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dimanche 19 avril 2020

Roman – Adorable larbin


Elle est riche. Très riche. Il est distrayant. Très distrayant. Entre Delphine Campbell, héritière d’une fortune colossale et Chardin, son homme à tout faire, entre majordome et compagnon platonique, les rapports ne sont jamais simples. Pourtant ils ne peuvent plus vivre l’un sans l’autre. La première s’ennuie sans les reparties de Chardin dans ces dîners trop sérieux, le second ne pourrait jamais se permettre de vivre dans un tel luxe après sa carrière d’acteur raté et de metteur en scène jamais reconnu. Un couple qui ne cesse de se chamailler dans « L’homme des jours heureux », nouveau roman de Jean-Pierre Milovanoff sélectionné pour le prix Midi (lire dans notre supplément magazine du dimanche). 
Ce roman court et incisif est aussi une histoire d’amour impossible. Pas entre Chardin et Delphine, mais entre ce vieux beau de 66 ans, larbin de luxe de l’héritière, et la nièce de cette dernière, Gina, de presque 40 ans sa cadette. Chardin est persuadé que ce sera son dernier amour. Dès la première rencontre, un soir dans les couloirs de l’immense demeure, il est obligé de constater que « les yeux de cette femme le désarçonnent, et aussi sa voix, sa bouche, ses épaules, sa silhouette, sa vivacité, sa douceur, tout finalement ! ». Gina, tout juste séparée, cœur à prendre, qui saura trouver refuge dans les bras de cet homme certes très âgé, mais si attentionné. Il est vrai que Chardin sait se tenir dans le monde. C’est son capital le plus profitable. Même si parfois il se dégoûte. 
Comme quand il s’habille élégamment mais ne peut s’empêcher de se juger sévèrement en se regardant dans la glace : « Crapule, va ! Désœuvré qu’on entretient pour qu’il fasse son numéro ! Bouffon qui témoigne du prestige de sa maîtresse ! N’as-tu pas honte de te démener pour distraire des invités que tu méprises ! » Une lucidité qui ne passe pas la barrière du matériel. 
Oui Chardin est un larbin, un adorable larbin, mais il aime ce statut et l’auteur nous démontre que finalement, on est tous au service de quelqu’un. Lui au moins, a choisi une riche héritière. 

« L’homme des jours heureux » de Jean-Pierre Milovanoff, Grasset, 16 €


dimanche 27 avril 2014

Roman - Le voleur de la canicule

En pleine canicule de 2003, un jeune garçon découvre les pratiques d'un audacieux voleur malvoyant. Un conte moderne signé Jean-Pierre Milovanoff.


L'été 2003 restera pour toujours dans les mémoires comme celui de la canicule du siècle. Dans les grandes villes, Paris surtout, des centaines de personnes âgées sont mortes chez elles, dans une indifférence généralisée. Les morgues débordaient, pour parer au plus pressé, certains entrepôts frigorifiques de Rungis ont servi de chambre froide pour ces cadavres abandonnés de tous. 
Ce dramatique fait divers sert de toile de fond du roman de Jean-Pierre Milovanoff. Le héros et narrateur, Théo, un jeune garçon, n'a pas conscience du drame qui se joue derrière les murs des rues parisiennes qu'il arpente quotidiennement pour passer le temps. Il va à la piscine, achète une glace, boit une limonade dans un café. Il remarque le ballet incessant des ambulances du samu et des corbillards des pompes funèbres, mais sans en mesurer véritablement les conséquences. Il profite de cet été quasi solitaire car sa mère, d'origine africaine, est infirmière à l'hôpital. Son service, déjà en effectif réduit pour cause de vacances, se retrouve débordé par cet afflux de malades, puis de morts. Elle multiplie les remplacements, double ses services, s'épuise silencieusement à la tâche.

