mardi 17 janvier 2017

Roman : Aveuglement du petit copropriétaire

Avec sa verve habituelle, Philippe Ségur raconte les déboires d’un couple dans « Extermination des cloportes ».
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Don Dechine, professeur de lycée, a le secret espoir d’écrire un roman. Pas n’importe lequel, le chef-d’œuvre qui lui vaudra direct le Nobel de littérature. Don Dechine s’y croit un peu. Beaucoup même. Ce n’est pas la modestie qui l’étouffe. Dans son appartement de la ville de Nî- mes, il vit avec sa femme Betty, gentille demoiselle qui espère elle aussi faire carrière dans l’éducation nationale. Encore faut-il qu’elle passe son doctorat.
Le roman de Philippe Ségur, professeur de droit constitutionnel et de philosophie politique à l’université de Perpignan, déroute dans les premières pages. Don et Betty sont pleins de bonnes volontés. Ils planifient leur travail comme des enfants sages et vertueux. Mais rapidement les engrenages se grippent. Et ils finissent dans le canapé à regarder les sept saisons des Soprano, tout en dégustant du Maury, vin préféré du héros et cité une bonne dizaine de fois dans le roman. Tout change quand Don, un matin, se réveille avec la bizarre impression d’avoir des cloportes dans l’œil. Des bestioles noires qui se baladent devant lui, perturbant sa vue. Une idée kafkaïenne parfaitement amenée par l’auteur jusqu’à la révélation du toubib de famille : Don souffre de la maladie de Fuchs.
A moyenne échéance il deviendra aveugle. Il n’existe pas de traitement. Peut-être une opération, mais Don refuse. « Je préférais continuer d’élever des cloportes et regarder le monde derrière ma vitre sale. » La comédie va-t-elle sombrer dans le mélodrame ? Pas du tout. N’oubliez pas que c’est Philippe Ségur qui est aux manettes. L’humour l’emporte toujours avec cet auteur à l’optimisme chevillé au corps.
■ « Granch » rêvé
Don fait comme si de rien n’était, cache même ses problèmes de vision à sa douce Betty. Pourtant il l’adore : « Avec Betty, nous faisons tout ensemble. Le travail, les courses, le sport et même l’amour. C’est dire si nous sommes proches. » Une bonne partie du roman raconte les aléas de la copropriété. Don et Betty affrontent le syndic qui veut leur faire payer des charges considérables. Ils décident alors de vendre et d’acheter un « granch » (une grange transformée en ranch…) à la campagne. Des passages très édifiants sur les pratiques des banques et autres assurances où on croit dé- celer du vécu.
Un roman vivifiant en ces sombres heures d’une société trop souvent ré- signée et manquant cruellement de fantaisie.  
➤ « Extermination des cloportes », Philippe Ségur, Buchet Chastel, 18 €

De choses et d'autres : Net intermittent (Part 2)

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Notre grosse erreur : vouloir changer d’opérateur internet. Déçus du nouveau, nous voulons faire marche arrière (lire la chronique d’hier) et là c’est le drame. Premier problème, la ligne téléphonique ne sera rétablie que dans 3 semaines.
Presque un mois sans internet ni téléphone. Et de constater notre dépendance. Une petite cure de désintoxication peut présenter des avantages. Sauf pour les adeptes du télétravail comme moi. J’ai redécouvert les joies du café matinal et wifi au bar du village (la Brasserie de l’Europe de Pollestres que je ne remercierai jamais assez).
Quant au téléphone fixe la situation semble plus problématique. Surtout lorsque notre ancien et donc nouvel opérateur après l’essai non concluant chez la concurrence, nous explique que le numéro qui est le nôtre depuis 15 ans a été racheté par l’opérateur temporaire. Il faudra en changer. Obligatoire et non négociable. Commence une longue période de disette. Nous recevons enfin la nouvelle box. La branchons mais la ligne n’est toujours pas rétablie. Attendons. Finissons par nous habituer. Twitter et Facebook vivent leur vie sans nous et ne s’en portent pas plus mal.
Un jour enfin la box passe au vert. Nous voilà reconnectés au monde. Ma femme appelle immédiatement sa sœur. Cette dernière lui demande quel est notre nouveau numéro et Kafka, toujours d’actualité, l’oblige à répondre : « Je ne sais pas. » Numéro que nous recevrons... quatre jours plus tard. 

