samedi 19 septembre 2015

DE CHOSES ET D'AUTRES : À l'écoute des grincheux

Seuls les idiots ne changent pas d'avis. L'an dernier, Mark Zuckerberg répétait une nouvelle fois qu'il était hors de question de proposer aux utilisateurs de Facebook un bouton "Je n'aime pas". Et de se justifier en précisant que le réseau social préconise plutôt l'empathie que la haine.
Cette semaine, le même Zuckerberg annonce le test imminent sur quelques comptes, du bouton "Je n'aime pas". Même quand on assure la gestion d'une fortune de plusieurs milliards de dollars, on peut continuer à écouter sa base. En l'occurrence les milliers d'internautes qui se retrouvaient complètement démunis face à des statuts ambigus. Cas le plus courant : l'annonce d'un décès. Depuis l'apparition du réseau social, la disparition de célèbres ou d'anonymes est souvent signalée par un statut chez l'un ou l'autre de nos "amis". Comment "aimer" de telles nouvelles ? On est content qu'il soit mort ? Impensable. Par contre on apprécie d'être informé. Le "Je n'aime pas" serait l'interaction idéale.
De même, qui peut cliquer "J'aime" en découvrant la photo du cadavre du petit Aylan sur une plage turque ? Pour ces exemples, le bouton "Je n'aime pas" sera d'une redoutable efficacité.
Je crains cependant qu'en France, pays de grincheux par excellence, les réserves du patron de Facebook soient justifiées. Je ne donne pas une semaine aux Français pour privilégier massivement le bouton négatif. Et en effet, nombre d'étrangers sont convaincus que le pléonasme absolu reste "Français râleur".

vendredi 18 septembre 2015

Livres : Noblesse belge en perdition

Amélie Nothomb dans « Le crime du comte Neville » dresse un portrait étonnant de la noblesse belge actuelle, entre tradition et décrépitude.

amélie nothomb, noblesse, neville, albin michelLes temps sont durs pour les nobliaux du plat pays. Prenez les Neville. Le comte, Henri, n'arrive plus à joindre les deux bouts. Malgré son travail bien rémunéré, ses finances sont un gouffre sans fin. La faute au domaine du Pluvier, dans la famille depuis des siècles mais beaucoup trop cher à entretenir. La retraite approchant, le pauvre comte doit se résoudre à faire l'impensable : vendre.
Comme chaque fin août, depuis une vingtaine d'années, Amélie Nothomb nous gratifie d'un nouveau roman assuré de ventes conséquentes. Une tradition devenue immuable, comme la chute des feuilles en automne ou l'achat d'un nouveau cartable pour le petit dernier. Chaque année on se laisse avoir par ce petit livre (à peine 130 pages) qui ne nous prend que deux heures de notre précieux temps mais qui parvient quand même à nous en mettre plein la vue. La faute à ce style simple et efficace, entre rédaction de 3e et brillantes envolées lyriques bourrées de références.

Sérieuse et Cléophas
Ce roman nous touche également par ses personnages aux prénoms improbables. La fille du comte, 17 ans, vient de faire une fugue. Elle s'appelle Sérieuse... Une voyante, partie la nuit cueillir des herbes spéciales, lui vient en aide. Le lendemain, elle contacte le comte pour qu'il récupère sa progéniture. La voyante fait alors une révélation au père : il tuera un invité lors de sa prochaine réception au château. Comment va-t-il réagir ? « Si l'un de ses amis s'était vu adresser une prophétie semblable et l'avait raconté à Henri, celui-ci aurait éclaté de rire et lui aurait dit avec la dernière conviction de ne pas croire à ces histoires de bonne femme. Malheureusement, il était presque comme tout le monde : il ne croyait les prédictions que si elles le concernaient. Même le sceptique le plus cartésien croit son horoscope. » Cette annonce perturbe au plus haut point le comte car la prochaine réception, où il compte dépenser ses dernières économies, devait être somptueuse, flamboyante. Pour une bonne raison : il n'y en aurait plus d'autres.
Toute la subtilité du roman consiste à raconter l'étonnant cheminement de l'esprit du comte et de sa fille Sérieuse. Tuer un invité lui est égal. D'autant que certains méritent amplement la mort comme ce Cléophas de Tuynen, odieux parmi les odieux. Par contre que l'infamie retombe sur ses proches lui est insupportable. Devenu meurtrier, il ira en prison mais surtout sa femme et ses enfants seront exclus du petit milieu de la noblesse belge. Sérieuse a alors une idée pour tirer son père de l'embarras.
La suite du roman se résume à ce tête-à-tête entre le père et sa fille. Des dialogues d'une extraordinaire force, au déroulé implacable et à la fin prévisible. A moins qu'Amélie ne nous sorte de son chapeau une astuce, un revirement, un rebondissement digne des romans d'Agatha Christie. En inversé puisque l'on sait qui est le meurtrier mais que l'identité de la victime est incertaine jusqu'à la dernière page. Et voilà comment, une fois de plus, Amélie Nothomb, par sa voix singulière, parvient à charmer anciens et nouveaux lecteurs.

