dimanche 18 septembre 2011

BD - Les vampires sont résistants, notamment le Dracula de Dufranne et Kowalski

Bram Stoker fait partie de ces œuvres qui, comme son héros, semble éternelle. Les adaptations sont nombreuses et une suite a même été éditée récemment. Dacre Stoker, l'arrière petit-neveu du créateur du maître des vampires a prolongé cet univers pour les éditions Michel Lafon et ces dernières, en association avec Casterman, proposent une adaptation en BD. Michel Dufranne s'est chargé du scénario et Kowalski, graphiste polonais, assure les dessins. 

L'action se déroule en 1912. Cela fait 25 ans que Dracula a été vaincu. Ceux qui ont mis fin aux agissements du prince de la nuit sont inquiets : de nouveaux vampires semblent vouloir faire régner la terreur. De la Provence à Londres en passant par Paris, de ravissantes et néanmoins redoutables femmes vampires vont tenter de tuer les protagonistes de l'époque (du psychiatre au notaire) et leurs descendants. Seule Mina sera épargnée. Mina, toujours aussi belle et n'ayant pas pris une ride.

Du sang, du sexe, de la folie, le tout parfaitement dessiné : les amateurs seront aux anges.

« Dracula l'immortel » (tome 1), Casterman, 12,95 € 

vendredi 16 septembre 2011

Roman - Dans « Brut » de Dalibor Frioux et « Mondial Nomade » de Philippe Pollet-Villard, notre futur proche est sombre, très sombre.

Deux romans français abordent, indirectement, la crise économique qui secoue le monde occidental. Ce n'est pas à proprement parlé de la science-fiction, mais une réalité sinistre et pourtant très vraisemblable. Celle que nous préparons à nos petits-enfants. Épuisement des ressources pétrolières ou délocalisations à outrance : ces romans pourraient nous faire ouvrir les yeux et réagir avant qu'il ne soit trop tard.


La Norvège était à la Une de l'actualité cet été. Un fou extrémiste, en tuant des dizaines de jeunes militants, a braqué les projecteurs du monde entier sur ce petit royaume pourtant béni des dieux. Béni car regorgeant de pétrole dans ses eaux territoriales. Ce pétrole, les richesses qu'il induit et la pollution qu'il provoque sont au centre du roman « Brut » de Dalibor Frioux. Un premier roman de près de 500 pages, dense et foisonnant, où le premier effort du lecteur est de se mettre dans la tête de ces personnages qui trouvent normal d'être immensément riche sans avoir à faire le moindre effort. Il y a Sigrid, la fille de Katrin, ancien mannequin. Belle et intelligente, elle va intégrer la principale banque du royaume grâce à l'appui de son oncle Kurt, le vice-président.

Kurt est de loin le personnage le plus complexe, le plus fascinant de ce roman. Agé de plus de 60 ans, il envisage de profiter encore au maximum de la vingtaine d'années qui lui reste à vivre. Son grand but est d'intégrer le comité du prix Nobel. Il juge les gens, intrigue, donne des ordres et place ses hommes. Le prototype même du grand bourgeois décideur, toujours sûr de lui, ne concevant pas que les choses ne se déroulent pas comme il le prévoit. A l'opposé, Henryk est un jeune philosophe. Amoureux de Sigrid, il est à la tête du fond d'éthique. Ce fond est le trésor du pays. Quand les premiers pétrodollars ont inondé la Norvège, il a été mis en place pour capitaliser ces millions. Puis ces milliards. Conséquence, tous les Norvégiens, en théorie, sont immensément riches : « On ne parlait pas de personnes démesurément riches, mais d'un pays tout entier ; non plus de richesses disponibles à l'échelle d'une vie humaine, mais sur des générations. On ne parlait plus d'une aubaine, d'un trésor trouvé au fond du jardin, mais de l'équivalent de centaines de millions d'heures de travail du royaume tout entier, déposées chaque mois à leurs pieds. Peut-être était-ce la raison pour laquelle tous ces jeunes mourraient avant l'âge. » Car la Norvège, dans ce futur proche, souffre d'un mal nouveau, une « épidémie de mortalité » comme la nomment certains commentateurs. Un pays en pleine période électorale. Les électeurs vont élire les députés, mais également le couple royal. Les conservateurs risquent de perdre le pouvoir au profit des nationalistes. Malgré le mur qu'ils ont construit tout autour du pays (pour empêcher les invasions de rats...), la découverte de nouveaux champs pétroliers et le renvoi de milliers d'étrangers chez eux. Le pays décrit par Dalibor Frioux semble presque exister. Paradis pour certains, c'est un drôle d'enfer qui se profile pour d'autres.

