jeudi 17 décembre 2015

DVD : Quatre bannis et de la dynamite dans "Sorcerer" de William Friedkin

Renaissance dans un coffret réservé aux cinéastes exigeants de 'Sorcerer' de William Friedkin avec Roy Scheider.


S'il est difficile de prévoir à l'avance le succès d'un film, il est encore plus compliqué de tabler sur son échec. En 1977, quand sort 'Sorcerer' de William Friedkin, tout laisse à penser que cette grosse production, tournée durant près d'une année en pleine jungle de République Dominicaine, attirera autant de spectateurs que 'French Connection' et 'L'Exorciste', les deux précédents films du réalisateur américain. Même si le casting n'est pas au niveau du projet initial (il devait réunir Steve McQueen, Marcelllo Mastroianni et Lino Ventura), l'histoire reste la même : remake du 'Salaire de la peur' de Clouzot. Le film sera un bide retentissant. Deux semaines à l'affiche, peu d'entrées et une déferlante qui va précipiter sa disparition dans les limbes cinématographiques : la sortie de 'Star Wars'.
Friedkin mettra de longues années pour se remettre de cet échec. D'autant qu'il considère ce film comme sa meilleure réalisation. Aujourd'hui encore il persiste quand il prétend qu'il ne changerait rien au résultat final. Il faudra attendre près de dix ans pour qu'il retrouve son brio dans le palpitant 'Police Federale Los Angeles'.
'Sorcerer' est le récit de la rédemption de quatre bannis. Quatre hommes aux destins tragiques, inéluctables. Il y a un tueur à gage sud-américain, Nilo (Francisco Rabal), un terroriste palestinien Kassem (Amidou), un banquier français véreux Serrano (Bruno Cremer) et un gangster américain Scanlon (Roy Scheider).

Tournage en enfer



Roy Scheider, à la fin des années 70, est un acteur qui monte. Sa performance dans 'Les dents de la mer' l'a propulsé au sommet. Par contre les autres acteurs, européens, sont totalement inconnus aux USA. C'est certainement le principal handicap de ce film injustement oublié. Sa ressortie en DVD et blu-ray dans un coffret riche de bonus et d'un livret de 50 pages, permet enfin à cette œuvre de bénéficier d'une reconnaissance méritée.
Le scénario est basique. Quatre scènes d'ouverture permettent de présenter les héros. L'un tue sans remords, l'autre pose des bombes dans la foule, le troisième a ruiné sa belle-famille et le dernier, pour quelques milliers de dollars, participe au braquage d'une église. Acculés, recherchés, ils n'ont d'autre solution que l'exil. Un pays d'Amérique du Sud, sur un chantier de forage pétrolier. Quand il faut récupérer des caisses de dynamite instable à plusieurs kilomètres, ils sont volontaires pour conduire les camions. Un long et dangereux périple dans la jungle.
Le tournage, éprouvant, a souvent failli être abandonné. Chaleur, humidité, accident : rien n'est épargné aux équipes. Le long-métrage est finalement achevé dans la douleur, pour le résultat que l'on sait…
Film noir sur le destin et la rédemption, 'Sorcerer' a l'étiquette de production maudite. Le coffret offre un long entretien enregistré en février dernier entre William Friedkin, 80 ans, l'œil vif et la parole taquine et Nicolas Winding Refn, le jeune prodige danois dont le "Drive" est directement inspiré des productions de Friedkin.