« Le crime du comte Neville », Amélie Nothomb, Albin Michel, 15 €

DE CHOSES ET D'AUTRES : Télé d'outre-tombe

Le groupe NRJ postule à l'obtention nouvelle fréquence sur la TNT pour lancer Nostalgie TV, déclinaison en images de la radio du même nom. Faire du neuf avec du vieux semble la grande mode en ce moment.
Semaine exemplaire avec quatre émissions en prime time entièrement consacrées au passé. Les "rétrospectives" ont commencé mardi avec un nouvel épisode du "Monument préféré des Français" sur France 2 présenté par Stéphane Bern, expert es naphtaline. Le même Bern jouera la vedette samedi soir, toujours sur France 2 pour une spéciale "Sauvons nos trésors" dans le cadre des journées du Patrimoine. La chaîne publique ne paraît pas craindre l'overdose de ruines.
Démarche quasi identique sur D8, mais au lieu de reliques en pierres, ce sont des morts qu'on porte au pinacle. Ce soir, grand retour de Jean-Luc Delarue en prime time. Pas d'humour noir dans cette affirmation, juste la présentation objective du documentaire-hommage intitulé "Jean-Luc Delarue, trois ans déjà." Et dès le lendemain rebelote, toujours sur D8, dans le genre hommage à ces stars mortes trop jeunes avec "Grégory Lemarchal, la fureur de vivre".
W9 et TMC ne sont pas en reste avec, samedi soir, le combat fratricide entre l'émission anniversaire du Top50 et le documentaire "Génération Star Academy". Peter et Sloane contre Jenifer...
À moins que ces programmes ne soient chamboulés par Guy Béart, dont l'annonce du décès est tombée au moment ou j'écrivais ces lignes.

jeudi 17 septembre 2015

Cinéma : "Marguerite", la cantatrice folle

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Rôle d'envergure pour Catherine Frot, interprète de Marguerite, bourgeoise passionnée de chant, ridicule mais aussi touchante dans le film de Xavier Giannoli.
Souvent nommée, jamais récompensée, Catherine Frot devrait enfin remporter le César de la meilleure actrice en 2016. Sa performance dans Marguerite de Xavier Giannoli place la barre très haut. La détrôner sera très compliqué. Du moins c'est l'impression qui domine après avoir vu ce film dense et touchant, superbe portrait d'une femme fragile, entre naïveté et folie.


