vendredi 5 août 2016

DVD et blu-ray : Les frères Coen entre hommage et critique d'Hollywood dans "Ave Cesar !"


Plus cinéastes qu'auteurs dans "Ave, César", les frères Coen ont surtout décidé de se faire plaisir en signant ce grand film sur le Hollywood des années 50. Un luxe de décors et de costumes, des acteurs toujours dans l'ironie, une intrigue sur fond de guerre froide, même si le tout semble un peu décousu, on est devant un grand film comme seuls savent les réaliser des Américains entre modernité et fascination du passé.
Sous prétexte de montrer le travail de "fixer" d'Eddie Mannix (Josh Brolin), "Ave, César" raconte une journée ordinaire de cet homme, employé par un grand studio pour surveiller les stars du moment. Il commence par rattraper la bévue d'une charmante starlette sur le point de se faire photographier dans des tenues et poses très compromettantes. Depuis son bureau, il gère tout ce qui se dit et fait sur les nombreux plateaux. Avec la volonté que tout se passe pour le mieux. En clair que les caprices des stars soient peu nombreux et l'investissement des actionnaires très rentable. Entre une charmante naïade spécialisée en comédie musicale aquatique (Scarlett Johansson) enceinte et incapable de savoir qui est le père, un acteur de légende cible de kidnappeurs, reconverti dans le péplum religieux (George Clooney) et un gentil cowboy obligé de tourner dans un vrai film avec de vraies répliques, les difficultés s'accumulent.
D'autant qu'il vient de recevoir une proposition d'emploi dans une tout autre branche : l'aviation. Un secteur en plein développement contrairement au cinéma qui risque de disparaître à brève échéance avec la montée en puissance de la télévision.

L'ensemble donne des impressions de film à sketches, avec quelques moments de bravoure comme la scène où un cinéaste lettré et distingué (Ralph Fiennes) tente d'apprendre à articuler au garçon vacher (Alden Ehrenreich) grimé en dandy portant le smoking. Moins convaincantes les scènes du complot communiste dans la demeure hyperluxueuse du danseur vedette Burt Gurney, interprété par Channing Tatum. De plus, l'idée d'un film sur la foi semble assez éloignée du résultat final. Car Eddie Mannix, qui se confesse chaque jour, est bien le seul véritable croyant au royaume du fric et des apparences. Pour preuve la scène finale de George Clooney, prouesse d'émotion, se terminant par un gag totalement inattendu.
"Ave César !", Universal, 17,99 € le DVD, 19,99 € le blu-ray.




DE CHOSES ET D'AUTRES : Zone frontière (2/3)

perthus, frontière, cannabis, vente libre
Le village du Perthus est coupé en deux. En descendant la grande rue, à droite la France, à gauche l'Espagne. L'essentiel des magasins se concentre côté ibérique et transforme le trottoir en couloir de métro parisien aux heures de pointe. Cela ne dérange pas plus les touristes venus goûter aux folies de la consommation à outrance.
On trouve de tout au Perthus en plus de l'alcool et du tabac à prix cassés. A la concentration d'hommes s'ennuyant ferme sur le trottoir je devine une parfumerie investie par une cohorte de vacancières qui vont sentir la cocotte. Le gadget du moment ? Un petit oiseau qui tourne sans cesse autour d'un pot de fleur grâce à des panneaux solaires. Entre mini-motos, maillots de foot (Griezmann est encore loin de Messi) et serviettes de plage Che Guevara, on ne peut pas manquer les magasins de « grow ». Ici aussi ce sont les soldes. Peu banales puisque les remises vont de 10 à 30 %... sur les graines de cannabis. D'un côté la police nationale française contrôle la frontière, de l'autre on brade de quoi aller direct en prison. Il existe même des sucettes au cannabis.
Un peu plus loin, une boutique vend des armes. Des pistolets à billes mais aussi des épées médiévales. Un peu moins folkloriques, les machettes et longs sabres aiguisés comme des rasoirs. Des images macabres me traversent l'esprit. Heureusement je repère aussi ces fausses crottes de chien à deux euros pièce. Vu tout ce que j'ai ramassé derrière mes toutous durant plus de 15 ans, je serais millionnaire à l'heure actuelle. Enfin, s'ils avaient eu la bonne idée de faire caca en plastique.