'Sorcerer', La Rabbia & Wild Side, 19,99 euros le pack DVD, 24,99 le pack blu-ray.

mercredi 16 décembre 2015

BD : Double fin du monde dans "Le Grand Mort"



Triple récit pour une double fin du monde : « Le grand Mort », série écrite par Régis Loisel et Jean-Blaise Djian, dessinée par Vincent Mallié, s'affirme de plus en plus comme le feuilleton BD le plus passionnant de ces dernières années. En plus du trait élégant du repreneur graphique de « La Quête de l'oiseau du temps », l'histoire, sur trois plans différents, est de plus en plus prenante. Et les rebondissements se multiplient. On suit Gaëlle et et Pauline, fuyant Paris en plein chaos pour rejoindre la Bretagne. A pied, elles rejoignent un groupe qui leur prête des vélos. Mais il faut se méfier des rencontres hasardeuses dans ce monde en pleine déliquescence, frappé par une série de séisme qui a détruit toute civilisation. Erwann, de son côté, découvre les pouvoirs de Blanche, la petite métis issue de ses amours avec la prêtresse Macare du Petit Monde. Blanche, sans coeur, tue comme elle respire. Troisième arc narratif, la révolte dans l'autre monde. Les bouleversements sur Terre ne sont pas sans conséquence dans les villages. Tout en s'attachant aux différents personnages, on tremble de plus en plus pour leur avenir, de plus en plus compromis dans ce récit d'apocalypse.

« Le grand mort » (tome 6), Vents d'Ouest, 14,50 €

DE CHOSES ET D'AUTRES : Luke Skywalker pour toujours

Mark Hamill personnifie pour toujours Luke Skywalker. Quasiment inconnu quand George Lucas le choisit pour incarner la vedette de son nouveau film, Star Wars, Hamill n'est pourtant pas un débutant. Il a derrière lui des dizaines d'apparitions dans des séries télé et des téléfilms. Par contre il n'a pas du tout percé au cinéma. Le réalisateur visionnaire, contre l'avis de ses producteurs, ne veut pas de stars dans son film. La véritable vedette doit être l'histoire et les effets spéciaux. Mais le succès aidant, les trois principaux rôles propulsent leurs interprètes au sommet.
Si Harrison Ford a parfaitement négocié l'après Star Wars, Carrie Fisher a rencontré un peu plus de difficulté pour continuer d'exister artistiquement. Quant à Mark Hamill, il est presque tombé dans l'oubli, multipliant les séries B et les doublages voix. Un acteur un peu fantasque, qui a frôlé la catastrophe à la fin du tournage du premier épisode. Selon la légende, un accident de voiture l'aurait quasiment défiguré. Il n'a pu revenir dans L'empire contre-attaque qu'après de longues opérations de chirurgie esthétique. En réalité il s'est cassé le nez, ce qui a surtout atténué son air poupin.
Le secret absolu préservé par la production autour du Réveil de la Force, à l'affiche dès demain, concerne aussi le rôle de Luke. Pas une seule photo n'a filtré. Simple apparition ou présence importante ? Tous les passionnés se demandent surtout si le Jedi ne serait pas passé du mauvais côté de la Force. Ce serait un coup de théâtre digne de J. J. Abrams, le réalisateur. 
Réponse aujourd'hui...

mardi 15 décembre 2015

DE CHOSES ET D'AUTRES : Nostalgie étoilée

A chacun ses madeleines. Si d'aucuns se souviennent avec nostalgie de Thierry La Fronde et du Vélosolex, mon panthéon de bons souvenirs se place dans un autre registre. Mes goûts me portent sur la revue Métal Hurlant, les ordinateurs Amstrad, les sabres-lasers et la trilogie Star Wars. Cette dernière tient une place à part dans mon imaginaire. Trop jeune pour voir les deux premiers films au cinéma, je n'ai découvert la saga qu'avec l'ultime épisode, "Le retour du Jedi" (que j'ai, honte à moi, orthographie Djedaï dans un fanzine en 1983). Mercredi, l'épisode VII de Star Wars sera enfin sur tous les écrans. Un succès planétaire annoncé qui a tout du marketing commercial. Et pourtant...
A 50 ans passés, je bous d'impatience de replonger dans l'univers de la "Force". Oubliés les attentats, les élections et la COP 21. Une seule chose m'importe : que devient Luke Skywalker (Mark Hamill) dans le film de J. J. Abrams et à quoi ressemble Adam Driver en Kylo Ren, le nouveau "grand méchant" qui a le lourd privilège de remplacer Dark Vador.
Pour patienter, je relis le très informé "Star Wars décrypté" de Fabrice Labrousse et Francis Schall. Ce pavé de 650 pages regorge d'anecdotes souvent méconnues. On apprend par exemple que le bourdonnement du sabre-laser imaginé par Ben Burtt est "la combinaison du moteur d'un vieux projecteur et des parasites captés par le tube cathodique de son téléviseur, parasites générés par le câble défectueux de son magnétophone". Vivement mercredi pour entendre de nouveau ce son.

