dimanche 13 février 2022

BD - Gags sautillants sur fond de "Houba Houba !"


Fin janvier 1952, un drôle d’animal faisait son apparition dans la nouvelle aventure de Spirou et Fantasio. Franquin venait d’inventer le Marsupilami, géniale bestiole de Palombie, dont la queue préhensile et interminable allait lui permettre de sauver à bien des reprises le groom rouge. Devenu héros à part entière, le Marsu est désormais animé par Batem. 


Un dessinateur formé par Franquin et qui en plus d’un album par an, a dessiné une centaine de strips (aidé de Désert au scénario) pour être publiés dans la presse quotidienne. Des gags sautillants, mis en couleurs et repris dans ce joli album à l’italienne. Vous verrez que le Marsupilami (et les auteurs), ne manque pas d’imagination pour valoriser sa queue couteau suisse. 

« Houba Gags », Dupuis, 14,50 €

Cinéma - Avant-première du film "À demain mon amour" au Castillet

Monique et Michel Pinçon-Charlot ont longtemps été sociologues dans les beaux quartiers de la capitale. Le réalisateur Basile Carré-Agostini les a suivis durant plusieurs années pour un documentaire retraçant leur combat contre les capitalismes. Le film est présenté en avant-première ce mercredi 16 février à 19 h en présence de Monique Pinçon-Charlot.


Exceptionnel parcours que celui du couple Pinçon-Charlot. Monique et Michel se rencontrent à la bibliothèque universitaire de Lille. Encore étudiants en sociologie, ils sont mariés depuis 50 ans. Résolument de gauche et adeptes des méthodes de Pierre Bourdieu, ils décident de se lancer dans une étude exhaustive d'une catégorie sociale peu référencée jusqu'alors : la grande bourgeoisie fortunée.

Un travail de très longue haleine (20 ans comme directeurs de recherche au CNRS), qui leur permet de signer de nombreux ouvrages de référence. Une fois à la retraite, ils abandonnent les beaux quartiers pour continuer leur engagement contre le capitalisme. Toujours très amoureux, ils ont accepté d'ouvrir leur quotidien à la caméra de Basile Carré-Agostini, réalisateur de documentaire. Durant plusieurs années il a filmé leur vie privée de toujours jeunes amoureux mais aussi leurs luttes quotidiennes et interventions universitaires.

"Vivre la lutte dans la joie"

Le film, présenté en avant-première ce mercredi 16 février à 19 heures au Castillet sort nationalement le 9 mars prochain. Entre manifestation de Gilets Jaunes, rencontres avec des militants ou retour dans les beaux quartiers, "À demain mon amour" raconte la France de ces années 2010, celle des petites gens qui ne s'en sortent plus. Des inégalités sociales qui ne font que grandir mais qui ne découragent pas le couple de sociologues.

Monique Pinçon-Charlot sera présente lors de la projection et se prêtera au jeu des questions après le documentaire. Elle pourra sans doute expliquer, comme elle l'a fait dans le dossier de presse du film, pourquoi "le tout est de vivre la lutte dans la joie. C’est la seule règle. C’est ce que nous avons vécu tous les deux pendant 50 ans. Il faut lutter dans le plaisir, l’issue est incertaine, on n’a qu’une vie, autant qu’elle soit le plus joyeuse possible ! La camaraderie et la solidarité évitent également d’être tétanisés et de se décourager face à la violence des capitalistes." Elle reviendra aussi sur leur but commun : "Aujourd’hui à la retraite, nous essayons d’aider le prolétariat, à se défendre dans la lutte des classes en cours, mais dont seuls les dominants semblent avoir conscience." 

 

samedi 12 février 2022

BD - Mais quel effrayant corbeau !


Chouette, le Label 619 est de retour. Les auteurs menés par Run quittent Ankama pour Rue de Sèvres et proposent une nouvelle anthologie d’horreur. Lowreader met en vedette un corbeau et les armes à feu. 


Trois récits complets au menu, dont un très physique de Masiko, l’héroïne de Florent Maudoux. Le meilleur récit est sans doute celui de M. Sato. Au Japon, un homme insignifiant tente de reprendre sa vie en main en fabriquant une arme avec une imprimante 3D. Une création de Run et Singelin.

« Lowreader », Label 619, 14,90 €


De choses et d’autres - « Calmez-vous, ça va bien se passer »

À ceux qui se demandent à quoi ça ressemble le sexisme, je conseille de regarder la passe d’armes entre Gérald Darmanin, ministre de l’Intérieur et Apolline de Malherbe, journaliste à RMC et BFM.