jeudi 4 août 2016

DANS LA POCHE POUR LA PLAGE : Leçons d'un tueur


Saul Black a mis tous les ingrédients classiques du thriller américain contemporain dans son roman "Leçons d'un tueur". Xander, le tueur dérangé, la pléiade de victimes, Nell, la fillette innocente, Valerie, la flic alcoolique et même l'écrivain dépressif. Un puzzle qu'il assemble parfaitement dans une intrigue complexe et palpitante.
Le récit se scindera alors en trois parties distinctes. La suite du périple de Xander, l'attente du vieillard et de la fillette dans le froid et l'enquête de Valerie, la policière en charge de l'enquête. Saul Black (pseudonyme de Glen Duncan, auteur anglais pour l'instant plus spécialisé dans le fantastique, "Le dernier loup-garou") après ce départ bourré d'adrénaline, ralentit l'action pour mieux détailler la psychologie des différents protagonistes. Notamment Valerie, minée par cette enquête qui n'avance pas.
Le final, comme dans un bon film, se déroule dans la cabane des bois avec pour enjeu la vie de la petite Nell. Une grande réussite, de bout en bout.
« Leçons d'un tueur » par Saul Black, Pocket, 8,50 €

DE CHOSES ET D'AUTRES : Zone frontière (1/3)

le perthus, commerce, tabac, alcool, frontière, espagne
"Tu es fou !" me lance ma femme. "Pas le choix, plus de cartouche (*). » « Alors ce sera sans moi !" Logique. Qui aurait l'idée saugrenue d'aller au Perthus un 3 août ? Excepté les milliers de touristes qui, sans jamais l'avouer, choisissent les plages des Pyrénées-Orientales pour leur proximité avec ce marché géant de l'alcool et du tabac.
J'espère éviter le pire en partant tôt. Mais même à 8 h 30, on roule au pas sur le dernier kilomètre de la nationale. Connaissant ma propension à rater mes créneaux, j'évite la rue centrale et oblique directement vers le parking 2, celui des hauteurs. La bonne idée que voilà. Des places en pagaille et surtout la possibilité de prendre un peu de fraîcheur dans une chênaie ouverte à la promenade. Mais je ne suis pas là pour faire de la randonnée touristique. Seul l'attrait des prix cassés me conduit dans cette zone frontière.
Le problème du parking en hauteur, c'est qu'il faudra au retour gravir un long escalier (87 marches exactement) pour récupérer mon véhicule. A entendre l'accent des autres piétons, plus de doute, je suis arrivé. Je croise un hipster parisien tatoué de partout et des vacanciers ch'tis qui se demandent s'ils sont déjà en Espagne. Remarque pleine d'à-propos de la charmante quadra en robe bleue : "Non. On est encore dans la partie française. Sinon mon téléphone me l'aurait dit." La belle et aveugle confiance dans les miracles de la géolocalisation. 9 heures. Me voilà dans la place. Comme des centaines de visiteurs. La mêlée commence.
(*) Il ne s'agit ni de cartouches d'encre et encore moins d'armes...

mercredi 3 août 2016

THRILLER : La Norvège, son pétrole et ses sectes

Ce thriller efficace brouille les piste entre secte chrétienne, intégristes islamistes et anciens nazis.

La Norvège, pays nordique prospérant sur ses réserves pétrolières, a tout pour être un petit paradis. Pourtant, le pays n'est pas à l'abri de certaines dérives. On se souvent du massacre commis par le néo-nazi Breivik et le roman policier d'Ingar Johnsrud ne va en rien rassurer les lecteurs. Les pratiques politiques de ce pays sont parfois très peu recommandables. Première partie d'une trilogie, cette enquête du commissaire Fredrik Beier débute par une multitude de fausses pistes. Le héros, à peine remis d'un grave accident qui l'a laissé claudiquant, divorcé et en deuil de son dernier enfant, est sur la touche. Il tente de retrouver un peu d'allant dans son métier. Mais le traumatisme est important.
Un flic au bord de la rupture, incapable de se concentrer et encore moins de faire des efforts physiques. Quand la chef du principal parti de droite demande à la police de retrouver sa fille et son jeune enfant, disparue depuis quelques semaines, c'est vers Beier que la hiérarchie se tourne. Le sujet est sensible, mais sans risque. A priori. La jeune femme, une brillante chimiste, a tout plaqué pour rejoindre une secte chrétienne retirée dans une ferme. Beier n'a pas le temps de se rendre à « La lumière de Dieu » qu'un tueur y commet un massacre.
Cinq morts et le reste de la communauté envolé. Principal suspect : un islamiste radical pris pour cible par le pasteur retrouvé égorgé.
Ennemis intérieurs
Beier conserve l'affaire et bénéficie même de l'aide d'un membre des services secrets norvégiens. Kafa Iqbal, originaire du Pakistan, est la spécialiste de ce milieu religieux, « la jeune femme élancée avait la peau plutôt olivâtre que mate et une raie sur le côté partageait ses cheveux noirs et épais. Son visage était large avec des mâchoires arrondies, le menton fin et bien dessiné. Ses yeux brillaient comme deux pièces de monnaie qui vous regardait bien en face. » Si la collaboration est très délicate dans un premier temps, ils vont apprendre à s'apprécier (voire un peu plus car Beier n'est pas insensible à ce charme oriental), notamment quand ils croisent le tueur, un monstre de violence qui cache bien son jeu derrière un masque en silicone.
L'hypothèse musulmane s'évapore rapidement, simple mise en scène pour lancer les enquêteurs sur une piste erronée. En vérité, les ennemis de la secte sont intérieurs et très haut placés. Ce pavé sans temps mort, donne également un éclairage intéressant sur le passé du pays, quand dans les années 40, certains politiques locaux trouvaient un grand intérêt à collaborer avec l'Allemagne aryenne.
Et la force du roman réside dans son final, totalement ouvert, avec un sacré challenge à relever pour Beier et Iqbal dans les prochains épisodes.
« Les adeptes » d'Ingar Johnsrud, Robert Laffont, 21 €.

