jeudi 20 octobre 2016

Nouvelles : De petits bouts de Jean Teulé

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Les romans de Jean Teulé ne sont jamais épais. L'auteur maîtrise l'art du court et direct. Il applique cette méthode à ses nouvelles, signant un recueil où chaque texte ne dépasse pas les cinq pages. Sortes de chroniques du quotidien, cela va du portrait intimiste, à la fausse BD en passant par le poème raturé. Il se livre aussi, comme cette histoire de vieille maison bretonne, se transformant, le printemps venu, en lupanar à plumes. Et puis au détour de ces textes, il y a le témoignage du fils de Philippe Bertrand, dessinateur décédé en 2010. Un dialogue fort et optimiste, des clés pour mieux accepter la mort et l'absence d'un être aimé.
« Comme une respiration », Jean Teulé, Julliard, 17,50 euros

mercredi 19 octobre 2016

Livre : Mickey décortiqué

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Ambitieux livre que cette « Face cachée de Mickey Mouse » de Clément Safra. Ce spécialiste du cinéma hollywoodien va beaucoup plus loin que l'analyse de l'animation ou des évolutions graphiques de la célèbre souris imaginée par Walt Disney. Dans ces 200 pages richement illustrées, il aborde des thèmes plus spécifiques et pointus comme sa comparaison avec des acteurs de chair et de sang ou l'anthropomorphisme de cette Amérique animée. En réalité, ce livre nous apprend aussi que la carrière de Mickey est relativement brève. Héros de films courts destinés à être diffusés en ouverture des long-métrages, il n'a jamais eu son grand film à lui. Une volonté de Walt Disney, selon l'auteur, qui a préféré conserver sa « mascotte » comme symbole de sa société de production. Et c'est vrai qu'aujourd'hui, Mickey n'est plus qu'un Logo formé de trois cercles qui nous fascinent.
« La face cachée de Mickey Mouse », éditions Vendémiaire, 25 euros


mardi 18 octobre 2016

Cinéma : La toubib et « La fille inconnue »

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Parfois, on se demande vraiment si le jury du festival de Cannes a bien vu les mêmes films que ceux qui depuis quelques semaines sont à l'affiche dans les salles. Rien pour « Toni Erdmann », rien pour les acteurs de « Juste la fin du monde », rien pour « Aquarius ». Trois excellents films comme on en voit rarement. Et un quatrième grand oublié sort ce mercredi avec « La fille inconnue » des frères Dardenne. Ils auraient largement mérité une quatrième palme. Et Adèle Haenel un premier prix d'interprétation. Mais comme les trois autres films, à l'arrivée, « La fille inconnue » n'a rien obtenu... Franchement incompréhensible tant ce film d'une tension perpétuelle prend aux tripes.
Jenny Davin (Adèle Haenel), médecin généraliste remplaçante, découvre son métier dans un petit cabinet de Liège en Belgique. Le soir, harassée, quand on sonne au cabinet une heure après la fermeture, elle ne va pas ouvrir. Et interdit à son stagiaire Julien (Olivier Bonnaud) d'y aller.
Le lendemain, des policiers sont devant son cabinet. Ils veulent récupérer les images de la caméra de vidéosurveillance de l'entrée du cabinet. Une jeune femme a été retrouvée morte de l'autre côté de la rue. La tête fracassée sur un bloc de béton au bord du canal. Jenny découvre avec effarement que c'est elle qui a sonné la veille. Sur les images, la fille inconnue est en panique, comme poursuivie. On ne voit pas la cause de sa terreur. Prise d'une culpabilité à rebours, Jenny va tout faire pour que l'inconnue ait une sépulture descente. La police n'a aucun indice. L'enquête piétine. Alors la jeune médecin va interroger tous ses patients pour finalement trouver un embryon de piste. Le film, social, forcément social avec les Dardenne, est pourtant construit comme un thriller. Mensonges, intimidations, Jenny joue un jeu dangereux. Mais c'est le prix à payer pour qu'elle retrouve une dignité et confiance en soi. Le travail de l'actrice principale est remarquable. Elle porte tout le film sur ses interrogations, doutes et envie de vérité. Cassante au début du film (notamment avec son stagiaire), elle s'humanise et découvre le véritable pourquoi de sa vocation.


