dimanche 8 avril 2012

Billet - Un exercice de style "made in internet"


« Dans l'S, à une heure d'affluence, cet autobus n'avait pas du tout la rapidité des autoroutes de l'information surfant sur les réseaux en fibre optique. Au contraire, il faisait penser à un minitel démodé avec sa plateforme. Un passager, vieux geek de 23 ans, au long cou et chapeau mou, tel une caricature des Sim's, s'énerve. A chaque arrêt, son voisin le dérange. Une scène cocasse, vue plusieurs milliers de fois sur Youtube grâce à la caméra de vidéosurveillance du transport en commun. Finalement, il change de place avec précipitation, comme d'autres migrent d'Orange à Free appâtés par la nouveauté. Deux heures plus tard, on le retrouve sur un site de discussion en ligne. Il utilise son smartphone. La géolocalisation permet de savoir qu'il est devant la gare Saint-Lazare, cour de Rome exactement (Latitude : 48.8757482, Longitude : 2.3247553). Sur un forum consacré à la mercerie, il parle chiffons avec un ami rencontré sur Facebook. Faut-il mettre un bouton supplémentaire à son pardessus ? Il pose la question à la cantonade, attend les réponses de connectés. Un des abonnés à son compte Twitter publie une photo pour qu'il voie exactement où rajouter ce bouton (à l'échancrure) et pourquoi. »

Le vendredi 13 avril est parue une nouvelle édition des «Exercices de style» de Raymond Queneau dans la collection Folio qui fête ses 40 ans. Cette chronique, parue en dernière page de l'Indépendant, est un hommage à ce chef-d'oeuvre de la littérature française.

samedi 7 avril 2012

BD - "Paradise Island", une île triple X


Tout le monde rêve, un jour, de gagner un voyage tout frais payer vers une destination exotique. Tom et Chloé, en participant à une émission télé, ont la chance de remporter un séjour sur Paradise Island, « une ode aux cinq sens ». Arrivés sur place, le jeune couple découvre une île où tout est permis. Un royaume du libertinage et de l'échangisme. 

Un peu réticents au début, ils vont se laisser prendre par l'ambiance et découvrir de nouvelles expériences. Mais à quel prix au final ? Cela débute comme une BD classique, aux dessins léchés et aux filles pleines de classe. Mais rapidement cela prend une tournure beaucoup plus osée avec des images d'un réalisme très cru. 

Cette histoire de Lu Ping, dessinée par Teufel, est strictement réservée aux adultes.

« Paradise Island », Drugstore, 15,50 € 

lundi 2 avril 2012

Thriller - Les maladies de l'Afrique dans "Les fantômes du delta" d'Aurélien Molas

Plongée dans l'Afrique contemporaine, celle des famines, des réfugiés, des politiques corrompus et des humanitaires avec « Les fantômes du delta ».

Une catastrophe écologique et humanitaire est en cours en Afrique. De tous les pays à l'agonie, le Nigeria a pourtant nombre d'atouts. Mais l'exploitation à outrance de ses richesses, naturelles et humaines, condamne ce géant. Ce cauchemar est au centre du second roman d'Aurélien Molas, jeune écrivain français. « Les fantômes du delta » plonge le lecteur dans cette Afrique où vivre est parfois si compliqué que la mort fait figure de délivrance, presque de chance. Remarquablement documenté, ce thriller suit le parcours de Benjamin, médecin français et Megan, infirmière américaine. Après des vies chaotiques dans leurs pays respectifs, ils ont fait le choix de l'humanitaire. Pour Médecins sans frontières, ils tentent de parer au plus pressé face à une catastrophe humanitaire sourde et implacable.

Pollution et misère
Le Nigeria souffre de sa richesse en pétrole. Le delta du Niger est surexploité. Des dizaines de plateformes pour extraire cet or noir pouvant se transformer en cauchemar. Les fuites incessantes ont transformé cette zone humide en véritable bouillon de culture invivable. C'est dans ce delta, là où les pêcheurs ne peuvent plus attraper que des cadavres de poissons, que la rébellion a pris naissance. Le MEND (Mouvement d'émancipation du delta) réclame une meilleure répartition des richesses. Et pour se battre efficacement, il faut des fonds.

Le roman débute par une opération commando dans un hôpital. Alors que Benjamin est en train de faire une inspection des conditions de vie des enfants, des hommes armés investissent les lieux. Ils sont à la recherche d'une petite fille, Naïs, supposée leur rapporter des millions de dollars.