lundi 14 décembre 2015

BD : Bosch, peintre démoniaque


Les historiens ne savent pas grand chose de la vie de Hiéronimus Bosch. Le peintre flamand a pourtant marqué l’art de son époque. Ses tableaux, foisonnants de démons et autres monstres hybrides digne des pires cauchemars ont fasciné ses contemporains et les générations suivantes. Il intègre logiquement la collection “Les grands peintres” et c’est Griffo qui s’est frotté à son univers démoniaque. Le dessinateur de Giacomo C abrodé une double histoire sur les peurs de l’artiste. Le jeune apprenti, pour faire cesser ses cauchemars, décide d’(enfermer les créatures qui le hante sur ses tableaux. Mais ces dernières parviennent à s’échapper. Il va devoir demander de l’aide pour mettre au point un “fixateur”. En parallèle, une jeune conservatrice de la ville de Gand, entreprend de restaurer un tableu de Bosch, retire ce vernis magique et se retrouve envahie à son tour par les monstres. Un album essentiellement graphique, les inventions de Bosch s’accordant parfaitement avec l’univers de Griffo.

"Les grands peintres : Bosch", Glénat, 14,50 euros.

dimanche 13 décembre 2015

Livre : Les mauvais fils des USA


Le premier a tenté d'abattre Ronald Reagan, le second a fait mouche en visant John Lennon. Parcours croisé de deux jeunes Américains sous la plume d'Héloïse Guay de Bellissen.


Personnages réels aux vies imaginaires, personnage imaginaire aux rêves réels : drôle de mayonnaise dans le roman d'Héloïse Guay de Bellissen. Holden, un des trois protagonistes, écrit cette lettre à son « père » : « Maintenant j'ai vingt-cinq ans d'existence et je suis toujours coincé dans une adolescence bancale. Je me sens prêt pour une nouvelle histoire. Alors je te le demande, fais-moi grandir, J'ai encore tellement de rêves. » Un joli cri de désespoir d'un personnage à son créateur. Holden est le personnage principal de « L'attrappe-coeurs » de Salinger. Il intervient régulièrement dans le roman car il a aussi le problème d'être adulé par de mauvaises âmes. C'est souvent le lot des créatures de papier, de fausses existences mais qui influent fortement sur de véritables hommes et femmes qui ne font pas toujours bien la différence entre une vie rêvée et une existence morne.
La jeune romancière française, après avoir dans son premier roman, raconté la vie de Kurt Cobain par l'intermédiaire de Boddah, son double imaginaire, se penche cette fois sur ce que l'Amérique produit de pire : les tueurs fous. Premier à entrer en scène Mark David Chapman. Ce petit gros, persuadé justement de capturer les cœurs des gens l'entourant, est un grand détraqué. Interné dans un centre pour jeunes obèses, il a cette pensée en chemin « Dans le car en voyant la forêt défiler, j'ai compris que si j'étais un arbre, je couperais mon tronc et laisserais pourrir mes racines. » Mark, en 1980, a tué John Lennon dans une rue de New York.