lundi 16 janvier 2017

BD : Elles deviennent actrices de leur vie dans "Rôles de composition"

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Etre comédienne dans sa vie professionnelle implique-t-il qu’on l’est forcément dans sa vie privée ? Cette interrogation est en filigrane de « Rôles de composition », album du Canadien Jimmy Beaulieu. Dans une bichromie très recherchée et dépouillée de tout effet ostentatoire, il raconte les errances amoureuses de Noémie. Cette belle jeune femme noire, aux dreadlocks caractéristiques, vivote à Montréal en enchaînant les petits rôles. Elle vit avec Colette, blonde joliment ronde encore étudiante. Mais en réalité elle est fascinée par une actrice, Anna, entraperçue dans un navet intersidéral. Elle va finalement la rejoindre à Berlin. Coup de foudre, coups au cœur, trahison et grandes envolées composent cette dizaine de chapitres d’une grande finesse.
➤ « Rôles de composition », Vraoum, 18 € 

De choses et d'autres : Net intermittent (part 1)

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A la base nous avons commis une grosse erreur. Lassés de payer trop cher notre opérateur internet, mon épouse et moi prenons la décision de passer à la concurrence nettement moins chère. Un coup de fil et nous voilà embarqués dans une sacrée galère. Pourtant tout commençait très bien. La nouvelle box arrive en trois jours. Ils s’occupent de tout : transfert de la ligne et portabilité du numéro.
Arrive le grand jour. L’ancienne ligne est coupée. On branche la box et miracle, elle fonctionne au premier coup. Mais pas longtemps. Mon épouse devient folle à cause des coupures incessantes en pleine communication téléphonique. Une demi-heure pour dire au revoir après 20 rappels. Côté télé aussi c’est la catastrophe. En plein film d’action, au moment le plus palpitant, l’image se fige comme dans u n mauvais Challenge mannequin. Et quand la connexion se rétablit (une fois sur dix), le méchant est mort ou le film terminé. Nous commençons à regretter notre désir d’économie. Qu’importe, nous téléphonons à l’opérateur pour nous rétracter dans le délai des 14 jours légaux. Pas de souci. Suffit d’envoyer une lettre recommandée avec accusé de réception. Dans la foulée nous rappelons l’ancien prestataire de service pour réactiver notre abonnement.
Et là Kafka s’invite à la fête. En quelques minutes nous perdons tout : ligne, internet, télévision et même numéro de fixe. Suite du cauchemar demain. 

dimanche 15 janvier 2017

BD : Cache-cache amoureux

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Après Marcel Aymé, Cyril Bonin adapte une nouvelle fois un romancier français. Il se penche cette fois sur « La délicatesse », best-seller de David Foenkinos. Une histoire toute simple, d’amour éternel et de renaissance. Pas évident du tout à retranscrire en images : beaucoup de dialogues, décors inexistants. Alors le dessinateur va particulièrement soigner ses deux personnages principaux. La belle Nathalie et l’atypique Markus. La première, mariée à François assez jeune, travaille dans une entreprise suédoise. Un travail que l’on imagine austère, sans grand intérêt. Pas grave, l’amour permet de tout faire passer. Mais François meurt, écrasé par une voiture lors de son jogging. Nathalie déprime. Mais au bout de quelques mois devient une proie pour les « mâles » du boulot. Elle écarte le directeur mais tombe sous le charme du pâlot Markus. C’est simple et beau comme une histoire d’amour, idéale et délicate.
➤ « La délicatesse », Futuropolis, 17 €

