mardi 11 janvier 2011

Chronique - Nicolas Ier, troisième

Notre « Gigotant Monarque », « Irascible Souverain » ou « Adorable Autocrate » est de retour sous la plume acide de Patrick Rambaud.



Et s'il ne restait au final de la présidence de Nicolas Sarkozy que cette chronique ? A vouloir trop en faire, l'hyperprésident risque le surplace, voire la caricature. Immédiatement après son élection, alors que le naturel revenait au galop (yacht de Bolloré, dîner au Fouquet's) après des années à se façonner une image, en cassant les codes de la Ve République, Nicolas Sarkozy a fasciné une partie des intellectuels français. Parmi eux, Patrick Rambaud s'est placé dans le rôle de l'observateur, sauce pamphlétaire. Cela a donné une « Chronique du règne de Nicolas Ier » devenant un témoignage captivant et désopilant de cette nouvelle façon de faire de la politique. Et Patrick Rambaud, au risque de délaisser son œuvre romanesque en cours, accepta de donner, chaque année, une suite à cette chronique. Il est vrai qu'il ne manquait pas de matière avec l'éviction de l'impératrice Cécilia et l'apparition de « Madame » Bruni.

En ce début 2010, régalons-nous du récit des frasques de notre « Incorrigible Prince », troisième service. Si l'effet de surprise ne joue plus, on lit quand même cette chronique avec un égal plaisir. Patrick Rambaud ne manquant pas d'imagination pour fournir, à foison, des titres de gloire à notre « Intense Timonier ».

On se délecte aussi des portraits qu'il parsème au gré des événements de l'année dernière. Si « Madame » se montre un peu plus discrète, une autre célébrité de la vie politique française est traitée avec tous les égards qu'elle doit à son rang : l'archiduchesse des Charentes. Certains pourraient penser que l'auteur, après avoir étrillé cette droite décomplexée, voulait se payer à moindre frais une gauche moribonde. Mais sa réflexion, tout en étant avant tout comique, ne manque pas de profondeur. Et d'expliquer que ces deux-là s'apprécient car ils ont un point commun : « Ils jouaient une même musique sur les mêmes instruments : « Moi d'abord » était leur devise, pareillement autosatisfaits et contents de soi. »

Comte d'Orsay vs princesse Rama

D'autres ont les honneurs (mais peut-être le regrettent-ils maintenant) de jouer un petit rôle dans la vie de la Cour. La plus mal lotie ? Certainement cette pauvre baronne d'Ati, reine du paraître dont la « fraîche célébrité, loin de lui peser, la ravissait au point d'être devenue un besoin. » Bref, « Madame de la Justice vivait entourée de miroirs. A la clinique, avant d'accueillir ses sœurs ou des proches, elle faisait venir sa maquilleuse. » Bernard Kouchner, le « Comte d'Orsay » est lui aussi sévèrement brocardé, mais pas au niveau du « Chevalier Le Fèbvre », porte parole du « Parti Impérial », « il avait les yeux verts dans un visage gris, le nez en tubercule, les cheveux mi-longs qui rebiquaient en un jeu de mèches mal domestiquées, des grigris au poignet, des vestes en velours de belle coupe et de grand prix. » Son seul but politique : « servir son prince par tous les moyens ». Dans cette galerie sans concession, criante de vérité il faut bien le reconnaître, une seule parvient à sauver sa peau. Il est vrai que la « Princesse Rama » a tenu tête à notre « Asticotant Potentat » refusant de quitter le gouvernement pour aller siéger à Strasbourg. Mais finalement, l'été venu, la princesse Rama « qui n'y connaissait rien en jeux d'équipe, échoua aux Sports en guise de punition. »

Le récit de cette troisième chronique s'achève à l'automne 2009, après la péripétie Hadopi. A n'en pas douter, l'épisode taxe carbone retoquée par les sages du Conseil constitutionnel se taillera un beau succès dans les premières pages de la 4e chronique que l'on attend déjà avec impatience.