Amoureux de Jodie Foster
Le second petit Américain membre des « Enfants de chœur de l'Amérique » a pour nom John Hinckley. Lui aussi a lu le livre de Salinger, mais ce n'est pas Holden son modèle absolu. Lui fantasme à n'en plus finir sur Jodie Foster. Exactement Iris, la gamine du film « Taxi Driver ». Il va voir le film tous les jours. Se contentant au bout d'un certain moment de la fin, quand « Iris part se réfugier à côté du canapé, elle s'accroupit en pleurant, le visage caché dans une main. (…) On voit la fin de ses hanches et le début de son dos. Je regarde sa colonne vertébrale qui pleure, et j'ai envie de la prendre dans mes bras. »
Après avoir tué Lennon, Mark Chapman répondait à la police qui lui demandait comment il s'appelait : « Je suis l'Attrape-coeurs ». En lisant les articles sur le fait divers, John se découvre un frère. Un frère célèbre. Alors lui aussi décide de franchir le pas. Il se rêve marié à Jodie Foster et ambitionne de prendre la place de Ronald Reagan et sa femme Nancy dans les appartements de la Maison Blanche. Pour cela une seule solution : éliminer le gêneur.
D'une puissance poétique forte, le roman flirte en permanence avec la folie pure. Folie des deux tireurs, folie du personnage enfermé dans son roman. Et derrière la littérature, on découvre en filigrane un essai sur l'influence des créatures fictives sur nos vies quotidiennes.
Michel Litout

« Les enfants de chœur de l'Amérique », Héloïse Guay de Bellissen, Anne Carrière, 17,50 €

DE CHOSES ET D'AUTRES : Zu, le dieu des impôts


Allergique aux impôts ? J'ai une solution pour vous : convertissez-vous au "zuisme", une religion d'origine mésopotamienne qui vénère le dieu Zu. Vous serez ainsi remboursé d'une partie de vos impôts. Problème, cette jolie combine n'est valable qu'en Islande, joli pays pourtant très éloigné du Tigre et de l'Euphrate.
L'Islande a la particularité, depuis cette année, de faire payer à tous ses administrés un "impôt religieux" reversé ensuite intégralement aux différentes "chapelles". Il suffit de déclarer à quelle croyance vous vous adonnez (le luthérianisme est majoritaire avec 40 %). Environ 73 euros sont reversés à l'une des 40 religions recensées sur cette île couverte de glaciers et de volcans. Et si vous êtes athée, la somme est conservée par l'Etat. Avant la mise en place de cette dîme, le 1er janvier dernier, le zuisme, l'une des 40 reconnues, comptait royalement quatre adeptes. Ils sont aujourd'hui plus de 3 000 sur une population de 330 000 habitants. Le fisc islandais a rapidement compris la raison du succès de Zu, le dieu oublié de Mésopotamie. Les responsables de ce culte, qui a tout du paravent, s'engagent à rembourser les 73 euros aux futurs adeptes.
En clair, devenez zuiste et vous êtes exonérés de la taxe religieuse. Une opportunité pour les très nombreux Islandais qui avaient protesté lors de la mise en place de ce nouvel impôt. L'Etat cherche maintenant à retirer le zuisme de la liste des religions reconnues. Mais en attendant, Zu et ses disciples ont déjà touché pas moins de 225 000 euros de l'état islandais.

