jeudi 10 octobre 2024

Cinéma - “Megalopolis” de Coppola dense et visionnaire

Un architecte visionnaire tente de façonner la ville du futur. « Megalopolis » est un film immense de Francis Ford Coppola, mûri depuis 40 ans.


Chaque créateur a, caché derrière un coin de son subconscient, une grande œuvre qu’il désire ardemment proposer au public. Une sorte de message absolu, synthèse de tout ce qu’il entend laisser après son passage sur terre. Dans le cas de Francis Ford Coppola, on pourrait penser que c’est du passé. Qu’entre Apocalypse now et Le Parrain, il a déjà suffisamment interpellé l’imaginaire de plusieurs générations de spectateurs et marqué durablement l’histoire du cinéma.

Pourtant, depuis plus de 40 ans, il a cette histoire de Megalopolis dans ses cartons. Un film qui sort enfin sur grand écran après un passage en compétition au dernier festival de Cannes. De la Croisette, Megalopolis n’a rien ramené. Logique, car le film, tout en restant totalement à part, grande œuvre foisonnante bourrée de trouvailles et de performances d’acteurs, reste trop généraliste et brouillon pour emporter l’adhésion sans condition des cinéphiles. Déroutant aussi, car c’est de la science-fiction particulièrement tarabiscotée.

Dans un futur proche et incertain, Cesar Catalina (Adam Driver), architecte et inventeur d’un nouveau matériau, le megalon, veut repenser toute la cité du futur. Il s’oppose au maire Cicero (Giancarlo Esposito). Une véritable guerre qui a pour arbitre Julia (Nathalie Emmanuel), fille du maire et maîtresse de Cesar. Un peu de tragédie, de la politique nuancée par des histoires d’amour et de pouvoir : la trame de l’histoire est dense. Pas toujours évidente. On ne comprend pas forcément les buts des différents protagonistes. Le maire veut-il véritablement le bien de ses administrées ? Cesar est-il ce théoricien froid et sans cœur, dépressif depuis la mort de sa première femme ? Qui est Julia, la gravure de mode s’exhibant dans des sorties médiatiques de fille à papa dans la jet-set ou une femme à l’écoute, capable de bonifier tout ce qu’elle côtoie ?

Un film grave mais qui n’en oublie pas d’être distrayant quand intervient Clodio, cousin jaloux de César, admirablement incarné par un Shia Labeouf qui va très loin dans le politiquement incorrect, se travestissant jusqu’au grotesque. Il a cette réplique qui devrait devenir culte : « La vengeance est un plat qui se déguste en robe de soie ». Cela ne suffit pas pour rattraper l’ensemble.

On est forcément un peu déçu. Le nouveau Coppola semble bien insipide et peu inspiré face à ses films de légende. Le futur, parfois, est plus décevant que le passé.

Film de Francis Ford Coppola avec Adam Driver, Giancarlo Esposito, Nathalie Emmanuel, Shia LaBeouf

mercredi 9 octobre 2024

Cinéma - “L’heureuse élue”, comédie de classe trash

La confrontation de deux classes sociales que tout appose est un grand classique de la comédie. L’heureuse élue, film écrit par Daive Cohen (Fiston, Aladin) et réalisé par Frank Bellocq entre parfaitement dans cette case. D’un côté la grande bourgeoisie « prout ma chère », de l’autre la banlieue « wesh ma mère ». Cela fait des étincelles, pas mal de gags même si parfois on rit jaune.

Benoît, a longtemps profité de la fortune de papa et maman pour dépenser sans compter et faire des investissements hasardeux. Cette fois, il se retrouve acculé, endetté auprès d’un gangster capable du pire. Il lui faut rapidement soutirer une grosse somme à ses parents qui sont en vacances au Maroc. Il a la bonne idée de faire croire à sa mère (Michèle Laroque), qu’il a enfin trouvé la femme de sa vie, va la leur présenter et demande une avance pour organiser le mariage.

Il embauche une amie mannequin et lui demande de jouer la future épouse. Mais elle se défile sur le chemin de l’aéroport. En désespoir de cause, il demande à son chauffeur Uber, Fiona (Camille Lellouche) d’endosser l’habit de l’heureuse élue. Fiona est cash. Et trash. Elle n’est pas bonne comédienne, mais décide de profiter au maximum de ce drôle de client qui lui promet une belle somme. Avec à la clé un séjour dans un hôtel de luxe au Maroc, tous frais payés.

