blanc (chez les pauvres), d’autres séquences en couleurs criardes, notamment dans la maison close. 

Une expérience visuelle très impressionnante et aboutie.


Récit - Régis Franc à la ferme


Longtemps, Régis Franc n’a juré que par les rues animées de Paris et les rivages de la Méditerranée, plus spécialement de l’Aude qui l’a vue naître à Lézignan-Corbières. Mais le créateur du Café de la Plage, feuilleton dessiné du Matin de Paris a rencontré une femme qui l’a entraîné dans une toute nouvelle aventure : la campagne.

Il a retrouvé ses pinceaux et crayons de couleur pour raconter l’histoire de la ferme de Montaquoy, cette exploitation agricole où sa compagne, Valentine, tente de retrouver le goût et le travail d’antan. 


Cet objet graphique unique propose quelques séquences de BD en noir et blanc, de grandes planches colorées, à la limite de l’abstrait, des portraits, du texte et même des documents d’époque. L’ensemble compose un livre rare de 200 riches et passionnantes pages.

De l’acquisition du domaine par Ernest, le Girondin qui a fait fortune en vendant des voitures puissantes au Paris de la Belle Époque à la renaissance de la ferme à l’aube des années 2000 quand Valentine en prend les rênes, c’est plus d’un siècle de l’histoire de la paysannerie française qui est retracé avec chaleur et bonté par un Régis Franc qui n’a rien perdu de son talent de conteur.

« La ferme de Montaquoy » de Régis Franc, La Cité Graphique (Presses de la Cité), 25 €
 

lundi 5 septembre 2022

Cinéma - “Sans filtre” massacre le capitalisme et le luxe

Palme d’or à Cannes, Sans filtre est une féroce satire des dérives de la société capitaliste et consumériste

Le dîner du commandant (Woody Harrelson) va virer à la farce macabre. Plattform-Produktion


Rarement un film aura aussi bien démasqué les dérives de notre société capitaliste occidentale. Sans filtre, de Ruben Östlund, est d’une méchanceté qui n’a d’égale que sa justesse. Un pamphlet féroce qui est reparti de Cannes avec la Palme d’or. Méritée, même si le long-métrage (2 h 30) est parfois inégal. 

La première partie, sur la relation déséquilibrée entre deux mannequins (une femme et un homme), tout en abordant le problème des inégalités salariales, inversées dans ce cas précis, est un peu répétitive. Le final, sur une île déserte, avec quelques rescapés d’un naufrage, aurait mérité un film à lui tout seul. Certains regretteront, d’ailleurs, une fin un peu trop ouverte.  Reste la prouesse de ce Sans filtre, toute la partie se déroulant sur un yacht de luxe réservé à des croisières destinées aux ultra-riches. On retrouve, à bord, les deux mannequins, par ailleurs influenceurs, Carl (Harris Dickinson) et Yaya (Charlbi Dean Kriek). 

Ils vont côtoyer un oligarque russe, fier de clamer partout qu’il a fait fortune en « vendant de la merde » (il commercialise des engrais), le patron très coincé d’une start-up ou un couple de vieillards anglais, charmants, polis et prévenants, si ce n’est qu’ils ont gagné des milliards en vendant des mines antipersonnel à toutes les dictatures de la planète. Sur ce bateau, loin du bruit du monde et surtout des pauvres, les clients ont tous les droits. Quand la femme du Russe décide que les employés doivent aller se baigner, la décision est immédiatement validée par la responsable du personnel. 

Un monde feutré, où Carl et Yaya font un peu figure de tâches car, eux, ne sont pas encore riches à millions. La croisière leur est offerte, en échange de photos et de vidéos dithyrambiques. Un seul problème sur ce bateau : le capitaine (Woody Harrelson). Lors du classique et très attendu repas du commandant, il reçoit à sa table les plus riches. Mais ce soir-là, la mer est démontée. 

Rapidement, caviar, champagne, poulpe et autres mets raffinés se transforment en jets de vomis à l’effet burlesque absolument réjouissant. Ruben Östlund semble prendre beaucoup de plaisir à filmer ces très distingués capitalistes transformés en simples outres nauséeuses, glissant et roulant tels des ballots à l’abandon dans le roulis de la coursive répugnante de dégueulis et de merde. 

