dimanche 10 juin 2012

BD - L'enfance de Jeanne, la pucelle, en bande dessinée chez Soleil


Véritable légende et emblème de l'Histoire de France, Jeanne d'Arc a donné naissance à quantité d'adaptations. Souvent au cinéma, rarement en BD. Fabrice Hadjadj, le scénariste, a choisi de mettre en lumière l'enfance de la célèbre pucelle. Fille de paysan, elle garde des porcs. Est assidue à la messe et ne comprend pas grand chose du conflit entre Bourguignons et Armagnac. La notion de Bien et de Mal est parfois absconse pour une fillette. A l'âge de 13 ans, elle entend pour la première fois les voix célestes de l'archange Saint Michel et des saintes Marguerite et Catherine. Des scènes donnant l'occasion au dessinateur, Jean-François Cellier, de s'affranchir de l'étroitesse des cases. Il utilise toute la planche pour amplifier la grandeur de ces signes divins. Un album à savourer graphiquement. C'est du grand art, décors et tronches secondaires bénéficient du même soin que l'héroïne. Et force est de constater que Jeanne, dans sa simplicité et sa détermination, est d'une rare beauté.

« Jeanne la Pucelle » (tome 1), Soleil, 13,95 €

samedi 9 juin 2012

BD - Une série pour comprendre les malheurs de Kriss de Valnor


Thorgal s'est imposé comme un best-seller de la BD franco-belge. Logiquement, la reprise du scénario par Yves Sente (auparavant directeur des éditions du Lombard) a débouché sur une valorisation de ce monde aux multiples possibilités. Deux séries dérivées ont donc vu le jour. Voici déjà le second tome des aventures de Kriss de Valnor. L'archère, sans cœur et sans pitié, n'a pas toujours été dans cet état d'esprit. On a découvert dans le premier tome son enfance malheureuse, quasiment réduite en esclavage. On la retrouve adolescente, accompagnée de Sigwald, le voleur sans nez. Ils vont construire leur légende de rapines en attaques, volant aux riches, n'épargnant pas toujours les pauvres. Deux êtres libres, sans contraintes ni frontières. Mais le passé va rattraper Kriss. Au détour de ses pérégrinations, elle va retrouver le village de son enfance et sa vengeance sera terrible. 
La légende noire de Kriss de Valnor est en marche. Un album très féminin, donnant des clés au lecteur pour comprendre la mentalité de Kriss. Et pour son physique, on peut faire confiance à Giulio de Vita, le dessinateur...

« Les mondes de Thorgal, Kriss de Valnor » (tome 2), Le Lombard, 12 €

vendredi 8 juin 2012

BD - Pirates contemporains dans "Skipper", nouvelle série de Joël Callède et Gihef


Dans le genre marin aventurier parcourant toutes les mers du monde pour tabasser les méchants, Bernard Prince reste une référence. Mais désormais, le héros de Greg et Hermann a de la concurrence en la personne de Erwann Kerrien. Mais Erwann navigue seul et à bord d'un voilier, le Gecko. Cet ancien sportif de haut niveau a abandonné la compétition du jour au lendemain après un deuil douloureux. Au début de ce premier tome, il est en train de végéter dans les îles grecques, transportant de riches et adipeux Américains de crique en crique pour quelques dollars. Et pour oublier cette déchéance, il boit. Son salut viendra de la femme de Damien Renaud, un reporter indépendant. Cela fait plusieurs semaines qu'elle n'a plus de nouvelles. Il enquêtait au large des côtes de Somalie, la zone maritime la moins sûre du globe. Erwann va accepter de sortir de sa retraite dorée et repart à l'aventure, récupérant au passage un peu de fierté et d'honneur. Histoire très psychologique pour lancer la série. Joël Callède et Gihef, les scénaristes, ne lésinent pas sur le pathos. Un peu de politique et de bagarres complètent agréablement cette BD dessinée par Lenaerts.

« Skipper » (tome 1), Dupuis, 11,95 €

mercredi 6 juin 2012

Roman - Ados hors de contrôle dans "Teenage lobotomy" de Fabien Henrion

Des adolescents deviennent soudainement fous furieux et tirent sur tout ce qui bouge. Drôle d'ambiance dans ce roman de Fabien Henrion.

Roman contemporain américain écrit par un Français, « Teenage lobotomy » pour être encore plus efficace, peut s'écouter avec en fond sonore quelques vieux tubes rock. D'ailleurs, en fin de volume, dans ses remerciements, Fabien Henrion salue The Ramones et The Clash.