Détrousseur de logements vides
Mais l'été 2003, pour Théo, restera celui de sa rencontre avec Rico, « Le visiteur aveugle » qui donne son titre au roman. Il le croise une première fois dans le hall de son immeuble en train de déchiffrer un nom sur les boîtes aux lettres. « Costume clair, feutre d'un jaune proche du marron, sandales de cuir. Il tenait un stylo à bille dans la main droite. J'eus le temps de voir qu'il était en train de noter l'étage et le numéro d'un appartement sur la paume de son autre main. Il était grand, mince, d'allure sportive, avec des joues creuses et un nez de boxeur. Son visage aux pommette dures souriait dans le vide. » Le fameux Rico cherche le petit appartement d'une certaine Madame Roseland. Une de ses vieilles amies qui vient de mourir. Seule, dans sa bonbonnière entourée de ses souvenirs d'ancienne reine de l'Alcazar. Théo le conduit au 6e étage et l'aide à entrer dans ces pièces sentant le renfermé. Comme fasciné par cet homme étrange, le gamin l'écoute raconter la vie de cette femme, adulée puis oubliée de tous. Comme une métaphore de toute vie humaine faite de hauts et de bas.
Cela n'empêche pas Théo de comprendre que Rico ne connaissait pas véritablement Mme Roseland. Et que son pèlerinage est très intéressé. Rico est un simple voleur, un aigrefin : « Il tira de la poche intérieure de son veston une lame dentelée, à peine plus grande qu'une lime à ongles. Il la porta devant ses yeux, souffla dessus puis la glissa dans le premier tiroir du secrétaire qui s'ouvrit aussi bien que s'il avait tourné la clé. » Et l'enfant de se retrouver complice d'un cambrioleur...
Le roman de Jean-Pierre Milovanoff va cependant beaucoup plus loin que cette simple relation coupable. Il revient sur ce drame sanitaire décrivant Paris sous un jour nouveau. « On respirait difficilement dans les appartements étroits et mal aérés. A midi, les avenues et les boulevards désertés diffusaient une chaleur de four le long des façades. Les trottoirs étaient brûlants. Les rideaux de fer des petits commerces fermés faisaient mal aux yeux. La circulation était fluide. Peu de taxis. Rares autobus. Seules les ambulances circulaient normalement, c'est à dire vite, dans des directions différentes. » Enfin le texte apporte un éclairage plus universel sur l'enfance, la difficulté d'exprimer l'amour que l'on porte à ses parents, du complexe détachement de sa famille. Une écriture lumineuse, comme un beau jour d'été, chaud mais pas caniculaire.

« Le visiteur aveugle », Jean-Pierre Milovanoff, Grasset, 14 €




mercredi 16 mars 2011

Roman français - Fuir la folie rouge

Jean-Pierre Milovanoff a beaucoup écrit sur le Sud de la France. Cette fois il raconte ses racines russes. Où comment fuir un pays devenu fou.



Novembre 37 dans une ville du sud de l'Ukraine. Deux fossoyeurs font des heures supplémentaires de nuit. Ils creusent des fosses communes pour les dizaines de cadavres charriés chaque nuit par la police. Staline est au pouvoir. La terreur règne. Une terreur que Jean-Pierre Milovanoff raconte dans ce court roman, témoignage d'un passé encore très proche et certainement présent dans la mémoire collective de toute la Russie et des anciennes républiques soviétiques.

L'idée de ce roman, presque un témoignage, un récit, l'auteur français l'a eu en retrouvant, dans les affaires de son père récemment décédé, « une mince brochure en anglais, « How I escaped the red terror », signée d'un certain MIKE. » Le père de Jean-Pierre Milovanoff a lui aussi fuit la Russie communiste. Mais bien avant que Staline ne transforme le pays en une vaste machine à dénoncer, à torturer, à emprisonner et à tuer.

Dans ce monde sans pitié, Anton Semionovitch Vassiliev est du bon côté. Membre de la police, le sinistre NKVD, il est craint et respecté. Il fait essentiellement du travail de bureau. Les dossiers des pseudos « espions » et « terroristes » passent tous entrent ses mains. C'est lui qui décide, d'un simple coup de tampon, s'ils iront croupir dix ans en Sibérie ou finiront une balle dans la nuque. Anton doit son statut à son père médecin. Il a soigné un général au bon moment. La famille est donc protégée par le régime. 

Ce n'était pas le cas de leurs voisins, les Milovanoff qui ont préféré fuir en France bien avant le début de la terreur. Anton complice mais pas convaincu. Ce n'est qu'une façon de se protéger, lui et sa mère. Mais quand il apprend que le général bienfaiteur vient d'être condamné à mort, il se doute que tout va basculer. Avec son jeune amant, lui aussi membre du NKVD, il décide de fuir. Ils vont, en quelques heures, mettre en place un plan ingénieux pour franchir ces frontières devenues totalement imperméables.

