dimanche 21 septembre 2014

Livre : Blanès et ses fantômes

Un dimanche passé à Blanès, ville balnéaire près de Barcelone, change radicalement la vie d'Éva Elle va y retourner et s'y installer pour tenter de comprendre.

blanes, gallimard, jeanmart, barcelone, BolanoLes premiers romans sont souvent (toujours ?) autobiographiques. Hedwige Jeanmart est Belge. Installée depuis quelques années à Barcelone, elle s'est certainement inspirée de sa propre vie pour écrire ce roman. Est-elle Éva, le personnage principal et narratrice ? A moins qu'elle ne ressemble plus à Yvonne, une autre jeune fille vivant dans un camping à Blanès ? En lisant ces lignes, on se pose forcément la question. Du moins au début. Car rapidement l'atmosphère énigmatique, presque fantastique, du roman nous happe. On se retrouve alors avec Éva, dans les ruelles de la cité catalane à la recherche d'une mystérieuse maison et à guetter l'apparition de fantômes.
Tout commence un week-end. Éva demande à son compagnon Samuel s'il est d'accord pour passer la journée à Blanès. Un dimanche hors saison, à déambuler le long de la mer et manger dans un petit restaurant. Puis retour à Barcelone. Sauf que ce soir-là, Samuel est mort. Disparu, volatilisé, envolé... Éva tombe dans un état de prostration. Dans sa jolie maison de Barcelone, elle se coupe du monde. Ne sort plus, ne répond pas au téléphone. Surtout elle s'interroge, tente de trouver des explications à cette mort soudaine. A force de questionnement intérieur, elle parvient à la déduction que c'est la journée à Blanès qui est la cause de tout. Sur un coup de tête elle retourne dans la petite ville, s'installe dans une pension et se remémore sa dernière journée avec Samuel pour tenter de découvrir l'élément déclencheur.

Au bord de la folie
La jeune femme décrite dans le roman d'Hedwige Jeanmart a tout de la folle. Ou du moins de l'esprit obsédé par un événement irrationnel. Lors du dernier repas avec Samuel, ce dernier lui a lu un extrait d'un texte de Bolaño. Cet écrivain d'origine chilienne est la célébrité locale. Il semble exercer une fascination très forte sur toute une faune qui s'est installée à Blanès, sur ses traces. Éva va en croiser plusieurs, devenir leurs amis et sans tomber dans leur dévotion, découvrir les charmes vénéneux de Blanès. Son séjour, qu'elle pensait court, se prolonge, s'éternise presque. Elle est comme prisonnière : « Cette appropriation des lieux à ce point désincarnés, où je n'éprouvais absolument rien sinon une solitude et une désespérance sans fond, me dérangea : et si la question n'était plus tant de comprendre ce qui s'était passé mais ce qui était en train de se passer ? Je m'installais à Blanès où tout m'était désagréable et je m'y complaisais. C'était comme si j'acceptais de souffrir d'une maladie et que cette maladie devenait tout pour moi, que je ne pouvais plus m'en passer. » Éva cherche notamment une maison décrite dans un livre de Bolaño.
En sillonnant les petites rues, elle découvre qu'elle n'est pas seule dans ce cas. Il y a par exemple Yvonne, une jeune Belge vivant à l'année sous une tente dans un des campings de Blanès. Un serveur de restaurant aussi, d'origine népalaise. Et d'autres quasi fantômes à la recherche du spectre de Bolaño.
Voyage initiatique, au bord de la folie, ce premier roman est souvent déconcertant. L'auteur semble parfois dépassée par son sujet. Mais cela ne dure pas. Elle reprend les commandes de son héroïne. Même si on a presque l'impression que cette dernière, comme dotée d'une propre vie, tente de nouveau de s'échapper par des chemins de traverse. Reste au final beaucoup d'interrogations et l'envie urgente d'aller visiter Blanès et rencontrer son étrange population. Avec cependant la crainte de se retrouver envoûté par le fantôme de Bolaño.
Michel LITOUT

« Blanès », Hedwige Jeanmart, Gallimard, 18,50 €

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