samedi 12 décembre 2015

DE CHOSES ET D'AUTRES : La chaîne de l'omelette


Parfois, une immense perplexité me gagne en découvrant certaines initiatives sur internet. Si la majorité des utilisateurs du réseau mondial ont l'air sains de corps et d'esprit, il existe une minorité qui ferait bien de consulter un psy en urgence.
Dans le genre, le "egg smach dare challenge" en impose. A la base, l'initiative a pour but de dire non à l'extrémisme. Comme pour le Ice bucket, il faut désigner d'autres amis qui réaliseront le geste fort qui nous sauvera de Daech.
Les concepteurs du projet ont trouvé une parabole assez déconcertante. Face caméra, une jeune femme explique en montrant sa main : "Daech est comme cette main, une main malveillante et destructrice qui dévaste tout sur son passage." Un autre intervient en montrant un œuf : "Prends cet œuf, un œuf c'est la vie, si fragile, c'est l'avenir". Et de se le casser sur le front. Conclusion : "Voilà ce qui va se passer si Daech n'est pas stoppé : tout ce qui porte la vie sera détruit." Le challenge consiste donc à se casser un œuf sur le front, face caméra, en proclamant "refuse l'extrémisme, choisis la vie".
L'intention est louable. Mais pourquoi un œuf ? Et sur le front ? Certes la manœuvre donne des images étonnantes (à partager sur Facebook évidemment), mais pourquoi gâcher, au mieux de la nourriture, au pire un embryon de vie ? L'idée pourrait venir du syndicat des exploitants agricoles spécialisés en poules pondeuses ou alors du "cercle anonyme des allergiques aux œufs" s'il existait.
Personnellement, je pencherais plutôt pour une fin de soirée un peu trop arrosée... au lait de poule traditionnel.

vendredi 11 décembre 2015

DE CHOSES ET D'AUTRES : Tournez bourré


Après le "Roulez bourré" chanson parodique du groupe Au bonheur des dames, une bande de cinéastes américains frappe encore plus fort et invente le concept du "Tournez bourré". Partant du constat que souvent les créateurs usent de l'alcool pour débrider leur imagination et se désinhiber, des petits rigolos se sont lancés dans la réalisation de courts métrages où tous les acteurs jouent ivres morts.
De Star Drunk à Med Drunk en passant par Love Drunk, ils passent tous les genres à la moulinette du "3 grammes dans le sang". Le résultat est hallucinant. Même en version originale, on capte immédiatement la prononciation chuintante, les paupières lourdes, le regard vague et la démarche titubante. Quand un super-héros en joli justaucorps fluo débite des sentences définitives en trébuchant sur les mots de plus de trois syllabes, cela devient un pur bonheur.
La série "Urgences" en version drunk collerait peut-être plus à la réalité que l'originale tant il faut une bonne dose de "remontant" pour supporter la pression d'un métier harassant. Le meilleur reste la parodie du "Tournez manège" US. Le présentateur est saoul, la candidate aussi bête qu'ivrogne. Comme ses trois prétendants. On préfère ne pas imaginer leur descendance. Et pour ceux qui doutent de la réalité de l'expérience, visionnez aussi les coulisses du tournage. On y découvre les acteurs se "préparer" à grand renfort de longues rasades.
Par contre plaignons les techniciens : avant d'avoir une scène exploitable, ils supportent des heures de bégaiements, erreurs, oublis de texte sans compter les départs précipités aux toilettes et les comas éthyliques.

jeudi 10 décembre 2015

Cinéma : "Back home", vies fantômes


Comment continuer à vivre une fois que le pilier d'une famille disparaît ? Cette interrogation est au centre du film de Joachim Trier, avec Isabelle Huppert en vedette.



