Les poils. Pourquoi l’homme et surtout la femme ne supportent plus d’exhiber leurs poils ? Une crainte d’être ramené à notre statut d’animal, de bête ? La volonté de faire plus jeune ? D’être aussi lisse que ces vies linéaires et sans surprises ? Il existe des milliers d’explications à la chasse aux poils, mais la meilleure façon de comprendre le phénomène reste de lire, en se bidonnant, cette petite BD intitulée Ébouriffant.e.s et signée Émilie Gleason et Adeline Rapon.
Trois amies esthéticiennes tiennent un salon qui n’éradique plus le poil mais le sublime. Au « Fau Tif Hair » on peut choisir sur catalogne la coupe de ses aisselles et même une coupe pubienne Deneuve. L’idée générale est de ne plus subir les diktats décidés unilatéralement par des hommes qui rêvent encore d’une femme si jeune qu’elle en serait toujours pubère.
La BD, si elle fait souvent sourire par l’exubérance des trois « chattes », ose aussi aborder des sujets plus sérieux comme les mycoses. Bref, un petit bouquin parfait pour vous mesdames qui envisagez de couper tout ce qui dépasse avant d’aller à la plage. Finalement, ce n’est peut-être pas la bonne solution et ce sera de moins en moins tendance.
Unique Héritage, repreneur de tous les titres de presse Disney en France (Picsou Magazine, Le Journal de Mickey, Mickey Parade), vient de lancer quatre nouvelles collections de BD pour les plus jeunes. Petit format, couverture souple, pagination copieuse et petit prix pour ces huit albums.
On retrouve les aventures de Donald, chavalier déjanté, Minnie et Daisy espionne, Donald, les années collèges et enfin Riri, Fifi et Loulou, sections frissons.
Dans cette dernière série, les neveux de Donald sillonnent le monde et chassent les faux et véritables fantômes. (9,95 € chaque volume)
Adapté d’un roman argentin par Santiago Mitre, le film Petite fleur a été presque entièrement tourné à Clermont-Ferrand. Ville de province manquant singulièrement de charme, elle a semblé parfaite au metteur en scène pour faire passer ce sentiment de déracinement du personnage de José (Daniel Hendler).
Marié à Lucie (Vimala Pons) avec qui il vient d’avoir une petite fille, ce dessinateur de BD argentin a accepté un boulot alimentaire pour redessiner le personnage symbole d’une société de pneumatiques. Mais il se fait virer et finalement Lucie doit trouver du boulot et José s’occuper du bébé. Le début du film a tout d’une purge, d’un téléfilm de France 3, si l’on oublie la présence et le potentiel comique de Vimala Pons. Car José est un taciturne. Il parle peu, intériorise beaucoup et limite ses interactions sociales. Il doit se faire violence pour aller sonner chez le voisin afin de lui emprunter une simple pelle pour creuser un trou dans le jardin.
Un voisin qui fait basculer le film dans la satire, le fantastique, l’absurde et le grand guignol. Jean-Claude (Melvil Poupaud) est le parfait bourgeois prétentieux. Il est riche, étale son luxe et ne sait parler que de sa passion : le jazz. José va subir sa logorrhée avec patience. Mais, finalement, il n’en peut plus et va utiliser la pelle tant espérée en objet contondant et tranchant pour rabaisser le caquet au pédant. S’ensuivent quelques jours d’angoisse... Mais, une semaine plus tard, en sortant promener sa fille, il croise Jean-Claude, vivant, toujours aussi lourd. Qui invite José. Le jeudi suivant, il retourne chez le voisin et à la faveur de la répétition d’un élément déclencheur (qui donne son nom au film), il trucide une seconde fois le raseur. Puis une troisième…
Le film va alors se transformer en éloge de la routine du meurtre. Car depuis qu’il tue son voisin, chaque jeudi, José est plus heureux, plus ouvert et épanoui. Reste que Lucie s’interroge et le pousse à aller voir un psy (Sergi Lopez), seconde pierre d’un film où l’irrationnel est omniprésent.
Comédie romantique sanguinolente et iconoclaste, Petite fleur laisse des traces dans l’esprit du spectateur. Qui va s’interroger, lui aussi, sur ses routines, ses trucs et astuces répétitifs qui finalement donnent de la saveur à des existences qui parfois ne semblent même pas mériter d’être vécues.
Film de Santiago Mitre avec Daniel Hendler, Vimala Pons, Melvil Poupaud, Sergi Lopez
Stephen Desberg est incollable sur l’histoire du cinéma hollywoodien. La faute à un père qui a travaillé pour la MGM. Il puise donc en partie dans ses souvenirs pour écrire le premier tome de Movie Ghosts. Le héros, Jerry Fifth, détective privé, a le pouvoir d’entendre les fantômes de Hollywood.