Dans ce face-à-face matinal popularisé par Jean-Jacques Bourdin, l’intervieweuse aborde le problème des chiffres de la délinquance, soulignant l’augmentation des atteintes aux personnes, notamment des violences sexuelles et demande au ministre si le gouvernement n’a pas réagi trop tardivement. Gérald Darmanin, avec ce sourire en coin qui ne le quitte jamais, s’étonne d’abord du ton populiste, se demandant s’il est bien sur BFM et pas CNews.

La journaliste ne relève pas l’attaque et le relance sur la délinquance. Immédiatement il s’indigne qu’on ne le laisse pas parler et a cette tirade qui en dit long sur sa vision des femmes : « Non mais ne vous vexez pas, calmez-vous, madame, ça va bien se passer ». La journaliste ne se laisse pas faire : « Je vous demande pardon ? Gérald Darmanin, attendez, comment vous me parlez ? »

Comment il lui parle ? Mais tout simplement comme il parle aux femmes en général. Il leur demande tout d’abord de se calmer car il semble persuadé qu’elles sont toutes hystériques. Et le « tout va bien se passer » sous-entend qu’elle n’a pas la compétence pour mener cet entretien.

Ce décryptage, parfaitement mis en lumière par Cécile Duflot, grande experte du sexisme dans la vie politique, devrait entraîner une mise au point de l’ensemble des journalistes politiques. Pas de communiqué ni de motion de soutien. Juste remettre les choses à leur place et débuter, désormais, toutes les interviews de Gérald Darmanin par cette phrase : « M. Darmanin, calmez-vous, ça va bien se passer. »

Chronique parue en dernière page de l’Indépendant le mercredi 9 février

vendredi 11 février 2022

BD - Fred Neidhardt a des réminiscences d'Alger


Roman graphique historique avec expérience personnelle et bouts de vie familiale dans un style d’autofiction, ce Alger-retour de Fred Neidhardt devrait parler à tous les pieds-noirs installés dans la région, encore plus leurs descendants qui n’ont qu’une idée très partielle de cette Algérie quittée dans la précipitation.  « La valise ou le cercueil ! » répète régulièrement Jean-Pierre, le père de Daniel le narrateur. Jean-Pierre était encore adolescent quand il a embarqué sur le paquebot Ville de Marseille avec toute sa famille. Ils se sont reconstruits, plein d’aigreur, du côté de Montpellier

En 2014, Daniel a décidé de voir par lui-même ce qu’est devenue cette ville d’Alger racontée par son père et uniquement vue à travers des clichés en noir et blanc ramenés dans cette fameuse valise. C’est donc simplement avec un sac à dos et quelques adresses, qu’il va plonger dans la réalité algérienne de ces dernières années. Il aurait voulu faire le voyage avec son père, mais ce dernier refuse catégoriquement de remettre les pieds dans ce pays. 

Dessin plus réaliste

Sans guide, il tente de retrouver l’adresse de l’appartement familial et quand il est sûr de l’avoir localisé, va frapper à la porte. Mahmoud, un professeur de français à la retraite ouvre et va lui offrir thé et hospitalité. Entre le jeune fils de rapatrié et le vieil Algérien qui a récupéré l’appartement quelques semaines après le départ des Européens, une jolie complicité va s’instaurer. Cela permet à Daniel/Fred de raconter avec nuances les différentes composantes de l’Algérie actuelle. Il va croiser des jeunes qui tentent de s’émanciper, des fidèles du régime qui continuent à honorer les martyrs de l’Indépendance et puis d’autres, qui fantasment la France ou sont de plus en plus religieux. Sans savoir exactement ce qu’il cherche, Daniel va en partie retrouver ses racines et même réussir à convaincre son père à faire lui aussi ce retour vers Alger. 


Après avoir raconté l’arrivée de Pieds-Noirs en France (Les Pieds-Noirs à la mer, réédité avec une préface de Joann Sfar), Fred Neidhardt poursuit sa quête pour comprendre d’où il vient. Plus connu pour ses séries comiques, cet habitant de Montpellier a changé de style pour cet album. Un trait plus réaliste permet au lecteur d’avoir l’impression d’être dans cette ville, si vivante de nos jours, si marquée par un passé de mort et de violence. Une évolution graphique qui permet de plus d’insérer dans les planches des croquis de bâtiments visiblement faits sur place dans un carnet qui revêt une grande importance dans la trame du récit.  