samedi 14 janvier 2017

BD : Femme exigeante, homme affligeant

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A quoi rêvent les femmes de plus de 30 ans ? Réponse en partie dans « Idéal standard », roman graphique de 150 pages signé Aude Picault. Claire, le personnage principal, cherche l’amour. Infirmière dans un service de grands prématurés, elle passe ses journées avec des bébés fragiles. Un bébé, elle y pense souvent. Encore faut-il trouver le bon père. Généralement, ses amourettes ne durent pas plus de trois mois. Elle vient de se faire larguer par un ronfleur. Pourtant elle y croyait cette fois. Déprimée, elle fait une croix sur ses ambitions de bonheur. Jusqu’à sa rencontre avec Franck. Très poilu, mais très sympa. Du moins durant les premiers mois de leur relation. Car rapidement le naturel revient au galop. D’une grande finesse psychologique, cette BD ressemble un reportage intelligent sur la vie des trentenaires d’aujourd’hui. Leurs espoirs et découragements. Claire tient le coup grâce à ses amies. Certaines lui donnent des conseils judicieux. D’autres montrent ce qu’il ne faut pas faire. Difficile pourtant de trouver sa voie, son équilibre. Tous les sujets sont abordés sans tabou, du plaisir sexuel féminin à l’IVG en passant par les relations compliquées avec les parents d’une autre génération. Pas toujours gai, « Idéal standard » se termine pourtant sur une note résolument positive.
➤ « Idéal standard », Dargaud, 17,95 €


vendredi 13 janvier 2017

DVD : Le blues des soldats après les batailles


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Engagez-vous, vous verrez du pays » vantaient de vieilles publicités pour l’armée fran- çaise. Ce fameux « Voir du pays » est au centre du film de Delphine et Muriel Coulin. Pourtant, les militaires français dont l’histoire est racontée n’en ont pas beaucoup vu de la région où ils ont combattu. Depuis une base reculée en Afghanistan, ils ne verront que quelques montagnes enneigées, des villages déserts... À la fin de leur séjour de six mois, ils connaîtront mieux Chypre, île où se déroule le film.

Avant de revenir dans leur famille, les militaires passent par un « sas » de trois jours dans un hôtel 5 étoiles. Pour se réhabituer à la vie simple et insouciante. Les réalisatrices suivent deux jeunes femmes, engagées et combattantes. Aurore (Ariane Labed) et Marine (Soko) sont amies depuis l’enfance. La première est heureuse de quitter le champ de bataille. D’autant qu’elle a été prise dans une embuscade, a été blessée et a vu mourir trois de ses camarades. L’autre, taciturne, perpétuellement énervée, à fleur de peau, redoute ce sas. Car en plus de la détente (sorties touristiques, plage et boîtes de nuit), les gradés procèdent à un débriefing et une évaluation psychologique. Les militaires du rang doivent notamment raconter et revivre, en réalité virtuelle, leurs traumatismes. Ce sera très dur pour Aurore. Encore plus pour Marine qui n’est pas allée l’aider, la défendre, sous le feu ennemi.
Les actrices, dans deux caractères opposés, sont particulièrement crédibles. Des rôles physiques, éprouvants, mais qui n’occultent pas le côté humain. Un film à montrer à tous les jeunes tentés par un engagement dans l’armée française.
➤ « Voir du pays », Diaphana Vidéo, 19,99 € le DVD

jeudi 12 janvier 2017

Blu-ray : Indémodable « Petit baigneur »


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Un demi-siècle. Cette année 2017 marque le 50e anniversaire du tournage dans l’Aude et les Pyrénées-Orientales du film « Le Petit Baigneur », réalisé et interprété par Robert Dhéry. On retrouvait dans cette comédie burlesque Louis de Funès et Michel Galabru en tête d’affiche. Le film, dépoussiéré, vient de sortir en blu-ray, comme pour mieux profiter des dé- cors lumineux des Cabanes de Fleury et de Collioure. Le scénario basique (l’inventeur d’un voilier révolutionnaire est sollicité par deux entrepreneurs) est surtout l’occasion pour Robert Dhéry de jouer à la Tati et De Funès de piquer des colères mémorables. Quant à Galabru, en clairon d’une fanfare, il se lamente à qui mieux mieux après que la décapotable de De Funès lui a roulé sur le pied.
Ce n’est pas un chef-d’œuvre du 7e art, mais ces 90 minutes permettent de revoir quelques lieux emblématiques de la région avant l’invasion massive des touristes. Notamment les rues étroites et tortueuses de Collioure ou le côté sauvage du littoral audois. Une jolie bouffée de nostalgie, la haute définition en plus.
➤ « Le petit baigneur », Studiocanal, 14,99 €