Tout débute le jour de Noël. Et risque de se terminer aussi vite. Le héros, Alan Jones, célibataire, la trentaine, en plein repas de famille, s'écroule, la tête dans le cheesecake préparé par sa mère. Un banal infarctus. Brièvement hospitalisé, il va se remettre lentement de ce pépin de santé. Et réfléchir sur sa vie pas toujours très sereine. Alan est photographe. Photographe de charme. Il est expert dans son « art ». Le journal qui l'emploie y trouve son compte.

Dans sa belle villa, une Porsche sur le devant de la porte, il se repose. Limite au maximum les rapports avec ses parents mais accueille régulièrement sa jeune sœur Missy. Si Alan semble impersonnel, un peu passe-partout, ce n'est pas le cas de Missy. Véritable tornade, éternelle étudiante, elle est rebelle et indépendante. Toujours à la recherche de la dernière mode, c'est une pile électrique. Alan a une grande tendresse pour elle. C'est réciproque, mais elle n'a pas encore trouvé le moyen de lui dire...

Jeunes meurtriers

Suivant assidument l'actualité, Alan note une recrudescence de jeunes meurtriers. Adolescent fonçant à contresens sur l'autoroute, tireur dans un centre commercial, suicidaire à la ceinture d'explosif dans un lycée... l'Amérique déraille.

Il a l'occasion de le constater de ses propres yeux lors de vacances dans un palace. Ses voisins, un couple, sont retrouvés assassinés dans le jacuzzi. En compagnie de la police, Alan se rend dans la chambre et constate que « les deux corps avaient fusionnés comme liquéfiés. C'était un spectacle insoutenable, mais je regardai. Leurs attributs sexuels avaient disparu. La poitrine de l'un semblait avoir été découpée. » Qui est le responsable de ce massacre ? Tout accuse le fils, un adolescent retrouvé dormant dans son lit comme si de rien n'était.

Le roman, de plus en plus psychédélique, va alors dévier vers le scandale pharmaceutique. Tous ces adolescents ont un point commun : ils sont traités au Fluvotril, « pilule dite de l'obéissance, une molécule agissant sur le système nerveux et indiquée dans le traitement des troubles du comportement chez l'enfant. » Se transformant en détective (de pacotille), Alan va remonter jusqu'à l'inventeur du Fluvotril.

L'écriture nerveuse de ce premier roman lui donne des petits airs de thriller. Mais Fabien Henrion, journaliste dans l'audiovisuel, a quand même gardé de nombreuses références littéraires françaises. Un mélange de branché et de classique, de moderne mâtiné de références au siècle dernier. Un ovni littéraire, souvent plaisant, parfois déroutant, toujours étonnant.
« Teenage lobotomy », Fabien Henrion, Flammarion, 19 €


dimanche 3 juin 2012

Billet - Du cannibale de Miami au tueur de Montréal : overdose d'images chocs



En une semaine, les faits divers les plus horribles ont déferlé sur internet. Cannibalisme en pleine rue, attaque à coups d'intestins, meurtre filmé... âmes sensibles s'abstenir.

Premier choc avec les images de la vidéo-surveillance de la ville de Miami. Au bord d'une voie rapide, deux hommes nus sont allongés côte à côte. Les policiers se rendent sur place. Demandent à celui de dessus de cesser d'embrasser son compagnon. Mais il ne l'embrasse pas. Il lui mange, littéralement, le visage. Et comme il continue malgré les injonctions des agents, ces derniers mettent fin au festin en abattant le cannibale. Sur les images on ne distingue que quatre jambes nues. Mais on ne peut s'empêcher d'imaginer ce qui est caché. Cauchemars assurés.
Dans le New Jersey, les forces de l'ordre interviennent chez un homme barricadé dans son appartement. Pris de démence, il s'éventre et n'hésite pas à bombarder les représentants de la loi avec des morceaux de ses intestins...
Au Québec, Luca Rocco Magnotta, un ancien acteur porno a filmé l'assassinat d'un de ses amants. La scène s'est retrouvée sur la toile. On le voit poignarder l'homme allongé sur un lit, puis découper ses membres. Pieds et mains reçus par la Poste quelques jours plus tard au siège de deux partis politiques canadiens. Il est en fuite. Peut-être en France. Lui aussi aurait des tendances au cannibalisme.
Parfois, surfer sur Internet c'est trop, beaucoup trop. L'overdose me guette. J'ai besoin de vacances. Rendez-vous en juillet.
(Chronique "ça bruisse sur le net" parue ce samedi en dernière page de l'Indépendant)

samedi 2 juin 2012

Billet - Des psaumes en podcast


L'église catholique est en pointe sur l'utilisation des nouveaux médias. Après les prières sous forme de tweets, voici les psaumes en podcast. Au lieu de faire votre jogging avec le dernier tube de Lady Gaga dans les oreilles, pourquoi ne pas transpirer en écoutant des textes sacrés dits par des comédiens, Michael Lonsdale en tête.