« Troisième chronique du règne de Nicolas Ier », Patrick Rambaud, Grasset, 14 €

dimanche 9 janvier 2011

BD - Tuerie finale pour Naja


Dernier acte pour Naja. La tueuse implacable, insensible à la douleur, va enfin connaître pourquoi elle est passée de chasseuse à gibier. Morvan, le scénariste, dans ce cinquième et ultime album toujours dessiné par Bengal, va délaisser l'action pour la psychologie. Naja va découvrir qui tire les ficelles en coulisse, pourquoi les trois meilleurs tueurs de cette organisation criminelle se retrouvent à s'affronter. Un quatrième larron va donner des accents shakespeariens à une BD entre manga extrême et tragédie familiale. L'action, de Barcelone, se déplace à Bruxelles, dans cette enclave bon enfant, écrasée par « l'Union européenne, reine de tous les cynismes. » Naja y retrouve les décors de son enfance perdue dans les limbes de sa mémoire.
« Naja » (tome 5), Dargaud, 13,95 €

jeudi 30 décembre 2010

BD - Petite trolle


Deuxième album des Trolls de Troy de l'année. Cette fois Arleston et Mourier se sont penché sur l'enfance de Waha. Comment cette petite humaine a-t-elle été adoptée par les redoutables Trolls de Phalompe et surtout, qui sont ses véritables parents ? En fait ce 14e titre est en partie composé de gags et d'histoires courtes parus il y a quelques années dans Lanfeust Mag. 

Arleston a judicieusement écrit quelques scènes de raccords avant de délivrer, dans les 20 dernières pages, inédites celles-ci, l'histoire de Waha. Cela pourrait sembler un patchwork un peu bancal, mais au final l'esprit Troll l'emporte. Certains gags sont véritablement savoureux et les révélations sur les parents de Waha vont en étonner plus d'un. Mourier semble dessiner ses personnages avec une facilité déconcertante. 

Arleston n'est toujours pas avare de jeux de mots et situations extrêmes. Une BD qui devrait beaucoup plaire en cette période de cadeaux.

« Trolls de Troy » (tome 14), Soleil, 13,50 € 

mercredi 29 décembre 2010

BD - Le cercueil de glace et les Eternels


Félix Meynet s'est fait une spécialité de dessiner ses héroïnes en petite tenue. Comme elles ne ressemblent pas à la Castafiore, l'effet est bœuf sur les lecteurs sensibles à certaines courbes. Dans cette série, le rôle de la jolie pin-up est tenue par Uma, agent des services secrets des diamantaires. 

Elle partage la vedette avec Elisapie, une jolie Canadienne, métisse d'origine Cris. Le problème, c'est que toute l'action se passe dans la forêt du grand Nord et que les occasions de tomber la doudoune sont assez rares. Qu'importe, Meynet sait rendre ses héroïnes de papier sexy même quand elle sont habillées. 

C'est encore plus facile quand elles doivent revêtir une combinaison de plongée particulièrement moulante... Il ne faut cependant pas croire que cette BD ne vaut que pour les dessins. 

Yann, au scénario, a troussé une bonne intrigue (recherche d'une épave contenant des diamants et deux gamins) mise en valeur par la personnalité d'Elisapie, téméraire, dévergondée et au parler québécois savoureux.

« Les éternels » (tome 6), Dargaud, 13,50 € 

mardi 28 décembre 2010

BD - Tueur absolu


A 80 ans, Jodorowsky n'a rien perdu de sa verve imaginative. Le créateur de l'Incal, de Bouncer ou des Métabarons lance un nouveau personnage comme lui seul sait les présenter. Showman Killer est le tueur absolu, le mercenaire sans cœur, une machine à massacrer qui ne ressent rien. La première partie de cet album de pure science-fiction, dessiné par Nicolas Fructus, présente la création de Showman Killer. 

Un savant fou a collecté du sperme d'un tueur sanguinaire et a fécondé avec une jeune fille de 15 ans. A la naissance, il a tué la mère et élevé l'enfant dans le culte de l'argent et de la violence. Il lui a également donné des pouvoirs exceptionnels pour abattre tous ses ennemis. Arrivé à l'âge adulte, le Showman Killer est engagé dans un tournoi impérial et l'emporte haut la main. 

L'occasion également de prendre sa liberté, trucidant sans hésiter son créateur. Par la suite on découvre la vie du mercenaire, amassant des montagnes d'or en acceptant les missions les plus périlleuses de la galaxie. Une histoire qui deviendra plus universelle et ésotérique avec l'arrivée d'un bébé à sauver.

« Showman Killer » (tome 1), Delcourt, 13,95 €

lundi 27 décembre 2010

Roman - L'âge des vérités

Deux vieillards italiens se retrouvent après un intermède de 60 ans. L'heure des aveux, mais toutes les vérités sont-elles bonnes à dire ?