Marguerite Dumont est riche. Elle est aussi noble depuis son union avec Georges (André Marcon), baron mais surtout ingénieur sans le sou. Avec ses millions, en plus d'entretenir le château et la cohorte de domestiques, Marguerite s'investit dans les bonnes œuvres. Sous prétexte de collecter des fonds pour les orphelins de la guerre (l'action débute en 1920), elle organise des galas dans sa demeure fastueuse. Quelques chanteurs professionnels se produisent, mais l'attraction, la vedette, c'est elle. Marguerite ne vit que quand elle chante. Et reçoit des applaudissements. Mais Marguerite chante faux, irrémédiablement, désespérément, abominablement faux. Qu'importe, elle récolte toujours des bravos de ses amis très intéressés.
Interprétation sans fausses notes
Xavier Giannoli, en plus de cette intrigue permettant quelques saillies comiques du plus bel effet, profite également du cadre historique pour faire le portrait des quelques artistes qui tentaient à l'époque, déjà, de faire exploser les limites de l'art. Un journaliste, une chanteuse et un artiste multicartes donnent une bouffée de jeunesse au film. À Marguerite aussi qui se met en tête de donner un véritable récital, dans un théâtre avec un véritable public.
Panique du mari et de ses amis. Le ridicule peut faire beaucoup de tort. Marguerite ira même jusqu'à s'assurer les services d'un chanteur d'opéra interprété par un Michel Fau d'une rare humanité. Toutes les hésitations des proches de Marguerite sont concentrées dans ce personnage. Son honnêteté devrait le pousser à lui avouer qu'elle chante comme une casserole. Sa vénalité le pousse à continuer, quitte à perdre encore un peu de crédibilité dans son milieu. Plus le récital approche, plus le film devient pesant.
Si on rit au début du film des vocalises criardes de la Castafiore en puissance, on redoute de plus en plus sa confrontation avec le public. D'autant que certains n'achètent les places que dans l'intention d'aller voir un phénomène de foire. Marguerite, de pathétique, en devient touchante. Cela par la magie de l'interprétation de Catherine Frot, parfaite de bout en bout.

DE CHOSES ET D'AUTRES : Morpheus en vrai avec la réalité virtuelle de Sony

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Du domaine de la science-fiction il y a encore quelques années, le jeu vidéo en réalité virtuelle devrait être le grand succès de l'an prochain.
Hier, Sony a dévoilé son nouveau jouet : la manette PlayStation VR comme réalité virtuelle en anglais. Connue sous le nom de code "Project Morpheus" (comme le personnage de la saga Matrix), ce casque associé à des commandes manuelles sera commercialisé au début de l'année prochaine. Le casque est au point, il ne restait plus aux développeurs que de sortir des jeux compatibles pour déferler partout dans le monde. Une vidéo en présente quelques extraits saisissants. En fait, Sony a tout simplement rapproché l'écran du joueur. Terminés les quelques mètres de séparation entre l'action et votre cerveau.
Avec le casque sur la tête, vous n'avez plus ce recul. Vous plongez littéralement dans le jeu. Debout dans votre salon ou bien installé dans votre canapé, vous pourrez combattre des zombies, séduire de jolies filles ou foncer à toute allure au volant d'une voiture de course.
Il me tarde d'essayer cette PlayStation VR, tout en redoutant un peu l'expérience. Cette immersion complète dans un univers virtuel ne risque-t-elle pas de me faire disjoncter ? Car franchement, quand on voit l'état de la société actuelle, comment trouver la force d'appuyer sur le bouton "off" pour la retrouver ? Entre la matrice que je modèle à ma convenance et le monde que je subis, tels des milliers d'accros aux jeux vidéo, je pourrais opter pour le mauvais choix.
En bonus, la vidéo de démonstration : 

Project Morpheus devient "PlayStation VR" - TGS... par Gameblog

mercredi 16 septembre 2015

DVD : L'amour rend aveugle Clovis Cornillac



Le premier film de Clovis Cornillac, 'Un peu, beaucoup, aveuglément ', est une comédie aussi originale que sympathique.Grâce à la sortie en DVD du premier film de Clovis Cornillac en tant que réalisateur, on apprend dans le making of que le titre original de Un peu, beaucoup, aveuglément était Machin machine. Dommage que l'idée originale n'ait pas été retenue, tant elle illustre bien cette comédie romantique loufoque et un peu barrée.

