samedi 25 juillet 2020

Biographie - Femme et aventurière



Si de nos jours manifester dans la rue les seins nus est le principal exploit de certaines féministes, dans le temps, d’autres militantes prenaient beaucoup plus de risque. 

Dans la nouvelle biographie de Jane Dieulafoy écrite par Audrey Marty, on redécouvre les nombreux faits d’armes de cette Toulousaine intrépide. Dès la guerre de 1870, elle se déguise en homme pour participer aux combats. À la fin de sa vie, elle sera une de celles qui obtiendra le droit des femmes de participer à l’effort de guerre. 

Entre, avec son mari Marcel, elle parcourt 6 000 km au Proche-Orient découvrant des richesses archéologiques toujours exposées au Louvre, notamment les lions de Suse. Toujours habillée en homme (ce qui lui vaudra d’être moquée dans les journaux satiriques), elle écrira un opéra pour Camille Saint-Saëns donné en 1902 dans les arènes de Béziers. 

Elle meurt en 1916, laissant un mari éploré et une œuvre à redécouvrir.

« Le destin fabuleux de Jane Dieulafoy », Audrey Marty, Le Papillon Rouge Éditeur, 19,90 €

vendredi 24 juillet 2020

BD - Trois sœurs et un secret



Alessandro Barbucci, Italien de Gênes installé à Barcelone, a un style inimitable. On reconnaît au premier coup d’œil les femmes ou filles qu’il dessine.

 Impossible de trouver plus charmant. Après avoir effeuillé son héroïne de Ekho (Arleston au scénario), il propose une série plus sage avec trois sœurs et beaucoup d’interrogations. 



Les premières planches laissent penser que c’est encore un univers magique. Mais on est dans le rêve de Sarah, l’aînée des sœurs Grémillet. Elle croise une petite méduse. Quel est le sens de ce rêve ? A-t-il un rapport avec la jeunesse de sa mère ? 

Plus spécialement destiné au public féminin, ce récit doux et fantasque, aborde le thème des secrets de famille et surtout la meilleure façon de s’en défaire. 

« Les sœurs Grémillet » (tome 1), Dupuis, 13,95 €

jeudi 23 juillet 2020

Polar - Déguste, c’est du Manchette !



Paru en 1971 dans la Série Noire, L’affaire N’Gustro de Jean-Patrick Manchette est la première pierre à son édifice le plaçant au sommet du roman noir français. Après avoir beaucoup écrit (pour la télévision, le cinéma et des romans de commande sous pseudonyme), il décide de se lancer dans le grand bain. Dans cette réédition, on découvre qu’il délaisse les intrigues entre flics et gangsters pour un roman social s’inspirant de l’enlèvement de Ben Barka. Là où il fait sensation c’est qu’il se place du côté du fasciste. 

Le narrateur, Henri Butron, fils de médecin, a mal tourné. Étudiant il était du côté de l’extrême droite dans les rangs de ceux que Manchette affrontait au quotidien, lui qui était situationniste. 

La modernité de l’écriture de Manchette s’impose immédiatement. Et nous voilà complètement fascinés par Butron mais aussi par les deux militaires africains qui viennent de l’abattre. Car tout cela finit mal, très mal. 

« L’affaire N’Gustro » Jean-Patrick Manchette, Série Noire, 14 €

mercredi 22 juillet 2020

BD - Guerre civile et magie dans No War


La série No War d’Anthony Pastor se bonifie de tome en tome. Plus d’efficacité dans le dessin, intrigue prenante, personnages attachants : c’est la preuve que le roman graphique BD est capable de se réinventer. Le Vukland, petit archipel imaginaire de l’Atlantique Nord est sur le point d’exploser. 

Alors que des affairistes sont arrivés au pouvoir, les Kiviks, premiers habitants, refusent la construction d’un barrage sur leurs terres sacrées. La police intervient alors que les Chinois manigancent pour mettre la main sur le pétrole local mais aussi, et surtout, les pierres magiques des Kiviks aux pouvoirs fabuleux. 

Dans ce chaos, un groupe de jeunes tente de concilier modernité, tradition et vie libre. 

« No War » (tome 4), Casterman

Série télé - Faut pas énerver les nonnes !


Tirée d’une BD très sexy (sexiste pour certains…), la série télé Warrior Nun diffusée sur Netflix est beaucoup plus sage. Le résultat manque un peu de pimpant, la distribution très européenne desservant un peu cette production du Canadien Simon Barry. 

Dans le rôle principal, Alba Baptista, actrice portugaise qui parle en anglais et parfois en espagnol, l’action se déroulant en Andalousie. Elle interprète une tétraplégique de 16 ans, morte quelques heures plus tôt, est ressuscitée par le halo d’un ange la transformant en nonne guerrière. 