Une villa cossue isolée, deux hommes âgés, des souvenirs. Ce roman d'Alain Elkann, composé en grande partie de dialogues, est semblable à ces longues rêveries au cours desquelles ont revoit sa vie, tentant de comprendre quand la nostalgie a fait place au bonheur du présent.

Un matin, un vieil homme sonne à l'entrée de la villa Lattes. C'est Vanni. Il vient de s'enfuir de l'hôpital où il était soigné. Il a retrouvé la trace de son ami Mario. Ils ont fait l'armée ensemble. Ils ne se sont plus vus depuis 60 ans. Mario, veuf, vit paisiblement dans cette grande demeure en compagnie de Kemal, son majordome. Vanni, célèbre critique littéraire, semble fatigué. « Ses cheveux blancs et clairsemés étaient ébouriffés, sa barbe rasée à la va-vite. Ses mouvements trahissaient une certaine complaisance pour la vieillesse que Vanni soulignait en effet avec zèle. Cet abandon physique participait peut-être à ses yeux d'une attitude élégante et masculine. »

Le souvenir d'Ada

Mario offre le gite et le couvert à Vanni, en souvenir de cette jeunesse commune alors que le pays était en pleine débâcle. Les Allemands d'alliés étaient devenus des ennemis, ils appliquaient avec rigueur les lois raciales mises en place par Mussolini. Les Juifs, ici comme ailleurs en Europe, étaient déportés vers les camps de la mort. Une période sombre que les deux hommes ont préféré oublier. Mario s'est fondu dans la masse. Il était marié à Ada, « belle, intelligente, nerveuse, mais aussi généreuse, trop généreuse. » Ada est morte, mais elle va rapidement devenir le personnage principal de ce huis clos de plus en plus oppressant. Car Vanni connaissait Ada avant Mario.

Le lecteur ne l'apprend qu'en milieu de roman, quand Vanni, de plus en plus malade, veut faire ses dernières confessions, tant à Mario, qu'aux enfants d'Ada, issus d'un premier mariage. Mario, petit vieillard placide, coulant une paisible retraite, est de plus en plus réticent face à cet envahisseur du passé. Pourtant, les deux hommes, malgré leurs différences, trouvent de plus en plus du plaisir à vivre ensemble. « S'approchant du canapé, Mario regarda Vanni le visage exsangue. Il éprouva un élan de solidarité pour cet homme du même âge que lui si mal en point. »

Le fantôme d'Elena

Ce tête-à-tête va être perturbé par l'arrivée des enfants d'Ada. Ils ont la quarantaine et sont radicalement différents. Tati vit en Suisse, calme et posée, presque froide. Gioacchino s'est installé à Los Angeles. Il est exubérant et collectionne les aventures avec des starlettes de la chanson qu'il lance sur la marché du disque US. Mario, le beau-père, n'a jamais été très apprécié des enfants d'Ada. Par, contre ils vont rapidement tomber sous le charme de Vanni. Ce dernier liera des rapports privilégiés avec Tati, lui confiant un soir de lucidité : « C'est bizarre qu'un homme comme moi, qui toujours méprisé la nostalgie en y voyant un sentiment efféminé, y devienne si sensible au crépuscule de sa vie. »

Ce roman léger, prendra une toute autre tournure quand interviendra le souvenir d'Elena, la sœur d'Ada, disparue durant la guerre, déportée avec son mari juif. Alain Elkann en profite pour raconter ces pages sombres de l'histoire italienne au cours desquelles rares étaient les citoyens irréprochables.

« L'imprévue », Alain Elkann (traduit de l'italien par Alexandre Boldrini), Flammarion, 16 €






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dimanche 26 décembre 2010

BD - La beauté, arme du Mal


La tyrannie de la beauté, de la jeunesse éternelle, de l'apparence est au centre de cet album signé Sandrine Revel. Une dessinatrice surtout connue pour ses productions enfantines (Un drôle d'ange gardien) et qui se révèle passionnante sur un thème semblant lui tenir à cœur. A San Francisco, de nos jours, Eva, femme de quarante ans, est de plus en plus mal dans sa peau. Mariée, en butte à sa fille, ado rebelle adepte du gothique, dépendante financièrement de son mari, elle fait du bénévolat dans une association qui tente de désintoxiquer femmes et hommes dépendants de la sorcellerie. 

