Dans 'Le pouvoir des innocents', Luc Brunschwig imagine une histoire parallèle aux USA. Dans son monde, dessiné par Nouhaud, Jessica, l'amie des pauvres, est devenue maire de New York. Son poulain Lou McArthur est élu gouverneur. Tout semble aller pour le mieux avec ces forces de progrès, mais en coulisses l'establishment ne supporte pas l'émergence de ce parti des petits. Et à l'élection présidentielle suivante, le candidat républicain, fils d'un ancien président qui tire toujours les ficelles, l'emporte sur le fil. Une série politique passionnante à lire d'urgence alors que la vraie présidentielle US se prépare activement pour novembre. "Le pouvoir des innocents" (cycle 2, tome 4), Futuropolis, 13 euros.
Depuis longtemps, je suis fâché avec les chapeaux. Pas les couvre-chefs qui servent à se protéger du soleil, mais ces petits appendices que la langue française a imaginés pour que l'on se souvienne d'un "s" disparu. Un chapeau plus connu sous le nom d'accent circonflexe et qui orne, par exemple le mot "fâché" écrit quelques lignes plus tôt. Je l'ai oublié, comme trop souvent. Par contre mon "tôt" était bien orthographié. Si dans la copie finale le "a" de fâché est correct, c'est grâce à la vigilance de ma femme, correctrice en chef des chapeaux (et plus...) de ces chroniques. Elle ne se prive jamais de me faire remarquer mes lacunes en matière d'accentuation. Mais à force, elle-même a tendance à se mélanger les pédales. Car non seulement j'oublie des accents, mais parfois j'en rajoute là où il n'en faut pas. Jeune journaliste, j'étais très fier d'un long reportage sur le travail de la gendarmerie maritime au large de la Martinique. Jusqu'à ce qu'un collègue (perfide le collègue) me fasse remarquer que le a de "bateau" ne prenait pas d'accent. Faute répétée une dizaine de fois dans la pleine page... La honte absolue. J'essaie d'oublier cette triste anecdote, mais elle reste très prégnante dans mon esprit. D'autant que l'autre jour, en corrigeant une chronique pas encore publiée, mon épouse se demande à haute voix : "il ne faut pas un chapeau à bateau ?" Non ! Trois fois non ! S'il y a bien un mot que je sais écrire désormais, c'est bien bateau. Et elle de s'écrier : "je vois des chapeaux partout !"
Avant Maigret, avant Sherlock Holmes, qui aurait pu endosser les habits d'un détective féru de science ? Luca Blengino (scénario) et Stefano Carloni (dessin) ont trouvé les héros parfaits. Ils imaginent que deux savants italiens de la Renaissance unissent leurs connaissances pour résoudre une énigme. Copernic, le vieux et Paracelse, le jeune, sont réquisitionnés par la milice pour tenter de démasquer le meurtrier d'un professeur de l'université de Ferrare. Entre l'astrologue et l'alchimiste, le courant ne passe pas toujours mais leurs grandes connaissances permettront de résoudre cette mystérieuse histoire de plomb transformée en or. "Les savants" (tome 1), Soleil Quadrants, 14,95 euros.
Grosse indignation il y a quelques jours après une décision du conseil des prud'hommes de Paris qui considère que le terme de "PD" adressé à un coiffeur n'est pas homophobe car "il est reconnu que les salons de coiffure emploient régulièrement des personnes homosexuelles". Les associations de lutte contre l'homophobie montent au créneau pour dénoncer un cliché lamentable. Même la ministre du Travail Myriam El Khomri a qualifié de "scandaleux" et "choquant" ce jugement. Pourtant, un lecteur régulier de cette chronique, qui a durant 20 ans coupé les cheveux de ses clients et clientes, ne le prend pas de façon si dramatique. Au contraire, il m'a confié qu'il se réjouissait de la réputation de son corps de métier. "Parce qu'il ne faut pas oublier qu'il y a des coiffeurs qui aiment se transformer en femme et d'autres qui aiment les femmes." Car à l'époque, le cliché du "figaro gay" était encore plus répandu qu'en nos temps de politiquement correct : les maris confiaient leurs épouses aux mains d'hommes qu'ils ne considéraient pas comme des rivaux. Mais certains cachaient bien leur jeu et profitaient de leur position pour faire mentir les statistiques. On commence par un shampooing, suivi d'un massage du cuir chevelu. Puis on joue avec les mèches, on touche la nuque, les oreilles... autant de zones érogènes en puissance. Après, si la cliente se relâche un peu, tout peut aller très très vite. Résultat, non seulement certains coiffeurs ne sont pas "PD", mais en plus se révèlent meilleurs amants que les maris cocufiés.