Rapidement Fiona va semer la panique. Auprès des parents (surtout la mère, grande bourgeoise abjecte qui colle de plus en plus à la peau de Michèle Laroque) et des frères et sœurs de Benoît, redoutant perdre une part de l’héritage. Le beau rôle est évidemment pour la fille de banlieue, au grand cœur, qui permet à beaucoup de redescendre sur terre, notamment son faux-futur époux.

Une comédie enlevée, aux décors luxueux et exotiques, qui a la particularité d’être centrée sur un personnage féminin atypique.

 Film de Frank Bellocq avec Camille Lellouche, Lionel Erdogan, Michèle Laroque.



mardi 8 octobre 2024

BD - Orson Welles le tragédien


Le ton est sombre dans la biographie d’Orson Welles signée Youssef Daoudi. Plus linéaire aussi. Car si l’introduction montre le Welles dont tout le monde se souvient (grand, avec une cape et un chapeau), les premières pages racontent l’enfance de ce petit génie, couvé par sa mère, déjà comédien et sur les planches à l’âge où d’autres abandonnent à peine leurs couches.

Il dessine, chante, joue de la musique, lit et bien évidemment écrit. Un artiste complet, capable de discourir avec les adultes alors qu’il n’a que 12 ans. Logique qu’après de nombreux succès au théâtre, il attire les regards des producteurs de Hollywood.


Dès son premier film, il signe un chef-d’œuvre, Citizen Kane. Pourtant la suite est moins réjouissante. Innovateur et provocateur, il se fâche souvent avec les studios, abandonne de nombreux projets et ne parvient pas à faire tout ce qu’il imagine. Contrairement à beaucoup, sa carrière n’est pas une courbe ascendante régulière jusqu’à la perfection mais une dégringolade incessante.

Un roman graphique virtuose, sombre, avec des dessins qui font parfois penser à du Forest. Un superbe hommage qui donne furieusement envie de redécouvrir les œuvres oubliées de ce génie du 7e art.
« Orson », Delcourt, 280 pages, 18,95 €

lundi 7 octobre 2024

BD - Belmondo le farceur


Trois ans après sa mort, cette monumentale biographie dessinée revient de façon très détaillée sur la carrière de Jean-Paul Belmondo. Bollée, le scénariste, s’est totalement immergé dans la carrière (et ses à-côtés) de Jean-Paul Belmondo, Bébel pour le grand public qui l’a toujours adoré.

La réalisation graphique de ce projet a été confiée à Ponzio. Son dessin, basé sur des photographies, semble parfois figé, mais l’impression est rapidement oubliée tant l’ensemble est passionnant. Pour raconter le parcours de Belmondo, Bollée a imaginé un long tête-à-tête fictif avec son père, Paul, célèbre sculpteur. Pour la première fois l’acteur met sa carrière en pause et consacre 5 jours pour que son père réalise son portrait.


Bébél se raconte, se souvient de ses débuts au conservatoire, de ses blagues potaches (qu’il n’abandonnera jamais même au sommet de sa carrière), des pièces de théâtre s’enchaînant et de sa première incursion au cinéma.

Puis la rencontre avec Godard, le cinéaste visionnaire qui le premier a détecté le potentiel du comédien dans A bout de souffle puis Pierrot le Fou. Un long passage est consacré à sa passion pour la boxe ou ses démêlés avec Melville, le tyran des plateaux.

L’ensemble est bondissant au début, plus introspectif par la suite. Et a le mérite de ne pas raconter la fin de vie de ce grand monsieur du cinéma français.
« Belmondo », Glénat, 224 pages, 28 €

dimanche 6 octobre 2024

BD - Nouvelle souveraine à Vaucanson


L'univers du Donjon, imaginé par Joann Sfar et Lewis Trondheim, continue d'étendre ses tentacules. C'est avec une certaine appréhension que le fan découvre le 55e titre de la collection, le 10e de la série dite du Crépuscule (mais tome 113 au total) qui conte la fin du Donjon.

Cette fois c'est Obion qui est au dessin. Un style humoristique, mais avec quelques touches d'hyperréalisme quand il faut représenter les morts-vivants ou le château de Vaucanson. Le début de l'album est très bucolique. Marvin rouge et Zakûtu bivouaquent en forêt, presque en amoureux, après avoir dérobé le trésor d'un dragon endormi (oui, encore un dragon !).