Le capitalisme dans toute son horreur. Sans filtre.

Film de Ruben Östlund avec Harris Dickinson, Charlbi Dean Kriek, Dolly de Leon, Woody Harrelson, Jean-Christophe Folly


Littérature - La famille déconstruite par Olivier Adam dans son roman "Dessous les roses"


Comment va la famille en 2022 ? Olivier Adam, sans en donner une vision absolue, donne cependant beaucoup d’indices dans la déconstruction de cette cellule qui a longtemps été le socle de toute civilisation. Fans Dessous les roses, il donne à tour de rôle le point de vue de deux frères et d’une sœur. Ils sont réunis autour de l mère pour les obsèques du père. Antoine, le plus jeune, est sur le point de devenir papa.

Claire, sa sœur, infirmière à l’hôpital, veut divorcer, abandonner mari et enfants pour rejoindre un chirurgien anesthésiste, enfin Paul, fâché avec le père depuis des années, est un célèbre réalisateur de film, aimé par la gauche bobo, homosexuel, cynique et s’inspirant sournoisement de sa famille pour critiquer la société contemporaine.

Un drôle de trio qui va se retrouver, tenter la complicité d’antan, se dévoiler, sembler plus fragile malgré les apparences. Une brillante comédie douce-amère, qui ne peut que remuer des souvenirs dans l’esprit du lecteur.

Car qui que l’on soit et de n’importe quel milieu, on va forcément se reconnaître un peu dans les doutes et errances de cette famille déconstruite et en pleine explosion.

« Dessous les roses » d’Olivier Adam, Flammarion, 21 €

dimanche 4 septembre 2022

Cinéma - Jumeaux au grand cœur

Le film débute comme une simple comédie, bourrée de gags et de rebondissements. Pourtant, Jumeaux mais pas trop, de Wilfried Meance et Olivier Ducray, change progressivement de catégorie pour apporter une belle émotion à cette histoire de retrouvailles fraternelles. Et, du coup, les deux comiques de service, Ahmed Sylla et Bertrand Usclat se transforment en excellents comédiens, capables d’aller chercher de l’émotion pour transcender cette belle histoire qui vire à la fable sociale et politique. 

 Grégoire Beaulieu (Bertrand Usclat), est la caricature du jeune homme politique de droite très ambitieux. En pleine campagne électorale, il va découvrir, grâce à la malice de l’ADN, qu’il a un frère en tout point son opposé. Anthony Girard (Ahmed Sylla) est réparateur informatique. Aussi noir que Grégoire est blanc. Pourtant, la science est formelle : ils sont frères. Et jumeaux qui plus est. 

Passé le quiproquo de base, Grégoire et Anthony vont tenter de comprendre comment leurs parents ont pu les séparer. Une longue enquête qui va les rapprocher et, finalement, leur apprendre que leur origine est un peu plus compliquée que l’histoire officielle. Tout le film repose sur l’entente entre les deux acteurs. 

Lors d’une avant-première, à Perpignan, Ahmed Sylla  expliquait à propos de Bertrand Usclat qu’il était « très content de ne pas l’avoir connu avant. Ça rajoute quelque chose au film puisque c’est la relation de deux frères qui se retrouvent. Des premières répétitions au dernier jour de tournage, c’est une vraie belle rencontre. » Et Bertrand Usclat de renchérir : « Nos personnages ont le même parcours que nous car, dans nos carrières respectives, on vient d’endroits vraiment différents. »

Film de Wilfried Meance et Olivier Ducray, avec Ahmed Sylla, Bertrand Usclat, Pauline Clément

 

Littérature - Lucie Rico a trouvé sa voie avec « GPS », son second roman paru chez P.O.L.