« Alger-retour » de Fred Neidhardt, Mara-Bulles, 16,90 €

De choses et d’Autres - Les pirates de l’apéro

Les Anglais n’ont vraiment pas de chance en ce moment. Battus par l’Écosse, samedi, dans le tournoi des VI Nations, ils ont découvert, en plus, que leur Premier ministre, Boris Johnson, était le dirigeant dont Éric Zemmour se sent le plus proche. Il est des compliments et des soutiens dont on se passe, même quand tout le monde vous lâche.

Mais c’est peu face à cette catastrophe qui s’annonce. La société KP Snacks est victime d’une attaque de pirates informatiques. Un rançongiciel perturbe considérablement les prises de commandes et réassorts. Face à la difficulté et aux risques, KP Snacks a décidé de limiter les commandes durant les prochains mois. On comprend mieux le problème, quand on sait que cette société commercialise les chips McCoy’s, Tyrrells et Skips.

Tout le monde prévoit une pénurie sur ces produits. De quoi inquiéter les amateurs d’apéro made in Britain. Et, c’est bien connu, les Anglais ne sont pas les derniers à profiter de ces petits moments de détente, le soir après le boulot ou devant un match. Avec les litres de bière qui sont obligatoires, rien de tel que des chips au vinaigre pour faire (légèrement) baisser le niveau d’alcoolémie.

Sans chips, les Anglais pourraient se tourner vers d’autres spécialités qui, elles, ne sont pas en rupture de stock. Je leur conseille le fuet catalan, les olives noires, quelques escargots grillés et garnis d’aïoli, sans oublier les petites cuisses de grenouilles dorées à la poêle.

Avec un tel régime, même avec des litres de bière pour faire passer le tout, on est certain de l’emporter le 19 mars, à Paris, en clôture du Tournoi.

Chronique parue en dernière page de l’Indépendant le mardi 8 février 2022

jeudi 10 février 2022

Polar - Parachutage mortel


Moins sombre que les polars scandinaves, « La fille de l’air » de Randi Fuglehaug a parfois des airs de roman policier régional. Agnes, journaliste pleine de talent, lassée de la vie à Oslo, accepte une offre dans le journal local de sa région natale, à Voss, dans la région des fjords. Elle s’y ennuie ferme mais comme elle tente d’avoir un enfant… 

Quand un accident de parachute cause la mort d’une jeune femme, Agnes retrouve ses instincts d’enquêtrice et découvre. Les policiers pensent que c’est un crime et les principales suspectes sont d’anciennes collègues de classe d’Agnes. Un polar très maîtrisé, porté par une héroïne qui doute et risque de se retrouver plus impliquée qu’elle ne le voudrait. 

« La fille de l’air » de Randi Fuglehaud, Albin Michel, 21,90 € 

De choses et d’autres - Amazon voit trop grand

430 millions d’euros. Une broutille pour Jeff Bezos, l’homme le plus riche du monde. Ce qui coûte cette somme astronomique c’est son nouveau jouet, un yacht construit à Rotterdam. Le fondateur d’Amazon s’est fait un petit plaisir en lançant la fabrication de ce navire long de 127 mètres.

Un trois-mâts qui aurait dû sortir du chantier naval en toute discrétion. Mais un petit problème s’est transformé en grosse polémique. Le yacht est trop grand pour atteindre la mer. Ce n’est pas la longueur ni le tirant d’eau qui coincent mais la hauteur des mats. Pour sortir de Rotterdam, il n’existe qu’un passage : sous le pont dit De Hef.

Un ouvrage métallique qui s’élève pour laisser passer les bateaux. Mais comme le patron d’Amazon a vu grand, très grand, ça ne passe pas. Alors, avec ce sans gène qui caractérise les milliardaires, Jeff Bezos a demandé à la ville de Rotterdam de démonter le pont pour qu’il puisse passer avec son gros bateau. Quelques spécialistes pensent qu’il serait plus simple de démâter, mais ce n’est pas la solution retenue par Bezos.

Les habitants de Rotterdam sont évidemment vent debout contre cette solution qui, en plus de paralyser le trafic routier, serait une atteinte à un monument national reconstruit après les bombardements allemands durant la 2e guerre mondiale. Reste maintenant à savoir ce que va décider la municipalité de la ville.