Un premier album dessiné par Attila Futaki où l’on découvrira qui et dans quelles circonstances a massacré la star Louise Sandler. L’autre énigme résolue par Jerry tourne autour de la purge dans les studios au moment du maccarthysme triomphant. Une série édifiante et élégante.
« Movie Ghosts » (tome 1), Bamboo Grand Angle, 16,90 €
Avec Les Vous, Nicolas Pitz propose l’adaptation du roman pour adolescent de l’Italien Davide Morosonotto. Dans un village des Alpes une bande de jeunes se passionne pour l’escalade. Mais un matin, un rocher tombe dans le lac de la retenue d’eau. Depuis des événements étranges terrorisent la communauté.
Les adolescents entendent des voix, comme des appels au secours. Cette histoire d’aliens perdus dans les alpes italiennes est avant tout une belle réflexion sur le rejet de l’autre. Les Vous, invisibles aux humains, sont mystérieux. Ils deviennent donc suspects pour les adultes. Heureusement les ados sont plus tolérants.
Stacy, jeune Américaine de 25 ans n’a pas son permis. Pourtant dans les premières pages de Overseas Highway, elle se trouve au volant d’une voiture surpuissante, fonçant sur l’interminable pont de Key West.
Ce roman graphique de Guéraud (scénario) et Druart (dessin) raconte surtout l’amitié entre la jeune fille, un peu paumée et Sarafian, ancienne gloire des circuits reconverti en garagiste pour la mafia cubaine de Floride.
112 pages à fond la caisse, avec de vrais méchants, des rebondissements et un final apocalyptique. De la très bonne came…
Les amateurs de bande dessinée franco-belge vont adorer ce superbe livre. Sur plus de 250 pages, on retrouve le récit de la carrière de Tome & Janry, repreneurs des aventures de Spirou dans les années 80 et surtout créateur du Petit Spirou. On apprend comment ce duo de jeunes Belges, cantonnés dans des rôles d’assistants (Turk, Dupa, Greg) a décidé de prendre son destin en main quand les éditions Dupuis leur ont proposé de rependre les aventures du héros emblématique de la maison : Spirou. Cela a donné des albums géniaux, de Virus à Qui arrêtera Cyanure sans oublier le trop décrié Machine qui rêve.
On apprend leur mode de fonctionnement (Tome scénarise, Janry dessine), comment ils ont eu l’idée des gags du Petit Spirou et surtout la raison de leur arrêt brutal de la série principale.
Un beau livre richement illustré de reproduction de planches, dessins et cases en très grand format, paraissant à l’occasion des 40 ans de la parution de Virus. Un hommage aussi à Philippe Tome, mort brutalement en 2019.
« Tome & Janry, deux vies en dessins », Dupuis - Champaka, 55 €
Certaines de leurs nuits sont grises. Pas de ces nuances entre le blanc et le noir - gris clair, gris foncé. Non. Ces nuits-là, ils se magnent de rentrer et se mettre en sécurité, claquemurés, verrous tirés, plaques de fer vissées aux fenêtres, avant la tombée du jour.
Parce que les nuits grises sont peuplées de créatures malfaisantes, hurlantes, assassines. Si par malheur l’un ou l’une d’entre eux reste dehors, les autres ne retrouvent que sa peau au petit matin. Tout le reste a été bouffé par ces espèces d’ils ne savent même pas quoi, ils ne les ont jamais vues.
Eux ont décidé de s’appeler les Sensitive. Treize personnes, hommes, femmes, enfants, réunis aléatoirement dans un désert appelé le Cirque. Issus des quatre coins de la terre, ils forment désormais une famille. Et quelle famille. Jamais vous n’en connaîtrez de plus unie, tolérante, empathique. Question de survie.
Par le pouvoir d’une femme, Mardy. « Instructions de base : […] Ce qu’il faut que vous fassiez, ce que vous devez trouver, c’est le Sarkpont. Pour cela, vous avez douze chances. Douze regyres. » Pas commode la Mardy.
Les Sensitive trouvent leur havre, leur point de chute, leur refuge. Les nuits grises, ils se terrent. Le reste du temps, ils crapahutent dans le désert, à la recherche de ce satané Sarkpont. Euphémisme de dire qu’ils en bavent.
Au même moment (mais allez savoir) une ado, McKenzie, est obnubilée par les déserts, les phénomènes météorologiques et souffre d’hallucinations qui ressemblent étrangement à des souvenirs. Au hasard d’une rencontre par internet, elle découvre le message d’un certain @NewtinSeattle, « artiste du désert enfermé dans le corps d’un concepteur de logiciels ».
Ensemble, ils essaient de décrypter leurs souvenirs enfouis.
Les révélations
Au bout de toutes ces années et de dix polars plus sanglants - et addictifs - les uns que les autres, nous apprenons enfin que Mo Hayder s’appelle en réalité Theo Clare. Nous avons adoré Birdman, Tokyo et tous les autres.