lundi 17 octobre 2016

BD : Braquage poétique

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Si vous feuilletez par hasard l'album "Je viens de m'échapper du ciel" par hasard dans une librairie vous avez de fortes chances de penser que ce roman graphique en noir et blanc est dessiné par Munoz. Poe, le loser qui gravite dans ces nouvelles de Carlos Salem, ressemble étrangement à Alack Sinner. Pourtant l'album est de Laureline Mattiussi, une dessinatrice française qui manie le noir et blanc avec une rare virtuosité. Poe est amoureux de Lola. Mais il passe ses nuits avec une sorte d'ange. Ou un fou barbu. Imaginaires. Mais en réalité il est avec Harly, gangster de son état. Casses manqués, beuveries, délires paranoïaques : l'univers de cette BD est un peu policière et beaucoup poétique. Ou l'inverse. A vous de voir...
« Je viens de m'échapper du ciel", Casterman, 18,95 euros


dimanche 16 octobre 2016

BD : "Vertigo", vengeance entre gangs

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Si l'action de "Vertigo", histoire complète de 80 pages, se déroule essentiellement à Caracas au Venezuela, l'origine des problèmes du personnage principal, Samuel Santos, vient du Salvador, 14 ans auparavant. Santos, devenu avocat, défend les squatteurs de la tour David, haute de 45 étages et inachevée depuis des décennies. Avant cette existence 'normale', il était membre d'une mara, un gang, au Salvador. Le récit, se déroulant sur deux époques, raconte cette histoire de vengeance différée et d'espoir de renouveau. Car en quittant le Salvador, Santos a laissé un bébé. Est-ce son fils qui vient d'être emprisonné pour meurtre ? Écrite par Nathalie Sergeef, cette histoire âpre et violente est mise en images par Bufi, dessinateur italien maniant à la perfection le réalisme pur et dur.
"Vertigo", Le Lombard, 14,99 euros


samedi 15 octobre 2016

BD : Les gangsters à la papa


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Du polar rural : le "Mort aux vaches" de François Ravard et Aurélien Ducoudray est de cette veine malheureusement un peu en perte de vitesse. Quatre truands braquent une banque. Quelques millions de francs, car cela se passe dans les années 90. Pour se faire oublier, ils veulent passer un mois au vert, dans la ferme d'un cousin de Ferran, un des quatre pieds nickelés. Ce dernier est accompagné par José, son complice et amant depuis 20 ans, Cassidy, belle et impudique et de Romu, un gaillard, culturiste dopé aux protéines. Normalement ils devraient cultiver une certaine discrétion. D'autant que la famille de Ferran ne sait pas pourquoi ils viennent en "vacances" dans cette exploitation agricole spécialisée dans les races à viande. Mais avec Cassidy, difficile de ne pas être vite en vedette. En une journée elle parvient à attirer les regards des veilles acariâtres du cru, des gendarmes et des prostituées roumaines. Bref, le mois va se résumer en 48 heures très animées. Des dialogues succulents, un peu à la Audiard, des décors entre beauté champêtre et puanteur du fumier et de sacrés personnages : "Mort aux vaches" est idéal pour les lecteurs amateurs d'ambiance vintage.
"Mort aux vaches", Futuropolis, 19 euros

vendredi 14 octobre 2016

DVD et blu-ray : Saga coloniale asiatique

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Certains films méritent d'être oubliés. D'autres de rester dans nos mémoires et de profiter des dernières avancées technologiques pour être restaurés et proposés au public sur des supports dignes de leur grandeur. Parfait exemple avec « Indochine » de Régis Wargnier sorti en 1992. Ce n'est pas très ancien, mais la technique de reproduction a tellement évolué ces 5 dernières années, que ce chef -d'oeuvre devenait impossible à regarder sur un simple DVD. Sa restauration et duplication sur blu-ray, en format 4K (soit aussi bon qu'au cinéma), rend parfaitement hommage à ce spectacle de la France coloniale en plein déclin. Paysages grandioses, reconstitution pointilleuse de l'Indochine des années 30, acteurs au sommet de leur art, particulièrement Catherine Deneuve, on est fasciné par l'histoire de Camille (Linh-Dan Pham), la princesse rouge, héroïne de la libération du Vietnam, symbole de cette élite indochinoise préférant la liberté au pouvoir sous contrôle offert par la Métropole.
On retient aussi du film le rôle sur mesure du directeur de la sécurité pour Jean Yanne, toujours excellent quand il endosse la peau d'un immonde salaud. Vincent Perez, en jeune militaire exalté devenu père sacrificiel est un peu moins crédible. Mais il apporte cette fougue et jeunesse, symboles d'une génération lasse des rigorismes de l'époque. Mélodramatique et historique, « Indochine », film à très gros budget pour l'époque, a eu un immense succès en salles lors de sa sortie. Public au rendez-vous, critique aussi puisqu'il a raflé cinq César et surtout l'Oscar du meilleur film étranger en 1993. Et la sortie en blu-ray s'accompagne d'une reprise au cinéma dans quelques salles à partir de mercredi prochain.

