lundi 2 novembre 2015

Livre : Deux Simenon dans l'Histoire

Georges est romancier mondialement connu. Christian un raté qui sombre dans le nazisme. L'histoire de la fratrie Simenon vue par Patrick Roegiers.

Loin de ne concerner que l’Allemagne et l'Italie, le fascisme puis le nazisme ont contaminé toute l'Europe. En Belgique, le plus ardent défenseur de de la suprématie aryenne était Léon Degrelle, fondateur du mouvement Rex. Catholique, Wallon, populiste et férocement opposé aux Juifs, il a plongé dans le moule du Furher. Son mouvement, avant la déclaration des hostilités, sans déplacer les foules, remportait un beau succès. En se penchant sur la destinée de « L'autre Simenon », Patrick Roegiers raconte surtout cette période trouble de la Belgique. Quand le fanatisme autorisait la violence. Au milieu des années 30, Léon Degrelle sillonne le pays. Il tient meeting sur meeting. L'entrée étant payante, il remplit les caisses de son parti politique.
Dans le public un certain Christian Simenon, frère de Georges, le déjà très célèbre romancier, créateur du commissaire Maigret. Christian est fasciné par les gesticulations de cet homme sur l'estrade. Le roman plonge le lecteur dans la frénésie de ces réunions publiques qui parfois ressemblent plus à des combats de boxe. Il décrit Degrelle : « Rien n'était spontané dans son attitude. Tout était étudié. Tel un roué comédien, il implorait paumes ouvertes, menaçait du doigt, comprimait d'une main son coeur ou tendait vers le ciel l'index de l'imprécateur. Faussement furieux, il se dressait sur ses ergots et gérait à la perfection ses effets. (…) Le public frissonnait d'aise. Les hourras s'amplifiaient. La salle tanguait sous la verbosité déferlante du pétroleur populiste et carriériste mégalomane. » Léon Degrelle est un personnage abject, mais en ces temps troublés, il parvient à s'imposer.

Un vrai tueur
Et dès que la Belgique est envahie par les troupes nazies, il se retrouve en première ligne pour dénoncer, déporter, emprisonner, torturer et tuer. Christian Simenon reste en Belgique, contrairement à son frère qui trouve refuge en France. Mais si le premier collabore ouvertement avec l'occupant, le second n'est pas aussi irréprochable que ce que l'Histoire retiendra. Il a fait partie de ces millions d'hommes et de femmes qui n'ont pas résisté. Sans véritablement collaborer non plus. Mais presque. Ce qui vaudra à Georges Simenon une brève interdiction de publier à la Libération.
Le destin de Christian est plus tragique. Patrick Roegiers revient avec une rare violence sur le massacre de Courcelles et la participation de Christian. De simple fonctionnaire de Rex, il devient un tueur. Consentant. « Et soudain, l'envie de tuer lui était venue comme une folie nécessaire. Il s'était désigné pour cette mission. Et il devait l'accomplir. » Dès qu'il presse sur la gâchette, il sait que c'en est fini de sa vie. Il bascule de l'autre côté, celui qui lui permet enfin de faire quelque chose que son frère, lui n'a jamais fait. Sur le papier Georges a raconté des centaines de meurtres, mais n'a jamais tué. Christian, si.
Avec des faits historiques incontestables, Patrick Roegiers a imaginé cet affrontement indirect entre deux frères rivaux. Mais ce n'est qu'un roman puisque la fin imaginée par l'auteur belge est différente de la réalité. Un récit puissant, au style riche et très imagé, qui dévoile un pan ignoré de l'histoire de l'Europe.
Michel Litout
« L'autre Simenon », Patrick Roegiers, Grasset, 19 €



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