Mais je sens qu’un comité d’experts indépendants comme il se doit, va prouver par A + B que le démontage est inévitable. De toute manière, ce sera à la charge du milliardaire. Et qui oserait se fâcher en ces temps où le commerce numérique est en plein essor, avec l’homme le plus riche du monde ?

Chronique parue en dernière page de l’Indépendant le lundi 7 février 2022

mercredi 9 février 2022

BD - Bébé star

Parlez-vous le bébé ? Quand vous entendez un « Areuh » ou un « Ouin ! », comprenez-vous la pensée profonde énoncée par cet être qui pourtant passe ses journées à dormir, manger et déféquer ? Le commun des mortels, même les parents, n’a que peu de notions de la langue des bébés.

Par contre, Didier Tronchet est parvenu à force d’observations, longues et patientes, à transcrire tout ce que les bébés ont à nous dire. Il a donc décidé de partager son savoir dans cet album de BD, entre humour et tendresse.

L’humour, il y en a partout. Comme ce bilan d’une journée de bébé : « Un verre renversé sur le journal, un pot de miel cassé au magasin, une bretelle de soutien-gorge arrachée dans la rue et un vomi sur le corsage tout neuf de maman. Bilan : j’ai bien mérité un peu de repos. Mais je ne dois pas oublier de me réveiller à 3 heures du matin. »

La tendresse on la retrouve quand l’auteur, par ailleurs papa, est tellement heureux de promener son enfant dans un porte-bébé ventral. Bébé explique pourquoi : « Il se sent enceint de moi. Avec la tête et les membres qui dépassent. Une grossesse à ciel ouvert… »

« Moi bébé, ma vie, mon œuvre », Delcourt, 12,50 €

Chronique parue le samedi 5 février en dernière page de l’Indépendant

mardi 8 février 2022

Cinéma - “The innocents”, la peur des jeunes

Ida (Rakel Lenora Fløttum) et son nouvel ami, Ben (Sam Ashraf), teste de nouveaux jeux dangereux.  Les Bookmakers / Kinovista

Personne ne connaît la recette miracle pour réussir un film fantastique. Certains misent tout sur les effets spéciaux, d’autres sur un scénario multipliant les scènes chocs. Eskil Vogt, réalisateur norvégien, a tout simplement trouvé quatre jeunes comédiens d’exception pour transformer son film The Innocents en thriller en culottes courtes. Un film parfois dérangeant, toujours juste, souvent angoissant, montré une première fois à Cannes (Un certain Regard) et qui est revenu du festival de Gérardmer avec deux prix, celui du public et de la critique.

Ida et Anna sont sœurs. Ida (Rakel Lenora Fløttum), la plus jeune, petite blonde ravissante de 9 ans, n’est pas contente de devoir déménager, en plein été, durant les vacances scolaires. Anna (Alva Brynsmo Ramstad), l’aîné, autiste profonde, n’a pas conscience de ce changement. Dans une résidence qui ressemble aux grands ensembles de la banlieue française, les dégradations en moins et la forêt en plus, Ida va tenter de se faire des amis. Le premier à l’aborder se nomme Ben (Sam Ashraf). Il lui montre sa cabane et une fois la confiance installée, lui révèle son secret : il peut déplacer des objets par la seule force de sa pensée. Entre ensuite dans la petite bande Aïsha (Mina Yasmin Bremseth Asheim) qui, elle, a le pouvoir de lire dans les pensées. Notamment celles d’Anna. L’autiste, qui n’arrive pas à communiquer avec ses proches, est en réalité consciente de tout. Aïsha l’explique à Ida qui, dès lors, regarde sa sœur différemment. Tout se complique quand les jeunes se lancent dans des jeux dangereux pour tester leurs limites. Les adultes seront des cobayes idéaux. 

Le réalisateur avait cette idée de film terrifiant en tête après avoir observé ses propres enfants. Et si ces enfants arrivent à faire du mal sans le moindre scrupule, c’est parce que, selon le réalisateur, « nous naissons sans aucune notion d’empathie ou de morale - cela doit nous être enseigné. » De l’importance d’être à l’écoute des plus jeunes et de ne pas donner de mauvais exemples. Un film glaçant, bien plus efficace dans son propos horrifique que bien des productions beaucoup plus richement dotées.

Film norvégien de Eskil Vogt avec Rakel Lenora Fløttum, Alva Brynsmo Ramstad, Sam Ashraf