Une fillette que Benjamin avait rencontré quelques minutes plus tôt, dans une chambre à l'écart. « Ses yeux noirs le fixaient avec une intensité peu commune chez une enfant de cet âge ». « Il remarqua la perfusion dans son bras et l'appareil à dialyse rangé dans un coin de la chambre ». Benjamin est intrigué par cette enfant qui a épinglé sur le mur ses dessins. « Quelque chose de malsain suppurait de ces gribouillis, comme si les émotions emprisonnées sous les traits figés de la fillette avaient jailli pêle-mêle sur le papier avec une brusquerie hystérique. » Durant quelques semaines, Benjamin va vivre près de Naïs car il est enlevé avec elle par les révolutionnaires. C'est un des attraits de ce roman, sans temps mort, mais se permettant quand même d'approfondir les profils psychologiques des différents personnages.

Camp de réfugiés
Megan, intervient en cours de roman. Elle a quitté son confort américain pour tenter de donner un sens à son métier d'infirmière. Pour oublier ses plaies aussi. Quand elle débarque dans ce camp de réfugiés, le décor est encore plus abominable qu'elle ne le redoutait. « Le choc fut violent, bien plus intense que ce qu'elle avait imaginé. Et durant les dix premières minutes, Megan se demanda si sa venue en Afrique n'était pas sa plus grande erreur. » Mais la demande et l'attente des populations locales sont tellement grandes que le temps du doute ne dure pas longtemps. Et Megan aussi va croiser la route de Naïs, clé de voute de ce roman. Son secret la transforme en gibier pourchassé par plusieurs équipes de mercenaires prêts à tout pour la « vendre » au plus offrant.

Ce thriller est de la veine de ceux qui vous captive du début à la fin. Une fois ouvert, vous ne pouvez plus quitter ce delta, cette lutte pour la vie. Naïs et ses secrets vous fascinent. Benjamin et Megan, écorchés de la vie vous touchent. Et même les « méchants » aux parcours si complexes sont une raison supplémentaire de dévorer ces 500 pages d'une traite.
« Les fantômes du delta », Aurélien Molas, Albin Michel, 22 euros

jeudi 29 mars 2012

BD - "Bonneval Pacha" un étonnant ancêtre


Le nouvel album de Gwen de Bonneval (Messire Guillaume, Gilgamesh) est directement inspiré de la vie de sa famille. Mais il ne s'agit pas d'autofiction. Il a trouvé beaucoup plus intéressant dans ses ancêtres. Le Bonneval Pacha a véritablement existé et c'est son histoire qui est au centre de cet album dessiné par Hugues Micol. 

Un premier tome qui explique comment ce noble français du 17e siècle, après une belle carrière dans la marine militaire, s'est exilé et est devenu, en Turquie, un Pacha. Une vie d'aventures, de duels et de séduction qui a longtemps alimenté l'imaginaire de la famille du scénariste. Peut-être est-elle même à l'origine de sa vocation...

« Bonneval Pacha » (tome 1), Dargaud, 13,99 € 

mercredi 28 mars 2012

BD - Les redresseurs du temps de Kris et Duhamel



Depuis Valérian, rares étaient les auteurs de BD ayant osé affronter les paradoxes temporels. Kris au scénario et Bruno Duhamel au dessin ont relevé le défi, se consacrant uniquement aux méandres de l'Histoire sur terre. Dans un futur d'autant plus difficile à définir qu'il est très aléatoire, les Brigades du temps sont chargées d'empêcher toute déviation de la grande histoire de l'Humanité.
Le premier tome débute par l'arrivée de Christophe Colomb en Amérique. Mais à peine un pied posé sur la terre ferme du Nouveau Monde, il est criblé de flèches. Finalement, l'Amérique ne sera pas découverte. Une altération du temps à corriger immédiatement. Sont envoyés dans le passé les deux héros : Montcalm Stuart, tout juste diplômé de l'université Ukronia et Kallaghan Dagobert, un vieux de la vieille.
Humour, aventure, imagination : une série plus que prometteuse.

« Les Brigades du temps » (tome 1), Dupuis, 10,45 €

mardi 27 mars 2012

BD - Pacco, père à mi-temps dans « Une semaine sur deux »

Maé est une petite fille heureuse et comblée. Certes, chaque semaine son cœur se brise, mais le reste du temps elle profite pleinement de son statut de fille unique de parents divorcés ayant opté pour la garde alternée. Pacco, le créateur de la série est donc ce papa « Une semaine sur deux ». Il raconte dans des gags et histoires courtes cette vie branchée sur courant alternatif. Le calme des semaines de solitude, la tornade provoquée par la présence de Maé.
De l'humour mais aussi de la gravité dans ces instantanés de la vie familiale, typique des années 2000. Et au final, on se dit que Maé, malgré cette situation anormale, sera doublement une enfant équilibrée, heureuse et ouverte. Quant à Pacco, s'il n'est pas le meilleur papa du monde, il permettra à des milliers d'hommes de se reconnaître un peu dans ses doutes, enthousiasmes et renoncements.