Arrive Herbert. Le vieux monarque n'est pas content de la gestion de Vaucanson par son fils. Il demande donc à sa fille, Zakûtu, de prendre sa place. Une passation de pouvoir compliquée mais nécessaire car une armée ennemie approche et les fortifications sont toujours en chantier.

La princesse, sorte de valkyrie musclée qui n'a pas sa langue dans sa poche, décide de trouver une main d'œuvre pas chère. Elle sollicite le royaume des morts. Une mauvaise idée car elle va se retrouver coincée entre les envahisseurs et les zombies.

Sous couvert de bataille et de lutte pour le pouvoir, les auteurs, en plus de nombreux gags, abordent les thèmes très d'actualité de la condition féminine et de la place des femmes dans la société.
« Donjon crépuscule » (tome 113), Delcourt, 48 pages, 11,95 €

 

samedi 5 octobre 2024

BD - Les larmes d'Héliotrope


Héliotrope est une charmante adolescente imaginée par Joann Sfar et dessinée par Benjamin Chaud. Dans ce troisième album, l'héroïne perd sa couleur bleue mais pleure beaucoup. Des larmes qui se transforment en cristaux bleus. En réalité, des diamants parfaits.

Avec une larme d'Héliotrope, on peut acheter trois voitures. Une nuit de sanglots et elle a suffisamment d'argent pour racheter X à Elon Musk.


Mais avant de découvrir cette richesse inespérée, Héliotrope va vivre pas mal de péripéties. Avec sa mémé, grande voleuse devant l'éternel, elle se rend dans le grand Nord pour comprendre la formation de ces diamants. Elle y rencontre un adolescent sympathique et retrouve surtout sa copine vampire, Aspirine. Une entrée en matière frigorifique alors que la suite de l'album se déroule sous le soleil de Crète.

L'occasion pour le scénariste de recycler certaines légendes méditerranéennes comme la Toison d'or ou les sorcières de Thessalie. Sans oublier un dragon, la bestiole toujours au rendez-vous dans les histoires de Sfar.

« Héliotrope » (tome 3), Dupuis, 48 pages, 15,50 €

vendredi 4 octobre 2024

BD - La reine et la sirène


 Scénariste compulsif, Joann Sfar ne cesse d'imaginer des mondes et des personnages. Il se les garde pour lui, parfois. Mais souvent offre ce découpage à des dessinateurs heureux de bonifier son monde de fantaisie.

Sa rencontre avec Tony Sandoval, illustrateur mexicain, permet de découvrir un album totalement fou et merveilleusement dessiné. Joann Sfar a voulu réécrire l'histoire des dragons. Ces bêtes légendaires vivent cachées. Il y en a des dizaines à Paris. Camouflées sous des statues, des gargouilles notamment.

Ils vont tous se réveiller en cette année 1900 et semer la terreur sur la capitale.


La faute à la reine Kapa'akea, maori qui gagne sa vie en se battant dans les foires. Elle est trop romantique l'héroïne (qui aime aussi donner de sacrées mandales aux hommes prétentieux). Quand elle découvre un groupe de comploteurs qui ont capturé une sirène. Ils ont l'intention de la sacrifier. Kapa'akea la sauve. Une bonne action ? Pas sûr, car sans ce sacrifice, les dragons se réveillent.

La suite de l'album est une longue course poursuite dans Paris, avec affrontements entre les deux jeunes femmes et quantité d'adversaires. La capitale va-t-elle être rasée de la carte de France ?

Dommage que la solution trouvée par la reine et la sirène ne puisse pas être transposée dans tous les conflits meurtriers de notre époque violente et sans nuances.

« Le Paris des dragons », Glénat, 104 pages, 20,50 €

jeudi 3 octobre 2024

Rentrée littéraire - « La bonne nouvelle » d’un miracle en Auvergne

Réflexion très poussée sur la religion, les miracles, les croyances, le Bien et le Mal dans ce roman finalement assez léger de Jean-Baptiste de Froment. 

Jésus revient ! Voilà La bonne nouvelle annoncée dans ce roman de Jean-Baptiste de Froment. Il revient en Auvergne, dans le petit village anonyme. Il n’a plus la même apparence. Exit la tunique et les cheveux longs, il ressemble à un vieux châtelain de plus de 70 ans, un certain Paul de Larmencour.