Elle devra, malgré son opposition, combattre les démons et une conspiration à l’intérieur du Vatican. Les combats sont impressionnants, les effets spéciaux acceptables. Le meilleur restant les décors naturels méditerranéens très ensoleillés. Ça donne d’aller y passer ses vacances. Dommage… 

Cinéma - Allemagne, pays meurtrier

Markus Bach (Felix Kramer) et Patrick Stein (Trystan Putter), flics et ennemis. KMBO


Polar allemand se déroulant dans les années 90 peu de temps après la réunification allemande, Lands of murders est en réalité le scénario de La isla minima, long-métrage espagnol de Alberto Rodriguez. Le policier, ancien franquiste est remplacé par un colosse passé par la Stasi. Dans cette ancienne Allemagne communiste, livrée aux capitalistes, deux policiers sont chargés d’enquêter sur la disparition de deux jeunes filles.

 Markus Bach (Felix Kramer) de la police locale doit faire équipe avec Patrick Stein (Trystan Putter), un pur et dur de la police de l’Ouest. Tout le début du film est construit sur l’opposition entre ces deux hommes. Le premier, adepte de la méthode forte, quand la police avait tous les droits dans la RDA, voudrait mener l’enquête à sa façon. On rentre dedans, on secoue les suspects et on attend qu’ils craquent. Le second, flic moderne, qui respecte les procédures, pose des questions, tente de découvrir la vérité en observant. 

L’enfer de la réunification

Quand les corps des deux femmes sont retrouvés, atrocement torturés en mutilés, la hiérarchie exige des résultats rapides. Paradoxalement, aucune des deux méthodes ne fonctionne. Bach et Stein sont en territoire ennemi, la gendarmerie est corrompue, les locaux soudés pour ne rien dire. Une chape de plomb pèse encore sur la région en pleine déshérence industrielle. 

Usines sur le point d’être rachetées et démantelées, fermes abandonnées, rivières polluées : tout dans l’ex-RDA a un goût d’apocalypse. Un véritable enfer où un diable s’amuse à tuer d’innocentes jeunes filles qui elles ne désirent qu’une chose : rejoindre Berlin pour un nouveau départ. 

Alors face à l’adversité, les deux policiers vont s’apprivoiser, s’épauler, collaborer et finalement comprendre le nœud du problème. Film sombre sur une période de l’histoire allemande rarement abordée, Lands of murders séduira tous les amateurs d’ambiances troubles et délétères.

Film allemand de Christian Alvart avec Trystan Pütter, Felix Kramer, Nora von Waldstätten

 


Cinéma - « Madre » ou l’histoire d’un deuil impossible

Le virtuose madrilène Sorogoyen revient avec un portrait surpuissant.


Maria Neto campe une mère à la dimension mythologique face à Jules Porier, angélique.  Le Pacte

La réalisation de ce film a débuté en 2016. Avant de se lancer dans le tournage du remarquable long-métrage Que Dios nos perdone, Rodrigo Sorogoyen nouveau prodige du cinéma espagnol, signe Madre, un court-métrage en un seul plan séquence. Elena (Maria Neto), en compagnie de sa mère, rentre dans son appartement madrilène. Elles discutent de tout et de rien quand le portable sonne. C’est Ivan, le fils d’Elena, qui appelle. La mère est contente car il est parti pour une semaine en camping avec son père sur les plages françaises. Mais si Ivan téléphone, c’est parce qu’il est inquiet, seul sur la plage déserte, son papa ne revenant pas après de longues minutes d’absence. 

Les batteries du téléphone sont presque vides. Il voit un homme qui l’observe. Il le raconte avec ses mots d’enfants et Elena commence à paniquer. La tension monte, la caméra virevolte autour d’Elena, Ivan a de plus en plus peur. Il tente de se cacher, mais l’homme le retrouve. La communication coupe quand on entend une voix adulte parlant français à Ivan. Fin du court-métrage et de l’ouverture angoissante à l’extrême de Madre, le film de 2020. 

La folle de la plage

Une prouesse saluée partout dans le monde, remportant  nombre de prix jusqu’à l’apothéose et sa nomination aux Oscars. Rapidement, Rodrigo Sorogoyen a eu l’idée de prolonger l’histoire d’Elena, de donner une suite à Madre. C’est chose faite avec ce film qui sort en plein été, après la période de confinement, loin de la zone de confort qu’il mériterait. 

