samedi 30 mars 2024

Thriller - Holly, l'héroïne de Stephen King, seule face à deux vieux monstres

Stephen King retrouve Holly Gibney dans son nouveau thriller. La détective doit faire face à un couple maléfique insoupçonnable. 

 


Stephen King a de la suite dans les idées. Et n’aime pas gâcher de bons personnages. Après deux romans terrifiants (Mr Mercedes et L’Outsider), il remet Holly Gibney sur le devant de la scène. La détective privée mal dans sa peau doit affronter plusieurs crises en même temps.

Après la mort de son mentor, sa mère décède du covid. Covid qui met également hors-jeu son complice, Pete. Dans une Amérique de plus en plus fracturée (pour ou contre les vaccins, pour ou contre Trump), une mère la sollicite. Sa fille, Bonnie, a disparu.

Elles ne s’entendaient pas bien, mais la jeune bibliothécaire n’avait aucune raison de tout abandonner du jour au lendemain. Holly, toujours aussi peu optimiste, craint le pire. Enlèvement, viol, assassinat… Un scénario que le lecteur envisage aussi au premier chef en découvrant, entre les chapitres consacrés à la longue et patiente enquête d’Holly, les agissements des époux Harris. Deux vieux professeurs d’université qui cachent bien leur jeu de serial-killers.

Stephen King, en dévoilant dès les premières pages, les assassins, semble se moquer des cosy mystery très à la mode. Son roman n’en demeure pas moins passionnant car on découvre, au fil des pages, les agissements absolument horribles d’Emily et Rodney Harris. Arthrite et sciatique ne les empêchent pas de tuer et dépecer de jeunes victimes soigneusement choisies.

C’est une des difficultés que doit surmonter Holly : « Bonnie et Rae sont trop différents pour être victimes d’une même personne. Elle en est certaine. Presque. » Ce presque, doute caractéristique du fonctionnement d’Holly, donne tout son sel à ce thriller très psychologique. Car en plus des époux tueurs, on suit les remises en cause d’Holly découvrant les mensonges de sa mère ou la belle relation entre Barbara (une jeune collaboratrice d’Holly) et une vieille poétesse presque centenaire.

Souvent, dans les romans de Stephen King, ce sont ces passages hors intrigue qui donnent toute leur saveur à ces thrillers du réel.

« Holly » de Stephen King, Albin Michel, 528 pages, 24,90 €

vendredi 29 mars 2024

Roman français - Paysans et bêtes « Du même bois »

Une ferme en montagne. Des paysans. Et des bêtes. Le tout à travers les souvenirs de Marion Fayolle. Une chronique d’un temps révolu, entre nostalgie et envie de liberté.



Ces derniers mois sur les routes bloquées, et à Paris récemment pour la salon, il est beaucoup question d’agriculture. De son évolution, de son avenir, d’économie, de politique. Tout ce que vous ne trouverez pas dans ce texte de Marion Fayolle. Du même bois parle des hommes et des femmes qui depuis des générations vivent sur ces terres en moyenne montagne.

Pas des agriculteurs, non, des paysans dans toute la noblesse du terme. Ceux qui font ce pays, ces paysages. Devenue dessinatrice, Marion Fayolle a quitté cette ferme en Ardèche près de la source de la Loire. Ferme qui n’existe plus d’ailleurs. Non viable économiquement. Mais en y passant toute son enfance, elle a emmagasiné quantité de souvenirs. Elle aurait pu en faire une BD, elle a préféré raconter, avec des mots simples, des émotions fortes, des portraits de ses proches, ce quotidien où toutes les générations, de la « gamine » au pépé, cohabitent dans ces deux habitations reliées par l’étable où vivent les vaches et leurs petits.