« Indochine », Studiocanal, blu-ray (version restaurée), 24,99 euros


jeudi 13 octobre 2016

Cinéma : La famille libre et sauvage du "Captain Fantastic"

Vivre en autarcie au cœur des forêts du nord-ouest de USA : la famille de Ben Cash, le « Captain Fantastic », est en marge. Père autoritaire, il doit faire face à une révolte de ses six enfants.
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Il y a deux moments clés dans « Captain Fantastic » de Matt Ross. Deux cérémonies d’obsèques diamétralement opposées. La première, dans une église est d’un sinistre absolu. Normal pour un enterrement. Sauf quand la personne décédée a spécifiquement précisé avant sa mort qu’elle voulait une cérémonie joyeuse et festive. La seconde cérémonie, d’un tout autre genre, est emblématique de ce film particulièrement émouvant. Pour cette scène, et bien d’autres avant et après, il faut absolument le voir, s’en imprégner, réfléchir sur notre vie, notre quotidien. Œuvre de salubrité publique, d’intelligence et de liberté, il donne une autre vision de l’Amérique, pas celle de Trump ni de Clinton, plutôt la tendance Bernie Sanders mâtinée d’un peu de préceptes libertariens.
■ Des livres et un tipi
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Les premières images de « Captain Fantastic » font un peu penser à l’histoire de « L’enfant sauvage ». Dans une forêt, un jeune homme tue une biche sous les yeux de ses frères et sœurs, dissimulés dans la végétation. Ce n’est pourtant pas un enfant sauvage mais toute une famille qui vit ainsi, dans un tipi, sous les arbres, loin de la civilisation de consommation. Pas de télévision mais beaucoup de livres. Pas de conserves mais un jardin bien entretenu. Cette utopie est possible grâce à Ben (Viggo Mortensen), le père de Bo, Kielyr, Vespyr, Rellian, Zaja et Nai. Six enfants, mais pas de mère. La compagne de Ben, maman de ces six gamins de 17 à 8 ans, est malade. Hospitalisée dans une grande ville du sud du pays, près de ses parents, riches bourgeois, elle est absente. Elle manque aux enfants. Aussi quand Ben et Bo descendent au village se ravitailler et relever leur courrier, il leur tarde d’avoir des nouvelles. Mauvaises nouvelles. Ben annonce qu’elle est morte. Elle a mis fin à ses jours. Mais que la vie continue. Décidés à rendre un dernier hommage à cette maman aimante malgré ses sautes d’humeur, les six jeunes font le forcing pour aller aux obsèques. Refus de Ben dans un premier temps. Mais il cédera, toujours désireux d’apporter le meilleur à ses enfants. A bord de Steve, bus scolaire transformé en gros campingcar, ils partent vers la civilisation, cette Amérique que Ben rejette, que les enfants ne connaissent presque pas. La confrontation entre les deux mondes est source de nombreuses scènes comiques.
De la tentation des hamburgers aux jeunes filles en fleurs en passant par les jeux vidéo, Ben devra se battre pour maintenir un certain état d’esprit et conserver la garde de ses enfants face aux manœuvres procédurières des grands parents (Frank Langella et Ann Dowd). Et dans l’adversité, la famille sauvage se fissurera mais parviendra encore à trouver un terrain d’entente pour qu’une fois de plus la raison et l’intelligence l’emportent. Tel est le message de tolérance de « Captain Fantastic ».
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Viggo Mortensen totalement dans le rôle
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Dans le rôle du père et récent veuf, Viggo Mortensen livre une performance de très haut niveau (une nomination aux Oscars est le minimum syndical). L’acteur, rendu si célèbre après son rôle d’Aragorn dans «Le seigneur des anneaux», a pourtant une longue et très diversifiée carrière derrière lui. Il a débuté avec Woody Allen et portait, il y a un peu plus d’un an, le film «Loin des hommes» sur le dilemme d’un instituteur français en pleine Algérie insurrectionnelle. Dans Captain Fantastic, l’athlétique acteur américano-danois n’a pas eu à beaucoup forcer sa nature pour devenir un homme des bois. « Je n’ai pas eu à lire des tonnes de manuels sur la vie en forêt ou en milieu naturel pour me sentir à l’aise sur le tournage, explique-t-il dans des notes de productions. J’ai vécu au nord de l’Idaho, dans un lieu qui ressemble assez à celui où vit la famille Cash au début du film. » Il a même préféré vivre dans la cabane du décor plutôt que dans le confort de l’hôtel réservé à son nom. Et de préciser « J’ai apporté beaucoup de plantes pour le jardin à côté du tipi. J’aime proposer des objets personnels qui semblent coller à l’univers du film. » Bref, un rôle sur mesure qu’il ne pouvait pas refuser.

