vendredi 13 août 2010

Roman - Où une Lolita en écrit l'histoire d'une autre

L'histoire d'une petite provinciale de 20 ans avec des rêves parisiens plein la tête, qui vous scotche au fauteuil comme un « Bubble gum ».


Abracadabrant n'est pas vraiment le mot. Invraisemblable peut-être dans la forme mais le fond colle tellement à la réalité qu'il nous cloue le bec. Quoiqu'il en soit, Lolita Pille, nous écrit une histoire aux rebondissements époustouflants avec une maitrise de la langue française et une justesse de ton remarquables pour la post-adolescente qu'elle est encore. Au temps pour les détracteurs des jeunes qui-ne-savent-plus-écrire ! On trouve ici un style teinté d'un classicisme scolaire de bon aloi mais cependant très perso, avec des tas de références tant littéraires que musicales. Et qui nous prouve qu'on peut encore écrire jeune et branché au participe présent.

La vie n'est pas rose...

Comme pourrait nous le laisser croire la couleur de la couverture ou celle du chewing-gum lambda, de fait, la vie n'est pas facile pour Manon, jeune et belle provinciale qui, comme beaucoup, décide de monter à Paris pour connaître enfin la vraie vie. Fini le noir et blanc de Terminus, le village qu'elle connaît par cœur et à elle le technicolor de la grande ville. Dans la capitale, Manon trouve un petit boulot de serveuse et un studio plutôt minable mais elle y croit : un jour elle sera un mannequin adulé par, les foules et fera la couverture de Elle, Vogue ou autre Cosmopolitan.

Arrive dans le restau où elle se fatigue dur, tel le Prince Charmant des contes de son enfance, le beau et ténébreux Derek Delano, fils à papa milliardaire, qui lui ouvre, si ce n'est son cœur du moins son lit, ainsi que les portes d'une agence de mannequin réputée. De défilé de mode en couverture de magazine, l'image de Manon s'étale à tous les coins de rue. Jusque sur les affiches du film, produit par Derek, qu'elle tourne sous la houlette d'un réalisateur prestigieux en compagnie d'un acteur adoré des foules. Le hic de l'histoire, c'est que plus sa vie prend la tournure dont elle rêvait à Terminus, plus la belle Manon s'étiole.

Alcool, cocaïne, elle ne supporte plus rien ni personne et maigrit à faire peur, perdant à la fois la fraîcheur de sa beauté et le goût à la vie. Cette vie dont elle avait tant rêvé semblerait-elle aussi inconsistante que l'air contenu dans une bulle de chewing-gum ?

Fabienne Huart

« Bubble gum » de Lolita Pille aux éditions Grasset, 18 € (également au Livre de Poche, 6 euros) 

jeudi 12 août 2010

BD - Le pouvoir des livres de la série "Hypertext"


Une série, trois époques. « Hypertext », BD écrite par Sébastien Viaud, permet au dessinateur, Adrien Villesange, d'alterner ambiances futuriste, contemporaine et moyenâgeuse. De nos jours, une journaliste découvre dans les sous-sols de Paris un mystérieux livre très convoité. Plusieurs siècles auparavant, ce même livre semble être au centre de la relation torride entre un moine copiste et une châtelaine. 

Une partie des explications se trouve dans le futur. Notre monde a été frappé par un vaste bug. Depuis, toute la connaissance et le pouvoir repose sur les derniers livres existants. Les bouquinistes sont les rois. Mais des groupes luttent contre ce nouvel ordre mondial. Notamment les femmes du groupe « Hypertext », sortes de terroristes détruisant le plus de livres possibles. 

Cette fiction est une jolie parabole sur le pouvoir des livres. Aujourd'hui ils sont nombreux et peu chers. Profitons-en !

« Hypertext » (tome 2), Delcourt, 12,90 € 

mercredi 11 août 2010

BD - Chasse à l'homme et au lion


Au cœur du Kenya, dans la vallée du Rift, un homme est seul. Il court. A ses trousses, un lion. Chasseur ou chassé, les rôles sont parfois inversé et tiennent à peu de choses. C'est un peu la philosophie de cette nouvelle série écrite de Perrissin et dessinée par Pavlovic. Dans cet immense pays, quelques fermiers blancs ont fait fortune en produisant du café. L'homme en fuite est Sean Munroe. 

Condamné pour le meurtre de sa compagne, il vient de fausser compagnie à ses gardiens. Il est Blanc. Sa femme était noire. Et il a toujours clamé son innocence. D'ailleurs, cette évasion il n'y voit qu'un seul avantage. Il va pouvoir venger la femme qu'il aimait. Si une partie de l'action se déroule dans la brousse, l'autre est centrée sur la plantation Munroe. Le père de Sean, Robert, espère beaucoup de son mariage avec la riche héritière d'un pasteur blanc. L'exploitation n'est pas au mieux et l'apport d'argent frais pourrait empêcher la faillite.