L’autrice se met souvent à la place des anciens qui voient le temps passer, les mœurs évoluer, les traditions s’estomper. mais ils croient toujours que les jeunes vont continuer, comme eux qui ont repris l’exploitation des parents. « Les jeunes rêvent de s’envoler avant l’hiver, d’échapper à la neige qui les emprisonne pendant des semaines, des mois, Ils imaginent une vie à eux, qui ne serait pas celle des parents, qu’ils auraient réussi à inventer tout seuls. C’est l’adolescence, ça leur passera. Quand ils verront que ce n’est pas mieux ailleurs, ils reviendront, ils feront paysans, on ne veut jamais ressembler à ses parents quand on a quinze ans. »

Pourtant l’appel du large sera le plus fort. Pour la « gamine » notamment qui semble être le portrait craché de l’autrice. Comme ses cousins ou ses amis, « ils ont envie de partir, de débrider leur mobylette, de connaître ce qui existe derrière les montagnes, après les vallées, de l’autre côté des frontières. Ils ont eu un paysage entier pour grandir mais ça ne leur suffit pas. Au-delà de la ligne d’horizon, ils sont convaincus que c’est mieux. » L’exode rural expliqué simplement, humainement. Et chez les anciens, la survie est forte. Comme cette mémé qui « fait de tout petits pas, pour faire durer la vie, pour ne pas arriver trop vite à la fin. Elle raccourcit les promenades, n’a pas besoin d’aller loin pour compter les buses, surprendre des renards. »

Dans cette ferme vit la famille, besogneuse, résignée ou prête à déployer ses ailes ailleurs, mais aussi les bêtes. Ce sont les autres personnages principaux de ce récit. Les vaches, calmes ou capricieuses, les veaux, si mignons, irrémédiablement condamnés, quelques cochons, des lapins et une poule faisane domestiquée par un tonton zinzin. Une ménagerie merveilleuse qui semble elle aussi crier grâce à Marion Fayolle : « Ne nous oubliez pas ! ».

« Du même bois » de Marion Fayolle, Gallimard, 116 pages, 16,50 €

 

jeudi 28 mars 2024

Un témoignage : La maternité d’Elne

 


597 enfants. 597 vies sauvées par Élisabeth Eidenbenz entre décembre 1939 et avril 1944 à la maternité suisse d’Elne. Assumpta Montellà, historienne catalane, a publié ce livre témoignage en 2005.

Pour la première fois il est traduit en français. On découvre dans ces pages le récit de cette aventure humaine exceptionnelle, des photos d’époque mais surtout de nombreux témoignages, notamment de ces enfants d’Elne qui aujourd’hui encore avouent leur immense admiration pour Élisabeth et toutes celles et ceux qui ont sauvé ces vies durant cette période où violence et mort semblaient les plus fortes.

« La maternité d’Elne », Assumpta Montellà, Trabucaire, 132 pages, 20 €

mercredi 27 mars 2024

Un collector : concentré de P’tites Poules

 


Après parution en grand format, les histoires des P’tites Poules imaginées par Christian Jolibois et dessinées par Christian Heinrich, sont regroupées dans des albums collector petit format.

Le tome 5 reprend les quatre dernières aventures des amis des plus jeunes.

On vibre donc aux péripéties Carmen, Carmélito et compères en Chine, sur les bords de la rivière qui cocotte à cause de ces pollueurs de putois, avec Maurice, le dernier dodo de la planète et dans leur nid douillet au cœur de l’hiver, alors que Machab, le chêne légendaire et ses corbeaux maudits, tente de dérober leurs dernières graines.

Une compilation parfaite pour redécouvrir une des meilleures séries jeunesse de ces dernières années.

« Les P’tites Poules, collector » (tome 5), PKJ, 200 pages, 15,10 €

mardi 26 mars 2024

Un roman jeunesse : Moumoute

 


Du plus grand au plus petit. Cette histoire destinée aux enfants de 5 à 7 ans leur permet de prendre conscience des différentes échelles de grandeur des choses qui les entoure.

Les deux personnages de l’histoire, Moumoute et Mouchka sont deux amis inséparables mais radicalement différents. Moumoute est un gros ourson, Mouchka un minuscule insecte.


Quand ce dernier veut faire déguster les gâteaux qu’il a cuisinés avec amour pour le pique-nique, ce ne sont que des miettes pour Moumoute. Et comment jouer ensemble quand on est si différent l’un de l’autre ? Une belle parabole sur la compréhension de l’autre signée Inbar Heller Algazi, illustratrice installée à Toulouse.

« Moumoute et la journée avec Mouchka », L’École des Loisirs, 40 pages, 6,50 €

lundi 25 mars 2024

Un livre témoignage : la marche selon Noëlle Bréham

 

Visage connu des téléspectateurs amateurs de jardinage, voix identifiable après des décennies à France Inter, Noëlle Bréham a délaissé l’audiovisuel pour l’écrit.