DE CHOSES ET D'AUTRES : Vertiges


tour
Impossible pour les gens comme moi qui souffrent du vertige de comprendre l'envie de certains de construire des tours de plus en plus hautes. Dubaï qui abrite déjà le Burj Khalifa, le plus haut gratte-ciel du monde (il culmine à 828 mètres), vient de lancer cette semaine la construction annoncée comme la plus haute du monde. L'émirat n'a pas révélé sa hauteur exacte mais elle sera comprise entre 950 et 1100 mètres. Ce n'est pas de l'approximation (je n'accorderai aucune confiance à un architecte qui élabore ses plans avec un pourcentage d'erreur comme pour un vulgaire sondage) mais un secret face à la concurrence. Si moi j'ai le vertige (pas pu dépasser le second étage de la tour Eiffel) les rois du pétrole eux aiment contempler leur désert de haut, de très haut. Dubaï, fier de ses records d'altitude, doit se méfier de l'Arabie Saoudite. Cette autre puissance pétrolière a lancé la construction à Jeddah, ville portuaire sur la mer Rouge, d'une tour qui doit elle culminer à plus d'un kilomètre de hauteur.
Le souci des tours c'est qu'elles peuvent s'écrouler. Comme potentiellement tous les bâtiments en cas de séisme. Mais depuis le premier étage de ma maison de village je tombe de moins haut. Cela suffit à me rassurer. Et explique pourquoi jamais, au grand jamais, je n'imiterai ces milliers de touristes qui feront le déplacement, juste pour un point de vue de quelques minutes.

mercredi 12 octobre 2016

Rentrée littéraire : L'enfance massacrée de Gaël Faye

Gabriel, 10 ans, a tout pour être heureux : famille aimante, copains. La guerre va tout bouleverser.


Le livre dont tout le monde parle en cette rentrée littéraire, « Petit pays » de Gaël Faye est un premier roman. Il est nominé dans quasiment tous les prix et ses ventes décollent. Un engouement général rarement constaté. Presque une autobiographie, l'histoire de Gabriel, petit franco-rwandais vivant au Burundi au début des années 90, a beaucoup de points communs avec la propre enfance de l'auteur. La première partie du roman a parfois des accents pagnolesques. Gabriel, avec ses meilleurs amis, jouent dans les terrains vagues, s'inventent des aventures au volant d'un combi abandonné, chapardent des mangues qu'ils revendent ensuite aux résidents de leur quartier, relativement aisé. Cela paraît presque trop beau. Mais très touchant aussi quand il raconte le repos des petits voleurs « Nos mais étaient poisseuses, nos ongles noirs, nos rires faciles et nos cœurs sucrés. C'était le repos des cueilleurs de mangues ».
gaël Faye, burundi, rwanda, hutus, tutsis, grassetOn se croirait presque dans la Guerre des boutons, version africaine. Mais la guerre, la craie, va s'inviter dans ce paysage idyllique. D'abord au Rwanda puis au Burundi. Tueries, massacres : les jeux vont tourner à l'aigre. Et c'est dans cette bascule que Gaël Faye marque le plus de points.
En racontant les angoisses de Gabriel il explique comment la peur et la folie meurtrière deviennent le quotidien. Pour Gabriel cela se traduit par d'étranges rêves, entre sécurité et cauchemar, « J'ai rêvé que je dormais paisiblement, en suspension dans un petit nuage douillet formé par les vapeurs de soufre d'un volcan en éruption. »
La suite du roman, après ces passages bucoliques, sont d'une dureté incroyable. Quand Gabriel va à l'école il peut assister presque quotidiennement à des exécutions sommaires ou des lynchages en public. Au bord des routes, les cadavres pourrissent dans l’indifférence générale. Rwanda et Burundi, pays déchirés depuis des décennies par une rivalité entre ethnies (tutsis contre hutus) se transforme en champ de bataille. Une exilée, quand elle revient au pays constate, amère, que « le Rwanda du lait et du miel avait disparu. C'était désormais un charnier à ciel ouvert. »
Exceptionnel par sa force, le témoignage de Gaël Faye vous prendra aux tripes jusque dans les ultimes pages. Un dernier chapitre coup de poing transforme ce roman en véritable chef d'oeuvre
« Petit pays » de Gaël Faye, Grasset, 17 euros (Photo J.-F. Paga)