mercredi 29 juillet 2020

Roman - Soyez humains, aidez les animaux


Si Séverine de la Croix est surtout connue dans le milieu littéraire pour ses contributions jeunesse et ses scénarios de BD, son nouveau roman adulte devrait changer la donne. L’histoire chorale de Mado, Lazslo, Issa ou Agnesse est belle, passionnante, on ose même le terme d’apprenante devenu à la mode cet été. Mado, aide-soignante à Uzès dans le Gard, a un don. 

Quand elle touche les mains d’une personne, elle découvre son avenir, ses qualités ou ses pires défauts. Voilà comment elle décide avec son colocataire Lazslo d’aller sauver un chien martyrisé par un homme qu’elle a soigné peu de temps auparavant. Une expédition mouvementée, où elle ne doit son salut qu’à l’intervention d’un mystérieux policier, Issa, si beau et gentil qu’elle en tombe raide amoureuse sur-le-champ. 

Si les histoires de cœur font un peu cliché, le reste du récit, sur la résilience et l’action directe contre la maltraitance des animaux, compense le tout. 

« Au milieu de la foule », Séverine de la Croix, Éditions du Rocher, 17,90 €

mardi 28 juillet 2020

BD - Souvenirs d’un été dramatique


Cela fait des années que Lisa et Aless sont amis. Ils vivent tous les deux au bord du lac, rêvent de construire un radeau, pratiquent le karaté. Et puis du jour au lendemain, Aless disparaît. Sa mère s’est noyée dans le lac. 

Quelques années plus tard, alors qu’elle est devenue une jeune fille, Lisa pense encore à son copain quand elle passe à côté de la maison abandonnée. Et 21 jours avant le 15 août, date présumée de la fin du monde selon un illuminé local, on sonne à sa porte. C’est Aless…

 

Ce roman graphique de 200 pages signé  Silviana Vecchini (scénario), Sualzo (dessin) est d’une grande tendresse. Lisa tente de comprendre pourquoi ces années de silence. Elle parviendra à surmonter les doutes de son ami en appliquant simplement les 20 préceptes du karaté, plus philosophie que sport.  

« 21 jours avant la fin du monde », Rue de Sèvres, 16 €

lundi 27 juillet 2020

Thriller - Puzzle inuit


Si le dicton « Qui aime bien châtie bien » est vrai, Mo Malo adore son héros récurrent Qaanaaq Adriensen. Dans sa 3e enquête, Nuuk, récemment parue, l’auteur entraîne le chef de la police du Groenland dans une série d’épreuves risquées. Outre le fait qu’il risque à tout moment la révocation en raison de ses agissements des précédents romans (Qaanaaq et Disko, des villes de cette île glacée, comme Nuuk), il risque de tomber dans un précipice alors qu’il est au sommet d’une montagne sacrée, se crashe en hélicoptère en pleine mer arctique, se fait attaquer par un requin et tombe en motoneige dans une crevasse. 

Mais pour ce colosse qui devient également père entre deux courses-poursuites, le pire est sans doute les séances quotidiennes obligatoires avec la psy de la police, Pia Kilanaq, qui se révèle aussi opiniâtre que lui pour le faire parler quelqu’un en interrogatoire. 

Un polar doublement dépaysant en cette période de canicule.  

« Nuuk » de Mo Malo, La Martinière, 20,90 €

samedi 25 juillet 2020

Biographie - Femme et aventurière



Si de nos jours manifester dans la rue les seins nus est le principal exploit de certaines féministes, dans le temps, d’autres militantes prenaient beaucoup plus de risque. 

Dans la nouvelle biographie de Jane Dieulafoy écrite par Audrey Marty, on redécouvre les nombreux faits d’armes de cette Toulousaine intrépide. Dès la guerre de 1870, elle se déguise en homme pour participer aux combats. À la fin de sa vie, elle sera une de celles qui obtiendra le droit des femmes de participer à l’effort de guerre. 

Entre, avec son mari Marcel, elle parcourt 6 000 km au Proche-Orient découvrant des richesses archéologiques toujours exposées au Louvre, notamment les lions de Suse. Toujours habillée en homme (ce qui lui vaudra d’être moquée dans les journaux satiriques), elle écrira un opéra pour Camille Saint-Saëns donné en 1902 dans les arènes de Béziers. 

Elle meurt en 1916, laissant un mari éploré et une œuvre à redécouvrir.

« Le destin fabuleux de Jane Dieulafoy », Audrey Marty, Le Papillon Rouge Éditeur, 19,90 €

vendredi 24 juillet 2020

BD - Trois sœurs et un secret



Alessandro Barbucci, Italien de Gênes installé à Barcelone, a un style inimitable. On reconnaît au premier coup d’œil les femmes ou filles qu’il dessine.