Le premier psaume a été mis en ligne lundi, lendemain de Pentecôte, sur le site « psaumedanslaville.org ». Une initiative que l'on doit aux dominicains de Lille. Le comédien Michael Lonsdale, apparu récemment dans le film "Des hommes et des dieux", pose une voix profonde sur quelques notes de hang, cet instrument de musique inventé en 2000. Il comporte sept ou huit notes dont une fondamentale.

L'idée est venue de réunir comédiens, joueur de hang et psaumes, l'an passé au Festival d'Avignon, après une prestation du comédien Jean-Damien Barbin, professeur au conservatoire de Paris. S'ils s'inscrivent, les internautes reçoivent directement dans leur boîte électronique, trois fois par semaine, le podcast du psaume, ainsi que la méditation d'un prédicateur. Au total, 150 psaumes ont été enregistrés. La moitié ne font pas l'objet d'interrogations philosophiques : dans ce cas, les internautes peuvent laisser leurs propres commentaires sur le blog du site. Précurseurs, les dominicains de Lille s'étaient déjà distingués en proposant depuis dix ans de suivre une retraite « interactive et multimédia » à l'occasion du carême.

(Chronique "ça bruisse sur le net" parue le vendredi 1er juin en dernière page de l'Indépendant)

BD - Enfants kamikazes en l'an 2021


Nous sommes en 2021. Dans moins de 10 ans. A Détroit, devenu territoire autonome, une colonne de blindés s'avance prudemment dans les ruines de ce qui reste de la mégapole américaine. Les militaires ont pour mission de capturer et neutraliser Ike Mercy, le leader de cette ville où la violence et l'anarchie règnent. C'est un guet-apens. Mais la perte de plusieurs unités ne perturbe pas les dirigeants, bien à l'abri dans leur bunker. En fait c'est une diversion pour permettre au véritable commando de pénétrer incognito dans la cité. Ils sont quatre. Quatre enfants aux pouvoirs surnaturels. Seul problème : quand il les utilisent, ils vieillissent très vite. Ce scénario d'apocalypse a été imaginé par Stéphane Betbeder qui, au fil de ses contributions, s'affirme comme une plume prometteuse du monde de la BD. Il s'est adjoint les talents de graphiste de Stéphane Bervas. C'est son premier album mais il est déjà extrêmement efficace. Logique quand on sait qu'il vient du monde des jeux vidéo.

« 2021 » (tome 1), Soleil, 13,95 €

vendredi 1 juin 2012

BD - Soledad est zen dans "Restons calmes !" chez Casterman


Dessinatrice de presse, Soledad Bravi reste des heures assise devant sa table. Mère de deux adolescentes, elle se ramollit, grossit... Une bonne occasion pour reprendre le sport. C'est cette reconquête de son corps qu'elle raconte dans ce recueil de gags et d'histoires courtes. Comment elle a galéré au début, puis ses premières victoires et enfin sa quasi dépendance à la course à pied. Dans le jardin du Luxembourg, elle décrit les habitués, ceux qui friment, ceux qui sont dans leur monde, celles qui font des gestes pour accompagner la musique indispensable à la réussite d'une course. L'autre partie de l'album raconte les rapports conflictuels qu'elle entretient avec ses deux filles, des ados. Fine observatrice, elle n'est pas tendre pour sa progéniture visiblement dotée d'un énorme poil dans la main. C'est tendre, dynamique et toujours positif malgré les prises de tête incessantes. Soledad nous entraîne également en vacances sur la côte basque. Une dernière occasion de se réfugier dans la course à pied quand tout part en sucette...

« Restons calmes ! », Casterman, 15 €

jeudi 31 mai 2012

Billet - Candidats aux législatives et affiches improbables


Vous étiez un peu déçu, l'élection présidentielle, en dehors de Jacques Cheminade, manquait d'originalité. Vous pourrez vous rattraper avec les législatives.

Des milliers de candidats et parmi eux quelques perles. Un site, LOLgislatives 2012 répertorie les affiches les plus décalées. Près de chez nous, en Ariège, la pulpeuse Céline Bara a déjà fait le buzz. Ancienne star du porno, elle regarde l'électeur droit dans les yeux. Lequel (la gent masculine en particulier) aurait plutôt tendance à loucher sur une autre partie de son anatomie parfaitement mise en valeur sur l'affiche...

Pierre Guiraud, lui, n'en est pas à son coup d'essai. Mais cette fois, il a pu se présenter à Lodève dans l'Héraut sous son nom de scène : Pierrot le Zygo. Son emblème, un âne car Pierrot est « têtu comme une mule ! »

Le site LOLgislatives a déniché ces candidats improbables grâce à ses nombreux contributeurs. Philippe Gautry, « candidat loyal » se met en scène tel un James Bond en action avec silhouette féminine sur fond d'Assemblée nationale. Gregory Berthault, écologiste, pose tout sourire avec... un furet dans les bras.