Car Madre, en conservant le court en préambule, se détourne du thriller, genre dans lequel le réalisateur excelle, pour se concentrer sur le portrait de cette femme incapable de faire son deuil. La communication coupe et on retrouve Elena dix ans plus tard. Elle vit dans les Landes, là où son enfant a disparu. Il devrait avoir 16 ans aujourd’hui. Elle arpente le sable à la recherche de son fils. Les locaux la surnomment la folle de la plage... 

Serveuse dans un restaurant en bord de mer, elle observe les adolescents. Comme si son fils allait réapparaître à tout moment. Et quand elle croise le chemin de Jean (Jules Porier), elle a un doute. Elle le suit et découvre qu’en fait il vient de Paris, a deux frères et passe ses vacances avec ses parents. 

Elena retourne à sa nostalgie, sa non vie. Mais Jean a remarqué le manège de la serveuse et avec l’aplomb de sa jeunesse, il drague ouvertement la belle Elena. Incrédule, sans doute flattée, elle ne résistera que mollement à Jean. Et volera ainsi quelques moments de complicité avec ce presque jeune homme, comme si cette tête bouclée et ce visage d’ange étaient réellement son fils. En évitant tous les écueils propres à ce genre d’histoires (Jean est mineur), Rodrigo Sorogoyen parvient à émouvoir. 

A double titre. Par le bonheur fugace d’Elena, profitant enfin durant quelques heures de la vie mais aussi dans les yeux de Jean, découvrant les jeux de l’amour et s’opposant à ses parents trop bourgeois à son goût. Cette fausse romance aurait pu être un simple amour d’été, c’est finalement le double portrait d’une femme et d’un homme passant à l’âge adulte. 

Film espagnol de Rodrigo Sorogoyen avec Marta Nieto, Jules Porier, Anne Consigny

 


mardi 21 juillet 2020

Roman - Trois sœurs et un mystère



Tikka, la narratrice, se souvient de cet été 1992. En Australie, à la limite du bush, elle côtoyait souvent les sœurs Van Apfel. Hannah, l’aînée, Cordelia, la fantasque surnommée Cordie et la petite Ruth. Un été devenu dramatique quand elles ont disparu toutes les trois. 

Seul le corps de la plus jeune a été retrouvé coincé entre deux rochers dans la rivière. Vingt ans plus tard, Tikka, devenue trentenaire, doit revenir sur les lieux du drame. Mais jamais elle n’a oublié les sœurs. « Au fil des années, j’avais vu tellement de Cordie que c’était devenu un tic. D’apercevoir sa nuque. De la repérer dans une foule. Dans la queue à la caisse d’un supermarché. » 

Ce roman de Felicity McLean, en plus de raconter l’Australie, permet au lecteur de comprendre les mystères de l’adolescence, son enthousiasme, ses aberrations. 

« Les sœurs Van Apfel ont disparu », Felicity McLean, Presses de la Cité

lundi 20 juillet 2020

BD - Le guide des vacances ratées

Si vous êtes en vacances dans la région avec des amis et que le séjour ne se déroule pas exactement comme vous l’aviez rêvé, précipitez-vous sur ce petit livre de dessins humoristiques signé Astrid Cornet. Non seulement vous allez rire, mais en plus cela vous permettra de relativiser car les situations décrites par la dessinatrice sont certainement plus gratinées que les quelques petites contrariétés de votre quotidien. 

On apprend ainsi que dans une bande, il y a toujours un ami radin qui pinaille sur le moindre centime, une instagrammeuse qui passe son temps à faire des grimaces sur les selfies qu’elle poste au rythme d’un toutes les heures ou, la pire, la « fouteuse de merde », toujours à l’affût pour faire exploser le couples, culpabiliser les introvertis et enfoncer les dépressifs. 

Avec elles, les vacances sont obligatoirement ratées. Astrid Cornet vous aura prévenu.


« Vacances entre amis », Marabulles, 10 €

dimanche 19 juillet 2020

Cinéma en plein air dans le Conflent : la nuit, les écrans s’illuminent

Quand le confinement généralisé de la France est décidé en mars, les membres du conseil d’administration des Ciné-Rencontres de Prades sont à mille lieues d’imaginer que le 61e festival va passer à la trappe. « Une fois la sidération passée, se souvient Alain Apvrille, coordinateur de la manifestation, nous avons organisé des téléconférences tous les jeudis soir. Nous n’avons jamais envisagé l’annulation pure et simple du rendez-vous du cinéma en Conflent. » D’autant que le programme du Festival est déjà bien avancé. 

Faya Braz, champion du monde de beatbox par équipes.