Un aspect fantastique du récit totalement banal dans cette réalité imaginaire. Eva va succomber elle aussi aux attraits du Mal. Désirant retrouver sa jeunesse et sa beauté d'antan, elle va tenter de pactiser avec le Diable. Au dernier moment elle s'enfuit, provoquant l'ire d'un démon qui n'aime pas rater un contrat. Cette parabole sur la quête du bonheur et de la beauté, à tout prix, est brillamment menée, dénonçant certains démons à l'aspect très humain officiant dans ces églises vouées à Satan communément appelées cliniques de chirurgie esthétique. 

Sandrine Revel, pour donner encore plus de force à sa démonstration, adopte un trait réaliste très froid et photographique. La filiation avec Chantal Monteiller est évidente, même dans les scènes oniriques.

« Sorcellerie et dépendances », Sandrine Revel, Dupuis, 11,50 € 

samedi 25 décembre 2010

BD - Arzak, le Phœnix


Jean Giraud, alias Gir, alias Moebius est un créateur qui sans cesse a su se remettre en question. Tout en arpentant avec succès les chemins de la BD commerciale (Blueberry, l'Incal) il a conservé l'envie de laisser libre cours à sa main, l'autorisant à tracer des histoires ou personnages issus du plus profond de son inconscient. C'est ainsi qu'est né le Major Fatal ou les personnages d'Arzak. Dans la postface de ce luxueux album il explique qu'en se mettant lui-même en scène dans « Inside Moebius », il s'est retrouvé interpellé par ses personnages. « Et que réclamaient-ils à longueur de pages à mon avatar impuissant ? La vie ! » Arzak est donc devenu l'arpenteur, sorte de justicier de la planète Tassili, chargé de protéger les Wergs et de trouver l'anomalie. Il sera confronté à des chasseurs de primes sans pitié, des rebelles sanguinaires et des fouines des sables agressives. Et sera surtout le personnage central d'un décor magnifique, un désert sans fin, hostile et écrasé de luminosité.

« Arzak, l'arpenteur », Moebius productions et Glénat, 18 € 

vendredi 24 décembre 2010

BD - Amitiés et nombrilisme dans la douleur


Prenez trois femmes, jeunes et mignonnes. Laissez-les cinq minutes ensemble et constatez que, forcément, l'une d'entre elles sera devenue la tête de Turc des deux autres. Cela semble caricatural, c'est pourtant la recette de base des « Nombrils », bande dessinée québécoise écrite par Dubuc et dessinée par Delaf. 

Les deux alliées, ce sont Vicky et Jenny. Sûres de leur charme et de leur atouts physiques (qu'elles mettent en valeur à longueur de journée), elles martyrisent la pauvre Karine, grande, filiforme et un peu empotée. Karine, la victime, véritable héroïne de la BD tant les lecteurs (essentiellement des lectrices...) se reconnaissent dans ses brimades, renoncements et parfois, révoltes contre les deux garces. 

Cette jolie intégrale reprend les quatre premiers tomes parus, notamment celui où Vicky et Jenny se disputent John-John, le motard tout vêtu de cuir noir et qui refuse d'enlever son casque. Mystérieux ou monstrueux ? C'est dans ces personnages hors normes que cette série se démarque de la production sirupeuse de la BD pour filles.

« Les Nombrils, intégrale », Dupuis, 24 €

jeudi 23 décembre 2010

BD - Jeunes et pirates


Tous les genres intéressent Jean Dufaux. Scénariste prolifique, à la formation cinématographique affirmée, il n'est pas étonnant qu'il s'attaque à son tour à un classique : le récit de pirates. Il l'assaisonne à sa sauce, avec évidement quelques jolies filles maltraitées. 

Barracuda n'est pas le nom du pirate mais de son bateau. Un galion mené par le sanguinaire Blackdog et son jeune fils, Raffy, adolescent n'ayant rien à envier à son père côté barbarie. Ils attaquent un navire espagnol, tuent tous les hommes et capturent les femmes et enfants, très recherchés sur le marché prospère de l'esclavage. Dans la cage Maria, jeune descendante d'une grande famille d'Espagne et Emilio, son domestique. Emilia exactement puisqu'il s'est grimé en fille afin d'être épargné. Raffy, Maria, Emilio débarquent sur l'île de Puerto Blanco et vont être séparés. 

Ce sont leurs trois parcours parallèles que Dufaux va raconter dans ce triptyque dessiné par Jérémy, jeune dessinateur réaliste qui s'est formé en coloriant les planches de Delaby.

« Barracuda », Dargaud, 13,50 €