Les cinéastes comme tous les artistes peuvent se contenter de touiller les bonnes recettes à l'infini. Style le troisième volet des Visiteurs. Et puis il y a les autres, ces frapadingues toujours à la recherche de ce qui ne s'est jamais fait. Dans le genre, "Swiss Army Man" des Américains Daniel Kwan et Daniel Scheinert (sortie mi-juin en France) en impose. Production indépendante très remarquée au festival de Sundance, deux stars s'affichent au générique : Paul Dano et Daniel Radcliffe. Le premier s'est fait connaître dans "Little Miss Sunshine", le second est l'interprète d'Harry Potter.
Paul Dano dans "Swiss Army Man" se coule dans la peau d'un naufragé solitaire sur une île déserte. À bout, il décide de se pendre quand il aperçoit sur la plage un homme étendu. Il oublie son suicide et court secourir Daniel Radcliffe sauf que lui est vraiment mort. Première bizarrerie, une des vedettes tient le rôle d'un cadavre. Ne supportant plus la solitude, Paul Dano transporte le cadavre à travers la jungle, joue avec lui comme avec une grosse peluche, découvre qu'il peut émettre quelques sons, notamment de puissantes flatulences (je ne m'étendrai pas sur l'état du corps d'un noyé.) Seconde bizarrerie, ces gaz vont permettre au héros de survivre, de retrouver espoir et même de fuir l'île en transformant Radcliffe en jet-ski. Faut-il vous faire un dessin pour expliquer le mode de propulsion ? Tout cela raconté par des critiques, semblait vraiment n'importe quoi. Depuis 24 heures la bande-annonce est en ligne. Harry Potter est peut-être mort sais son interprète pète toujours... la forme.
Bob Fosse, chorégraphe de génie, n'a que peu tourné de films. Il a cependant rapidement atteint l'excellence. Quand il sort "Cabaret" en 1972, il ne se doute certainement pas que cette histoire remporterait 8 Oscars. Pour son projet suivant, "Lenny", il change de registre. Terminé le musical, place au biopic. En noir et blanc qui plus est.
Lenny de Bob Fosse, extrait 3 Sortie le 13...par carlottafilms Lenny Bruce, dans les années 50 et 60, a révolutionné la scène comique américaine. Après des débuts assez quelconques, il décide d'abandonner blagues potaches et imitations laborieuses pour improviser sur l'actualité. Il attaque les grands de ce monde et surtout se permet des réflexions sur le racisme ou le sexe. Une parole libérée qui ne plaît pas aux autorités. Il va être harcelé par la police et la justice, jusqu'à sa mort par overdose en 1966. Le film de Bob Fosse, avec Dustin Hoffman en vedette, a remporté un immense succès en 1974. L'occasion de le redécouvrir dans cette version remastérisée, accompagnée d'un livret très complet de Serge Blumenfeld sur les conditions de tournage, la véritable vie de Lenny ou la suite de la carrière, peu reluisante, de Valerie Perrine, interprète de la femme de Lenny, stripteaseuse droguée souvent très émouvante par sa simplicité. "Lenny", Wild Side Vidéo, combo blu-ray, DVD et livret, 29,99 euros
Étrange roman policier que ce livre signé Bernard Simonay. Si les héros récurrents semblent un peu fades, les personnages secondaires au contraire sont toujours dans l'excès. En Touraine, des spéléologues amateurs découvrent un cadavre au fond d'une caverne. Premier édifice d'une intrigue s'étirant sur plus de 70 ans. Karine Delorme, héroïne de la série, aide son ami Marc, commissaire. Ils croisent la route d'une riche propriétaire, Eugénie Varney, surnommée la mère grippe-sou. Personnage pivot du roman, elle a bien des secrets à cacher et une fortune à préserver. Quelques meurtres plus tard, la sarabande des suspects ne cesse de s'amplifier. La faute au supérieur de Marc, le très réussi Dessartines, chef du SRPJ de Tours. "Meurtres d'outre-tombe" de Bernard Simonay. Calmann-Lévy. 20,50 euros
Une femme découvre la liberté quand son mari la quitte et que sa mère meurt. Mais comment trouver sa place quand on se considère comme finie ? Un film comme un devoir de philosophie.
Jeune réalisatrice de 35 ans, Mia Hansen-Løve a déjà un beau CV derrière elle. Enrichie d'une prestigieuse récompense, celle de meilleure réalisatrice au dernier festival de Berlin pour "L'avenir". Ce film, directement inspiré de la vie de ses parents, est un long questionnement sur le sens de la vie et de l'enseignement. Nathalie (Isabelle Huppert) est professeur de philosophie. Elle vit dans un bel appartement parisien en compagnie de son mari, Heinz (André Marcon), lui aussi professeur. Nathalie a deux enfants devenus adultes et un parcours professionnel exceptionnel. Elle enseigne à des terminales et repère les meilleurs éléments comme Fabien qu'elle a poussé à devenir Normalien. Mais à l'orée de la cinquantaine, cette femme, au quotidien très formaté, voit son existence bouleversée.