« Une semaine sur deux », Fluide G., 14 €

lundi 26 mars 2012

BD - Les racines noires de l'héroïne de « L'appel des origines » de Callède et Séjourné



Changement complet de cadre et de décors pour le second tome de la série « L'appel des origines » de Callède (scénario) et Séjourné (dessin). Anna, l'héroïne métisse, après des aventures au cœur du Harlem des années 20, est cette fois au centre d'une intrigue se déroulant dans la savane africaine. Anna, découverte par Simon, producteur, est engagée comme actrice dans un grand film tourné en décors naturels. Cette expédition au Kenya a plusieurs objectifs. En plus du film qui pourrait être un succès planétaire, Anna tente de retrouver son père, un chasseur blanc disparu quelques années auparavant en pleine expédition. Une expédition de scientifiques qui auraient découverts les vestiges de la présence de l'homme en Afrique remettant en cause toutes les certitudes de l'époque.

Un récit un peu trop romantique (Anna est d'une grande beauté qui ne laisse personne insensible) rattrapé par des dessins d'une extraordinaire beauté. Joël Callède ne fait que des crayonnés, comme pour garder la puissance et la finesse de son trait mis en couleurs par Jean Verney.  
« L'appel des origines » (tome 2), Vents d'Ouest, 13,90 €


dimanche 25 mars 2012

BD - « Sian Loriel », la mécanique guerrière



Sian Loriel est un mercenaire, un soldat se vendant au plus offrant. Il manie parfaitement l'épée et combat dans une armure mécanique le transformant en géant d'acier. Une armure qui, telle une mécanique de précision, a besoin d'un servant pour l'entretenir, voire la dépanner en pleine bataille. La tâche incombe à Cass, une orpheline déguisée en homme. Elle est amoureuse de Sian. Lui est totalement insensible, uniquement intéressé à améliorer sa technique guerrière. Dans ce monde imaginaire, entre mécanique triomphante et magie ancestrale, la lutte pour le pouvoir fait de nombreuses victimes. C'est le ressort principal de l'intrigue de Benoit Attinost, grand spécialiste de jeux de rôles. Un premier tome plein de bruit et de fureur dessiné par Mauro de Luca, un Italien passé par Panini, Disney et la conception de décors de théâtre. Il s'était déjà fait remarqué en France avec son adaptation de Soltrois d'après le roman de Julia Verlanger. Avec Sian Loriel, il marque de nouveaux points. Ses guerriers sont spectaculaires, tout comme les machines qui leur permettent de combattre à l'abri derrière de redoutables plaques d'acier.
« Sian Loriel » (tome 1), Le Lombard, 14,45 €

samedi 24 mars 2012

BD - Algérie, première révolte dans les "Leçons coloniales" de Azouz Begag et Defali



Fin 44, le gouvernement français a décidé de scolariser tous les Français musulmans d'Algérie. Une décision politique très mal vue par les colons. Cet album de BD, écrit par Azouz Begag, écrivain et ancien ministre de Dominique de Villepin, et dessiné par Djillali Defali raconte la courte expérience d'une jeune institutrice pleine d'idéal. Marie arrive de métropole. Elle prend son poste à Sétif, dans l'arrière-pays. 
Cette femme seule, osant enseigner des rudiments d'arabes aux enfants de colons, est rapidement prise en grippe par la communauté pieds-noirs. Mais forte de la loi, elle insiste. Alors que la libération de la France donne des idées aux Algériens, dans sa classe, Marie constate que les élèves musulmans sont de plus en plus nombreux. Ils deviennent même majoritaires quand les parents européens décident de retirer leurs enfants en signe de protestation. Le 8 mai 45, une manifestation en faveur de l'indépendance dégénère. L'école détruite, Marie préfère rentrer en France, amère, déçue.
Sans manichéisme excessif, Azouz Begag a certainement puisé dans les souvenirs de ses parents, ouvriers agricoles à Sétif, pour raconter cette étape, une des premières dans les désirs d'indépendance de l'Algérie.

« Leçons coloniales », Delcourt, 16,95 €