Après le très remarqué Le chant du poulet sous vide, Lucie Rico récidive pour son second roman en entraînant le lecteur dans un époustouflant roadtrip virtuel intitulé GPS. La jeune femme, désormais installée à Clermont-Ferrand et Paris, a passé toute son enfance à Perpignan et a été distinguée par un prix Coup de cœur aux Vendanges littéraires en 2020. Publiée par les prestigieuses et très parisiennes éditions P.O.L., GPS fait partie des romans qui bénéficient d’un excellent retour de la part des critiques, certains pariant même qu’il pourrait intégrer les listes des principaux prix de l’automne (réponse à partir du 7 septembre).

Absence physique, présence virtuelle 

La narratrice, Ariane, a de gros problèmes sociaux. Journaliste, elle est au chômage depuis deux ans et ne parvient plus à quitter son petit appartement depuis qu’elle a été « virée de la rubrique faits divers d’un journal miteux. Jusque-là, j’écrivais des horreurs, avec force détails, mais les lecteurs se sont plaints de mon style trop incisif. » Elle a un petit ami et une très bonne amie depuis le collège : Sandrine. 

Sandrine qui veut absolument faire sortir Ariane de chez elle. Peut-être est-ce pour cela qu’elle décide qu’elle sera la témoin de ses fiançailles. Incapable de mettre un pied dehors à cause d’une phobie de l’extérieur, Ariane consent à mettre le bout de nez hors de son appartement à condition que Sandrine la guide en lui transmettant par un point GPS sa propre localisation permettant d’indiquer où son amie doit la rejoindre. Le nez sur son smartphone, Ariane trouve bien le parc des réjouissances et passe finalement une bonne soirée.

Le lendemain, elle a toujours sur son téléphone la localisation de Sandrine, qui continue à se déplacer sur la carte. Le roman, de simple description des us et coutumes de la jeunesse française de province, bascule dans l’étrange quand Sandrine ne répond plus au téléphone et que l’on retrouve au bord d’un lac le cadavre calciné d’une jeune femme. Un lac où le point GPS est passé. Un lac qui fut un endroit apprécié des deux jeunes femmes quand elles étaient lycéennes. Ariane angoisse. Sandrine ne répond plus. Est-elle morte ? Mais alors pourquoi le point GPS continue de se déplacer ? Pour Ariane, « l’histoire de Sandrine n’est pas terminée tant que son point bouge dans le GPS. Tu ne pourrais pas dire que ton amie te manque puisqu’elle est toujours là. » Le texte prend alors des airs de cauchemar numérique.

Comme si le fantôme de Sandrine parvenait à communiquer avec son amie. Lui envoyant des signes en fonction des endroits où elle se rend. Un jeu de piste comme pour revivre les meilleurs moments des deux amies. On est alors embarqué dans une drôle d’aventure immobile, racontée par Lucie Rico par l’entremise d’une Ariane qui doute de plus en plus de sa raison.

« GPS » de Lucie Rico, P.O.L., 19 €

samedi 3 septembre 2022

De choses et d’autres - Moutons à essence

Deux mois ! La réduction de 30 centimes sur le carburant mise en place par le gouvernement durera deux mois. Et pourtant, lancée le 1er septembre, cette ristourne a provoqué dès le premier jour et encore plus hier d’incroyables files d’attente dans toutes les stations-service de la région.

Bloqué dans la circulation à cause de ces queues qui débordaient sur la route, je me suis demandé pourquoi tout le monde avait un tel besoin immédiat de faire le plein. L’impression parfois que la moitié du parc automobile roulait sur la réserve depuis une semaine. A ce rythme, toutes les cuves vont être vides ce week-end.


D’autant que nombre de clients, en plus de remplir leur réservoir à bloc, sortaient des jerrycans pour faire des réserves. Au cas ou… On sait jamais, une pénurie soudaine, la fin du rabais, l’invasion du pays par les Russes. En réalité, mettez un volant entre les mains d’une personne normalement constituée et vous obtenez dans la foulée selon les circonstances, un maître de l’Univers (surtout s’il conduit un gros SUV), ou un bête mouton, angoissé à l’idée de ne pas avoir sa ration de gazole pour aller au supermarché dépenser les derniers euros retirés de son Livret A.