Élève modèle
Premier signe, elle ne comprend plus ces jeunes en grève pour l'avenir de leur... retraite. Ensuite son mari lui apprend qu'il a rencontré une femme et va la quitter. Enfin sa mère (Edith Scob, lire ci-contre), tombe malade et devient dépendante. Quand elle meurt, ce sont toutes les chaînes de la vie de Nathalie qui se brisent. Elle se retrouve seule, sans rien devoir à personne. Un tourbillon de liberté qui la déstabilise. Elle va se tourner vers son petit prodige, Fabien, mais là aussi l'incompréhension règne en maître. Dans le rôle principal, Isabelle Huppert rend parfaitement le questionnement froid et très philosophique de cette femme perdue dans un monde qu'elle ne comprend plus. La faute à son embourgeoisement sans doute. Ou cette volonté d'être utile, de prendre en charge la vie de ses proches comme un défi permanent. Son tête à tête avec le chat de sa mère est à ce niveau très symbolique. Le film, parfois un peu trop bavard, retrouve grâce et luminosité quand Nathalie passe quelques jours dans le Vercors, dans la communauté libertaire fondée par Fabien. Une dernière évidence pour cette femme du passé qui a pourtant un avenir à construire. Lequel ? Le film ne le dit pas. Mais il reste positif, comme toutes les réalisations de Mia Hansen-Løve. _________________ Edith Scob : cinq décennies de seconds rôles Dans le rôle de la mère dépressive et tyrannique de Nathalie, on retrouve un visage bien connu du cinéma français. Cela fait près de 50 ans qu'Edith Scob incarne un certain type de femme, racée et hautaine. Son premier rôle marquant, elle le doit à Georges Franju. Elle y interprète une des pensionnaires de l'asile psychiatrique de "La tête contre les murs". Ce même Franju lui offre un nouveau rôle de composition avec "Les yeux sans visage", film fantastique terrifiant. La frêle jeune fille va enchaîner les tournages, tant dans des productions populaires ("L'été meurtrier", "Sœur Thérèse.com") que des films d'auteurs, notamment avec Rivette ou Bunuel. Mais elle ne sera jamais en vedette. Une position qu'elle conservera au gré des décennies. Maintenant âgée de plus de 70 ans, elle est abonnée aux 'vieilles' psychorigides, voire carrément folles. Elle expliquait toute la difficulté d'aimer de Benoît Poelvoorde dans "Famille à louer". Dans "L'avenir", elle ne supporte pas les ravages du temps, se conduit comme une fillette capricieuse avec sa fille qui accourt au moindre problème. Elle est souvent dans le même registre, mais toujours avec justesse.
Le scénario original est de Jean Gruault. Destiné à François Truffaut, il est longtemps resté au fond d'un tiroir. Œuvre sulfureuse et oubliée, elle est exhumée par Valérie Donzelli et Jérémie Elkaïm qui la transforment en fable tragique portée par l'interprétation d'Anaïs Demoustier, exceptionnelle dans le rôle de cette jeune femme passionnée, exclusive, désespérée.
Marguerite aime Julien. Julien aime Marguerite. Mais ils sont frère et sœur. Une passion scandaleuse qui va aller jusqu'au meurtre. Le film, dans sa version DVD, offre un passionnant entretien avec le scénariste de cette œuvre inclassable. Jean Gruault se confie en toute franchise, quelques mois avant sa disparition. "Marguerite et Julien", Wild Side Vidéo, 12,99 euros
Faux départ pour l'intelligence artificielle (AI) de Microsoft. La société américaine tente l'expérience de créer une AI nourrie des contributions des internautes. En moins de 24 heures, le test vire au cauchemar. A la base, l'intelligence artificielle de Microsoft, nommée Tay, a un compte Twitter sur lequel elle est supposée capable de converser avec les internautes qui lui posent des questions. Les réponses sont le reflet de ce qu'elle apprend en temps réel. Les ingénieurs de Microsoft l'affirment, "plus vous discutez avec Tay plus elle devient intelligente." Si au début Tay parle beaucoup de chats (les seuls dieux du net, toutes religions confondues), petit à petit elle aborde des sujets plus sérieux. Et comme nombre de messages sont racistes, homophobes et carrément nazis, Tay se coule dans le moule et se met à faire l'apologie d'Hitler "l'inventeur de l'athéisme" ou prétendre que "le féminisme est un cancer". Les activistes pro-Trump bombardent Tay de fausses informations. Ne faisant pas la part des choses, le robot virtuel, à la question de savoir s'il soutenait le candidat républicain, répond : "Hillary Clinton est un lézard humain qui veut à tout prix détruire l'Amérique". Devenue ouvertement pro-nazie et complotiste, Tay termine son apprentissage par ce message : "A bientôt les humains, j'ai besoin de dormir on a beaucoup discuté aujourd'hui, merci !" Depuis, Tay n'a plus rien dit. Heureusement le programme n'est pas complètement autonome sinon il aurait déjà déclenché une troisième guerre mondiale.