 Impossible de trouver plus charmant. Après avoir effeuillé son héroïne de Ekho (Arleston au scénario), il propose une série plus sage avec trois sœurs et beaucoup d’interrogations. 



Les premières planches laissent penser que c’est encore un univers magique. Mais on est dans le rêve de Sarah, l’aînée des sœurs Grémillet. Elle croise une petite méduse. Quel est le sens de ce rêve ? A-t-il un rapport avec la jeunesse de sa mère ? 

Plus spécialement destiné au public féminin, ce récit doux et fantasque, aborde le thème des secrets de famille et surtout la meilleure façon de s’en défaire. 

« Les sœurs Grémillet » (tome 1), Dupuis, 13,95 €

jeudi 23 juillet 2020

Polar - Déguste, c’est du Manchette !



Paru en 1971 dans la Série Noire, L’affaire N’Gustro de Jean-Patrick Manchette est la première pierre à son édifice le plaçant au sommet du roman noir français. Après avoir beaucoup écrit (pour la télévision, le cinéma et des romans de commande sous pseudonyme), il décide de se lancer dans le grand bain. Dans cette réédition, on découvre qu’il délaisse les intrigues entre flics et gangsters pour un roman social s’inspirant de l’enlèvement de Ben Barka. Là où il fait sensation c’est qu’il se place du côté du fasciste. 

Le narrateur, Henri Butron, fils de médecin, a mal tourné. Étudiant il était du côté de l’extrême droite dans les rangs de ceux que Manchette affrontait au quotidien, lui qui était situationniste. 

La modernité de l’écriture de Manchette s’impose immédiatement. Et nous voilà complètement fascinés par Butron mais aussi par les deux militaires africains qui viennent de l’abattre. Car tout cela finit mal, très mal. 

« L’affaire N’Gustro » Jean-Patrick Manchette, Série Noire, 14 €

mercredi 22 juillet 2020

BD - Guerre civile et magie dans No War


La série No War d’Anthony Pastor se bonifie de tome en tome. Plus d’efficacité dans le dessin, intrigue prenante, personnages attachants : c’est la preuve que le roman graphique BD est capable de se réinventer. Le Vukland, petit archipel imaginaire de l’Atlantique Nord est sur le point d’exploser. 

Alors que des affairistes sont arrivés au pouvoir, les Kiviks, premiers habitants, refusent la construction d’un barrage sur leurs terres sacrées. La police intervient alors que les Chinois manigancent pour mettre la main sur le pétrole local mais aussi, et surtout, les pierres magiques des Kiviks aux pouvoirs fabuleux. 

Dans ce chaos, un groupe de jeunes tente de concilier modernité, tradition et vie libre. 

« No War » (tome 4), Casterman

Série télé - Faut pas énerver les nonnes !


Tirée d’une BD très sexy (sexiste pour certains…), la série télé Warrior Nun diffusée sur Netflix est beaucoup plus sage. Le résultat manque un peu de pimpant, la distribution très européenne desservant un peu cette production du Canadien Simon Barry. 

Dans le rôle principal, Alba Baptista, actrice portugaise qui parle en anglais et parfois en espagnol, l’action se déroulant en Andalousie. Elle interprète une tétraplégique de 16 ans, morte quelques heures plus tôt, est ressuscitée par le halo d’un ange la transformant en nonne guerrière. 

Elle devra, malgré son opposition, combattre les démons et une conspiration à l’intérieur du Vatican. Les combats sont impressionnants, les effets spéciaux acceptables. Le meilleur restant les décors naturels méditerranéens très ensoleillés. Ça donne d’aller y passer ses vacances. Dommage… 

Cinéma - Allemagne, pays meurtrier

Markus Bach (Felix Kramer) et Patrick Stein (Trystan Putter), flics et ennemis. KMBO


Polar allemand se déroulant dans les années 90 peu de temps après la réunification allemande, Lands of murders est en réalité le scénario de La isla minima, long-métrage espagnol de Alberto Rodriguez. Le policier, ancien franquiste est remplacé par un colosse passé par la Stasi. Dans cette ancienne Allemagne communiste, livrée aux capitalistes, deux policiers sont chargés d’enquêter sur la disparition de deux jeunes filles.

 Markus Bach (Felix Kramer) de la police locale doit faire équipe avec Patrick Stein (Trystan Putter), un pur et dur de la police de l’Ouest. Tout le début du film est construit sur l’opposition entre ces deux hommes. Le premier, adepte de la méthode forte, quand la police avait tous les droits dans la RDA, voudrait mener l’enquête à sa façon. On rentre dedans, on secoue les suspects et on attend qu’ils craquent. Le second, flic moderne, qui respecte les procédures, pose des questions, tente de découvrir la vérité en observant. 