Les invités vedette de 2020 ont confirmé dès octobre dernier leur présence. Les frères Dardenne, Jean-Pierre et Luc, feraient le déplacement de la Belgique vers les montagnes catalanes pour parler de leur cinéma si caractéristique. Et puis les dates retenues semblent très éloignées en cette fin mars. Le 17 juillet, date théorique de l’ouverture du festival, les optimistes sont persuadés que tout sera oublié. Mais au fil des semaines, le confinement dure, le virus résiste et le déconfinement ne permettra pas de retrouver une vie normale. « Très vite, des membres du conseil ont émis l’envie de transformer le festival en plusieurs séances en plein air dans tout le Conflent. Nous voulions que l’offre cinéma continue cet été dans la région » argumente Alain Apvrille. Fin mai, l’idée de présenter des dizaines de films au Lido est abandonnée. À la place toute l’équipe se met à travailler sur Toiles aux étoiles. Il faut trouver les lieux, les films, les structures et aussi apporter un petit plus pour certaines projections. 

Sept dates sont arrêtées avec une plus importante, le vendredi 24 juillet, consacrée à la musique hip-hop. Au Stade Padrixe, avant la projection sur l’écran géant d’un documentaire sur le Beatbox, deux intervenants animeront une scène ouverte. 


Quid de 2021… 

Grâce aux connaissances dans le milieu de la musique de Laurent Lafran, vice-président de l’association, Imhotep, architecte musical du groupe marseillais IAM sera présent pour donner des conseils aux jeunes et mixer quelques morceaux. Il sera accompagné de Faya Braz, phénomène dans le milieu du beatbox (déclinaison du hip-hop où l’interprète fait musique et rythme uniquement avec sa bouche). 

D’autres soirées, plus classiques sont organisées à Villefranche-de-Conflent ou Vinça, au prieuré de Marcevol le film Microcosmos sera l’occasion de redécouvrir les insectes du Conflent et

seuls les cinéphiles les plus sportifs pourront voir le documentaire Everest Green en plein air au refuge des Cortalets. 

En quelques mois, l’équipe de Ciné-Rencontres a effacé tout le travail effectué précédemment pour réinventer une offre cinéma totalement nouvelle. Un sacré pari en passe d’être gagné. Et à la rentrée, il sera temps de penser au prochain festival. Normal celui-là, en espérant que 2021 soit moins catastrophique que 2020, annus horribilis de triste mémoire. 


Souvenirs : 60 ans de films passionnants et d’invités de prestige

 

Si le Coronavirus n’avait pas bousculé toutes les manifestations culturelles de la planète, le 61e festival de Prades aurait dû recevoir en juillet les frères Dardenne. Pour la première fois depuis la création de la manifestation, l’année sera blanche. L’occasion de se retourner sur ces 60 ans, résumé parfait de ce qui se fait en cinéma de qualité. 

Dès la première année, en 1959, Prades accueille un jeune cinéaste qui présente son premier long-métrage. Les 400 coups triomphent. François Truffaut se souviendra longtemps de cet accueil enthousiaste du public conflentois. 25 ans plus tard il sera au centre d’une rétrospective de son œuvre. Il avait donné son accord pour être présent, demandant à être logé à Molitg-les-Bains. Mais quelques jours avant le début du festival, il débute un nouveau traitement l’obligeant à un repos complet. En octobre, la maladie l’emporte. 

Le réalisateur le plus assidu est certainement Robert Guédiguian. Le réalisateur marseillais a d’ailleurs intégré l comité de pilotage du festival, tout comme sa compagne Ariane Ascaride. Dans les années 60, quelques vedettes ont fait le voyage jusqu’à Prades. Mais le festival se concentre essentiellement sur les films. Des rétrospectives savantes (Sacha Guitry en 1965, Orson Welles en 1966, Murnau en 1972) ou des nouveautés très attendues. 

La mode des invités célèbres, avec rencontres conviviales dans la salle ou dans les jardins de l’Hostalrich reprend  de plus belle en 1979 avec la venue de Roman Polanski. Cette année-là, les festivaliers croisent également  Bernadette Laffont, André Dussolier et un Fabrice Lucchini méconnaissable dans Perceval le Gallois d’Eric Rohmer. Mais contrairement à Cannes ou d’autres festivals moins anciens, Prades veut encore et toujours donner la priorité aux réalisateurs invités. 

Ce sera Jean-Pierre Mocky en 2004, Bernardo Bertolucci en 1981, Werner Herzog en 2013 ou Cédric Kahn l’an dernier. Sans oublier des rétrospectives toujours aussi complètes de Andrzej Wajda en 1983, Woody Allen en 1985, Stanley Kubrick en 1986 ou Wim Wenders en 1988.

 Des histoires, des rencontres et des anecdotes que l’on peut retrouver dans le beau livre édité pour les 50 ans du festival qui a bénéficié l’an dernier d’un suppément sur la décennie suivante.