Alors que tous les élevages de canards du sud-ouest sont en vide sanitaire pour encore de longues semaines, cette BD fait froid dans le dos. Jean-Pierre Pécau, le scénariste, a simplement brodé sur une mise en garde de l'Organisation mondiale de la santé (OMS). "La question n'est pas de savoir si le virus de la grippe aviaire risque de muter pour devenir mortel pour l'homme, mais quand ?". Cette série de science-fiction apocalyptique dessinée par Damien débute quinze années après le début de l'épidémie. Le héros, un ancien militaire, tente de rejoindre la Suisse, seul pays épargné selon les rumeurs. Il avance dans les Alpes avec sa mule mécanique, un robot de défense qui détecte tout ce qui bouge dans les airs. Car dans ce monde où la vie est devenue rare, le danger vient du ciel. Le moindre corbeau qui approche de trop près est inexorablement abattu. Ce premier épisode revient sur le passé du héros, son désenchantement, ses cauchemars et sa nouvelle mission : retrouver dans les Pyrénées un point d'extraction vers une station spatiale épargnée. Efficace et passionnant. "Soleil froid" (tome 1), Delcourt, 14,50 euros
Le magazine Lire, le mois dernier, consacrait son dossier à cette interrogation qui trotte dans la tête de milliers de Français "Comment se faire éditer ?". Un chapitre était consacré à l'auto-édition et au phénomène des ebooks. Si la première solution, classique mais coûteuse, n'est pas à la portée de toutes les bourses, publier un ebook sur le net se révèle par contre d'une facilité déconcertante. Même un enfant de 5 ans y arriverait. À la différence qu'un gamin, souvent, fera mieux que les centaines d'ouvrages dénués de la moindre qualité littéraire et pourtant proposés à la vente, notamment sur Amazon. Quelques sites ont sélectionné le pire du pire. Tout en étant persuadé que ces nouveaux auteurs peuvent encore se dépasser dans la nullité. L'horreur débute toujours par le titre et la couverture. Pas besoin de dépenser 0,99 euros (achat ou location). Un seul coup d'œil sur l'affreuse photo suffit pour se rendre compte que la littérature n'y gagnera rien. Parmi les bizarreries glanées ici et là, n'allez pas croire que le livre intitulé "RJ45" vous permettra de découvrir toutes les utilisations de la prise éthernet du même nom. L'auteur (un ancien informaticien) présente son ebook comme un polar où "suspense et rebondissements sont mêlés à une bonne dose d'humour". Mais le pompon est décerné à un auteur qui au moins annonce la couleur. Au-dessus d'une main s'apprêtant à ramasser une poignée de billets, le titre est sans équivoque "Si vous empruntez ce livre... je gagnerai peut-être dix centimes d'euro".
Dans un verbe cru, Chahdortt Djavann parle de la difficile condition des femmes en Iran. Au point que la prostitution est devenue leur principale activité professionnelle. On suit le destin de deux jeunes filles, belles mais nées au mauvais endroit. La première, violée dès la première heure de sa fugue, devient une prostituée recherchée. La seconde tombe sous le joug d'un mollah qui l'emploie comme femme de substitution comme l'autorise les textes religieux. Une prostitution qui ne dit pas son nom... Et l'auteur fait témoigner le cortège des prostitues assassinée ou pendues. L'une d'entre elles résume tout le problème : « Habiter un corps de femme dans l'immense majorité des pays musulmans, est en soi une faute. Une culpabilité. Avoir un corps de femme vous coûte très cher, et vous en payez le prix toute votre vie. » Glaçant. « Les putes voilées n'iront jamais au Paradis ! » de Chahdortt Djavann, Grasset, 18 euros
Amateurs de bons mots, de finesses linguistiques et de pièges diaboliques, les cruciverbistes sont les derniers aventuriers de la langue française. Chaque jour ils se délectent en remplissant leur grille, regrettant simplement la rareté des nouvelles trouvailles. Ces amateurs de difficulté et de remue-méninges vont adorer le recueil concocté par Sylvain Vanderesse. Expert de la discipline, il propose 45 grilles en mode argot. Il puise dans les expressions de la langue de la rue, popularisée par Audiard ou San-Antonio pour inventer des définitions pas piquées des hannetons. Pour les puristes, quelques exemples : "perdent naturellement de leur volume après avoir été sucées" (9 lettres) ; "Toujours partante pour une partie de jambe en l'air" (9 lettres) ou "Ce sont des pointes d'orgueil dans les calcifs" (9 lettres). Si vous avez trouvé réglisses, majorette et érections, vous êtes un champion ! Bonus, des explications sur l'origine des expressions accompagnent les solutions. "Jactez-vous l'argot", Sylvain Vanderesse, Points, 6,90 euros
Premier film de Sylvain Desclous, "Vendeur" permet au spectateur de plonger dans le monde impitoyable de la vente de cuisines. Présenté comme ça, le film n'est pas très alléchant. Et pourtant il ne manque pas d'intérêt grâce à ce décalage entre un sujet peu vendeur (justement !) et une réflexion beaucoup plus profonde sur le monde du travail et la transmission de père en fils. Comme pour "La loi du marché", il s'agit d'un long-métrage social, entre dénonciation et résignation d'un modèle économique aliénant, tant pour les vendeurs que les acheteurs. On n'en sort pas indemne, plein de questionnement sur sa propre utilité (ou nuisance) dans ce monde à bout de souffle et totalement dénué d'humanité.