Photographe de guerre, Isabelle Reed (Isabelle Huppert), depuis des années, est souvent en reportage sur les points les plus dangereux de la planète. De longues absences au cours desquelles sa famille continue de vivre comme si de rien n'était. Ses deux garçons, Jonah (Jesse Eisenberg) et Conrad (Devin Druid), vont au lycée, s'amusent avec leurs copains sous la responsabilité de leur père Gene (Gabriel Byrne), professeur qui a fait un trait sur sa carrière d'acteur pour permettre à sa femme de vivre pleinement sa passion professionnelle. Au début du film, Gene est dans l'agence de presse qui employait sa femme pour préparer une exposition hommage. Isabelle, après des années à risquer sa vie au milieu des bombes, parfois blessée, avait enfin décidé de ne plus "partir". Un retour à la maison qu'elle a voulu définitif. Peu de temps après, elle se tue dans un accident de la circulation, à quelques kilomètres de sa maison. Une version officielle loin de la vérité. Isabelle s'est suicidée, lasse de cette non-vie. Comme si elle avait l'impression d'être de trop dans sa famille, qu'ils pouvaient vivre exactement de la même façon que quand elle n'était pas là.
Les fils et la mère
Ce postulat expliqué en début de film par le réalisateur norvégien Joachim Trier, est porté par des acteurs au jeu d'une rare intensité. Isabelle Huppert, en mère incomprise et photographe de talent, est celle qui doit jouer avec le plus d'intériorité. Au cours de flashbacks ou de rêves, elle semble comme absente, tout en étant présente. Un fantôme avant et après sa mort.
Gabriel Byrne, le mari, n'est pas le gentil fonctionnaire qu'il donne parfois l'impression d'être. Il a longtemps harcelé sa femme pour qu'elle cesse ses missions trop dangereuses. Pas par peur de la perdre (comme si leur amour s'était étiolé inexorablement), mais pour protéger leurs fils de cette mort redoutée qui pourrait les détruire.
Finalement, le drame a lieu et l'essentiel du film, très intimiste pour ne pas dire introspectif, raconte les parcours des fils, Jonah et Conrad. Le premier, brillant universitaire, sera professeur comme son père. Marié, il vient d'être papa d'une petite fille. Il bascule de l'autre côté de la famille au moment même où la préparation de l'exposition sur sa mère le pousse à replonger dans ses jeunes années. Il se remet dramatiquement en question, se découvrant plus complexe qu'il ne le croyait.
Quant à Conrad, il est l'archétype du lycéen renfermé sur lui. Brillant, intelligent, il a un gros problème avec la réalité. En permanence un casque sur les oreilles, mais sans la moindre musique, il s'écoute respirer, observe son entourage, tombe amoureux d'une cheerleader aussi idiote que mignonne, passe ses nuits à jouer en ligne à des jeux vidéos où, sous l'apparence d'un elfe ou d'un barbare, il trucide tout ce qui bouge. Incompris, tant par son père que ses professeurs. La puissance du film est là, dans cette description d'une cellule familiale bancale, en pleine décomposition en raison de l'omniprésence du fantôme de la mère absente. On craint parfois le pire, mais c'est un joli message d'espoir qui est délivré au final. La vie sera toujours plus forte que la mort, même quand elle s'allie avec les fantômes du passé. Isabelle (Isabelle Huppert) s'éloigne inexorablement de son mari Gene (Gabriel Byrne). Encore plus quand elle décide de ne plus partir en reportage.

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Jeunesse introvertie

Joachim Trier, après des films réalisés dans son pays d'origine et des succès d'estime dans les festivals (notamment à Cannes), passe à la vitesse supérieure. Une coproduction internationale, tournée en grande partie à New York, avec quelques acteurs de premier plan venus de divers horizons. Isabelle Huppert pour la partie française, Jesse Eisenberg en caution du "jeune acteur américain brillant et de séducteur". Mais la véritable révélation du film reste Devin Druid, l'interprète de Conrad, l'adolescent introverti. Il a composé un personnage complexe et torturé, refermé sur lui-même, incapable de communication, comme paralysé par la vie, la vraie. Pour déclarer sa flamme à la jolie Mélanie (Ruby Jerins), il écrit un long texte dans lequel il se dévoile sans pudeur. Mais au lieu de lui remettre en main propre, il le dépose sur le paillasson de l'entrée et s'enfuit en courant dans la rue, souriant, heureux d'avoir osé. Le réalisateur a parfaitement exploité cette pépite en devenir. Il en est pleinement conscient quand il confie "Je suis très fier d'avoir eu la chance de travailler avec Devin Druid avant que son talent ne s'impose à tous". Personne n'en doute et on reverra certainement cet acteur surdoué dans d'autres productions à la mesure de son aura.