DE CHOSES ET D'AUTRES : Lettre du passé (3/3)

vénus,ille,mérimée,femmes,vengeance,amour
Messieurs, je suis en rage. La leçon racontée dans le récit fantastique que m'a consacré Prosper Mérimée en 1837 ne vous a donc rien appris ? Clairement écrit sur le socle, l'avertissement ne prête pas à confusion : "Prends garde à toi si elle t'aime." Oui, toute femme amoureuse est redoutable. Et jamais au grand jamais vous ne devrez le perdre de vue. Un engagement, on le prend pour la vie. Et en cas de rupture, la mort est au rendez-vous. Nous sommes ainsi, nous, les œuvres d'art : excessives et possessives.
Certes il est difficile de ne pas tomber sous le charme. Presque nue, je dévoile fièrement ma poitrine, des siècles avant la mode du monokini sur les plages de Méditerranée et d'ailleurs. Un simple drap cache le reste de ma nudité. J'attire les regards et ensorcelle. Mérimée le premier a compris la fascination exercée par mes courbes mais aussi mon visage : "Il y a dans son expression quelque chose de féroce, et pourtant je n'ai jamais rien vu d'aussi beau."
Vous savez messieurs que les femmes ne sont pas partageuses. Et malgré tout vous continuez à nous considérer comme des objets, corvéables à merci, carrément jetables après "utilisation".
N'oubliez pas que toute femme est une déesse, ses pouvoirs sont immenses, bien supérieurs à votre stupide force physique. Ne nous faites pas souffrir au risque de tout perdre. Non je ne suis pas de marbre. Au contraire ma chair est de bronze. Ce métal lourd et sombre dont on fabrique aussi les canons. Pas de beauté, mais de destruction massive.
La Vénus d'Ille (P. P. Michel Litout)
Chronique parue en dernière page de l'Indépendant du Midi le mercredi 3 août.

mardi 2 août 2016

BD : Manara soft


Autre dessinateur italien spécialiste des histoires érotiques, Manara est lui toujours actif. Il vient de vendre des toiles de Brigitte Bardot au temps de sa splendeur. Et son œuvre est rééditée dans une collection qui lui est dédiée. Nouvel opus avec ces « Odyssées initiatiques » reprenant « L'homme des neiges » et « L'homme de papier ». Mais attention, ces deux histoires sont excessivement sages. La première, sur un scénario de Castelli, évoque le Yéti. Pas une seule femme à l'horizon. Beaucoup de spiritualité à la place dans cette BD datant de 1979. La seconde histoire, assez déjantée, voit l'apparition d'une indienne peu vêtue, mais rien à voir avec le « Déclic ». Reste de superbes dessins dans les neiges éternelles ou le désert américain.
« Odyssées initiatiques », Glénat, 19,50 €.