orange studio, clovis cornillac, bernier, fogliLe scénario est de Lilou Fogli (Charlotte dans le film) par ailleurs compagne du réalisateur qui s'est attribué le rôle principal. Une histoire de famille ? Plutôt l'évidence d'une envie créatrice en symbiose d'un couple star du cinéma français. Une jeune pianiste (Mélanie Bernier) emménage dans un appartement. Elle veut s'émanciper de son professeur et maître. Timide et réservée, elle appartient à cette frange de la population que l'on peut assimiler aux 'handicapés de la vie'. Totalement incapable de faire des rencontres, elle déprime en préparant un difficile concours.
Par malheur, son appartement est mitoyen avec celui d'un inventeur irascible, lui aussi refermé sur lui-même. Une mince cloison les sépare. Ne supportant pas la moindre contrariété, il va tenter de pousser à bout sa voisine. Une première partie très remuante et burlesque. Finalement ils vont devoir se tolérer, s'écouter, se parler, lui devenant Machin, elle Machine. D'où le titre malheureusement abandonné lors de la sortie sur grand écran... Et bien sûr, l'amour traversera le mur avec une facilité déconcertante.
Dans le registre de la pure comédie, le film fait souvent rire, notamment au cours du repas à l'aveugle. Sympa, divertissant, souvent original, cette première réalisation de Clovis Cornillac devrait lui donner envie de récidiver.
'Un peu, beaucoup, aveuglément ', Orange Studio, 14,99 euros

DE CHOSES ET D'AUTRES : Vieux et jeunes millionnaires

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Dimanche soir, plus de 10 millions de Français ont assisté aux adieux émouvants (selon la majorité des commentaires) de Claire Chazal.
L'éviction à 58 ans de la papesse des journaux télévisés du week-end intervient alors qu'une autre histoire de grosse audience s'est jouée en coulisse. Mais ce n'est plus sur la télévision classique que cette bataille a lieu mais sur le net, via la plateforme YouTube. Le groupe Webedia (AlloCiné, PurePeople...) a racheté Mixicom, un MCN (réseau de chaînes web), qui réunit des humoristes du net, comme Cyprien, Norman et Squeezie. D'un côté une star vieillissante, qui fait parfois rire, mais à ses dépens, de l'autre des 'djeuns' qui font rire (pas toujours eux non plus) juste avec un peu de tchatche et d'audace. Cyprien et consorts ce sont 30 millions d'abonnés et 6 milliards de vidéos vues cumulées.
'Mamie Claire', écrasée par une bande de petits rigolos, encore inconnus il y a trois ans. Tout le paradoxe de l'audiovisuel français est résumé dans ce choc des générations. La fameuse 'messe du 20 heures' comme se plaisent encore à l'appeler certains observateurs, a du plomb dans l'aile.
Le lundi matin à la machine à café, on ne parle plus de la coiffure de Laurent Delahouse ou de la robe en cuir de d'Anne-Claire Coudray, mais de la dernière saillie de Norman reprise des milliers de fois dans les cours de récréation ou de l'expression popularisée par Norman en une pastille de quelques secondes. Le net vient de tuer la télévision. Du moins celle du siècle dernier.
Double bonus : les adieux de Claire et un sketch de Cyprien : 

mardi 15 septembre 2015

Livres : Le roman des beaux parleurs


Derrida, Foucault, BHL, Althusser... Belle brochette d'intellectuels dans le roman phénomène de Laurent Binet. Avec une question lancinante : qui a tué Roland Barthes ?

Laurent Binet, grasset, barthes, sollers, BHLLa bonne littérature a l'immense avantage de rendre plus intelligent. Du moins, de se croire plus intelligent. Démonstration parfaite avec « La septième fonction du langage » de Laurent Binet, faux roman policier et véritable ouvrage de vulgarisation de sémiologie. Le lecteur pourra lire des passages savants sur les recherches de Roland Barthes, Michel Foucault ou Philippe Sollers tout en se distrayant au cœur d'une intrigue mêlant réalité historique et pure invention romanesque. Un cocktail gagnant-gagnant qui a déjà permis à l'auteur de remporter le prix du roman FNAC 2015. Par contre il brille par son absence dans la première sélection du Goncourt. Les jurés n'ont certainement pas le besoin de se sentir intelligents...
D'abord les faits. Le 25 février 1980, Roland Barthes est renversé par une camionnette en plein Paris. Grièvement blessé, il est hospitalisé. Un mois plus tard il rend son dernier souffle dans cette chambre où tous ses amis (et ennemis) lui ont rendu visite. Pour l'Histoire officielle, il s'agit d'un bête accident. Mais le romancier préfère y voir un assassinat, motivé par une découverte explosive de Barthes : « La septième fonction du langage ».