Les premières pages semblent assez ludiques, presque comiques. C’est la veuve de Paul, Hermine, qui raconte. Paul est mort d’une crise cardiaque. Chez lui, un matin. Enterré en présence de tout le village dans le caveau familial, son corps disparaît trois jours après. Profanation ? Non car le lendemain, des témoins affirment avoir aperçu Paul, dans la campagne environnante. Les « apparitions » se multiplient, l’affaire devient nationale, les pèlerins affluent vers le petit cimetière auvergnat.

En replaçant la résurrection dans un village français, l’auteur brouille les pistes. Et en racontant cet emballement médiatico-religieux du point de vue d’Hermine, il brosse un portrait au vitriol des mœurs de cette caste de notables de province. Alors que la figure de Paul est de plus en plus adorée, elle remarque avec perfidie : « J’ai toujours pensé que les bourgeois catholiques d’aujourd’hui seraient les derniers à reconnaître le Christ s’il revenait sur terre. De même qu’à l’époque, ils auraient été du côté des Pharisiens, de tous ceux qui réclamaient sa mort… Jésus n’était pas très fréquentable. Un fauteur de troubles, un voyou. » Un jugement sévère pourtant confirmé quand le Vatican envoie sur place un prêtre, le jeune et trop beau Spark, chargé de démontrer l’imposture.

Hermine elle aussi en est persuadée. Mais elle va enquêter et découvrir que la figure de Paul, sa résurrection, est peut-être plus complexe et chargée de sens qu’une simple escroquerie à la foi. Une fin très spirituelle, pas étonnant quand on sait que l’auteur est normalien et agrégé de philosophie.

« La bonne nouvelle », Jean-Baptiste de Froment, Anne Carrière, 250 pages, 20 €

mercredi 2 octobre 2024

Rentrée littéraire - Sombre est « La vie des spectres »

"La vie des spectres", roman de Patrice Jean, sera sulfureux pour certains. D’autres le trouveront avant tout visionnaire. Il décrit surtout avec talent la grande désillusion de l’auteur face à un monde qui s’écroule.

Le narrateur de La vie des spectres, double de l’auteur, sent chaque jour sa colère monter d’un cran face à une société, un monde, qu’il ne comprend plus. Jean Dulac est journaliste à Nantes. Son domaine de compétence c’est la culture.

Quand son rédacteur en chef lui demande de faire une série de portraits des figures locales, il va tomber sur quelques spécimens de cette mouvance gauchisante qu’il exècre. Pourtant, ce sont les nouveaux faiseurs d’opinion. Il va le constater au quotidien. Sa femme ne jure que par eux. Son fils, adolescent rebelle, ne supporte plus les classiques, préférant les textes de rap radicaux.

Comme beaucoup de quinquagénaires, les fameux boomers que les millenials vouent aux gémonies, Jean Dulac a la désagréable impression de ne plus avoir sa place dans cette société ayant, selon Patrice Jean, perdu tous ses repères.

Une critique lucide

Parfois, le narrateur a envie de changer d’identité : « Je ne dois pas être le seul à ressentir cette lassitude d’endosser chaque matin la même défroque, la même vie, la même galère. Peut-être meurt-on par ras-le-bol de jouer toujours le même rôle ? » En se détachant du monde, Jean Dulac essaie de se sauver. La réalité le rattrape facilement.

Un simple fait divers va faire vaciller toutes ses certitudes. Une surveillante du lycée de son fils est victime d’un revenge-porn : son ancien petit ami fait fuiter des images salaces. Un ami du fils les publie sur le net. Cabale contre lui. Mais quand il se fait passer à tabac par des inconnus, il endosse le costume de la victime. En cherchant les véritables raisons de l’agression, Jean Dulac prend le risque de ne pas aller dans le sens de la parole majoritaire. Il est à son tour mis en accusation par ses collègues, son épouse, son fils.

La première partie du roman, très factuelle, démonte la fabrication de certains mensonges médiatiques. Avec de graves conséquences. Vérité trafiquée et fuite du domicile conjugal pour Jean Dulac. Il se réfugie dans une vieille maison de son enfance et entreprend de discuter avec son meilleur ami, mort alors qu’il n’avait pas 30 ans.