Garde meuble

La crise économique est beaucoup plus grave dans le roman de Philippe Pollet-Villard. Le capitalisme triomphant a découvert que les délocalisations permettent de multiplier les profits. La différence c'est que les usines déménagent vers l'Asie ou l'Afrique, avec les ouvriers français et leurs familles. La seule solution pour garder son emploi, c'est l'exil. Jean-Charles Rem, entrepreneur, a flairé le bon filon. Il va implanter un peu partout le long des autoroutes des entrepôts où, pour un prix modique, on peut laisser ses meubles personnels. Car les départs ne sont que provisoires. A la base... C'est « Mondial Nomade ».

Rem, à l'heure de la retraite, revend l'entreprise au fils du président qui va s'empresser de transformer les entrepôts en prisons. Et le héros, inactif, un peu perdu, va profiter de sa fortune pour tenter de retrouver un ami de jeunesse, croisé quand il était routard en Inde. L'envie de revivre l'aventure du voyage.

Philippe Pollet-Villard décrit un pays devenu presque totalitaire, vidé de ses forces vives. Un fantôme de nation où tout espoir de progression sociale, d'épanouissement et de bonheur a déserté. Par contre en Inde, la débrouillardise française rayonne. Alors, faut-il déjà se préparer au grand exode ?

« Brut » de Dalibor Frioux, Seuil, 21,50 € (disponible au format poche chez Points)

« Mondial Nomade » de Philippe Pollet-Villard, Flammarion, 18 € (disponible au format poche chez J'ai Lu sous le titre de "Voyage au pays des meubles défunts") 

jeudi 15 septembre 2011

BD - Alien et faille spatio-temporelle : Berberian et Gaultier sont tombés du ciel

Berberian abandonne très rarement son acolyte Dupuy (ils seront d'ailleurs ensemble au festival du disque et de la BD de Perpignan les 24 et 25 septembre). Avec « Tombé du ciel » il ne signe que le scénario de cette fantaisie spatio temporelle dessinée par Christophe Gaultier. 

Le héros, Emile, va aider un extraterrestre à se cacher. Un « petit gris » qui a le pouvoir de revoir le passé. Emile pourra ainsi savoir ce qui s'est exactement passé le 21 juin 1982 en Bretagne. Il aurait pu devenir chanteur de rock, il a complètement raté son audition. 

La seconde partie de ce copieux roman graphique de 140 pages en noir et blanc est aussi une réflexion sur le destin et les fameux grains de sable qui, parfois, dérèglent une machine bien huilée.

« Tombé du ciel » (tome 2), Futuropolis, 20 € 

mardi 13 septembre 2011

BD - Revue de pouvoirs avec Ralph Azham de Lewis Trondheim

Ralph Azham, nouveau héros imaginé par Lewis Trondheim, passionnera tous les lecteurs amateurs de fantasy et nostalgiques des Donjon. Les enfants ayant un pouvoir sont capturés et conduits à l'oracle. Ce dernier saura si l'un d'eux pourra vaincre les hordes de Vom Syrus. Dans ce second tome, les pouvoirs sont parfois redoutables (notamment celui de Ralph) ou plus anecdotiques comme celui qui ne dort jamais ou cet autre qui sait si une femme est enceinte en la regardant. 

Tous devront fuir quand une menace mortelle pénètrera dans le dortoir. On rencontrera également des magiciens, un fylphe et la sœur de Ralph. Un peu d'humour vient saupoudrer cette BD essentiellement d'aventure, un retour au genre pour le créateur de Lapinot.

« Ralph Azham » (tome 2), Dupuis, 11,95 € (et pour ceux qui en veulent encore plus, la troisième aventure de Ralph Azham est à retrouver chaque semaine dans Spirou à partir de ce mercredi) 

lundi 12 septembre 2011

BD - Libertinages : le siècle des Lumières vu par Joann Sfar chez Dargaud

Retour à la BD pour Joann Sfar. Le succès de son film sur Gainsbourg ne l'a pas totalement détourné des planches à dessin. Après le Chat du rabbin, il lance une nouvelle série se déroulant au siècle des Lumières. 

Les premières pages semblent une réflexion sur l'esclavage mais rapidement le personnage de la comtesse Eponyme impose une ligne directrice beaucoup plus libertine à la BD. 