Sauf qu’ici, elle sort carrément de sa zone de confort (ou pas ?) et se lance dans l’aventure d’un roman de SF, qui n’est pas sans rappeler le meilleur de Stephen King. En particulier Le Dôme. Une sorte d’allégorie sur l’espace-temps, la réalité, la fiction. L’être et son devenir.
Quel dommage qu’elle se soit lâchée si tard. L’écriture est impeccable, maîtrisée comme d’habitude. La construction du récit au cordeau. Et ce petit truc en plus, que l’on sent plus encore dans cet avant-dernier opus (oui, il y a une suite), l’amour qu’elle porte à chacun de ses personnages.
Theo Clare est morte en août 2021 à 59 ans. Espérons qu’elle ait trouvé La Porte.
Depuis son premier roman policier La part du démon paru en 2021 (disponible en poche chez Pocket), Mathieu Lecerf est régulièrement présenté comme une des valeurs montantes du polar français. Une écriture vive et directe, des intrigues originales, du réalisme : il a tout pour passionner les amateurs de ce genre de littérature. Avec le petit plus qui lui permet de se distinguer : ses héros sont particulièrement humains. Pas de flic à l’épreuve de toutes les situations dans le second roman, Au royaume des cris. Au contraire les deux policiers qui sont au centre de l’intrigue se révèlent de plus en plus fragiles. Manuel de Almeida, Manny pour les collègues, le plus âgé, d’origine portugaise, vient d’être papa pour la seconde fois mais rentre surtout d’une longue convalescence. Régulièrement, du bout des doigts, il touche la boursouflure formée par la cicatrice qu’il a à la tête.
La mort, il l’a frôlée. Sa coéquipière, Esperanza, d’origine espagnole elle, est encore plus mal en point. Cela fait sept mois que sa fillette de dix ans a été enlevée. Elle s’est mise en congé sans solde pour tenter de retrouver la fillette. Mais la jeune policière est désespérée car sans piste. Elle dépérit et croit devenir folle dans son studio : « Et subitement, Esperanza se mit à hurler, elle lâcha un cri puissant et déchirant ; si intense qu’elle s’accroupit en s’époumonant, avant de se laisser tomber sur le sol au moment où la plainte s’éteignait. » Finalement, elle reprendra le boulot, tout comme Manny, comme pour préserver ses dernières strates de santé mentale.
En plus de l’évolution de la vie des deux policiers, Mathieu Lecerf greffe une intrigue extérieure qui donne son originalité du roman. Au petit matin, un sniper caché sur le toit d’un immeuble de la rue de Rivoli à Paris fait un carnage dans le Jardin des Tuileries.
Six personnes sont abattues en quelques minutes. Clément Choisy est chargé de l’enquête. Le frère de Manny, Cristian, journaliste, y voit matière à un nouveau livre d’investigation. Tout le monde pense à un attentat terroriste (l’État islamique a revendiqué), mais le journaliste est persuadé qu’il y a une autre raison cachée à ce massacre. Car dans les six personnes assassinées, s’il y a une retraitée, un restaurateur chinois, une mère de famille et son fils et une employée de banque, il y a surtout un riche patron. Cristian va tenter d’en savoir un peu plus sur ce magnat de la presse et l’industrie pharmaceutique en interrogeant son épouse, une célèbre comédienne, à peine veuve et qui va craquer pour le beau reporter.
Une intrigue suivie par le lecteur en parallèle avec la recherche des ravisseurs de la fille d’Esperanza. Un rapt dont la scène finale se déroule à… Collioure.
Enfin un film qui aborde le problème de l’ego de ces acteurs de cinéma avec réaliste et humour. Trop souvent les réalisateurs n’osent pas dire tout le mal qu’ils pensent de cette matière première essentielle pour donner corps à leurs créations. Mariano Cohn et Gastón Duprat, réalisateurs argentins de ce Compétition officielle savoureux, sont sans pitié pour leurs deux stars : Antonio Banderas et Oscar Martinez.
Exactement, les deux comédiens jouent dans cette comédie leurs doubles caricaturaux. Le premier, acteur populaire qui multiplie les conquêtes, les navets et les millions, espère enfin être reconnu pour son « art ». Le second, professeur d théâtre, est un chantre du classicisme, d’extrême gauche, persuadé que son talent va permettre au film de devenir un classique. Ils sont embauchés par une réalisatrice torturée, encensée par la critique et les « professionnels de la profession ».
Pour l’incarner, c’est une Pénélope Cruz méconnaissable qui va, elle aussi, prendre beaucoup de plaisir à se moquer de ces intellectuels, persuadés qu’ils vont changer la face du cinéma, mais qui espèrent surtout attirer des millions de spectateurs.
Un film brillant et caustique, avec un trio de comédiens qui mérite, chacun, la palme de la méchanceté.
Film espagnol de Mariano Cohn et Gastón Duprat avec Pénélope Cruz, Antonio Banderas, Oscar Martinez