 La série décrit minutieusement cette société sombre et en perdition, vénérant l'argent et attisant les haines entre les communautés.

« Les Munroe » (tome 1), Glénat, 13 € 

mardi 10 août 2010

BD - Miss Annie va vous faire craquer


Il parait qu'il suffit, pour qu'un blog fonctionne sur internet, d'y mettre quelques photos ou dessins de chatons. Si la recette fonctionne de la même façon dans l'édition, ce « Miss Annie » de Flore Balthazar (dessin) et Frank Le Gall (scénario) est promis à un bel avenir. 

Miss Annie c'est le nom de cette adorable petite chatte qui pour l'instant n'a pas encore quitté la maison de ses maîtres. Mais cela ne saurait tarder. Elle a quatre mois et commence à être « mature ». Les premiers chapitres, comme une mise en bouche, content la vie de cloitrée de Miss Annie. 

La petite chatte tourne en rond et fait donc de plus en plus de bêtises. Quand, par miracle, elle découvre une fenêtre entrouverte, elle en profite immédiatement pour sauter sur la branche d'un arbre voisin. Et en avant pour la grande aventure. Elle rencontrera les autres chats du quartier qui vont se charger de son éducation féline. Cette histoire, toute simple, dessinée sans effets, est d'une grande tendresse. 

Ceux qui ont eu une petite chatte dans leur foyer s'y retrouveront certainement.

« Miss Annie », Dupuis, 13,50 €

lundi 9 août 2010

Souvenirs - Pas commode le père Léandri

Bruno Léandri se souvient de son père. Surtout de ses colères et éructations. Un beau récit de la vie des banlieusards des années 50/60.


Cela fait des années que Bruno Léandri hante les pages de Fluide Glacial. Dans le mensuel « d'umour et bandessinées » il signe une nouvelle, parfois un roman-photo dont il est le héros et une rubrique répertoriant trouvailles et inventions loufoques de ces dernières années. Large lunettes, front dégarni, moustache touffue et tombante, Bruno Léandri fait partie de ces iconoclastes qui ont toujours quelque chose à apprendre, à vous apprendre. Dans « Encyclopédie de mon père », il parle de son enfance de banlieusard dans les années 50/60, mais surtout de son père, Pierre. Un portrait tout en colères et en éructations, entre rires et larmes.

« Gueulements intempestifs »

Devenu adulte, vivant de sa plume, Bruno Léandri écrit quelques superbes pages sur son paternel, comme tout le monde devrait pouvoir le faire, histoire de soulager le trou de la sécu de quelques séances chez les psys. Le père Léandri est « soupe au lait ». Il en faut peu pour qu'il sorte de ses gonds. N'importe où, n'importe comment. « Par ses gueulements intempestifs en public, mon père avait la sale manie d'attirer sur lui l'attention des foules et sur nous la honte. » L'opposé absolu de Bruno, le petit dernier, discret, malingre, renfermé. Mais il profitait du spectacle continu qu'était la vie de son père. A l'adolescence, cela s'est compliqué : « Après la puberté, l'hostilité qui s'installa entre mon père et moi connut un paroxysme de deux ans. Je l'ai haï très fort, méprisé, rejeté, agoni d'insultes. Et puis ça s'est calmé peu à peu, les premiers vols planés hors du nid relativisent beaucoup les drames de vermisseaux et de coquilles d'œufs ».

Une France d'antan

Le père Léandri était un comptable qui, en raison de son caractère entier, changeait souvent d'employeur. A l'époque, retrouver une place était chose aisée. Le foyer ne roulait pas sur l'or, mais avait suffisamment pour se payer des vacances au pays, la Corse. Bruno se souvient de la tension qui précédait ces expéditions durant la bagatelle de 48 heures (une nuit de train, une journée à Marseille, une nuit en ferry pour la traversée, et pour finir quelques heures en bus pour rejoindre le village du sud de l'île). Il raconte cette véritable odyssée avec cet humour et cette légèreté qui a fait le succès de ses nouvelles dans Fluide Glacial.

Ce récit, s'il fait la part belle à ce tonitruant papa, est aussi l'occasion pour Bruno Léandri de raconter ses nombreuses madeleines, du cinéma de quartier aux fauteuils de velours rouge, à l'épicier chez qui ont faisait les courses au quotidien, sans oublier les feuilletons radiophoniques et les albums de Tintin reçus en cadeau à Noël. C'est toute une époque qui revit sous sa plume. Il n'a pas son pareil pour nous remettre en mémoire ces petits moments précieux que tout un chacun (de plus de 45 ans) a déjà vécu, de la communion en aube blanche au pique-nique improvisé, un beau dimanche de printemps, avec salade, œufs durs et tranches de jambon au menu. Une France heureuse et simple. Dieu, qu'elle semble loin aujourd'hui...