La cupidité des chefs

Le récit de Jean-Pierre Milovanoff est d'une dureté extrême. Il raconte notamment comment certains petits chefs font du zèle, pour assurer leur situation voire obtenir une promotion à Moscou. Avec l'espoir fou de se rapprocher de Staline. Ainsi le supérieur direct d'Anton, Romanenko, lâche et paranoïaque est devenu expert en la matière : « Avec l'acharnement des démons inférieurs, l'habile Romanenko avait aggravé le cas de l'accusée en impliquant plusieurs personnes de son quartier de manière à constituer à partir d'elle un réseau de terroristes. Le procédé était simple. Toute personne à qui la malheureuse avait adressé la parole un jour ou l'autre, fût-ce pour acheter une demi-livre de betteraves, devenait le membre actif d'une conspiration. » Des délateurs professionnels étaient même payés pour étayer les accusations. Des millions de personnes ont perdu la vie au cours de cette « terreur rouge ».

Et Jean-Pierre Milovanoff d'analyser cette dérive du régime : « Que serait l'histoire du monde sans la cupidité des chefs ? L'idéal de pauvreté des premiers bolcheviks n'a pas résisté à la réalité d'un pouvoir incapable de nourrir la population. » Un témoignage historique toujours d'actualité dans certaines dictatures vacillantes.

« Terreur grande », Jean-Pierre Milovanoff, Grasset, 14 €

mardi 6 mars 2007

Roman - Tragique coup de couteau à Nîmes

Déprime au cœur de la féria de Nîmes. Le héros de Jean-Pierre Milovanoff, chômeur de 51 ans, a-t-il encore le droit à l’espoir ?

Une petite vie tranquille. Avec ses hauts et ses bas. Mais tranquille. Isidore a 51 ans. Ouvrier spécialisé dans une usine depuis des années, quand il reçoit sa lettre de licenciement, tout s’écroule. Petit, timide, timoré, il n’a que peu de ressemblance avec le sud (Nîmes exactement) qui héberge ce roman de Jean-Pierre Milovanoff.

Le chômage, cette bête insidieuse qui lentement mais sûrement ronge une vie de labeur et d’efforts. Isidore, dans son petit meublé, se réjouit pourtant de l’arrivée du printemps et des robes courtes des passantes. « Le flâneur chanceux aurait mille occasions, préparées ou imprévues, de découvrir sous les étoffes parcimonieuses la chair inaccessible et douce que l’hiver garde en réserve dans ses pelisses… ». Les femmes, Isidore les aime passionnément mais s’en méfie. Certes il y a eu Gabrielle. On comprend en vivant les errances de ce paumé que Gabrielle a beaucoup compté. Mais elle n’est plus là.


Père violent

A une certaine époque, il a parfois rêvé à un destin plus rieur. Lui aussi aurait pu séduire… Si… Une enfance malheureuse, une père violent, une taille très inférieure à la moyenne, un travail inintéressant et un bégaiement fatidique dans les moments d’émotion l’ont fortement handicapé. Il a su se protéger, au fil des années, des brimades et désillusions. « Si son voisin de palier le plaisantait sur sa taille il disait «Attendez, je n’ai pas fini de grandir !» Ainsi va la vie. Dans un monde peuplé d’imbéciles, qui sont méchants faute de mieux, il fallait bien garder quelques cartouches dans sa ceinture et se tenir sur ses gardes ».

Le bourgeois et le chômeur. Le premier jour de la feria, Isidore prend une grande décision après avoir acheté un chapeau. Il va quitter sa chambre meublée et vivre dans un jardin, sous un figuier qui semble très accueillant. S’en suit un coup de folie. Sanglant. Sa psychiatre lui évite la prison en le plaçant homme à tout faire chez son fiancé, Odilon. C’est ce dernier qui raconte l’histoire d’Isidore. Car paradoxalement, alors que le chômeur était au bout du rouleau, c’est ce bourgeois égoïste et pédant, qui va le remettre sur les bons rails en lui offrant son amitié. Jusqu’au jour où Gabrielle refera son apparition.

Jean-Pierre Milovanoff explore la profondeur de ces vies extrêmes. Entre Isidore et Odilon, un gouffre. Qui se comble lentement, au gré des embryons de conversation autour de la piscine ou du gravier de l’allée. Ils se découvriront même bien des points communs. La vraie vie est au cœur de ce roman émouvant.

« Dernier couteau », Jean-Pierre Milovanoff, Le Livre de Poche, 5,50 €