Serge (Gilbert Melki) est le meilleur. Ce vendeur fait exploser les chiffres. Il propose ses services aux plus offrants, allant de magasin en magasin, au volant de sa voiture sportive, comme une légende transformée en réalité. La journée il cajole les clients, les persuadant d'acheter des cuisines forcément trop chères pour leur budget. Mais le crédit à taux variable n'a pas été inventé pour les chiens. Les pigeons par contre... Le soir, il brûle son pactole dans des bars huppés, en champagne et cocaïne, fréquentant des prostituées qui lui donnent un semblant d'amour. Pourtant Serge a dû avoir une vie normale dans le passé. Il a un fils, Gérald (Pio Marmai) qu'il voit occasionnellement. Gérard n'a pas suivi les traces de son père que l'on devine très absent dans sa jeunesse. Il a ouvert un restaurant avec sa compagne. Mais l'Urssaf l'a rattrapé. Criblé de dettes, il doit fermer son établissement et demande à son père de le recommander pour devenir, comme lui, vendeur dans un magasin de cuisines.
Vendre ou ne pas vendre ?
Autant Serge n'a aucun scrupules à gruger ses clients, autant Gérald refuse de vendre pour vendre. Conséquence, ses résultats sont mauvais et le patron (Pascal Elso) le vire. Serge intervient pour lui sauver la mise, donne des conseils et le fils, excellent comédien, se met dans le rôle du vendeur, multipliant les contrats. Avec les dérives classiques : alcool, filles faciles et perte de la notion de réalité. Serge, malade, se désespère de voir son fils devenir, comme lui, un bloc d'égoïsme et d'arrivisme. Mais comment empêcher la mauvaise graine de pousser quand c'est soi-même qui l'a semée et renforcée à grands coups de conseils comme de l'engrais puissant ? Bourré d'anecdotes sur ce monde très particulier de la vente, le film est parfois un peu lent. Par contre il n'est jamais manichéen. S'il y a des vendeurs, c'est qu'il y a des acheteurs. Les dérives ne sont que les conséquences de patrons avides de chiffres d'affaires, de records et autres "performances" pour plastronner dans les foires et salons. Le film dénonce ces pratiques, mais se penche surtout sur l'incompréhension entre un père et son fils. Sa force est de ne pas faire la morale ni l'apologie d'une pratique contre une autre. Chacun est libre. La rédemption, si elle existe, n'est que le fruit d'une prise de conscience personnelle. La fin du film est optimiste. Elle aurait tout aussi bien pu être dramatique.
Pire que les attentats de septembre 2001, la crise des subprimes aux USA a failli mettre tout un pays à genoux en 2007. Un scandale financier aux répercussions mondiales, jetant des millions d'Américains à la rue, incapables de rembourser les emprunts immobiliers généreusement attribués par des banques totalement dénuées d'éthique. Cette bulle financière est au centre du film d'Adam McKay intitulé "The Big Short" et sous-titré "Le casse du siècle". Les sommes en jeu sont astronomiques. Ce ne sont pas quelques millions de dollars que certains traders ont perdus (ou gagnés) en spéculant, mais des dizaines de milliards. La distribution est époustouflante. Le carré d'as d'Adam McKay est composé de Christian Bale, Steve Carell, Ryan Gosling et Brad Pitt. Le premier interprète le Dr Michael Furry, un gestionnaire de fonds. Le seul, bien avant tout le monde, à avoir pris conscience de la fragilité de ces obligations composées de prêts "pourris". Cet homme asocial, qui ne sait pas interagir avec les autres humains, ne comprend qu'une seule chose : les chiffres. Il a décortiqué des milliers de prêts hypothécaires pour se persuader que tout cela n'était pas viable. Après quelques projections, il a la certitude que tout va s'écrouler en 2007.
D'autres ont la même démarche. Mark Baum (Steve Carell), investisseur certainement trop idéaliste, trouve là une occasion rêvée pour dénoncer l'inconscience des banques, aidées dans leur "complot" par les agences de notation. Enfin deux jeunes geeks (John Magaro et Finn Wittrock) sentent eux aussi le coup parfait pour profiter de la cupidité d'un système en roue libre. Le paradoxe de toute cette affaire, c'est que les seuls qui ont eu l'intuition de l'arnaque, vont eux aussi profiter du système. En prédisant la chute des subprimes, ils savent que leurs mises de départ vont être multipliées par 100. Face à la dégringolade du marché, le gouvernement US intervient, sauve les banques. Par contre il n'a rien fait pour les milliers de contribuables qui ont tout perdu. Le film d'Adam McKay dénonce aussi cet état de fait. Et surtout il annonce que loin d'avoir compris la leçon, certains organismes financiers ont mis en place de nouvelles obligations, copies conformes des subprimes. Quelques gagnants, des millions de perdants, telle est la logique de ce capitalisme triomphant. "The Big Short, le casse du siècle", Paramount, 20 euros le DVD, 25 euros le combo DVD + blu-ray.