« Encyclopédie de mon père », Bruno Léandri, Flammarion, 18 € 

dimanche 8 août 2010

Thriller - Enlèvement, basculement, avec « Les quatre fins dernières »

Aucune nouvelle, aucune piste, la petite Lucy Appleyard s'est volatilisée laissant ses parents dans un immense désarroi.


Un sang d'encre -titre de la collection aux Presses de la cité- est bien l'expression qui convient à ce roman d'Andrew Taylor paru en 2003.

Quoi de plus atroce pour une maman d'aller chercher sa fille de quatre ans chez sa nounou et, en lieu et place de l'ambiance tranquille des habituels jeux, de fins de journée, de trouver une maison en pleine effervescence, grouillant de policiers et de voisins. Lucy a disparu.

Dans sa petite tête rêveuse d'enfant de quatre ans, elle a chipé le porte-monnaie de la nounou dans l'intention d'aller s'acheter la boîte de magie tant convoitée.

Trois minutes d'inattention de la nounou et Lucy se retrouve dans la cour de la maison, seule, hésitant à franchir le portail interdit. Juste le temps et l'opportunité qu'attendait Eddie. Depuis plusieurs semaines, avec sa compagne Angel (comme quoi il ne faut jamais se fier aux apparences, même d'un prénom !), il connaît sur le bout des doigts l'emploi du temps de la petite fille et de ses parents. Et même si l'enlèvement n'était pas programmé ce jour-là, il a réussi au-delà de toutes les espérances d'Eddie et Angel la tyrannique.

Remises en question

A partir de ce moment, les policiers sont sur la brèche. Même Michaël, le père de Lucy, policier lui aussi, se lance dans une recherche désespérée malgré l'interdiction de sa hiérarchie, le considérant trop. impliqué pour effectuer un travail objectif. Quant à Sally, première femme pasteur de l'Eglise anglicane de la petite communauté de quartier de Kensal Yale et mère de Lucy, elle se retrouve en proie à des interrogations et des doutes qu'elle n'aurait jamais crus possibles sur l'essence même de sa foi.

Les interventions du parrain de Michaël, ecclésiastique lui aussi et comme la majorité, opposé à l'ordination des femmes, ne font qu'envenimer une situation déjà tendue à l'extrême.

Pour tout arranger, au lieu de les rapprocher dans l'épreuve, les relations entre Sally et son mari se détériorent rapidement, mettant à nu une tension latente depuis plusieurs mois.

Ange ou démon ?

Dans cette histoire a double face - celle des ravisseurs et celle des victimes – les personnalités ressortent avec une virulence teintée d'une palette aux mille nuances, soulignant là tout le talent de l'auteur.

Si l'on a rapidement catalogué Angel parmi les « méchants », Eddie lui est présenté comme un pédophile, certes, et donc condamnable à 200% ; mais par de nombreuses facettes, tant dans son comportement que dans son caractère, l'auteur arrive à le rendre presque sympathique, en tout cas susceptible de provoquer la pitié du lecteur.

Incroyable et d'autant plus dérangeant que l'actualité bien réelle celle-là, n'épargne pas enfants et parents.

On ne peut néanmoins que saluer Andrew Taylor pour la finesse d'analyse des personnalités multiples de tous les protagonistes ainsi que le rythme tantôt lancinant, tantôt haletant de l'intrigue. .

Tel un morceau de musique bien orchestré, les pianissimos s'entremêlent aux fortes pour se terminer en un crescendo fortissimo.

Fabienne Huart

« Les quatre fins dernières » de Andrew Taylor aux Presses de la Cité, 18,90 euros

samedi 7 août 2010

BD - De la volaille à plumer


Avouons-le, parfois, cela fait du bien de se moquer de la maréchaussée. « Les Poulets du Kentucky » a cet effet salutaire car il a pour héros des policiers américains assez calamiteux. Dommage que les auteurs (Richez au scénario et Saive au dessin) n'aient pas francisé leur concept. « Les poulets de la Bresse » auraient été tout aussi marrants, voire plus...

Donc nous sommes au Kentucky, dans une ville moyenne qui ne vit que par et pour l'industrie du poulet, le gallinacée. Les policiers locaux ont fort à faire, notamment l'agent Garcia, une hispanique fière et très à cheval sur les principes. Son premier souci, paradoxalement, c'est son coéquipier, Peeper. Avant tout il est roux. A cette tare suprême, il faut y rajouter le fait qu'il est raciste, fils du gouverneur, idiot, obsédé sexuel et pour finir persuadé que Garcia est sa sœur... Ce duo, classique dans toute histoire comique, fonctionne parfaitement. Il est vrai que Pepper est un condensé de bêtise ambulante et que ses initiatives sont toujours plus foireuses les unes que les autres. 