Elle raconte dans ce récit au ton léger mais instructif (comme ses émissions) son besoin vital de marcher. De son enfance à sa retraite, elle en aura fait des kilomètres. « Quand je mets mes chaussures de marche, mon chien et mon cœur font la même chose : ils sautent de joie » se confie-t-elle. Une marche assez sportive : « Je marche vite, mais la plupart de mes amis marchent lentement, et ça me rend dingue. » En refermant ce livre vos pieds vont bouger tout seuls.

« Tête en l’air et pieds sur terre » de Noëlle Bréham, Salamandre, 128 pages, 19 €

dimanche 24 mars 2024

BD - Chat géant chez les dragons


Ethan Young, dessinateur américain d’origine chinoise, a imaginé son nouveau roman graphique en se basant sur des légendes du pays de ses parents. La voie dragon allie Chine ancestrale, futur inquiétant et fantastique classique. Le clan Wong est nomade.

Dans une sorte de château ambulant escorté par des engins plus maniables, il rejoint le Vieux Pays. Mais avant d’atteindre ces terres d’où il a été chassé il y a des décennies, il doit traverser le pays des dragons. Des humanoïdes ressemblant des dragons de Komodo. La confrontation est inévitable.

« La voie dragon », Glénat, 200 pages, 17,90 €

Seul le prince Sing échappe à leurs griffes. Après une longue errance, il atteint le Vieux Pays et rencontre le Mystique Ming, un sorcier, protégé par un chat gigantesque (au moins 10 mètres de hauteur), surnommé le Monstre par les légendes, Minuit pour les amis. Virtuose du dessin, Ethan Young parvient à donner une ampleur étonnante aux combats, malgré le petit format de la BD.

Par contre c’est un peu moins concluant au niveau du scénario, peu de surprise et une apologie de la royauté et du sang royal qui forcément à un peu de difficulté à passer au pays de la Révolution, des droits de l’Homme et de la guillotine…

« La voie dragon », Glénat, 200 pages, 17,90 €

samedi 23 mars 2024

BD - Imaginaires et Maléfics de Castlewitch

 


Second tome de la trilogie de Castlewitch, série imaginée par Nicolas Jarry et dessinée par François Gomes. Après avoir découvert la ville de Castlewitch et ses spécificités dans le premier tome, le lecteur plonge un peu plus dans la guerre entre Imaginaires et Maléfics.

Chaque enfant se crée un ami imaginaire. A Castlewitch ils sont réels. A l’adolescence ils disparaissent sauf dans certains cas. L’ami devient un Imaginaire si son créateur est bienveillant, un Maléfic s’il est animé de mauvaises intentions. Malo, le jeune héros, a un Imaginaire nommé Afnu’rr. Certains de ses camarades de classe aussi, ont un compagnon qui participe au combat souterrain.

Dans cette suite, Malo va se lier avec Irina, une nouvelle habitante de Castlewitch. Elle a un Maléfic, mais elle parvient toujours à le dominer. Jeu dangereux ? La suite est pleine d’affrontements, de combats et d’actes de bravoure. De renoncements aussi.

L’univers mis en place par Nicolas Jarry est particulièrement cohérent et passionnant. Chaque Imaginaire est représentatif des jeunes. Combatif pour Farah, peureux pour Jules et encore un peu trop joueur pour Malo.

Certains Maléfics sont véritablement terrifiants, mais d’autres sont risibles. Car cette BD, tout en étant très sérieuse et parfois même dramatique, offre une bonne dose de sourires. Et cela devrait aller en augmentant avec l’arrivée, dans le tome 3, de Grizzbou et Granloup, deux nouveaux Imaginaires envoyés pour aider les jeunes amis de Malo dans son combat.

« Castlewitch » (tome 2), Soleil, 56 pages, 13,50 €

vendredi 22 mars 2024

BD - Les dragons de Bédu

 


Bédu fait partie de ces destinateurs extrêmement doués mais qui n’ont pas eu la possibilité de magnifier leur talent. Longtemps il a dessiné des planches à la chaîne pour le journal Tintin. Puis il a rencontré le succès avec les Psy sur des scénarios de Cauvin. Mais il se contentait de passer d’un monde à un autre, sans pouvoir bâtir son propre univers graphique.

Or, à plus de 70 ans, Bédu signe d’un coup d’un seul sa grande œuvre, SangDragon, un album très personnel avec quantité de magie, de héros et de… dragons.