L'outil du pouvoir
Au début des années 80, Mitterrand n'est que le candidat perpétuel de la gauche. Giscard est au pouvoir et règne sur la France tel un roitelet plein d'ambition. La mort de Barthes est suspecte. Il demande donc directement à un de ses policiers les plus fidèles, le commissaire Jacques Bayard, de trouver les coupables. Rien que par le portrait de ce flic « ancienne génération », le roman de Laurent Binet vaut le détour. Caricature du bourgeois réactionnaire hanté par la possible arrivée des communistes au pouvoir au sein de l'union de la gauche, il va devoir interroger pléthore d'intellectuels, tous plus incompréhensibles les uns que les autres. Bayard « réquisitionne » un jeune prof, Simon Herzog chargé de « traduire » les déclarations des Foucault, Sollers et autres intellectuels de haut vol gravitant autour de Roland Barthes.
Cet improbable duo, tels des Laurel et Hardy de la culture et de l'inculture, vont remuer ciel et terre pour retrouver la fameuse septième fonction du langage découverte par le sémiologue et mobile du crime. Car pour Laurent Binet, pas de doute, Roland Barthes a bien été assassiné. Il révèle même par qui dans le roman. L'enquête est surtout un bon prétexte pour se replonger dans cette année 1980, quand la France était sur le point de basculer à gauche. Il est justement beaucoup question de Mitterrand dans ces pages. Barthes, quelques heures avant son accident, déjeunait avec le candidat de la gauche : « Barthes se dit qu'il a en face de lui un très beau spécimen de maniaque obsessionnel : cet homme veut le pouvoir et a cristallisé dans son adversaire direct toute la rancœur qu'il pouvait éprouver envers une fortune trop longtemps contraire.(...) La défaite est décidément la plus grande école. »
Mais pourquoi tout le monde recherche cette hypothétique septième fonction ? Tout simplement car « celui qui aurait la connaissance et la maîtrise d'une telle fonction serait virtuellement le maître du monde. Sa puissance serait sans limite. » Alors entre les universitaires jaloux, les politiques en mal de popularité, les services secrets et mouvements révolutionnaires, cela complote à tire-larigot autour de la dépouille de Barthes. Bourré de références, hommages et moqueries, ce roman se dévore comme un thriller américain, avec l'intelligence en plus.


« La septième fonction du langage », Laurent Binet, Grasset, 22 €

DE CHOSES ET D'AUTRES : Le champignon invisible

Comme chaque année, l'irrésistible envie d'aller aux champignons me submerge. Comme chaque année, je m'apprête à rentrer bredouille. Chez les cueilleurs de champignons deux espèces se distinguent : ceux qui trouvent... et les autres. J'appartiens définitivement à la seconde catégorie.
Pourtant je ne me considère pas comme un néophyte en la matière. Les petits matins humides à s'enfoncer en famille dans des sous-bois encore obscurs font partie des plus beaux souvenirs de mon enfance rurale. Enthousiaste, sûr de moi, armé de mon bâton fétiche, je fouillais talus, ronciers et autres clairières. Au pied des chênes majestueux ou des châtaigniers touffus, je passais au crible chaque centimètre carré. En vain.
Rapidement, après avoir confondu plus d'une vingtaine de fois feuilles mortes ou branches pourries avec des cèpes, mon entrain baissait d'un cran. Je repérais bien quelques spécimens, généralement les plus colorés. Les plus toxiques aussi. Le coup de grâce venait souvent de ma famille. Mon frère et ma mère me suivaient à dix mètres et ramassaient tous les traîtres qui m'avaient échappé. Quand je les devinais se baisser pour cueillir ce bolet qui, une minute auparavant, aurait dû me sauter aux yeux, j'enrageais. À croire que ces satanés végétaux, si succulents une fois poêlés, avaient le don de se rendre invisibles à mon approche.
Alors je me faisais une raison et me contentais de ramasser des châtaignes, excellentes aussi, grillées au feu de bois.
Les champignons poussent actuellement, paraît-il. Mesdames les châtaignes, prenez garde, j'arrive.