De la prise d'otages à la demande de rançon en passant par le simple tapage nocturne, il n'a pas son pareil pour transformer la moindre enquête ou mission en catastrophe qui salira l'honneur de la police pour les dix siècles à venir. Les gags sont souvent efficaces et Saive, au dessin, arrondit un peu son trait pour entrer dans le moule d'une école belge (de Marcinelle en l'occurrence) redoutable d'efficacité et de lisibilité.

« Les poulets du Kentucky » (tome 2), Dupuis, 9,95 € 

vendredi 6 août 2010

BD - Léa ne sait plus vivre...


Album très littéraire que cet énigmatique « Léa ne se souvient pas comment fonctionne l'aspirateur ». Beaucoup moins étonnant quand on sait que c'est Corbeyran qui a scénarisé cette belle histoire dessinée par un petit prodige coréen, Gwangjo. 

Une BD littéraire dont le personnage principal est Louis Levasseur. Ce prototype d'écrivain fauché et en mal d'inspiration trouve son salut dans les poubelles de ses voisins. Un soir, il récupère un cahier d'écolier dans lequel Léa raconte ses malheurs. Une maladie en fait. Léa est incapable de se souvenir comment fonctionne les appareils ménagers. De l'aspirateur à la cafetière électrique en passant par le lave-linge. 

Cette jeune épouse au foyer confie au cahier sa détresse. Elle ira même consulter une voyante pour tenter de trouver une solution. Ce qu'il est advenu de Léa, le cahier ne le dit pas, mais Louis va l'imaginer et signera ainsi un best-seller international qui lui permettra de changer de vie. Quelques années plus tard, l'écrivain, par hasard, tombe sur Léa. Il va tenter de la séduire, comme pour s'excuser de s'être enrichi avec ses difficultés. Il découvrira une femme plus complexe que prévue, fière et indépendante. 

Cela aurait pu être une petite bluette dans l'air du temps avec fin heureuse et jolie morale. Corbeyran y met beaucoup plus, s'attaquant à un fait de société qui risque d'en surprendre plus d'un. Ces 128 pages sont dessinées au crayon à papier par un jeune dessinateur maîtrisant à la perfection toutes les nuances de gris de sa palette.

« Léa ne se souvient pas comment fonctionne l'aspirateur », Dargaud, 19 € 

jeudi 5 août 2010

BD - Boiscommun nous donne des murs pour horizon


Dans un futur que l'on ne souhaite à aucun de ses descendants, les hommes et les femmes vivent séparés dans une ville entourée de hauts murs. Cette société, très policée, ne laisse pas la place à l'amour, la compassion, la joie. 

Régulièrement, hommes et femmes sont tirés au sort pour vivre quelques journées ensemble. Si en surface la police du Présideur fait régner la terreur, dans les sous-sols il en est tout autrement. Des « infidèles » entendent redonner espoir à la population en se battant pour qu'enfin vienne le temps de la Cité de l'Arche. 

Cette nouvelle série de Boiscommun est particulièrement riche. Graphiquement d'abord. Il mélange vieille ville et technologie du futur, robots et créatures cauchemardesques. Pour ce qui est du scénario, on découvre les rigueurs de cette société à travers les yeux d'un jeune homme qui est tombé amoureux d'une femme aperçue de loin.

« La Cité de l'Arche » (tome 1), Drugstore, 13,90 € 

mercredi 4 août 2010

BD - Le jour sans du Chevalier maudit


Si vous êtes à la recherche de héros positif et exemplaire, n'ouvrez pas cette BD de Rémy Benjamin (scénario) et Pero (dessin). Par contre, si vous êtes à la recherche de preuves sur la noirceur de l'âme humaine, vous vous délecterez de cette histoire de chevalier maudit. 

Au Moyen Age, Roland, un châtelain, se prépare à partir pour les croisades. Officiellement au nom de Dieu et pour porter la bonne parole, officieusement pour tuer, piller et violer. Il laisse sa femme seule au château. En Croisade, il est accompagné de ses gens, soldats qui vont se fondre dans l'immense cortège. Une croisade qui ne sera pas de tout repos pour Roland, constatant au fil des jours qu'il n'a pas de chance. Accident de chariot, cheval mort, chutes, sans oublier ces oiseaux qui se soulagent sur lui. Rapidement le rumeur court : Roland est-il maudit ? 

Dès les premières défaites cela devient une évidence pour tous. Roland est obligé de fuir, la malédiction augmentant sur le chemin du retour. Une histoire habile et un dessin en devenir sont les atouts de cette BD.

« Un jour sans », Ankama Editions, 12,90 €