Dans ce Moyen Âge fictif, le roi Arthmel vient de rendre son dernier souffle. Son fils, le prince Oghor va prendre la relève. Même si secrètement le roi aurait préféré confier son royaume à sa fille, Hélia. Une mort et une naissance. Car au même moment un dragon s’éveille. Hélia est attirée par le monstre volant d’écailles et de feu. Elle va donc se lancer dans une longue quête pour retrouver la bête fabuleuse et découvrir qui en veut au Royaume. Car le roi a été empoisonné.

Le trait typique du style franco-belge de Bédu s’affranchit de ses traditionnelles rondeurs quand il imagine les dragons et surtout le peuple belliqueux qui vit avec eux. Le tout est d’une rare beauté combinée à une efficacité à toute épreuve. Un futur classique de la BD fantasy.

« SangDragon », Dupuis, 96 pages, 18,95 €

jeudi 21 mars 2024

Cinéma - Retrouvailles “Hors-saison”

Film délicat, mélancolique et sensuel, « Hors-saison » de Stéphane Brizé explore les amours passées, les retrouvailles et les impasses sentimentales. 


Certains couples formés le temps d’un film sont plus crédibles que d’autres. Dans Hors-Saison, Stéphane Brizé associe Guillaume Canet et Alba Rohrwacher. Et dès le premier regard, c’est l’évidence. Mathieu (Guillaume Canet) et Alice (Alba Rohrwacher) sont faits l’un pour l’autre, s’aiment comme personne ne peut aimer. Et pourtant, ce ne sont que des retrouvailles. 15 ans après une première histoire d’amour sans doute trop vite écourtée.

Le début du film est un peu plombant. Mathieu est un acteur de cinéma très connu approchant de la cinquantaine. Il arrive seul (sa femme, présentatrice du 20 heures est restée à Paris), pour une semaine de thalasso et de remise en forme dans un établissement de luxe au bord de l’océan. Entre deux selfies, il broie du noir lors de soins qu’il effectue l’esprit ailleurs. Mathieu doute. Il venait de s’engager sur une pièce de théâtre, la première de sa carrière. De moins en moins sûr de son choix, apeuré par un possible échec, il a tout abandonné, dont ses collègues et le metteur en scène.

Deux comédiens au diapason

Stéphane Brizé, en filmant un Guillaume Canet sombre et grimaçant, comme vide de tout sentiment, raconte avec justesse ce doute, cette désillusion. Et comme le séjour se déroule hors-saison, le temps, venteux et pluvieux, ne fait que renforcer cette impression d’écrasement, presque de désespoir. Jusqu’au jour où il reçoit un message d’Alice. Il y a plus d e15 ans, il vivait avec cette pianiste. Le succès l’a éloigné d’elle. Elle vit dans cette ville balayée par les embruns, mariée, mère d’une grande adolescente et donnant des cours de piano. Accepterait-il de la revoir ? Comme si un autre film débutait, c’est un couple qui se retrouve devant la caméra sensible du réalisateur. Ils tâtonnent pour leurs retrouvailles. N’osent pas trop parler du passé, de leurs bons ou mauvais moments. Comme deux bons copains. Mais tout dans leur gestuelle, leurs regards, leurs hésitations, démontre que les sentiments sont toujours présents. 15 ans plus tard, ces retrouvailles sont intenses. Même s’ils se séparent, après un simple thé, en bons amis.

Mathieu retourne déprimer sous les couches de boue et d’algues, à lire des scénarios convenus ; Alice prépare l’anniversaire de sa fille et participe aux réunions municipales organisées par son mari à domicile. Et puis ils se revoient. Presque sans le vouloir. Car chacun de son côté n’en peut plus de ressasser le passé, de regretter la fin abrupte de leur première histoire, de croire qu’il y a peut-être une seconde chance.

Film d’une grande douceur, Hors-saison est porté par les deux comédiens. Guillaume Canet déploie son talent pour retranscrire toutes les émotions de cet homme brisé qui ne tient debout que grâce à sa carapace forgée au fil des ans. Alba Rohrwacher, comédienne italienne d’une lumineuse beauté, excelle pour nous faire comprendre que le passé, tout aussi douloureux qu’il soit, n’est que le résultat de nos choix du moment.

Film de Stéphane Brizé avec Guillaume Canet, Alba Rohrwacher