Cela donne un ensemble un peu bancal rattrapé par des scènes d'un érotisme torride. Elle s'ennuie, son mari, plus philosophe qu'amant, lui laissant la possibilité de se rattraper auprès du personnel masculin, notamment un cuistot italien allant au four et au moulin. 

C'est léger, intelligent et pertinent : tout ce qui a fait le succès de cet auteur de BD ayant considérablement élargi son lectorat.

« Les Lumières de la France » (tome 1), Dargaud, 13,95 € 

vendredi 9 septembre 2011

BD - Sherlock Holmes revient d'entre les morts chez Soleil

Sherlock Holmes n'en finit plus d'inspirer les scénaristes de BD. Sylvain Cordurié, après avoir confronté le héros de Conan Doyle à des vampires, le met de nouveau face à son ennemi de toujours, le professeur Moriarty. 

Mais ce dernier est mort dans la dernière aventure du détective anglais. Qu'à cela ne tienne, le scénariste le ressuscite, le transformant en une sorte de zombie désirant récupérer l'intégralité de sa personnalité enfouie dans l'inconscient de Holmes. Cela semble un peu tiré par les cheveux, mais une fois dans l'ambiance, le personnage de Holmes semble tout à fait adapté à ces histoires fantastiques très à la mode au XIXe siècle. 

Un album dessiné par Laci, auteur serbe ne lésinant pas sur les décors d'époque. Efficace et prenant, la première partie vous donnera forcément envie de découvrir la fin du duel. Rendez-vous pour le tome 2 dans quelques mois...

« Sherlock Holmes et le Necronomicon » (tome 1), Soleil, 13,50 € 

jeudi 8 septembre 2011

BD - Fantômes masqués chez Delcourt : une BD de Fabien Grolleau sur les fans de comics

La BD a toujours fait rêver. Et parfois plus. Sacha rêve d'en vivre. Un vieillard milliardaire rêve qu'il est le héros qui a bercé son enfance. Ensemble, ils vont se retrouver dans une folle course poursuite au cœur d'une ville corrompue. Fabien Grolleau, grâce au format de la collection Shampoing (200 pages en noir et blanc par volume), parvient à plonger le lecteur dans un album aux multiples facettes. 

Dans la réalité, le Fantôme masqué est un vieillard se déplaçant difficilement. Il retrouve toute sa splendeur aux yeux du milliardaire complètement maboul. Sacha, le dessinateur, est entre les deux mondes. Il soutient son mécène, et le comprend puisque lui aussi sait se projeter dans ces comics bon marché où le Bien triomphe toujours du Mal. Le second volume clôt cette aventure qui voit l'arrivée de SDF rejetés en périphérie de la ville. Des indésirables profitant du carnaval pour se venger d'autorités sectaires et racistes. 

Un peu d'amour, de l'humour, de l'aventure et du social : le cocktail est détonnant et très séduisant au final.

« Le masque du fantôme » (tome 2), Delcourt, 9,40 € 

mercredi 7 septembre 2011

BD - La vie facile pour le héros de "C'est comment qu'on freine ?" de Grégory Mardon

Cyril, le personnage principal de cette BD de Grégory Mardon, est ce que l'on appelle un winner. Pas de ceux qui s'enrichissent vite et facilement. Non, sa spécialité c'est de ne faire que ce qui lui plait. La trentaine, il sort, s'amuse, vit à Paris, fait un boulot alimentaire mais pas très fatigant, rencontre des gens intéressants, a plein de copains et depuis peu une petite amie fixe, Natacha. La vie facile d'une génération insouciante dans la folie des années 2000. Mais la réalité va le rattraper en quelques heures. 

Primo, Natacha lui apprend qu'elle est enceinte. Il voit immédiatement de longues chaînes se profiler devant lui, du mariage au temps nécessaire à l'éducation de cet hypothétique marmot. Car Natacha est décidée à le garder. Secundo, le père de Cyril est victime d'un infarctus. Il doit filer à l'hôpital de province se rendre à son chevet, retrouver cet environnement qu'il a fuit depuis longtemps.

Second volume de « L'extravagante comédie du quotidien », cet album est un instantané de certaines mœurs de notre époque, de la vie désinvolte de ces adultes ne voulant plus grandir.

« C'est comment qu'on freine », Dupuis, 18 €

mardi 6 septembre 2011

Roman - Cap sur Morro Bay pour Jean-Philippe Blondel dans "Et rester vivant"

« Et rester vivant » de Jean-Philippe Blondel est une invitation au voyage. La Californie du début des années 80 est au centre de ce texte très personnel. L'auteur y raconte comment, un été, il a dilapidé son héritage en sillonnant les routes américaines au volant d'une grosse américaine, une Thunderbird, en compagnie de deux amis.