Il y a aussi ceux qui ont un patronyme difficile à porter. Un candidat socialiste nommé Podevyn, prémonitoire même s'il ne se présente pas à Marseille ? L'herbe n'est pas plus verte à l'UMP, Jack-Yves Bohbot brigue un poste de député à Paris.

Martine Croquette, Florence Perdu, Jean-Paul Mordefroid, Annie Fouet... Vous êtes prié de voter, pas de rire bêtement dans l'isoloir !

(Chronique "ça bruisse sur le net" parue ce jeudi matin à la dernière page de l'Indépendant) 

mercredi 30 mai 2012

Roman - Jacques-Pierre Amette et Julie Resa écrivent des histoires de rupture

Quel est le point commun entre une balade romaine et la quête d'une voiture ? Ces deux romans se concluent sur une rupture amoureuse...

Paul est-il le prénom des hommes malheureux en amour ? Paul est journaliste dans « Liaison romaine » de Jacques-Pierre Amette. Paul est informaticien dans « Un enfant ou une voiture » de Julie Resa. Deux personnages masculins principaux, un seul prénom et un statut en commun : abandonné par les femmes de leur vie. Mais si le premier roman, très littéraire, plein de référence à Rome (omniprésente dans cette belle et triste histoire d'amour) laisse un goût amer au lecteur, le second, plus léger et terre-à-terre, se termine par un de ces coups de théâtre que seules les auteurs femmes savent imaginer.

Paul, grand reporter dans un magazine parisien, est envoyé à Rome pour couvrir les obsèques de Jean-Paul II. Il y va en dilettante. La religion l'ennuie, le bal des évêques l'indiffère. Il va imaginer une ferveur dans les rues d'une capitale qui en réalité continue à vivre la « dolce vita » quels que soient les événements.

Ce qui importe à Paul c'est que Constance, sa jeune compagne, le rejoigne. Cela fait huit ans qu'il vit avec elle. Mais la complicité des premiers moments semble s'être érodée. Elle est distante, moins attentive. Paul en a conscience mais ne veut pas voir la réalité en face. Il préfère profiter du moment présent. Et n'hésite pas à déshabiller des yeux les jolies Romaines. Alors qu'il peine à écrire trois lignes sur ces obsèques historiques, il se demande « Pourquoi manquait-il une cloison dans mon espace mental pour marquer la différence entre soucis professionnels et batifolages érotiques ? Pourquoi n'avais-je pas cette paroi étanche – comme tout le reste de l'espèce humaine – qui sépare nettement les pensées divines et les zigzagantes pensées profanes qui s'étendaient comme un brouillard de concupiscence sur tout ce que j'entreprenais ? »

Paul est un doux rêveur. Pourtant il va finir par retomber sur terre. Son papier, mauvais, est refusé. Surtout, Constance lui avoue qu'elle a rencontré quelqu'un d'autre. « Le temps changea, devint profond, noir, ardoisé. Les gargouilles crachotaient de minces filets d'eau dans des vasques nues. J'observais ce jardin comme un versant du paysage destiné à disparaître, un versant de ma vie en train de s'effacer. » Jacques-Pierre Amette donne à son roman plus de profondeur, une grandeur de portée universelle. A cet instant, tout homme délaissé un jour par une femme aimée se retrouve dans ce tournis, cette fragilité.

Notre enfant, ma voiture

Le roman de Julie Resa s'achève lui aussi par le départ de la femme, Babette. Mais cette fois le Paul de « Un enfant ou une voiture » est beaucoup moins à plaindre. Informaticien, il fait en train, tous les jours, le trajet entre Chambéry et Lyon. Il en a assez de perdre son temps dans ces transports en commun toujours en retard. Il décide d'acheter une voiture et sa recherche du bolide parfait va lui faire perdre contact avec la réalité.

Babette, elle, n'a qu'un but : avoir un enfant. Épanouie dans son travail, elle espère cette grossesse. En vain.

Ces deux êtres humains, amoureux l'un de l'autre à la base, vont basculer dans deux obsessions différentes et antinomiques. Julie Resa, avec grâce, humour et brio, va se moquer de Paul, si perfectionniste dans son choix qu'il en oublie de trancher. Babette, dont on comprend le désespoir, va finalement trouver une solution expéditive pour accéder à son Graal.

Un petit roman très actuel, illustrant aussi le calvaire des Parisiens expatriés en province pour un soit-disant confort de vie qui se retourne souvent contre eux.

« Liaison romaine », Jacques-Pierre Amette, Albin Michel, 15 €

« Un enfant ou une voiture », Julie Resa, Buchet-Chastel, 13 €