La vie des spectres devient plus sombre, pessimiste, désespérée. Un autre reflet de la réalité. Le narrateur se recroqueville, abandonne toute relation sociale : « Je restais dans mon bouge, ma tanière. A partie de quel âge perd-on le désir d’arpenter la rue, d’étendre une serviette sur une plage, de pénétrer dans des cafés ? »

Il croit tomber amoureux. Ne s’en sent plus digne. « C’est peut-être ça, vieillir, ne plus avoir besoin des autres, ne plus croire en eux : on en a fait le tour. » Loin d’être une simple et longue litanie d’un homme précocement vieilli, le roman propose aussi une critique lucide des maux de notre époque.

Et s’offre même une étonnante péripétie avec l’apparition d’une nouvelle pandémie. Des boutons défigurent une grande majorité des Français. Quand les scientifiques découvrent le remède à ce mal étrange, on devine un Patrice Jean jubilant en détaillant le plan mis en place par les autorités pour « guérir » les contaminés.

« La vie des spectres » de Patrice Jean, Le Cherche Midi, 464 pages, 22,50 €  

mardi 1 octobre 2024

Cinéma - Mais au final, qui sont vraiment “Les barbares” ?

Ce village breton se mobilise pour accueillir des réfugiés ukrainiens. Ce sont des Syriens qui débarquent. Une comédie satirique très politique signée Julie Delpy.

Même sur le marché des réfugiés de guerre, certaines nationalités ont plus la cote que d’autres. Il y a un peu plus de deux ans, des milliers de communes de France se sont mobilisées pour accueillir des familles en provenance d’Ukraine. La petite ville de Paimpont, en Bretagne, décor du film Les barbares de Julie Delpy, en fait partie. Un appartement est spécialement rénové pour accueillir une famille. Mais la veille de l’arrivée, il n’y a plus d’Ukrainiens sur le marché. Alors ce sont des Syriens qui débarquent chez des Bretons interloqués. « On n’a pas voté pour ça » fait remarquer, vert de rage, Hervé Riou (Laurent Lafitte) conseiller municipal, plombier et plutôt d’extrême droite alors que le maire « parle couramment le Macron ».

Comédie satirique et humaniste, le film de Julie Delpy détricote nos indignations et solidarités à géométrie variable. Elle se donne le beau rôle en interprétant Joëlle, l’institutrice du village qui a tout organisé pour accueillir les Ukrainiens.

Mais elle est bien seule pour réserver le même accueil aux Syriens. Sa meilleure amie d’enfance, Anne (Sandrine Kiberlain), a déjà plus de difficultés. La faute aussi à son mari, l‘épicier du village, qui la trompe avec la charcutière. Ce qui explique sans doute sa tendance à noyer ses malheurs dans l’alcool. La relation entre les deux femmes, l’une célibataire, l‘autre malheureuse en couple, fait partie de ces petites touches qui apportent une formidable richesse à un long-métrage foisonnant de seconds rôles forts.

On est ainsi bluffé par le seul agent de la police municipale, Johnny (Marc Fraize), vite dépassé face au moindre signe de violence. Il est vrai qu’il est venu en Bretagne pour oublier les affaires qu’il a dû traiter quand il était à la crim’ en région parisienne.

Pour être crédible, le scénario ne devait pas être trop caricatural. Difficile pourtant d’aborder le sujet sans faire une critique en règle des a priori profondément ancrés dans la mentalité des villageois persuadés que ces Syriens sont des «barbares».

Cela donne quelques portraits savoureux comme ce vieux paysan bio toujours partant pour faire la révolution ou cette infirmière sous la coupe d’un mari toxique et autoritaire. La force du film c’est aussi de ne pas épargner les « bons », l’institutrice frisant le ridicule dans son discours féministe. Reste le meilleur : la famille syrienne. Déracinés, endeuillés, ils se sentent rejetés, tout en savourant de pouvoir dormir pour la première fois depuis 4 ans dans un vrai lit et sous un toit.

Et comme c’est une comédie positive, la fin se veut optimiste. Reste que l’on se demande qui sont les véritables barbares dans l’affaire.

Film de et avec Julie Delpy et aussi Sandrine Kiberlain, Laurent Lafitte, India Hair, Jean-Charles Clichet, Marc Fraize