Les voitures ont une place prépondérante dans la vie de Jean-Philippe Blondel. Et dramatique. Il est à peine âgé de 18 ans quand son frère aîné et sa mère meurent dans un accident. Son père, qui était au volant, sort indemne. Physiquement, pas mentalement. Devenu à moitié fou, il va mourir lui aussi, quelques années plus tard, toujours dans un accident de voiture.

Le narrateur, jeune héritier de 22 ans, vend l'appartement du père et avec cet argent achète des billets d'avion pour la Californie. Il ne part pas seul, emmenant dans ses bagages son ancienne petite amie et son meilleur ami. Le trio amoureux va aller de San Francisco à Los Angeles, en passant par la Basse-Californie mexicaine et Las Vegas. Cette idée de voyage est simplement due à une chanson, un tube du moment, où le chanteur racontait comment il finissait ses jours à Morro Bay. Morro Bay, le but ultime du narrateur, le cul-de-sac de ce voyage impossible.

La force de ce roman réside dans cette volonté de tout raconter, sans tabou ni arrangement avec la vérité. De la folie à la jalousie, de l'abandon à la révolte, Jean-Philippe Blondel brosse avec brio toutes les étapes et rencontres de cette errance estivale, cette étrange parenthèse dans une vie programmée.

« Et rester vivant » de Jean-Philippe Blondel, Buchet-Chastel, 14,50 € (Disponible également au format poche chez Pocket) 

lundi 5 septembre 2011

Récit - Au fil du Mékong, Patrick Deville raconte le Kampuchéa

Mékong, Angkor, Kampuchéa... Si ces noms vous font rêver, plongez dans ce roman de Patrick Deville, entre voyage initiatique et rêverie historique.

L'auteur se rend au Cambodge en 2010. A l'occasion du procès de Douch, le bourreau khmer rouge du camp S-21. Des dizaines de milliers de morts, juste pour l'exemple puis presque par habitude. La première partie du roman retrace avec une rigueur scientifique la prise du pouvoir par ces révolutionnaires, soutenus à l'époque par la CIA, simplement pour déstabiliser le Vietnam.

De toutes les révolutions ayant triomphé, « celle de Phnom Penh fut un sommet, explique Patrick Deville, la plus belle et la plus intransigeante, l'absolue table rase. Trois ans, huit mois et vingt jours. Une révolution aussi parfaite qu'une expérience de laboratoire. » « L'idée même de ville doit disparaître. Le retour au village et à la pureté khmère. Tous porteront le pyjama noir des paysans khmers. C'est la rigueur morale du Peuple ancien contre la débauche des citadins. » Une véritable terreur s'abat sur le pays. Les camps se multiplient et les cadavres s'accumulent. L'Angkar, le manifeste des révolutionnaires interdit l'argent, les livres, l'école...

Aujourd'hui le Cambodge est redevenu un pays libre. Patrick Deville constate pourtant que le procès Douch, loin de passionner les foules, semble se dérouler dans une relative indifférence. Seuls quelques descendants de victimes tentent d'obtenir réparation. Mais la peine de mort étant abolie, les tortionnaires ne risquent, au pire, que de finir leurs jours dans des prisons mille fois plus luxueuses et confortables que les cachots dans lesquels ont agonisé leurs victimes.

Dans ce récit, Patrick Deville se met également en scène, se dévoile, laisse deviner sa fascination pour ce pays, cette région. « Je partirai demain à mon tour, puisque le procès de Douch est déjà suspendu. J'irai revoir l'étoile du soir se lever sur les ruines d'Angkor, et le vol des milliers de chauve-souris sur le ciel cendreux. » Il va remonter le Mékong, refaire le parcours des grands explorateurs français comme Henri Moulot, ce chasseur de papillons découvreur du temple d'Angkor. Aussi les deux militaires français, Lagrée et Garnier. Des Français au Cambodge et des Cambodgiens en France. La remontée du fleuve sera aussi l'occasion pour l'auteur de revenir sur les séjours parisiens des cerveaux khmers rouges, notamment Pol Pot. Ce roman, comme le Kampuchéa, est parfois lent et majestueux, avant d'entrer dans des zones de turbulences où les excès confinent à la folie.

« Kampuchéa » de Patrick Deville, Seuil, 20 € (Disponible également au format poche chez Points)