jeudi 4 juin 2020

BD - Une uchronie coluchienne



Nés à Perpignan dans les années 70, les frères Erre occupent depuis une décennie une place importante dans le monde de l’humour et de la dérision. Le plus âgé, Jean-Marcel, a débuté comme romancier. Son cadet de deux ans, Fabrice, tout en enseignant dans divers établissements de la région, a profité de son bon coup de crayon pour multiplier les créations graphiques. Deux Erre (un prof de math tenterait certainement la mauvaise blague de l’Erre au carré), mais un seul album de BD Coluche président (paru hier) pour une première collaboration familiale. Car chacun avait mené son chemin créatif de son côté. 

La véritable élection

Il faut donc cette année 2020 pour qu’ils unissent leurs talents et nous fassent bien rire. Ils ont mis le temps car chacun a débuté en 2006, Démonax, première BD de Fabrice et Prenez soin du chien, premier roman de Jean-Marcel. Cette convergence humoristique est mise au service d’un rigolo de première : Coluche. Jean-Marcel a écrit le scénario et Fabrice dessiné ces histoires complètes autour de la présidence de Coluche. Pas la candidature, la présidence. 



Les deux frères, amateurs de science-fiction et plus particulièrement d’uchronie, affirment dans cet album que Coluche a été candidat jusqu’au bout et l’a emporté haut la main. Personne ne s’en souvient car le Service 444, branche des services secrets chargés de la « réécriture du réel » a mis au point un système « d’hypnose de masse par la télévision ». Alors en historiens de la vérité, ils racontent ce qu’il s’est véritablement passé entre le 10 mai 1981 et le 10 mai 1982. Le dimanche soir à la télévision, sous les yeux ébahis des commentateurs politiques, la photo du vainqueur se dévoile petit à petit. Surprise, il a une plume dans le cul ! Coluche a donc balayé Giscard et prend possession de l’Élysée. Bien décidé à s’attaquer aux problèmes de fond, il décrète en priorité l’instauration d’un « apéro général ».  Première décision et première difficulté car cette décision unilatérale ne plaît pas aux terroristes de l’extrême-centre n’hésitant pas à perturber la tournée générale en scandant ces slogans radicaux : « L’apéro, c’est vulgoss » ou « Tu t’es vu quand t’as bu ! ».

Avec une imagination débordante, mais finalement assez fidèle à ce qu’aurait pu faire Coluche s’il était allé au bout de son projet, on assiste à un conseil des ministres orgiaque où le ministre de l’Intérieur prend son titre au pied de la lettre avec la ministre de la Culture (ou de l’Agriculture, elle ne sait pas exactement). On apprécie aussi au passage la référence à l’An 01 de Gébé. Ce concept imaginé en 1968 dans une BD et un film est mis en pratique par un Coluche aux pleins pouvoirs. Donc, durant quelques jours en France, « On arrête tout et on réfléchit ». Si la première partie est facile à réaliser, la seconde cause beaucoup plus de problème pour quelques corps constitués comme l’armée ou les syndicats…

La satire est violente, les religions ne sont pas épargnées. Mais finalement Fabrice et Jean-Marcel Erre ne donnent pas cher de la présidence de Coluche. Un an pile après son accession à la présidence, il démissionne. La France redevient la nation que l’on connaît actuellement, râleuse en surface, soumise en profondeur. La séquence confinement en est la preuve ultime. Coluche, l’homme à la moto, aurait bien été utile pour nous remettre les yeux en face des trous.

« Coluche président », Fluide Glacial, 12,90 €


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