DE CHOSES ET D'AUTRES : Contraste américain

obama, trump, maison blanche, cia, milliardairesD’un côté Barack Obama essuie une larme lors de son dernier discours quand il évoque sa femme Michelle. De l’autre Donald Trump nomme son gendre conseiller à la Maison Blanche et un rapport des services secrets britanniques laisse entendre que les Russes possèdent une vidéo très compromettante du futur président des États-Unis.
Un mandat présidentiel aux USA dure quatre ans. Le sortant peut se représenter une fois, pas plus. Huit ans de pouvoir suprême, c’est le maximum. On ne sait pas encore si Trump briguera à nouveau le poste, mais il est certain que les quatre années qui s’annoncent seront riches en rebondissements. Et que beaucoup regrettent déjà la grande classe de Barack Obama. Encore plus quand les électeurs de Trump, souvent issus des classes défavorisées, ont découvert la composition de son cabinet, l’équivalent de notre gouvernement. Banquiers et chefs d’entreprises se partagent les meilleurs postes. Quartz, un site américain, estime à près de 9,5 milliards les fortunes personnelles des 17 premiers responsables choisis par Trump. Une somme qui représente ce que possèdent les 109 millions d’Américains les plus pauvres. Ces derniers espèrent une vie meilleure avec l’accession de Trump au pouvoir. Le fameux rêve américain.
Pour le coup, j’ai comme un sacré doute. Étrange démocratie qui donne la victoire au candidat arrivé second en nombre de voix et empêche un président sortant apprécié de se représenter. 

mercredi 11 janvier 2017

Cinéma : Paris reste "Ouvert la nuit"

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Une nuit dans Paris, tel est le programme du film signé Edouard Baer. Paris et ses artistes, ses paumés, ses lieux de fête et de déprime. Venez voir, c’est « Ouvert la nuit ».

Paris, ville lumière, ville qui ne dort jamais, est la vedette invisible de « Ouvert la nuit », écrit, réalisé et interprété par Edouard Baer. Une œuvre très personnelle, qui pourrait exaspérer les allergiques au parisianisme. Pour éviter cette réaction, il suffit de se dire que les personnages ne sont pas comme nous, plutôt des animaux de foire pour qui tout est différent. Leur normalité n’a rien de commun avec la nôtre. Jamais ils ne regardent la télévision, jamais ils ne cuisinent ou mettent leur réveil afin de se lever le matin pour prendre le métro.
Au milieu du zoo, Luigi (Edouard Baer), directeur d’un théâtre. Un millier de pépins lui tombent dessus à la veille d’une première. Deux plus importants que tout : trouver un singe pour le spectacle et combler le trou financier pour payer les salaires en retard. En compagnie de Faeza, la stagiaire de sciences-po (Sabrina Ouazani) il se lance dans un road-movie mouvementé à travers les rues d’une capitale aux multiples visages.
■ Théâtre en grève
Des rencontres magiques ou décevantes. Comme ce dresseur d’animaux (Jean-Michel Lahmi) qui a consacré dix années à éduquer la guenon qui pourrait sauver la pièce de Luigi. Ou cette milliardaire, généreuse mécène propriétaire du théâtre mais qui ce soir a décidé d’humilier une dernière fois cet artiste trop futile à ses yeux de grande bourgeoise capitaliste.

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Mais Luigi, tout en étant dans la panade la plus complète, ne se laisse pas abattre. Avec le chéquier du théâtre, il fait la tournée des grands ducs dans les bars branchés. Par contre sur les planches, rien ne va plus. Les techniciens menés par Marcel (Grégory Gadebois) se mettent en grève. Le redoutable syndicaliste hausse le ton. Luigi va donc tenter de le convaincre de reprendre le travail en allant chez lui. Faeza découvre une autre facette de Luigi. Marcel vit dans une véritable tribu africaine et c’est en boubou qu’il reçoit son patron, le chouchou de ces dames. Un des meilleurs passages du film, dépaysant mais si représentatif de Paris, ville multiculturelle et ouverte.
Les catastrophes au théâtre s’enchaînent : un acteur se blesse et le metteur en scène meurt d’une crise cardiaque en pleine nuit. Sans argent et sans singe, Luigi croit que tout est terminé. Mais comme Edouard Baer est un indécrottable optimiste, il déniche une « happy end » dans une pirouette totalement improbable. Mais la normalité, dans ce monde...