L’enfer de la réunification

Quand les corps des deux femmes sont retrouvés, atrocement torturés en mutilés, la hiérarchie exige des résultats rapides. Paradoxalement, aucune des deux méthodes ne fonctionne. Bach et Stein sont en territoire ennemi, la gendarmerie est corrompue, les locaux soudés pour ne rien dire. Une chape de plomb pèse encore sur la région en pleine déshérence industrielle. 

Usines sur le point d’être rachetées et démantelées, fermes abandonnées, rivières polluées : tout dans l’ex-RDA a un goût d’apocalypse. Un véritable enfer où un diable s’amuse à tuer d’innocentes jeunes filles qui elles ne désirent qu’une chose : rejoindre Berlin pour un nouveau départ. 

Alors face à l’adversité, les deux policiers vont s’apprivoiser, s’épauler, collaborer et finalement comprendre le nœud du problème. Film sombre sur une période de l’histoire allemande rarement abordée, Lands of murders séduira tous les amateurs d’ambiances troubles et délétères.

Film allemand de Christian Alvart avec Trystan Pütter, Felix Kramer, Nora von Waldstätten

 


Cinéma - « Madre » ou l’histoire d’un deuil impossible

Le virtuose madrilène Sorogoyen revient avec un portrait surpuissant.


Maria Neto campe une mère à la dimension mythologique face à Jules Porier, angélique.  Le Pacte

La réalisation de ce film a débuté en 2016. Avant de se lancer dans le tournage du remarquable long-métrage Que Dios nos perdone, Rodrigo Sorogoyen nouveau prodige du cinéma espagnol, signe Madre, un court-métrage en un seul plan séquence. Elena (Maria Neto), en compagnie de sa mère, rentre dans son appartement madrilène. Elles discutent de tout et de rien quand le portable sonne. C’est Ivan, le fils d’Elena, qui appelle. La mère est contente car il est parti pour une semaine en camping avec son père sur les plages françaises. Mais si Ivan téléphone, c’est parce qu’il est inquiet, seul sur la plage déserte, son papa ne revenant pas après de longues minutes d’absence. 

Les batteries du téléphone sont presque vides. Il voit un homme qui l’observe. Il le raconte avec ses mots d’enfants et Elena commence à paniquer. La tension monte, la caméra virevolte autour d’Elena, Ivan a de plus en plus peur. Il tente de se cacher, mais l’homme le retrouve. La communication coupe quand on entend une voix adulte parlant français à Ivan. Fin du court-métrage et de l’ouverture angoissante à l’extrême de Madre, le film de 2020. 

La folle de la plage

Une prouesse saluée partout dans le monde, remportant  nombre de prix jusqu’à l’apothéose et sa nomination aux Oscars. Rapidement, Rodrigo Sorogoyen a eu l’idée de prolonger l’histoire d’Elena, de donner une suite à Madre. C’est chose faite avec ce film qui sort en plein été, après la période de confinement, loin de la zone de confort qu’il mériterait. 

Car Madre, en conservant le court en préambule, se détourne du thriller, genre dans lequel le réalisateur excelle, pour se concentrer sur le portrait de cette femme incapable de faire son deuil. La communication coupe et on retrouve Elena dix ans plus tard. Elle vit dans les Landes, là où son enfant a disparu. Il devrait avoir 16 ans aujourd’hui. Elle arpente le sable à la recherche de son fils. Les locaux la surnomment la folle de la plage... 

Serveuse dans un restaurant en bord de mer, elle observe les adolescents. Comme si son fils allait réapparaître à tout moment. Et quand elle croise le chemin de Jean (Jules Porier), elle a un doute. Elle le suit et découvre qu’en fait il vient de Paris, a deux frères et passe ses vacances avec ses parents. 

Elena retourne à sa nostalgie, sa non vie. Mais Jean a remarqué le manège de la serveuse et avec l’aplomb de sa jeunesse, il drague ouvertement la belle Elena. Incrédule, sans doute flattée, elle ne résistera que mollement à Jean. Et volera ainsi quelques moments de complicité avec ce presque jeune homme, comme si cette tête bouclée et ce visage d’ange étaient réellement son fils. En évitant tous les écueils propres à ce genre d’histoires (Jean est mineur), Rodrigo Sorogoyen parvient à émouvoir. 

A double titre. Par le bonheur fugace d’Elena, profitant enfin durant quelques heures de la vie mais aussi dans les yeux de Jean, découvrant les jeux de l’amour et s’opposant à ses parents trop bourgeois à son goût. Cette fausse romance aurait pu être un simple amour d’été, c’est finalement le double portrait d’une femme et d’un homme passant à l’âge adulte. 

Film espagnol de Rodrigo Sorogoyen avec Marta Nieto, Jules Porier, Anne Consigny