Autre problème, l’essence subventionnée n’améliorera pas notre empreinte carbone. Car si chez nous on fait la queue pour obtenir quelques litres issus dune énergie fossile, en Espagne ou en Allemagne, les queues sont destinées à récupérer les passes gratuits (ou à coût très modéré). Destinés à utiliser les transports en commun, souvent électriques et moins polluants que la voiture individuelle.

Billet paru en dernière page de l’Indépendant le samedi 3 septembre 2022

vendredi 2 septembre 2022

De choses et d’autres - Un nouveau vert

Tous les peintres du dimanche le savent, le vert n’est pas une couleur primaire. Juste l’addition de jaune et de bleu. Les nuances de vert sont obtenues en modifiant les proportions de deux couleurs primaires. Pourtant le vert est sans doute la couleur la plus répandue dans le monde et d’une façon générale dans la nature. Exactement était la plus répandue.

Cet été, sécheresse et canicule obligent, on a découvert un nouveau vert. D’ordinaire, le plus tendre et sympa est le vert gazon, celui des pelouses bichonnées par les sportifs ou les admirateurs de l’Angleterre. Un vert qu’on retrouve aussi sur tous les bords de route, le long ou dans ces fossés régulièrement fauchés par des employés communaux ou départementaux.

À partir de début juillet, j’ai constaté que ce fameux vert gazon avait pris une toute autre teinte. Un peu comme si tout le bleu s’était fait la malle, restant dans ce ciel estival résolument exempt du moindre nuage et d’eau de pluie. Le nouveau vert, que l’on pourrait renommer « vert sécheresse », est en fait un jaune à 100 %, tendance paille et herbe sèche. D’ailleurs elle brûle si facilement cette herbe couleur « vert sécheresse » que le moindre mégot jeté par la fenêtre de la voiture (oui, ils sont encore trop nombreux à le faire en toute impunité), se transformait immédiatement en incendie qui ne demandait qu’à s’étendre.

Avec pour conséquences immédiates, les coupures d’autoroute durant les grandes transhumances des vacanciers.

Voilà comment en cet été 2022, on est passé d’une campagne vert gazon (ou chlorophylle) en vert sécheresse puis en vert cramé. Franchement, des nuances de vert dont on se serait bien passé.

Billet paru en dernière page de l’Indépendant le vendredi 2 septembre 2022

jeudi 1 septembre 2022

De choses et d’Autres - Un peu de joie en Finlande


Il n’y a pas qu’en France que les femmes politiques sont la cible d’attaques que l’on peut juger sans trop prendre parti d’injustes. En Finlande, la Première ministre est une sociale-démocrate très jeune. Sanna Marin, à la tête de l’État depuis 2019, s’est retrouvée victime des réseaux sociaux.

 


Désignée par certains journaux comme « la femme politique la plus cool au monde », une vidéo  a circulé sur le net la montrant en train de danser chez elle avec des amis. Rien de bien exceptionnel, juste une soirée entre trentenaires après une trop longue journée de boulot.

Mais du côté des partis conservateurs de Finlande, c’est une occasion inespérée pour attaquer une adversaire. Et certains de se demander si elle n’aurait pas absorbé un peu trop alcool, voire des drogues. En France, une telle allusion à propos d’un homme politique aurait été balayée d’un revers de main : vie privée, passez votre chemin.

En Finlande, Sanna Marin a été obligée d’accepter de passer un test de dépistage prouvant qu’elle n’avait ni bu et encore moins pris des drogues. Ce que ses opposants lui reprochent essentiellement, c’est d’être normale. Une femme bien dans sa peau, capable de tenir tête à Poutine mais aussi de s’amuser simplement avec des amis. En soutien à Sanna Marin, en Finlande mais aussi un peu partout dans le monde, des femmes ont dansé publiquement à sa manière.

Cela a donné des images assez détonantes aux journées d’été d’Europe Écologie Les Verts d’une cinquantaine d’élues dansant durant quelques minutes sur la scène principale. Parce quelles aussi, comme l’a déclaré Sanna Marin en révélant que ses analyses étaient nickel : « Je suis un être humain. J’aspire parfois aussi à la joie. »

Billet paru en dernière page de l’Indépendant le jeudi 1er septembre 2022