DE CHOSES ET D'AUTRES : Lettre du passé (2/3)

homme tautavel, rahan, pokémonGO chasse, catalan
Chers amis, bien des années après mon départ, je vous donne de mes nouvelles. Enfoui dans ma profonde tombe, j'ai beaucoup dormi. Et puis le 21 juillet 1971 la lumière du jour a éclairé mon visage. Si la nature environnante n'a que peu changé, la faune est moins riche. Pas un seul rhinocéros à l'horizon. Pourtant ces bêtes pullulaient au moment de mon arrivée dans la région. Que ne donnerais-je pas pour un bon steak de rhino. Même si mes vieilles dents n'ont plus la résistance nécessaire pour déchirer les chairs juteuses. Élément immuable par contre, l'accueil hostile des hominidés du coin. Ils ne m'ont jamais permis de franchir la rivière. Une frontière qu'ils gardent farouchement contre toute invasion.
Il est vrai que nous, Homo heidelbergensis, sommes originaires de Mauer là-haut dans le Nord. Nous ne portons pas ces étranges coiffes rouges symboles d'appartenance des tribus autochtones, ni ne mangeons comme eux des escargots. Dans leur langage caractéristique ils expliquent que nous ne sommes pas les bienvenus : "Groumpf, ici péica tal'han, pas pour om'doc !".
J'ignore tout de ces "om'doc". Peut-être des Néandertaliens ? Il paraît que finalement ils ont pris le dessus. Du moins c'est ce qu'il semble émerger des discussions autour de moi, même si le sujet indiffère les jeunes qui ont perdu leurs réflexes primitifs de chasseurs. Ces mêmes écervelés ne boudent cependant pas mes conseils lorsqu'il s'agit de capturer leurs Pokémons...
L'Homme de Tautavel (P. P. Michel Litout)
Chronique parue en dernière page de l'Indépendant du Midi le mardi 2 août. 

lundi 1 août 2016

BD : Anita de Crepax, ultra branchée



Guido Crepax a longtemps été le meilleur dessinateur de BD érotique au monde. Ses séries, souvent publiées dans Charlie Mensuel, étaient de véritables odes à la beauté des femmes. Ses séries portaient le prénom de l'héroïne fort dévêtue. Il y a eu Valentina mais aussi Justine, Bianca ou Belinda. Sans oublier Anita dont les quatre albums viennent d'être réédités dans la collection Erotix de chez Delcourt. Anita, secrétaire, est fascinée par la télévision. Le soir, seule chez elle, elle fixe l'écran et plonge dans des rêves érotiques. Elle sera aussi fascinée (et très excitée) par le téléphone ou les ordinateurs à une époque où internet n'était même pas inventé. On admirera le talent de visionnaire de Crepax en plus de son talent de dessinateur absolument sans concurrence quand il s'agit de dessiner une chute de reins ou le galbe d'un sein.
« Anita » (intégrale), Delcourt, 22,95€

DE CHOSES ET D'AUTRES : Lettre du passé (1/3)

perpignan,jaurès,socialiste,loi travail,violence
Chers amis, voilà plus d'un siècle que je suis en vacances prolongées. Contre mon gré. Ce 31 juillet 1914, loin de me prélasser, tout en dînant au café du Croissant, je mettais la dernière touche à un texte essentiel pour la préservation de la paix quand un jeune exalté m'a tué à bout portant. Depuis, la France a subi nombre de guerres. A l'intérieur et hors de ses frontières. Mort en pacifiste, j'ai dû contempler en silence la montée des sentiments belliqueux et la récupération de mon image.
Et l'avenir de mon pays semble bien sombre si j'en crois ce qui s'est passé samedi après-midi au pied de ma statue à Perpignan. Le parti socialiste, dont j'ai fondé la première version, me rend traditionnellement hommage. Arrivent alors des contre-manifestants. Ils se revendiquent eux aussi de mon héritage, pour dénoncer la « loi travail » comme mon combat contre les « lois scélérates » dans les années 1890.
Mes héritiers « officiels », sans doute tourneboulés par ce soleil du Midi qui tape fort en été, plutôt que de tenter de trouver un terrain d'entente, ont choisi la pire des solutions de mon point de vue : la violence. Rien de bien méchant, quelques gifles et bousculades, mais malheureusement le symbole est fort. Comment accorder le moindre crédit à ceux qui se revendiquent de ma pensée s'ils bafouent ce qui m'a permis de rester dans l'histoire de France : une farouche volonté de non-violence ?
A croire que cette gauche que j'ai tant aimée, tant portée et choyée, a fait sienne le slogan de son opposante de droite : « Être la plus bête du monde ». 
Jean Jaurès (P. P. Michel Litout)
Chronique parue le lundi 1er aout en dernière page de l'Indépendant Perpignan. Photo Nicolas Parent