lundi 14 septembre 2015

BD : Rentrée résolument "comics"

Si la BD Franco-belge a encore de beaux jours devant elle, le comics américain a de plus en plus d’adeptes. Et il n’est plus spécifiquement réalisé par des auteurs outre-atlantique.

comics, orphelins, recchioni, mammucari, gaiman, russell, glénat, delcourt"Orphelins” des Italiens Robert Recchioni (scénario) et Emiliano Mammucari (dessin) ont sans doute beaucoup aimé le film “Starship Troopers” de Paul Verhoeven. Comme dans le long-métrage, la terre est attaquée par des aliens et des commandos de jeunes terriens sont envoyés sur des planètes hostiles pour “botter le cul à ces monstres”. À la différence que les auteurs ont apporté beaucoup plus de soin aux personnalités composant le groupe de combattants. Tout débute par un flash. Une grande lumière blanche qui rend aveugle et sourd des millions d’Humains. L’attaque, un rayon, vient du fin fond de l’espace. Les différents pays s’unissent pour répliquer. Et profitent de la recrudescence d’orphelins pour les enrôler de force, malgré leur jeune âge, dans des bataillons d’élite. La première partie montre ces enfants originaires d’Espagne (Madrid et Barcelone), paumés, seuls, largués en pleine nature, obligés de tuer pour survivre. D’apprendre la solidarité aussi. Quelques années plus tard, les rares survivants forment un commando redoutable. Ils seront en première ligne pour se battre contre les extraterrestres, sortes d’ours en cristal, furtifs et puissants. 200 pages au rythme soutenu (format comic oblige), avec quelques superbes inventions sur la planète ennemie, notamment une réplique de la Sagrada familia de Barcelone tout en cristal.
comics, orphelins, recchioni, mammucari, gaiman, russell, glénat, delcourtL’étrange vie de Nobody Owens” est l’adaptation en BD du roman de Neil Gaiman paru chez Albin Michel. L’auteur s’est logiquement chargé de la transposition, déjà connu pour les séries “Sandman” et “Coraline”. Craig Russell a dessiné une aventure et la bible de cet univers, laissant plusieurs autres auteurs jouer avec Nob’. Une nuit, un tueur assassine toute une famille. Le père, la mère, la fille. Mais arrivé dans la chambre du petit dernier, le lit est vide. Il s’est réfugié dans un cimetière. Là, un couple de défunt décide de la protéger et de l’adopter. L’enfant devient Nobody Owens et va grandir entre tombes et chapelles, avec pour seuls compagnons des spectres et Silas, inquiétant homme en noir qui ne sort que la nuit. Entre récit fantastique et conte gothique, des histoires courtes permettent de comprendre comment le petit garçon va se forger une personnalité. Il descendra au plus profond des entrailles du cimetière pour un face-à-face avec une vouivre. Au pays des goules, il manquera mourir sans l’intervention d’un loup-garou (une louve en l’occurrence). Il parvient même à se faire une amie, une petite fille téméraire, prête à croire tout ce que raconte Nob’. Car s’il voit les spectres, pour elle ils restent invisibles. Reste le fil rouge de l’album : le tueur du début qui est toujours sur les traces de l’enfant. Mais ce sera pour le second tome annoncé début 2016...

Orphelins” (tome 1), Glénat, 14,95 euros

L’étrange vie de Nobody Owens” (tome 1), Delcourt, 19,99 euros.