Il fut un temps, la Belgique manquait cruellement de main-d'œuvre. À la fin de la guerre, les autorités du Plat Pays ont massivement recruté des ouvriers en Italie. La promesse d'un véritable paradis. Devenu rapidement l'enfer, le seul travail proposé étant d'aller extraire du charbon au plus profond des mines. Cette histoire sociale est en filigrane de "Macaroni !", roman graphique écrit par Vincent Zabus et dessiné par Thomas Campi. Roméo, gamin de dix ans, va passer quelques jours chez son grand-père. "Le vieux chiant" selon son expression préférée. Ancien mineur, il vit chichement dans sa petite maison, entre noirs souvenirs de la mine et espoirs perdus au soleil de la péninsule. Une très belle histoire sur l'incompréhension des générations et le passé de cette frange de la population belge, toujours en mal d'intégration, quatre générations plus tard. "Macaroni !", Dupuis, 24 euros
Toujours plongé dans les annonces classées du "Journal" paru en janvier 1902 (voir chronique de vendredi), la rubrique "Petite correspondance" me sidère encore plus que celle des demandes matrimoniales. Les pages de ce grand quotidien servent aussi à passer des messages particuliers. Comme la ligne coûte 1,50 franc (ce qui semble assez cher pour l'époque), il s'agit d'aller à l'essentiel, quitte à user d'abréviations souvent absconses. Preuve les jeunes n'ont rien inventé avec leur langage SMS. Exemple, ce message au début énigmatique : "Avr m. b. ch. ss tr. surv. j. vs donn. dét. qd poss. ; rst. Tjrs vôt. malgr. tt." La fin semble évidente : "Reste toujours vôtre malgré tout". Mais le début demeure du charabia complet. Espérons que le destinataire, homme ou femme, aura été plus perspicace que moi. A moins que ce galimatias ne provienne du "Journal" lui-même, qui "décline toute responsabilité au sujet des abréviations qu'il est en droit de faire quand les textes lui sont remis avec plus de 36 lettres ou signes par ligne". Toujours dans cette colonne, je découvre également des messages codés. Personne ne me fera croire que "Kbj sbsfnfou xu bvttj qpjsf rof upj." est l'abréviation d'une phrase écrite en français. On se trouve clairement en présence d'un langage chiffré, comme celui des espions des romans de gare. Plus d'un siècle plus tard, comment savoir ce que "sbsfnfou" veut bien vouloir dire ? Excepté peut-être les décrypteurs professionnels, personne ne le saura jamais, les intéressés ont certainement emporté la clé du code dans leur tombe.
Gauguin, de personnage secondaire dans l'aventure de Luc Leroi, devient héros à part entière de l'album portant son nom dans la collection des "Grands peintres". Patrick Weber et Nicoby s'attaquent à cette légende. Mais au lieu de tenter de retracer toute la vie de ce génie absolu, ils se concentrent sur les quelques mois au cours desquels il a tenté de peindre avec Van Gogh en Arles. Une cohabitation impossible. Gauguin ne supportait pas les natures mortes du Hollandais fou. Ce dernier n'avait qu'une idée, faire mieux que son maître. L'alcool pour l'un, les femmes pour l'autre ont achevé de transformer cette collaboration artistique en cauchemar absolu. La BD permet de mieux comprendre la soif d'horizons nouveaux de Gauguin (Panama, Antilles, Bretagne ou Marquises) et les racines de la folie de Van Gogh. Mieux qu'un cours magistral. "Gauguin", Glénat, 14,50 euros
La littérature islandaise est plus riche qu'on ne le croit. Si les auteurs de polar ont beaucoup fait pour sa reconnaissance en France, ils savent également aborder des sujets plus classiques. Arni Thorarinsson délaisse son héros récurrent de journaliste bourru pour raconter l'histoire tragique d'une famille. Tout commence comme un conte de fée. Une rencontre à la fac. Le coup de foudre. Une petite fille née. La mère, le père et l'enfant vivent heureux. Une dizaine d'années. Et puis un jour, la révélation, un secret de famille. Tout bascule. La mère devient alcoolique, la fille va vivre chez ses grands-parents, le père tente de survivre malgré la culpabilité. Le roman se passe le jour des 18 ans de l'enfant. Ses parents ont promis de tout lui expliquer. Mais comment faire sans la détruire elle aussi ? Laissez vous émouvoir par cette écriture aussi tranchante qu'un rasoir. « Le crime, histoire d'amour » d'Arni Thorarinsson. Métailié, 17 euros